Le combat d'El Aneb-3 avril 1958
Article transmis par Eugène Legal-UNP Thionville-ancien du 11° CHOC-diffusé avec autorisation.
Cet article est mis en ligne, avec un témoignage en bas de page de Jean-Pierre Soula, lui aussi ancien du 11° CHOC.
Le combat d'El Aneb-3 avril 1958
Dans la nuit d'avril 1958, vers 1h du matin, nous quittons le poste d'artilleurs
d'El Aneb qui domine la vallée d'Oued Chelif, direction vers le Nord par la piste.
Notre armement est léger : 3 pièces FM et voltige, environ 30 hommes. Nous avons laissé nos sacs TAP au poste d'El Aneb, devant les récupérer dans la journée.
Vers 6 h du matin, nous progressons sur une piste vers l'est au milieu du djebel qui sépare la vallée de l'oued Chélif de la mer lorsque nos hommes de tête sont interpelés en arabe. La colonne s'arrête; le dialogue entre les hommes est trés court. Le fell ayant compris qu'il ne s'agissait pas d'un ami, plusieurs coups de feu claquent.
Immédiatement le lieutenant THIEBAUD , qui commande le groupe, donne l'ordre de quitter la piste qui est en demi-pente et de progresser vers la crête en ratissage pour couvrir le maximum de terrain et éviter de subir un tir d'enfilade ou de surplomb.
Nous n'avons pas fait 100 mètres que nous sommes cloués au sol par un feu nourri d'armes automatiques.
Les balles frappent les rochers de toutes parts.
Je fais un vol plané pour me retrouver à plat ventre sur le terrain rocailleux, collant au maximum au sol; mes camarades sont dans la même situation.
Je pense qu'à ce moment le manque de précision du tir des Fells, qui aurait pu nous anéantir, était dû au fait que nous progressions dans la pénombre.
La crête tenue par les Fells était devant nous vers l'Est-le jour se levait.
En rampant, je me suis dirigé vers un monticule de pierres plus important qui pouvait servir d'emplacement de combat, mon tireur FM Raphaël CORNIL à ma gauche, également à ses côtés MARCHADIER avec un second FM et STAR le chargeur.
A ma droite BON au lance grenades, GEORGET et le Sergent-Chef FURT.
Les Fells nous laissèrent peu de répit, il nous devint impossible de bouger.
J'en aperçu un dans un arbre sur la crête qui nous tirait dessus.
Je l'ajustais au MAS 49 à lunette.
A ce moment, les Fells qui avaient compris que nous étions inférieurs en nombre et en armement se mirent à hurler et donnèrent l'assaut.
Je comptais les cartouches que je tirais de mon MAS 49 pour ne pas me trouver en face d'un Fell chargeur vide.
En remettant un chargeur, une balle de Fell m'éclatait l'index gauche, une autre coupait mon treilli au niveau de la colonne vertébrale.
J'ai cru que j'étais blessé, ce n'était que le claquement de la balle.
A ma gauche, Raphaël CORNIL tirait par courtes rafales; il devait lui aussi compter les cartouches.
A ma droite, BON tire au lance grenade.
Le Sergent-Chef FURT lui indique de procéder à un tir plus rapproché.
Le MAS 36 lance grenades est presque debout, tellement l'ennemi est près.
Les Fells reviennent plusieurs fois à l'assaut sans pouvoir nous déborder.
A un moment, je crois le plus dûr du combat, Raphaël CORNIL reçu un morceau du crâne de STAR qui venait d'être tué près de lui.
Raphaël CORNIL était blême mais ne perdit pas son sang froid; il était mineur de fond avant d'être au 11° choc.
Puis ce fut MARCHADIER, tireur FM, transpercé par les balles.
Un lieutenant Fell essaya d'emporter son FM,il fut abattu.
Après un assaut, je vis BON plié en deux au sol:je lui demandais s'il était blessé ; il me dit que non la voix faible, mais la dureté du combat avait certainement ébranlé ses nerfs.
Il était abasourdi.
Un message m'était parvenu: le lieutenant THIEBAUD était gravement blessé.
Puis, au moment où j'étais en position de tir, une balle frappa le dessus de la roche; je pris les éclats en pleine figure; je crus m'évanouir par le choc.
J'avais un trou dans le visage sous l'oeil gauche qui était atteint.Ma vision de cet oeil se troubla immédiatement.
L'oeil droit avait reçu des éclats; heureusement, il devait tenir le coup malgrè une hémoragie interne.
J'étais sous le choc, le visage ensanglanté.
Le Sergent-Chef FURT prit mon MAS 49, plus précis que son PM; en rampant sous les balles, je parvins près du Lieutenant THIEBAUD blessé.
Il était blême, allongé, une main au creux de l'aine, retenant le sang de son artère fémorale coupée.
Il indiquait sur une carte notre position au Sergent COIRAUX, à transmettre au poste d'artilleurs d'El Aneb.
Le radio DELAFOLIE était à plas ventre derrière le poste 300.
Le Sergent COIRAUX appelait le poste d'El Aneb qui n'était pas sur écoute, des minutes interminables qui paraissaient des heures.
Les appels répétés "ROUGE FIXE : de BOURRU m'entendez-vous, parlez. ROUGE FIXE de BOURRU m'entendez-vous, parlez"------
Au bout d'un moment qui me paru très long, notre situation devenait tragique.
Le poste d'artilleurs avait entendu l'appel.
Nous le recevions faiblement.
Le Sergent CORAUX transmettait: "ROUGE FIXE de BOURRU nous avons accroché-nous vous recevons 2 sur 5-nous avons des blessés....Nous répétons....."
Le radio DELAFOLIE fit le réglage, la transmission devint plus claire.
Le Lieutenant THIEBAUD donna notre position sur la carte "Côte.... Ain Amane Yala"
COIRAUX transmettait la position et "Dépêchez-vous, nous avons des blessés, impossible de bouger".
Le Lieutenant THIEBAUD demanda de nous dégager au canon de 105.
L'Officier de tir de poste d'El Aneb nous informe que nous sommes trop près des Fells et que nous risquons de nous faire écharper par les obus.
Le Lieutenant THIEBAUD fait transmettre : c'est la seule solution pour nous dégager.
Le poste d'El Aneb nous averti qu'ils vont procéder à un premier tir de réglage.
Un obus se met à cracher dans le ciel clair; il n'y avait pas de vent.
Il tombe dans le talweg juste en bout de la crête tenue par les fells.
Le Lieutenant fait transmettre à la radio"Obus tombé dans le talweg en bout de crête-Raccourcissez le tir".
A la radio"Bien reçu-Nous procédons au second tir".
Un obus crache à nouveau dans le ciel et tombe pile en bout de crête dans un fracas assourdissant.
Le Sergent COIRAUX transmet à la radio"Obus en bout de crête tenue par les Fells-Raccourcissez progressivement le tir".
A ce moment, les Fells qui ont subi des pertes sérieuses décrochent sous le tir précis des artilleurs qui prennent la crête en enfilade: "Chapeau les artilleurs":
Le poste d'El Aneb ayant alerté l'aviation, des chasseurs à réaction du type Mistral interviennent et plongent dans le talweg; les roquettes partent de sous leurs ailes sur les Fells.
Sous ce déluge de fer et de feu, certains de nos camarades craquent tellement la tension nerveuse a été forte.
L'accrochage est terminé pour les rescapés de notre groupe; les secours arrivent par hélico.
Le Lieutenant THIEBAUD est exangue.
Il sera embarqué in extrémis.
Je retourne à mon emplacement de combat où j'ai été remplacé par le Sergent-Chef FURT.
Il est pâle, il a l'épaule et le bras fracturé par deux balles.
Nous nous retrouverons au Val de Grâce.
A peu de distance, STAR et MARCHADIER ont été tués.
Ayant récupéré mon MAS 49, je me dirige sur la crête où le Capitaine ROUQUETTE, commandant la troisième centaine, vient de débarquer de l'hélico.
Au sol gisent les Fells en tenue de treilli.
Ils faisaient partie de la Katiba qui aurait pû nous anéantir.
Il sera dénombré 120 emplacements de combat.
Je monte dans l'hélico, direction le poste d'El Aneb pour les premiers soins, puis l'hôpital d'Orléanville où je suis hospitalisé la journée pour être embarqué dans l'après-midi dans un broussard pour l'hôpital Maillot d'Alger.
Dans l'avion, un officier parachutiste est allongé sur un brancard sans connaissance, sous perfusion sanguine.
C'est le lieutenant THIEBAUD.
Michel VALENTIN
Caporal-Chef à la 3° centaine.
Le témoignage de Jean-Pierre Soula
Suite au récit de Michel VALENTIN : je me trouvais retenu malgré moi, au camp des artilleurs, sur le piton d'El Aneb. En effet, lors de l'approche de nuit de ce piton par notre unité (3ème centaine du 11ème Choc), je souffrais de terribles brûlures à la plante des pieds, dues à la mauvaise qualité des chaussures, au point que le capitaine Rouquette m'ordonna de rester chez les artilleurs car je ne pouvais plus marcher.
Du reste, vers la fin de notre progression nocturne, je terminai la marche, juché sur le dos d'un bourricot réquisitionné à un suspect qui passait dans le coin.
Ce sont les premiers coups de canon qui me tirèrent de mon sommeil. A cet instant, j'appris que mes copains venaient de tomber dans une terrible embuscade.
Dans le courant de la matinée, un hélico ramena les corps de STAAR et MARCHADIER et je pus voir leurs horribles plaies. André STAAR avait perdu tout le haut de la tête et Paul MARCHADIER était criblé de balles au niveau du thorax.
Ce fut terrible de voir sans vie mes deux frères d'arme et excellents copains ! J'ai toujours gardé en moi leur vision depuis 53 ans.
Bien des années plus tard, j'ai retrouvé Michel THIEBAUT, colonel en retraite et nous avons reparlé de cette épouvantable journée.
Il souffre toujours de ses blessures.
Une anecdote personnelle : chez les artilleurs, j'entendais parler d'un sergent nommé PASQUITO. J'ai donc cherché à le rencontrer, mû par une intuition.
Quelle ne fut pas ma joie de retrouver en la
personne de ce sous-off, mon camarade d'école primaire. En effet, nous étions tous deux natifs du même village d'Oranie. Depuis, je n'ai jamais revu ce copain. Ainsi va la vie...
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