Le Bataillon Belge de Corée Le début de la Guerre de Corée fut une guerre cruelle qui eut lieu sur un terrain montagneux et félon, dans une chaleur extrême et un froid âcre dans la neige et la glace, la boue, la pestilence et la poussière étouffante, et tout cela dans un fin fond ténébreux de la terre.Un officier d’état-major Américain qui participa à la Deuxième Guerre Mondiale déclara :
″La Guerre de Corée fut la guerre la plus difficile de l’Histoire des Etats Unis.″La Guerre de Corée fit craindre à beaucoup que la Troisième Guerre Mondiale était sur le point d’éclater. Une immense confrontation dans une époque de panique mais aussi d’un courage héroïque. Une époque de désistement et d’attaque, de mésententes et impairs.
″La Corée était pendant l’été et l’arrière-saison de 1950 l’endroit le plus immonde où je suis allé.″, déclara l’officier cité plus haut. Au cours des années de la Guerre de Corée, près de 4 millions de gens décédèrent, presque 10 fois autant que pendant les 10 ans de Vietnam.
Ce fut le moment le plus critique de la Guerre froide, un champ de bataille sur lequel l’emploi d’armes nucléaires était sinistrement proche.
Les superpuissances de la Seconde Guerre Mondiale se trouvaient pour la première fois les yeux dans les yeux.Le 18 décembre 1950, 700 militaires belges et luxembourgeois embarquent à bord du Kamina à destination de la Corée.
« Ils furent l’honneur de la patrie et des forces armées », déclara le roi Baudouin, le 14 janvier 1954.
Ces « anciens de Corée » sont encore au devant des défilés militaires d’aujourd’hui. Ils ont même monté un petit musée à Tielen, en souvenir de leur croisade anticommuniste.
Dès le déclenchement de la guerre de Corée, la Belgique s’aligne sur la version américaine du conflit.
Le député Van Glabbeke est à l’initiative d’une motion adoptée à la majorité. « Je propose à la Chambre d’exprimer toute notre admiration pour le peuple des Etats-Unis, qui n’a pas hésité à venir en aide à ce pays [la Corée du Sud] aussi lâchement attaqué par les communistes de la Corée du Nord. » [1]
Le 22 juillet 1950, le gouvernement envoie un premier avion de la Sabena pour ravitailler les troupes américaines.
La psychose anticommuniste domine le Parlement. « L’attaque de la Corée a démontré qu’une offensive du communisme international est à craindre partout », déclare le député Kronacker. [2]
Le 25 août 1950, le gouvernement belge décide de répondre à la recommandation des Nations Unies et d’envoyer un corps expéditionnaire en Corée.
Comme la Constitution interdit l’envoi de miliciens sur des théâtres d’opérations hors frontières, le gouvernement décide la formation d’un bataillon d’infanterie composé de volontaires au sein de l’armée belge.
Van Langenhove, envoyé de la Belgique auprès des Nations Unies écrit au Secrétaire général :
« Cette contribution sous forme d’unités combattantes s’ajoute à celle que mon Gouvernement fournit déjà en prêtant son concours aux transports aériens entre les Etats-Unis et le théâtre des opérations. » [3]
A noter, l’opposition du Parti communiste belge : « Contrairement à ce qu’exige la Charte des Nations Unies, les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité n’étaient pas présents. L’Union soviétique et la Chine n’étant pas représentées, l’unanimité des membres permanents n’avait donc pu être obtenue. Il est évident que la décision du Conseil de Sécurité n’a aucune force juridique.(...)
Si le gouvernement est vraiment attaché à la cause de la paix, qu’il prenne l’initiative d’une action pour permettre aux Coréens de décider eux-mêmes de leur sort.
A ce moment seulement, nous croirons à son indépendance et à son amour de la paix. » [4]
Une croisade anticommunistePlus de 2000 candidats sont examinés aux Centres de sélection de Gand et de Namur.
Le 2 octobre 1950, l’unité qui compte près de 700 volontaires agréés, reçoit la dénomination de « Corps de Volontaires pour la Corée »
(En Corée, le commandement américain le baptisera BUNC, Belgian United Nations Command).
Peu après, le bataillon belge est rejoint par un détachement luxembourgeois constitué de 35 volontaires commandés par le lieutenant Wagner.
Le lieutenant-général Albert Crahay, premier commandant du bataillon dévoile les motivations de ces volontaires :
« Une partie importante est constituée d’idéalistes, convaincus de la nécessité de lutter contre le danger communiste qui menace dangereusement la civilisation occidentale. D’autres désirent faire carrière à l’armée et pensent y réussir plus facilement après avoir fait leurs preuves sur le champ de bataille. » [5]
Crahay évoque les insignes du bataillon, dont le béret brun. « Ce béret s’orne d’un badge qui symbolise à la fois les deux communautés belges et la croisade que nous allons accomplir, le tout encadrant le lion belge.
Le 8 novembre, le prince royal Baudouin vient nous remettre notre drapeau au cours d’une cérémonie très impressionnante.
Le prince passe la journée avec le bataillon et assiste à des exercices de combat à feux réels.
Le 11 novembre, le bataillon défile devant le Soldat inconnu à Bruxelles.
Les autorités craignent des manifestations communistes, aussi devons-nous sermonner sérieusement nos hommes afin qu’ils ne répondent pas aux provocations.
J’apprends cependant par la suite que quelques-uns avaient bourré leurs poches de pétards pour les envoyer dans les poches des trublions. » [6]
Sous les ordres de l’US ArmyLe 18 décembre 1950, le bataillon belgo-luxembourgeois quitte le port d’Anvers à bord du navire Kamina, pour arriver à Pusan, en Corée du Sud, le 31 janvier 1951.
Les volontaires belges se mettent aussitôt sous le commandement des Américains, selon un accord particulier, conclu entre le gouvernement belge et celui des Etats-Unis, « l’agent exécutif des forces des Nations Unies en Corée ». [7]
Et le 6 mars, ils entament les combats dans le cadre du 15ème régiment d’infanterie de la 3ème division des Etats-Unis. Le 23 mars, en route vers le nord, le bataillon traverse une large plaine. Crahay écrit :
« Nous voyons l’aviation attaquer au napalm et à la roquette les résistances qui l’arrêtent. A notre gauche, la ville de Uijongbu est atteinte et flambe dans le lointain. » [8]
Le 1er avril, le bataillon belge sera placé sous la direction des Britanniques et se bat sur les rives de l’Imjin. Le lieutenant-colonel Crahay est blessé le 25 avril et remplacé par le major Vivario, à la tête du bataillon.
Le 7 octobre 1991, les Belges repassent sous commandent américain.
Ils vont se battre à Haktang Ni, ne lésinant pas dans la barbarie :
« Les Belges se comportent en professionnels. Laissant parvenir les Chinois au point d’entendre leur respiration, ils repoussent l’ennemi à coup de grenades, voire à l’arme blanche... On s’étripe à la baïonnette ou au poignard, des crânes éclatent sous les coups de pelles de tranchée, voire de pierres. La situation ne sera rétablie que par un para indifférent à la mêlée qui, l’arme à la hanche, vide chargeur sur chargeur, et, surtout, par deux lance-flammes de la compagnie des pionniers. » [9]
Le lieutenant-colonel Vivario, qui commandait la bataille de Haktang Ni, ne cache cependant pas son admiration pour la solidarité des Chinois : « Tout à l’honneur des Chinois il faut signaler que seuls quatre blessés furent faits prisonniers et que tous les cadavres se trouvaient dans nos positions ou à proximité immédiate. Leur solidarité était si profonde qu’ils prenaient les plus grands risques pour ramener leurs camarades tombés, qu’ils soient morts ou blessés. » [10]
En octobre, Crahay reprend la direction du bataillon. Les pourparlers d’armistice commencent peu après et le front se stabilise autour du 38ème parallèle.
Le bataillon belge est chargé de défendre différentes positions.
Il restera jusqu’au 15 juin 1955 en Corée, soit près de deux ans après l’armistice, le 27 juillet 1953.
Deux poids, deux mesuresEn 1950, le gouvernement belge clame son indignation devant la violation du 38e parralèle par la Corée du Nord.
Un an plus tard, elle n’hésite pas à engager ses troupes au-delà du 38e parallèle.
Le premier ministre Paul Van Zeeland le justifie ainsi : « Légalement, le 38e parallèle n’a pas de signification. Juridiquement, les troupes des Nations Unies avaient reçu pour mission de repousser l’agresseur. Juridiquement encore, nous n’avons jamais reconnu qu’un seul gouvernement en Corée. C’est-à-dire que dans ces conditions, les autorités qui ont estimé devoir franchir le 38e parallèle avaient, à mon avis, le droit de le faire. » [11]
Selon cette même logique, la Belgique condamne l’envoi par la Chine de volontaires aux côtés du peuple coréen.
Au moment où McArthur menace de lancer des bombes atomiques sur la frontière chinoise, Van Langenhove estime « l’action entreprise par les autorités de Pékin injustifiable », car elle « pourrait entraîner une extension du conflit » ! [12]
Il propose même un « embargo sur l’exportation à destination de la Chine de certaines catégories de produits d’intérêt stratégique ». [13]
Cinq milliards en plus pour la DéfenseAu total 3.498 Belges et 89 Luxembourgeois ont combattu en Corée.
Il y aura 103 tués (dont 2 Luxembourgeois), quatre disparus et 364 blessés.
Le véritable bénéfice de cette guerre pour la Belgique, c’est dans le budget militaire qu’on le trouve.
La guerre contre la Corée a servi de prétexte au réarmement. Van Zeeland, ministre des affaires étrangères, fit les choux gras des fabricants d’armes :
« Nous nous trouvons aujourd’hui, pour servir la paix, obligés de tenter à notre tour un effort sans pareil de réarmement. » [14]
En 1949, le budget pour la Défense représentait 2,5% des dépenses nationales ; en 1950, il avait atteint les 5,5%, soit cinq milliards de plus. [15]
Le 6 mars 1951, la Chambre décidait, à 103 voix pour (uniquement le PSC-CVP), contre 87 contre, de faire passer le service militaire de 12 à 24 mois.
Ce qui était un record pour le continent.[1] Chambre des Représentants, 28 juin 1950.
[2] Chambre des Représentants, 8 août 1950.
[3] 13 septembre 1950.
[4] Intervention du député Terfve à la Chambre des Représentants, 30 juin 1950.
[5] Général A. Crahay, Bérets bruns en Corée, Ed. J.M. Collet, 1985, p. 13.
[6] Général A. Crahay, op. cit., p. 15-16
[7] Accord signé à Washington le 15 juillet 1955.
[8] Général A. Crahay, op. cit., p.50
[9] Troupes d’élite, Les commandos belges en Corée, n°3, septembre 1985.
[10] Général A.Crahay, op.cit., p. 125.
[11] Chambre des Représentants, 1 mars 1951.
[12] Assemblée générale des Nations Unies, Cinquième Session, 412° séance plénière, 9 décembre 1950.
[13] Assemblée générale des Nations Unies, Cinquième Session, 443° séance plénière, 17 mai 1951.
[14] Chambre des Représentants, 18 août 1950.
[15] Chambre des Représentants, 8 août 1950.