Bien que, en juillet 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye ait estimé que ses prétentions en mer de Chine méridionale n’avaient « aucun fondement juridique », Pékin a continué à pratiquer la politique du fait accompli en aménageant plusieurs récifs des archipels Spratleys et Paracels à des fins militaires, c’est à dire en y installant des capacités d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD].
Concrètement, cela signifie que la Chine est en mesure de contrôler l’accès de cette région qualifiée de stratégique étant donné qu’elle est située à un carrefour de routes maritimes essentielles pour le commerce maritime mondial et que ses fonds marins seraient riches en ressources naturelles (pétrole, gaz, poissons, etc).
Cette attitude chinoise remet en cause le principe de la « primauté du droit », en particulier le respect de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ainsi que celui du dialogue visant à trouver une solution pacifique aux contentieux, qu’ils soient territoriaux ou non.
Pour défendre la liberté de navigation, tant sur mer que dans les airs, les États-Unis mènent des opérations dites FONOPs [Freedom of navigation operation]. Si les navires français se contentent de traverser la mer de Chine méridionale, les bâtiments américains naviguent à moins de 12 milles des récifs qui, revendiqués par la Chine, accueillent des capacités A2/AD. En outre, le Pentagone y envoient régulièrement des avions de patrouille maritime P-8 Poseidon, voire des bombardiers stratégiques [comme cela a encore été le cas le 26 septembre, avec des appareils japonais, ndlr] survoler les zones contestées.
Pour rappel, l’article 3 de la Convention de la mer indique que « tout État a le droit de fixer la largeur de sa mer territoriale, cette largeur ne dépasse pas 12 milles marins mesurés à partir de lignes de base établies conformément à la Convention. » Franchir cette limite signifie que la souveraineté de la Chine sur les îlots en question n’est pas reconnue.
Généralement, Pékin réagit à ces opérations en dénonçant le « comportement provocateur » des forces américaines, tout en assurant prendre « les mesures nécessaires pour y faire face efficacement. »
Mais depuis quelques temps, la marine chinoise semble réagir promptement. En août, le navire d’assaut amphibie britannique HMS Albion a dû faire face à une frégate et à deux hélicoptères chinois alors qu’il s’était approché à moins de 12 milles d’in îlot de l’archipel des Paracels. Mais cela ne donna pas lieu à d’incidents.
Ce qui n’a pas été le cas, visiblement, pour le destroyer américain USS Decatur, engagé dans une opération FONOP dans l’archipel Spratley, ce 2 octobre.
Étant passé à moins de 12 milles marins des récifs Gaven et Johnson, l’USS Decatur a été approché de manière « agressive, dangereuse et non professionnelle » par le destroyer chinois Luyang.
D’après le commandant Nate Christensen, porte-parole de l’US Pacific Fleet, le navire chinois « s’est approché à moins de 45 yards (41 mètres) » de l’USS Decatur et l’a invité « à quitter la zone. ». Et de préciser que le destroyer américain a été contraint de « manoeuvrer afin d’éviter une collision. »
Ce n’est pas le premier incident du genre entre les forces navales chinoises et américaines en mer de Chine méridionale. En décembre 2013, le croiseur USS Cowpens avait dû faire une manoeuvre pour éviter un navire chinoise qui venait délibérément lui couper la route. À l’époque, le climat était particulièrement tendu en raison de l’affirmation insistante des revendications de Pékin au sujet de l’archipel Senkaku, administré par le Japon.
Dans un registre différent, l’USNS Impeccable, qui effectuait des mesures acoustiques en mer de Chine, avait été harcelé par une flottille chinoise ne portant pas de marque militaire.
L’incident entre l’USS Decatur et le destroyer Luyang s’est produit alors que les relations sino-américaines sont au plus bas, notamment après la décision de l’administration Trump de relever les droits de douanes pour les produits manufacturés en Chine et d’imposer des sanctions à une agence du ministère chinois de la Défense pour l’achat d’avions militaires Su-35 et de système de défense aérienne S-400 auprès de la Russie.
Au niveau militaire, la défiance est de mise. Cet été, l’invitation envoyée par l’US Navy à la marine chinoise pour particier à l’exercice aéronaval RIMPAC 2018 a été annulée et le chef du Pentagone, James Mattis, a annulé une visite qu’il devait faire à son homologue chinois dans le courant du mois d’octobre, le général Wei Fenghe ayant fait savoir qu’il ne serait pas disponible.