Fin 2012, le général Sverker Göranson, alors chef d’état-major des forces armées suédoises, lança un pavé dans la marre : en cas d’une « attaque limitée », la Suède ne pourrait pas tenir plus d’une semaine, en raison de ses capacités militaires largement érodées depuis la fin de la Guerre Froide. Ce qui valut une volée de bois vert de la part des autorités politiques, qui l’accusèrent de défendre les « intérêts particuliers » de l’armée, dont le budget était pourtant tombé à 1,03% du PIB.
Et puis il y eut un raid simulé par des bombardiers russes contre deux bases suédoises en mars 2013, en plein week-end de Pâques, suivi par une activité militaire russe de plus en plus importante dans la région de la Baltique, notamment après l’affaire de la Crimée. Sans oublier une « présence sous-marine suspecte », à plusieurs reprises, dans l’archipel de Stockholm…
Désormais, les autorités suédoises estiment que le général Göranson n’avait pas forcément tort, d’autant plus qu’un rapport, publié en décembre 2017, a clairement évoqué le « risque d’attaques militaires limitées » dans certaines parties » de la Suède, dans une contexte sécuritaire caractérisé par ‘l’instabilité et l’imprévisibilité. »
Depuis, le gouvernement suédois, dominé par les sociaux-démocrates, a pris plusieurs mesures fortes : rétablissement du service militaire, renforcement des coopérations régionales, rapprochement avec l’Otan, retour des manoeuvres de grande ampleur, mobilisation de réservistes, actualisation du concept de « défense totale », reprise en main des industries de défense, en particulier dans la construction navale, remilitarisation de l’île – stratégique – de Götland, etc…
Évidemment, cette remontée en puissance à un coût. Et ce dernier est d’autant plus élevé que les forces armées doivent partir de très bas pour se réapproprier des capacités militaires qui ont été laminées par plus de 20 ans de coupes budgétaires.
Pour l’état-major suédois, il s’agit désormais, entre autres, d’augmenter significativement les effectifs militaires, de disposer d’au moins quatre brigades de combat et de pouvoir aligner 24 navires de surface, 6 sous-marins et 120 avions de chasse JAS-39 Gripen. Il s’agit également d’acquérir d’autres capacités, notamment dans le domaine de la défense aérienne.
Les forces armées suédoies auront-elles les moyens de cette ambition? L’on peut le supposer. Si les différents partis politiques peinent à s’entendre pour former un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives du 9 septembre (la majorité relative s’est jouée à une voix près), tous, ou du moins ceux qui ont obtenu une assise importante au Parlement, plaident pour un effort significatif en matière de défense.
Le Premier ministre sortant, le social-démocrate Stefan Löfven, n’a évidemment pas l’intention de remettre en cause les décisions que son gouvernement a prises au cours de ces dernières années. « La Suède a besoin d’une capacité de défense nationale plus résiliente et mieux financée », a-t-il déclaré. Durant son mandat, il a amorcé une hausse importante des dépenses militaires du pays, lesquelles devraient atteindre 7,74 milliards d’euros en 2025.
Mais cette augmentation est-elle suffisante? Non, estime Ulf Kristersson, chef de file du « Parti modéré de rassemblement », membre de l’Alliance, qui réunit plusieurs partis de centre-droit.
« La défense nationale suédoise a été négligée pendant des décennies. Ce qui est arrivé est honteux. Le budget alloué aux forces armées doit refléter les besoins, les réalités opérationnelles et la nécessité de remplacer les équipements obsolètes. L’objectif devrait être, d’ici 10 ans, de faire passer les dépenses de défense à 2% du PIB, comme le recommande l’Otan », a ainsi déclaré M. Kristersson.
Quant aux « Démocrates suédois », un parti classé à l’extrême-droite arrivé 3e du scrutin, son programme se veut encore plus volontariste en matière de défense puisqu’il plaide pour porter les dépenses militaires du pays à 2,5% du PIB d’ici 10 ans et parle d’instaurer une « fédération de défense » avec la Finlande. « Seule une défense solide peut créer un effet de seuil qui décourage les attaquants potentiels », affirme-t-il.
« En tant que pays sans alliance militaire, nous ne désignerons pas d’ennemis même si nous participons à des sanctions et à des embargos sur les armes contre certains pays », explique ce parti, qui admet toutefois que « le partenariat avec l’Otan crée des possibilités de coopération accrues pour les efforts internationaux. »
Quoi qu’il en soit, la situation politique suédoise est maintenant dans l’impasse : la droite ne veut pas faire partie d’un gouvernement qui serait dirigée par Stefan Löfven et la gauche ne veut pas soutenir un gouvernement dirigé par la droite… Et aucun des deux bords ne veut s’allier avec les « Démocrates suédois », lesquels ont les clé de la prochaine majorité.