Source : Le journal Le Devoir - Mtl - Qc - Ca.
===========================
Droits
ANALYSE
Le virage français
Paris envisage de combattre aux côtés des soldats de Bachar al-Assad jadis honnis
28 novembre 2015 |Jean-Pierre Perrin - Libération | Actualités internationales
====
===
:===
====
Le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, en compagnie de son homologue russe, Sergueï Lavrov, jeudi
=============================
Photo: Yuri Kadobnov Agence France-Presse
C’est une magnifique victoire diplomatique pour Bachar al-Assad et le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, s’est d’ailleurs empressé de saluer vendredi Laurent Fabius qui, pour la première fois, a envisagé que « des forces du régime » syrien puissent être associées à la lutte contre le groupe État islamique. « Mieux vaut tard que jamais. Si Fabius est sérieux concernant l’idée de travailler avec l’armée syrienne et avec les forces sur le terrain qui combattent Daech [groupe EI], alors nous saluons » cette position, a déclaré le ministre syrien.
« Mais cela nécessiterait un changement fondamental dans leur manière de gérer la crise », a-t-il ajouté non sans prudence lors d’une conférence de presse à Moscou avec son homologue russe, Sergueï Lavrov. Jusqu’à présent, Paris — et en particulier Laurent Fabius — défendait une ligne hostile au régime baasiste. En septembre 2013, François Hollande voulait même frapper la Syrie après l’emploi de l’arme chimique contre la population, le 21 août dans la banlieue de Damas, et c’est le revirement américain qui avait contraint le président français à revenir sur sa position. « La France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents. Le massacre chimique de Damas ne peut rester sans réponse », avait martelé à cette époque François Hollande.
Les mêmes « assassins »
Le premier revirement français fut d’adopter la position du « ni-ni », ni État islamique ni Bachar al-Assad. À présent, c’est un changement de cap à 180 % de la position de Paris, qui avait rompu toute relation avec le régime syrien depuis 2012. Le 1er octobre dernier, le Quai d’Orsay était même derrière l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « crimes de guerre » contre le régime Assad. « Face à ces crimes qui heurtent la conscience humaine, à cette bureaucratie de l’horreur, face à cette négation des valeurs d’humanité, il est de notre responsabilité d’agir contre l’impunité de ces assassins », déclarait alors Fabius.
Aujourd’hui, ce sont ces mêmes « assassins » qui sont appelés à la rescousse par le ministre français. « Il y a deux séries de mesures : les bombardements […], et des forces au sol qui ne peuvent pas être les nôtres, mais qui peuvent être à la fois des forces de l’Armée syrienne libre [opposition], des forces arabes sunnites, et pourquoi pas des forces du régime, et des Kurdes également bien sûr », a-t-il déclaré vendredi sur RTL.
Des forces saignées
On voit mal comment toutes ces forces, qui se font une guerre atroce depuis quatre ans, pourraient travailler ensemble alors que les Nations unies ont toujours échoué, hormis de très rares exceptions, à organiser la moindre trêve entre elles, ne serait-ce que pour secourir les populations. De plus, parier sur « les forces du régime » pour vaincre État islamique apparaît comme une illusion ; celles-ci, saignées par quatre années de guerre, n’ayant quasiment plus de capacités opérationnelles et étant totalement dépendantes des miliciens du Hezbollah, des gardiens de la révolution iraniens, des volontaires chiites irakiens et afghans et, depuis peu, des forces spéciales russes.
Un peu plus tard, Laurent Fabius a cependant nuancé son message parce que l’on appelle, dans le jargon politique, un rétropédalage. Il a ainsi déclaré qu’une participation des forces du régime syrien ne pouvait être envisagée que « dans le cadre de la transition politique », et a répété son leitmotiv selon lequel le président Al-Assad ne pouvait pas « faire partie de l’avenir de la Syrie ». À l’évidence, les sanglants attentats du 13 novembre à Paris et Saint-Denis ont précipité ce retournement extraordinaire de la diplomatie française, le président Hollande ayant déjà annoncé clairement que la priorité absolue était donnée à la lutte contre EI. « Notre ennemi en Syrie, c’est Daech [groupe EI] », avait-il déclaré devant les parlementaires français trois jours après les attentats.
Les déclarations de Laurent Fabius interviennent aussi au lendemain d’un voyage en Russie du président français au cours duquel Paris et Moscou ont décidé de « coordonner » leurs frappes aériennes en Syrie contre les djihadistes d’EI. « Le président Poutine nous a demandé d’établir une carte des forces qui ne sont pas terroristes et qui combattent Daech [groupe EI], a encore affirmé Fabius vendredi. Il s’est engagé — dès lors que nous lui fournissons cette carte, ce que nous allons faire — à ne pas bombarder ceux-là, c’est très important », a-t-il insisté. Le « maître chanteur » du Kremlin, pour reprendre l’expression de la biographe russo-américaine de Poutine, Masha Gessen, avait déjà gagné une bataille diplomatique. À présent, c’est le « boucher » de Damas, comme l’appelait en personne Laurent Fabius, qui vient d’en remporter une autre.