Asile d'Assange : «les Etats occidentaux ne veulent pas assumer une brouille avec les Etats-Unis»"Le fondateur de Wikileaks" Julian Assange a adressé une lettre ouverte à François Hollande où il semblait demander l'asile. L'occasion de revenir pour Nicolas Arpagian, expert en cybersécurité, sur la situation de ce lanceur d'alerte privé de liberté depuis trois ans.
RT France: Pourquoi Julian Assange a-t-il écrit cette lettre maintenant ?
Nicolas Arpagian: Il a un lien certain avec la France puisque sa compagne et l'un de ses enfants ont la nationalité française.
Ensuite, il souhaite manifestement, et cela est bien compréhensible, quitter l'ambassade d'Equateur à Londres.
Depuis trois ans, il vit dans des conditions qui sont humainement compliquées à gérer.
Il vit reclus dans un coin de l'ambassade d'Equateur à Londres, des bureaux d'une centaine de mètres carrés où il dispose de peu d'espace.
Il lui fallait trouver une porte de sortie, une solution juridique mais également une solution logistique parce qu'il faudra bien à un moment trouver un pays qui voudra bien l'accueillir.
RT France: Que pensez-vous du communiqué de l'Elysée et des arguments qui y sont donnés ?
Nicolas Arpagian: Ce qui est notable est que la lettre d'Assange a été publiée ce 3 juillet et qu'un communiqué laconique a très vite suivi sa publication.
Les deux arguments donnés posent que Assange ne subit pas de menace immédiate et qu'il est toujours sous le coup d'un mandat européen.
Ce sont des informations qui sont connues de longue date, ce n'est pas nouveau.
Hollande
a quand même formalisé son refus et l'a motivé.
Il ne me semble pas qu'Angela Merkel ai eu la même démarche pour Snowden.
Hollande assumera sa réponse et ses conséquences. Mais ce qui est certain est que se pose de plus en plus la question de savoir quoi faire de ces lanceurs d'alerte qui informent les gens au détriment de leur liberté et ont aussi un poids géopolitique certain.
RT France: Dans sa lettre, Julian Assange précise que sa vie est en danger, qu'en pensez-vous?
Nicolas Arpagian: Il parle de son intégrité physique et psychologique qui est menacée.
Il est confiné dans quelques mètres carrés sans pouvoir exercer aucune activité physique ni sociale.
Il se retrouve dans la même situation qu'un détenu qui aurait été condamné, sauf que lui ne l'a pas été .
Il se retrouve de facto assigné à résidence.
C'est une situation sans équivalent dans le monde occidental. Toute privation de liberté ne peut être que la conséquence d'une décision de justice, avec les voies d'appel que cela suppose, Assange est privé de liberté, sans avoir bénéficié des garanties judiciaires.
Personne n'a le courage ou la volonté politique de rompre cette situation: cela supposerait de lui permettre de sortir, d'organiser un procès dans un pays tiers qui ne soit pas les Etats-Unis. RT France: S'il était arrêté et extradé vers les Etats-Unis, risquerait-il la peine de mort?
Nicolas Arpagian: C'est en tout cas un risque qu'il ne veut pas prendre.
Il y a une dimension politique fondamentale dans ce dossier.
Le problème avec les lanceurs d'alerte n'est pas forcément de les héberger mais les révélations et l'action qu'ils pourraient continuer à conduire une fois libres. C'est la même problématique pour Edward Snowden.
Angela Merkel, qui avait pourtant manifesté une forte émotion en apprenant que son portable était sur écoutes, n'a pas franchi le pas en lui accordant l'asile.
Les Etats occidentaux sont dans une situation ambivalente entre l'utilisation qu'ils font des informations fournies par les lanceurs d'alertes et le fait qu'ils ne veulent pas assumer une brouille avec les Etats-Unis s'ils venaient à les accueillir.
Seraient-ils prêt à assumer cette brouille? La réponse est non visiblement, que ce soit dans le cas de Julian Assange comme dans celui d'Edward Snowden.
RT France: Pensez-vous que les révélations des écoutes de la NSA qui visaient des responsables français, puis son interview sur TF1 et enfin cette lettre ouverte sont liées et révèlent une stratégie de la part de Julian Assange?
Nicolas Arpagian: Il est tout à fait légitime et normal que Julian Assange ait une stratégie de communication.
Cela fait trois ans qu'il est dans une situation de plus en plus intenable.
Et cela ne semble pas évoluer. La presse britannique a beau souligner le coût que représente la surveillance de l'ambassade, cela ne décourage pas l'administration britannique.
Par cette lettre ouverte, Assange reprend aussi la main car Wikileaks était moins présent médiatiquement que n'avait pu l'être Edward Snowden et ses révélations.
La situation de Julian Assange est figée et cette lettre est une façon de faire bouger les lignes.
RT France: Cette demande d'asile ne met-elle pas Hollande
dans une position inconfortable, Assange faisant clairement référence à la tradition d'asile de la France?
Nicolas Arpagian: Voilà pourquoi Hollande
insiste dans son communiqué pour dire qu'il n'y a pas de danger immédiat et fait référence au mandat d'arrêt européen.
Il se retranche derrière l'idée que la situation d'Assange est stable.
Quant au mandat européen, il avait été précisément émis pour offrir une base juridique, car faute de pouvoir poursuivre Assange pour les révélations qui pouvaient relever du premier amendement et de la liberté d'expression, on a cherché d'autres motifs.
RT France: Pourquoi n'y-a-t-il pas plus d'Etats souhaitant offrir un asile à Assange ou Snowden?
Nicolas Arpagian: Cette question des lanceurs d'alertes est une vraie question géopolitique.
Il y a une virulence de la part des Etats unis qui estiment qu'on ne doit pas leur porter assistance et la France ou l'Allemagne sont très prudents quant à la détérioration de leur rapport avec cette puissance.
Ceux-ci sont d'ailleurs vigilants sur cette question, même si on ne sait pas quelles mesures de rétorsion ils pourraient lancer.
Mais ils comptent visiblement sur leurs alliés.
On est dans des intérêts supérieurs, les Etats sont dans une sorte de tétanie, ne voulant ni fâcher les Etats-Unis, ni prendre le risque de voir d'autres révélations se faire une fois les lanceurs d'alertes sur leur territoire. RT France: En quoi la situation de Julian Assange est-elle différente de celle d'Edward Snowden?
Nicolas Arpagian: La situation de Julian Assange a servi de précédent à Edward Snowden qui a compris ce qu'il devait faire et éviter de faire afin de ne pas subir le même sort.
Il a pris des précautions que Julian Assange n'avait pas pu prendre, puisqu'il a été le premier à s'impliquer dans une espèce de conflit médiatique asymétrique où un petit groupe d'individus a pu déstabiliser une puissance mondiale.
RT France: Avec cette lettre, Julian Assange ne s'adresse-t-il pas aussi directement à l'opinion publique française après les révélations sur les écoutes de la NSA?
Nicolas Arpagian: Le sujet sur la vie privée et la polémique ont eu plus d'écho en Allemagne qu'en France.
Au final, en France la polémique est vite retombée.
La convocation de l'ambassadrice des Etats- Unis n'est pas une mesure de grande intensité, elle n'a eu qu'à traverser la Seine pour aller au Quai d'Orsay. La polémique des taxis a davantage occupé les esprits.