Autorisation de la manifestation du 23 juin :
«Le gouvernement ne maîtrise plus la situation»La décision des autorités concernant la tenue de la manifestation du 23 juin marque une dernière étape d’affaiblissement et un nouveau recul du Premier ministre et du président, estime l'écrivain Dominique Jamet.
Dominique Jamet est vice-président de Debout la France, journaliste et écrivain. Chroniqueur à Marianne, ancien directeur de la BNF, il a publié chez Flammarion deux récits autobiographiques, Un petit Parisien (2000) et Notre après-guerre (2003). RT France : Pourquoi à votre avis le gouvernement a décidé dans un premier temps d’interdire, puis d’autoriser la manifestation du 23 juin ?Dominique Jamet (D. J.) : Les raisons sont quasiment publiques. A la suite des débordements constatés lors des précédentes manifestations contre la loi El Khomri, il est apparu clairement que le gouvernement ne maîtrisait pas les manifestations et que leurs organisateurs ne les maîtrisaient pas non plus. C’est-à-dire que le gouvernement qui voulait éviter un drame n’a pas donné aux forces de l’ordre des consignes de nature à réprimer véritablement les excès.
Quant aux organisateurs, ils ont été tout simplement débordés, leurs services d’ordre étaient insuffisants, et puis avaient-ils peut-être des sympathies pour les casseurs. Donc, voir la millième manifestation contre la loi travail reproduire les excès, les désordres, les actes de vandalisme, voire les agressions des précédentes manifestations, c’est ce que le gouvernement redoutait et ne voulait pas. D’où cette intention d’abord manifestée d’interdire la manifestation.
Je pense que le gouvernement estimait d’ailleurs en interdisant la manifestation aller dans le sens du désir de l’opinion, parce que tout en restant majoritairement hostile à la loi travail, les Français sont dans leur majorité plutôt défavorables aux excès des manifestations.
«Notre pays a la culture de manifestation»RT France : Pourquoi alors le gouvernement a-t-il changé d’avis ? D. J. : Tout simplement pour deux raisons. La première c’est que notre pays a la culture de manifestation, le droit de manifester est inscrit dans la déclaration des droits de l’Homme et conforme à la Constitution à telle enseigne qu’il est très rare que les manifestations soient interdites. Cependant, le gouvernement en avait la possibilité, parce qu’il y avait risque de troubles à l’ordre publique.
Mais à la réflexion, deux choses sont apparues aux décideurs, donc au gouvernement. La première c’est qu’il avait été paradoxal qu’un gouvernement de gauche se montre plus sévère, plus répressif vis-à-vis les manifestations d’origine syndicale que l’avaient été les gouvernements de droite, ses prédécesseurs.
Deuxième raison, le gouvernement a probablement craint que sa décision d’interdiction ne soit pas respectée et que l’effet en soit contraire au but recherché, c’est-à-dire que cette manifestation soit encore plus lourde et plus porteuse de désordre que les précédentes.
D’où la décision un peu ni chair ni poisson, ni figue ni raisin, d’autoriser finalement la manifestation, mais sur un itinéraire extrêmement restreint, ce qui fait qu'au bout du compte les réalisateurs ne sont pas très contents, parce que ce n’est pas commode, c’est bizarre comme parcours.
On peut avoir peur malgré l’autorisation finalement accordée que cette manifestation ne se traduise par les désordres comparables à ceux des neuf manifestations précédentes.
«Cette décision marque une dernière étape d’affaiblissement et un nouveau recul»RT France : Philippe Martinez, le chef de la CGT, a affirmé que l’autorisation de la manifestation est une victoire pour le syndicat et pour la démocratie. Et qu’est-ce que cela constitue pour le gouvernement ?D. J. : Pour la démocratie oui, c’est évident, il aurait été fâcheux que la manifestation soit interdite. Il est effectif que l’attitude extrêmement ferme des syndicats a pesé sur la décision finale d’autorisation. A l’inverse, on voit bien que le gouvernement, très affaibli dans l’état actuel des choses, a pris une décision sous la contrainte et ne maîtrise plus la situation.
Même une chose aussi simple que l’interdiction d’une manifestation en période d’état d’urgence par crainte de troubles à l’ordre public, le gouvernement qui avait l’intention de prendre cette mesure, d’aller dans ce sens-là, n’a pas tenu jusqu’au bout. Dans le long processus d’érosion de la popularité et des possibilités d’action du gouvernement, cette décision marque une dernière étape d’affaiblissement et un nouveau recul et ne va pas grandir le prestige ni la force objective ni du Premier ministre, ni du président.
«C’est mauvais pour l’image du Premier ministre, du gouvernement et par ricochet du président de la République»RT France : Pensez-vous que cette décision, cet aller-retour du gouvernement sur la décision, puisse nuire à l’image du gouvernement, des autorités ?D. J. : Le dommage sera encore plus grand que quand le Premier ministre Manuel Valls avait manifesté dans un premier temps son intention très claire d’interdire la manifestation. Il avait donc fait preuve d’autorité, ils en constatent que cette autorité verbale a reculé devant les protestations.
Bien sûr que c’est mauvais pour l’image du Premier ministre, du gouvernement et par ricochet du président de la République, qui a une fois de plus décidé d’arranger tout le monde avec une décision qui tente de contenter chacune des deux parties et évidemment ne satisfait aucune d’entre elles.