Il y a trois ans, en Italie, au Portugal et en Espagne, l’Otan avait organisé l’exercice Trident Juncture 2015, lequel mobilisa 36.000 militaires, 200 aéronefs et une cinquantaine de navires, fournis par 27 États membres et 7 pays partenaires. Et cela en faisait, à l’époque, les manoeuvres les plus importantes de l’Alliance depuis 2002.
La planification de cet exercice fut arrêtée en 2012, lors du sommet de Chicago, à une moment où l’Otan avait « toujours un bon partenariat avec la Russie », selon le général français Jean-Paul Paloméros, alors Commandant suprême allié Transformation (SACT). Aussi, pour ce dernier, il ne fallait pas lier l’ampleur de Trident Juncture 2015 à l’annexion de la Crimée par Moscou et à la situation dans le sud-est de l’Ukraine [Donbass]. « Il n’y a pas de posture agressive, l’Otan accomplit son rôle en matière de défense collective et de gestion de crise », avait commenté l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air.
Depuis, les relations entre l’Otan et la Russie n’ont cessé de se dégrader alors que le front dans le Donbass n’a pas évolué d’un iota. Et l’édition 2018 de l’exercice Trident Juncture, qui se déroulera principalement en Norvège, sera axé sur les menaces potentielles russes dans la mesure où son scénario sera basé sur une intervention militaire dans le cadre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord, c’est à dire celui relatif à la défense collective.
Après des manoeuvres russes Zapad 2017 en Biélorussie ou encore Vostok 2018, lequel a officiellement mobilisé 300.000 soldats, 36.000 véhicules, 1.000 aéronefs et 80 navires dans l’Extrême-Orient russe (une ampleur inédite depuis la période soviétique), Trident Juncture sera l’exercice de l’Otan le plus massif depuis la fin de la Guerre Froide.
Ainsi, 45.000 militaires, 10.000 véhicules, 150 aéronefs et 70 navires seront mobilisés sous la direction de l’amiral américain James G. Foggo, le chef du Commandement allié des forces interarmées de Naples. L’objectif sera de certifier les trois composantes qui prendront l’alerte de la Force de réaction rapide de l’Otan (NATO Response Force – NRF) en 2019.
« L’Otan est une alliance défensive. Nous ne cherchons pas l’affrontement, mais nous sommes attachés à la défense et à la dissuasion. C’est là tout le propos de l’exercice : nous entraîner à la défense, et produire un effet dissuasif, pour être prêts à réagir à tout moment aux menaces, d’où qu’elles viennent », avait expliqué l’amiral Foggo, en juin dernier.
Cette semaine, dans un contexte marqué par le Brexit, le ministère britannique de la Défense [MoD] n’a pas manqué de souligner sa participation à Trident Juncture 2018 en communiquant sur l’envoi d’un bataillon du Royal Irish Regiment et d’une compagnie du Lancashire Regiment en Norvège, via les Pays-Bas, l’Allemagne, le Danemark et la Suède. Ce déploiement « montre […] à nos alliés de l’Otan que l’armée britannique est prête à traverser l’Europe si nécessaire et que nous avons la capacité de le faire », fait valoir le major Stuart Lavery, porte-parole de la British Army.
Ces éléments britanniques seront engagés aux côtés d’unités polonaises et danoises pour former une « brigade multinationale ». Dans le même temps, la Royal Navy engagera six navires avec des capacités de guerre anti-mines et anti-sous-marines tandis que la Squadron 100 de la Royal Air Force fournira des avions Hawk pour tenir le rôle des « agresseurs ».
Quant aux forces françaises, leur contribution sera relativement importante. Ainsi, l’État-major des armées a indiqué que 3.000 militaires participeront à Trident Juncture 2018. Seront ainsi engagés un groupement tactique interarmes [GTIA] armé par le 3e Régiment d’Infanterie de Marine [RIMa], un groupe de commandos de montage de la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne [BIM], un groupement terrestre embarqué du 126e Régiment d’Infanterie [RI], une compagnie du 19e Régiment du Génie, un escadron NRBC [nucléaire, radiologique, biologique, chimique] du 2e Régiment de Dragons [RD], un détachement médical et des moyens du Service des essences des armées [SEA].
S’agissant du volet maritime, la Marine nationale déploiera le Bâtiment de projection et de commandement [BPC] Dixmude, la Frégate multimissions [FREMM] « Bretagne », la frégate anti-sous-marine « Latouche-Tréville », le Bâtiment de commandement et de ravitaillement « Somme » et un avion de patrouille maritime Atlantique 2. Quatre Mirage 2000C de l’escadron de chasse 2/5 Île-de-France complèteront ce dispositif.
À noter que les États-Unis vont « mettre le paquet », avec le déploiement annoncé du groupe aéronaval constitué autour du porte-avions nucléaire USS Harry S. Truman. Ce navire peut mettre en oeuvre 68 avions et hélicoptères. À lui seul, il représentera 14% des effectifs engagés dans l’exercice Trident Juncture.
Si, lors de ses manoeuvres Zapad 2017, la Russie avait annoncé qu’elle mobiliserait 12.500 soldats (alors qu’il fut évoqué la participation de 70.000 à 100.000 hommes) afin de soustraire aux règles de transparence édictées par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (des observateurs sont imposés à partir d’un exerice mobilisant au moins 13.000 hommes), l’Otan a invité l’état-major russe à envoyer des représentants en Norvège pour assister à Trident Juncture 2018.
« Je m’attends vraiment à ce qu’ils veuillent venir. C’est dans leur intérêt de venir voir ce que nous faisons », a expliqué l’amiral Foggo, le 5 octobre. « Ils apprendront des choses. Je veux qu’ils soient là-bas pour voir à quel point les [alliés et partenaires de l’Otan] travaillent ensemble », a-t-il continué. « Un message fortement dissuasif sera envoyé », a-t-il encore fait valoir. « Ils vont voir que nous sommes très bons dans ce que nous faisons, et cela aura un effet dissuasif sur tout pays qui pourrait vouloir franchir ces frontières, mais notamment pour un pays en particulier », a-t-il insisté.