La vie quotidienne des antennes chirurgicales parachutistes à Diên Biên Phu.(source revue DLP)
cet article est extrait d'une revue Debout Les Paras de l'année 1989.
La vie quotidienne des antennes chirurgicales parachutistes à Diên Biên Phu.
Dans une France où les revendications pour l'amélioration des conditions de travail priment sur le travail lui même,où la notion de Service Public a pratiquement disparu,le dévouement des personnels des Antennes chirurgicales à Diên Biên Phu revêt,35 ans après(en 1989),un aspect surréaliste,quasi surnaturel.
On ne connait pas suffisemment les artisans de ces postes de secours où le miracle était quotidien.L'ancien chef de l'APC nr5 met ici en lumière le tragique de leur situation.
Cet article est extrait du bulletin de liaison de l'Amicale des anciens de Diên Biên Phu.
D.L.P.
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La lumière blafarde de la luciole inonde le flanc labouré du piton de Diên Biên Phu.
Il était pourtant parti en Indochine,débordant d'enthousiasme et de courage.Pour cette lointaine aventure,il avait quitté sa famille et ses amis et comme tous ses copains,il avait apporté son sens du devoir.Il fallait défendre l'honneur de la compagnie mais aussi,bien sur,confirmer sa réputation de baroudeur.... En Asie,il croyait sincérement qu'il contribuerait à enrayer l'inexorable expansion marxiste.
Enivré par le bruit des explosions et des rafales des armes automatiques,abruti de fatigue et par des nuits sans sommeil,la pluie,la boue gluante....il est là,palpitant dans l'action des combats,désolé de son impuissance,angoissé mais pourtant bien décidé à contenir l'assaillant viet tapi comme lui,invisible,dans l'ombre de la tranchée voisine...l'obus d'un mortier de 60 explose et le combattant s'affaisse....
Pas un cri,inconscient....un voile noir et le corps recroquevillé,glisse dans l'immonde flaque de boue rougie de la tranchée.A ses côtés,son copain de combat gît,le visage arraché...
Sous le tir de barrage terrifiant,les derniers rescapés de la compagnie,hagards,se replient en piétinant les corps dont certains bougent encore....ou les trainent sans ménagement en se relayant,il faut tout tenter pour arracher son copain à une mort certaine....Gestes magnifiques et héroïques de solidarité,preuve admirable de cette fraternité entre les hommes peu habitués à révéler leurs sentiments et leur coeur.Tous ces actes accomplis,certes inconsciemment,la peur au ventre avec un seul but.... atteindre ce fanion maculé de la croix-rouge,qui marque le poste de secours.
Dans ce boyau encore couvert,on entasse ces malheureuses loques.L'évacuation sur l'antenne chirurgicale est impossible....l'encerclement est pratiquement total.
C'est donc dans ce trou,dans les pires conditions d'insécurité,d'inconfort,de saleté et surtout avec des moyens médicaux trés réduits que tous les gestes et les soins d'extrème urgence sont mis en oeuvre par le médecin de l'avant et son équipe d'infirmiers et de brancardiers.
Tous les cas sont engoissants mais le plus difficile est de repérer les blessés en danger de mort imminente.....
-aveugler une plaie de poitrine béante et asphyxique par un pansement occlusif....
-placer un garrot ou un pansement compressif sur une plaie vasculaire très hémoragique....
-redresser et appareiller,même sommairement avec un piquet ou un fusil,un fracas de cuisse ou de jambe source de choc intense dû à la douleur....
-et puis placer des pansements individuels sur toutes les blessures,soulager avec la morphine,ramener le calme et le relatif confort d'un brancard,rassurer et avoir la présence d'esprit d'établir cette fiche d'évaluation indispensable dans la chaîne des évacuations ultérieures que l'on fixe sur la poitrine du blessé inconscient et qui permettra de connaître plus tard son nom,la nature de ses blessures et les soins et médicaments qu'il a reçu à l'avant.
Petit à petit,dans la pénombre du poste de secours,au milieu des explosions voisines et le crépitement incessant des mitrailleuses et des FM.,la blancheur des pansements tranche sur la teinte fécale de la boue....On attend....
La contre-attaque désespérée des paras et la reconquête du piton desserre l'etreinte des survivants de la compagnie décimée.Le repli des quelques dizaines de combattants hagards et résignés s'effectue à l'aube.Dans un écran de fumigène,c'est un long défilé de brancards où gémissent les blessés cahotés dans cette course vers l'antenne chirurgicale à travers les cratères des explosions d'obus et les chicanes des tranchées à demi éboulées...
Les morts accessibles ont été recouverts de quelques pelletées de terre au fond de la tranchée,sépulture bien modeste pour ce petit gars de France!.....
On plonge dans l'entrée de l'antenne chirurgicale alors que se déchaîne le tir d'artillerie ennemie....un obus atteint de plein fouet le groupe électrogène et c'est dans une obscurité quasi-complète que débute le triage chirurgical.
Le raccordement au groupe des transmissions permet de découvrir un spectacle assez hallucinant:une quarantaine de blessés,à demi-nus sur les brancards posés à terre dans la boue,une dizaine d'autres moins atteints restent accroupis contre les parois.
Les PIM (Prisonniers et Internés Militaires) alertés procèdent à leur toilette sommaire et ce n'est pas une mince affaire que de supprimer cette gangue de boue visqueuse qui recouvre tout:vêtements,peau,blessures et transforme le sol en un véritable marécage....
Le triage chirurgical par le jeune chirurgien est un acte capital car il entraîne un choix terrible en conséquence;le diagnostic précis....dont la vie du blessé dépend....
-les moribonds (environ 1 blessé sur 10),comateux:crâniens,plaies multiples trés délabrantes sont au dessus de toute ressource chirurgicale,ils recoivent vite une injection de morphine pour atténuer leurs souffrances jusqu'à la fin.Certains encore conscients paraissent incroyablement résignés;plusieurs avant leur dernier souffle prononcent des noms d'êtres chers,demandent à être baptisés,l'aumônier bloqué par un tir de barrage serait arrivé trop tard.
-pour les autres blessés le degré d'urgence doit être dépisté et ce n'est pas la moindre affaire dans une telle avalanche.Les pansements primitifs enlevés,le chirurgien établit le bilan des blessures et l'état du choc.
Simultanément avec des gestes quasi-automatiques biens rodés,toute l'équipe d'infirmiers de l'antenne s'affaire à genoux autour des brancards et chacun des sept infirmiers a son rôle bien défini.Le blessé recevra donc systématiquement les sérums antitétanique et antigangréneux,les antibiotiques puis la médication préparatoire (phénergean,atropine dolosal).L'infirmier réanimateur surveille les pouls,tension artérielle,les respirations;il place les perfusions intraveineuses,sérums glucosés,salés,plasma,sang....hélas parachutés en trop petites quantités.
Il faut souvent inciser à la racine de la cuisse pour découvrir une veine profonde perméable.
Au milieu de tous ces préparatifs et de l'inconfort le plus complet,le chirurgien compose un programme opératoire en fonction de la gravité et le l'urgence des blessures:thorax asphyxiques,hémorragiques,garrotés sont la priorité absolue.
Pendant ce temps,l'infirmier instrumentiste prépare les tables et les plateaux d'instruments stérilisés,les linges opératoires,les ligatures.Il faut être économe,
récupérer tout ce que l'on jette habituellement:compresses,pansements,ligatures.Le stérilisateur se bat avec son autoclave chauffé avec un "primus" à essence défaillant et le groupe électrogène surmené succombera à plusieurs reprises.
Le triage est achevé,il retarde peut-être le geste opératoire mais il permet la mise en condition de tous les blessés qui défileront maintenant sans interruption sur la petite table d'opération pliante de notre antenne parachutiste.
La salle d'opération!.... terme bien pompeux pour désigner le boyau terreux couvert heureusement de gros rondins et d'une épaisse couche de terre.Pour apporter un semblant de propreté et réaliser une cellule opératoire approximative,le plafond et les parois étaient garnis de parachutes que l'on renouvelait de temps à autre.En effet,chaque explosion voisine arrosait de terre le champ opératoire et les tables d'instruments stérilisés.Hélas cette terre recueillie dans les toiles gonflées d'eau boueuse dégoulinait en stalactites comme dans une grotte.
Des fils accrochés au plafond obligeaient les gouttes à suivre un trajet plus oblique.On est loin des cellules opératoires,salles blanches avec flux d'air hyperaseptique .... tout était improvisé.
L'anesthésiste,infirmier mais aussi cuisinier,va tout tenter pour apporter un peu de confort à notre geste chirurgical.
L'absence d'appareil à circuit fermé dont l'intubation endotrachéale impose une anesthésie par voie intraveineuse au pentothal.Le relais à l'ether avec l'antique masque d'Ombredanne sans oxygène (parachutage difficile des bouteilles de gaz comprimé) ne procure qu'une anesthésie légère à la limite du réveil et souvent le blessé bouge.On doit se battre pour vaincre la poussée abdominale et pour maintenir un membre fracturé durant la dessication du plâtre.
En priorité sont traités les blessés de grande urgence:
-fermeture d'une plaie de poitrine asphyxique et béante après ablation du pansement occlutif,véritable soufflet de forge où jaillit le poumon mis à nu à travers les côtes fracturées.Ces bessures sont la cause habituelle de la mort par asphyxie des blessés de guerre,mais à Diên Biên Phu,la proximité du poste de secours et leur évacuation rapide permettait parfois d'aveugler la brèche par des moyens sommaires avant la suture étanche du chirurgien et l'évacuation de l'air engougré dans la plèvre.
-les plaies vasculaires necéssiteront la ligature de l'artère ou de la veine rompue,avec tous les risques semblables à ceux d'un garrot donc l'amputation secondaire inévitable.
-les membres déchiquetés,sources de chocs,sont amputés directement sur le brancard,anesthésiste et chirurgien à genoux.Il en est de même des autres blessés moins graves,dont les plaies sont débridées,les petites fractures appareillées,des pansements refaits sous anesthésie....Toutes ces opérations plus mineures faites entre chaque "grosse intervention" à la hâte.....car il faut faire vite,très vite,et le chirurgien est seul.
-les blessés de l'abdomen (quelques-fois 7 en 24 heures) recevront une large laparatomie exploratrice pour détecter toutes les lésions internes dues à une transfixion par balle ou un éclat d'obus inclus on ne sait où.
L'opération est parfois longue et laborieuse.L'hémorragie interne nécessite la ligature d'un vaisseau,l'ablation de la rate ou du rein ou le tamponnement rarement très efficace des plaies du foie.Il faut faire vite pour sutturer et refermer les multiples perforations intestinales.
Il faut des sutures étanches sauf pour le gros intestin rempli de matières fécales hyperseptiques,pour lui l'anus artificiel en extériorisant la perforation est seul capable d'éviter une péritonite post-opératoire.
La fermeture de la paroi doit être solide et la poussée abdominale due à une anesthésie trop légère impose des fils solides....quelquefois des fils de bronze .....ce n'est pas de la microchirurgie.
Et que dire des polyblessés qui associent une blessure abdominale ou thoraco-abdominale avec des fractures ouvertes délabrées de jambe,une plaie mutilante de la face avec une plaie de la vessie .....énucléation pour un oeil éclaté et trachéotomie pour des lésions graves de la bouche ou du maxillaire inférieur,etc.....
A chaque instant,d'autres blessés en attente imposent un geste chirurgical d'extrème urgence imprévu et un véritable manège oblige le chirurgien à quitter l'opération en cours pour secourir en catastrophe d'autres blessés nouveaux....
Entre chaque transferts des blessés sur la table,on pique un petit somme sur un tas de parachutes,l'anesthésiste cuisinier apporte la ration de boeuf assaisonné,le riz et le nescafé en sachet....un peu d'air à l'entrée en chicane de l'antenne.....tient c'est la nuit....on n'a plus aucune notion de l'heure et du temps.
Le ciel est zébré de balles traçantes de la DCA viet et les éclairs éblouissants des explosions d'obus sur sur le T lumineux balisant la DZ (Drop Zone:zone de saut) indique que des parachutages ont lieu malgrè le temps couvert précédant la mousson.Des Dakotas,des Packetts tournent sans arrêt sur la cuvette pour larguer au plus bas (150m) ,alors que des lucioles éblouissantes se balancent mollement éclairant tout ce paysage de désolation.Par vagues et toujours,arrivent d'autres blessés et il faut pourtant opérer ceux qui attendent depuis 24 heures:parages des plaies,débridement des transfixions,énucléation,amputation secondaire à une ligature d'un gros tronc artériel,ouverture d'abcès,réintervention pour occlusion ,etc.....etc...
Les blessés du crâne arrivent en dernier,car pour eux,on ne peut pas grand chose:déterger la bouillie cérébrale au sérum chaud,enlever les esquilles osseuses compressives et tenter de recouvrir avec ce qu'il reste du cuir chevelu en inondant d'antibiotique.
Attention....un obus à explosion retardée fuse dans la paroi de la salle de triage....fracas assourdissant....La paroi s'effondre enfouissant un infirmier et plusieurs blessés sur leurs brancards:on déblaie à la pelle toute cette terre gluante pour retirer l'infirmier réanimateur abasourdi et dégager les plaies béantes remplies de boue des blessés...
Dans les boyaux voisins,où ils ont été conduits,les opérés des jours précédents tous étonnamment silencieux dans leurs couchettes métalliques superposées jusqu'aux rondins du plafond qui dégouttent d'eau boueuse....
Ils devront pourtant vite céder leur place "privilégiée" !,aussitôt occupée par de nouveaux arrivants....Le médecin de leur bataillon à quelques dizaines de mètres de là prendra le relais du chirurgien de l'antenne dans des conditions encore plus précaires.
Il est arrivé souvent que ces mêmes blessés reviennent,après avoir repris le combat avec une nouvelle blessure.Là-bas,seulement nous étions les témoins stupéfaits de ces actes de courage invraisemblables imposés par une résistance désespérée à l'étreinte du viet.Mais comment tenir une arme avec un autre bras en écharpe et rester debout avec une énorme plaie de cuisse ou une amputation de jambe...et pourtant...
Il était difficile de rester insensible à certaines situations tragiques:ce lieutenant blessé à mort qui demande que l'on soigne avant lui son ordonnance marocain blessé qu'il appelait "Clair de lune".
Ce légionnaire qui avouait avoir abandonné sa famille et demandait que l'on prévienne sa femme à TÜbingen.
Ce grand noir sénégalais dont les deux orbites avaient été arrachés par un éclat et dont les lobes antérieurs du cerveau pendaient à la place des yeux et du nez....il parlait encore par intermittence en gémissant....il vivra encore dix heures soulagé par des injections répétées de Dolosal....
Et combien d'autres encore...
Les linges opératoires ne peuvent plus être lavés dans l'eau souillée puisée dans le Nam-Youm par les PMI.
On stérélise à l'autoclave chauffé à l'essence ces loques puantes.
Le chirurgien privé de blouse opère torse nu avec un tablier de caoutchouc.Les mains gantées de gros gants de "chaput" plongent dans l'alcool...puis dans la plaie ou l'abdomen rempli de matières fécales sanglantes écoulées des viscères rompus.
Les semaines interminables s'écoulent et les parachutages nous approvisionnent très régulièrement. Il faut tout économiser:ligatures,compresses,pansements,antibiotiques et même l'alcool à 90°;mercurochrome,alcool iodé...les anesthésiques généraux et l'on fait de plus en plus d'anesthésies locales à la novocaïne.
Les grandes ampoules de verre de sérums sont trop fragiles pour supporter le parachutage.Elles ont fait place à ... des bouteilles de "Bière Segi" vidées de leur contenu et conditionnées avec les sérums à Hanoï.On transperce avec l'aiguille de la tubulure la capsule évidée...
Le sang manque de plus en plus et pour rétablir imparfaitement la masse sanguine on utilise le plasma sec et le Subtosan.
Le Damany,notre médecin-chef du camp retranché,harcèle le service de santé d'Hanoï qui conditionne sans relâche les caisses de médicaments,matériels,brancards,groupes électrogènes,instruments,couvertures,vivres qui seront largués,la nuit suivante,à haute altitude avec des parachutes à ouverture retardée....la DCA installée sur les hauteurs devient trop précise.
Après récupération dans les barbelés et les tranchées à la barbe des viets,les colis sont acheminés aussitôt vers les médecins de l'avant et les antennes.Malgré les pertes inévitables,les colis tombés chez les viets et la casse,jamais les soins n'ont été interrompus...
Vidal au BT2 avec l'ACP6 (Antenne Chirurgicale Parachutiste nr 6) est submergé et se replie sur l'ACP5.Nous allons travailler ensemble durant les premiers jours de la bataille.L'ACM Gono avec Grauwin et Gindrey voisine du PC.L'ACP3 isolée sur Isabelle avec Résillot,tous les chirurgiens rompus à cette chirurgie de guerre de l'avant,s'étaient malgré tout adaptés à ces conditions apparemment désespérées.
L'impossibilité de toute évacuation sur les hôpitaux de l'arrière imposait un fonctionnement autonome prolongé dans ces hôpitaux de campagne improvisés.
Geneviève,infirmière à l'ACM (Antenne Chirurgicale Mobile) tous nos infirmiers,les médecins des unités et les cinq chirurgiens dispersés,formaient là-bas des équipes dynamiques et enthousiates malgré le danger permanent,la fatigue et l'abrutissement des semaines sans sommeil.
A l'ACP5,on a traité près de mille blessés en un mois!.... Mais le médecin de l'avant restera toujours le maillon indispensable sous l'autorité de Le Damany,médecin-chef du camp retranché.
Par son rôle technique et humain,il avait la confiance du combattant qu'il assistait au coeur même des combats.Il apportait un soutien moral indescriptible.Le "Toubib" restait l'extrème refuge en cas de blessure pour l'homme de troupe ou les gradés et c'est lui qui recueillait souvent les confidences avant leur dernier soupire.
A Diên Biên Phu,il avait aussi l'entière responsabilité des blessés opérés quelques heures avant.
7 mai 1954.... chute du camp retranché de Diên Biên Phu....
Les viets silencieux et noirs arrivent à l'entrée de l'antenne au cours d'une opération qu'ils me demandent d'interrompre la rage au coeur.Di Vé! Maolen!
Retour à la surface,hagards,éblouis par la lumière du jour,... encore des blessés....ce seront des prisonniers français qui sautent sur des mines antipersonnelles:on leur impose le déminage du terrain d'aviation en vue d'une évacuation aérienne éventuelle....pieds de mine et garrots avec du cable électrique placé par les infirmiers-médecins viets.... à la racine du membre depuis plus de 4 heures.
Sous des tentes improvisées avec des parachutes,il faut amputer au niveau de la cuisse avec du matériel et des médicaments chinois inconnus....nos antennes ont été considérées comme prises de guerre.
Tous les blessés depuis le début des combats ont été remontés des abris et c'est sous la pluie qu'ils attendent leur hypothétique évacuation.
Totalement privés de nos soins,avec des pansements horriblement souillés,des plâtres pourris où grouillent des asticots,des amputés sans béquilles,des plaies béantes sans pansements et des opérés de l'abdomen vomissant et réclamant un sédatif,tous décharnés,en guenilles mais néanmoins remplis d'espoir d'une libération prochaine et de soins dans un véritable lit hôpital.
Ils devront attendre pourtant l'autorisation d'Ho-Chi-Min qui par sa "clémence humanitaire!" permettra à ces malheureux ,leur départ en hélicoptère vers Hanoï accompagnés de Geneviève et d'un ou deux médecins.
Les autres combattants après des adieux émouvants sont arrachés sans ménagement à leurs camarades et ils prennent le chemin de la captivité pour rejoindre les camps du Nord Vietnam à la frontière chinoise.
Les médecins seront également séparés des blessés et malades de la longue colonne de prisonniers.Cette séparation tragique nous empêchera de leur apporter une aide et quelques soins élémentaires.
L'absence de conseils d'hygiène,de prophylaxie des maladies tropicales expliquera la mortalité très lourde dans les camps de la troupe et des sous-officiers.Et pourtant,le simple fait de boire exclusivement de l'eau bouillie supprimait la quasi-totalité des affections intestinales parasitaires ou infectieuses: amibiases,ascaris,lambliases,spirochétose,etc....De même le comprimé de Nivaquina empêchait la crise mortelle de paludisme grave.
Les camps de prisonniers français en Indochine ont été décimés par la négligence orgueilleuse du commandement viet.Leur refus de l'assistance de la Croix-Rouge Internationale et l'incompétence totale de leurs infirmiers médecins ignorant constituait un crime indigne qu'aurait dû dénoncer largement l'opinion internationale de l'époque.
Hélas veuves et orphelins,ces lignes postumes ne sauraient atténuer votre peine.Elles avaient uniquement pour objet de vous apporter le témoignage de ceux qui,miraculeusement ,ont échappé au massacre.
Vous devez pourtant savoir que,là-bas,ils ne songeaient pas,égoïstement,à sauver leur peau mais il existait un extraordinaire sentiment de camaraderie et de solidarité.On comprend mieux les actes héroïques obscurs qui ont été accomplis et que l'on ne connaîtra jamais.
Beaucoup de balafrés,d'amputés handicapés ou invalides doivent la vie au copain inconnu qui n'en est souvent jamais revenu.
Ceci,il y a bientôt 35 ans et c'était à Diên Biên Phu.
Un des chirurgiens d'antenne
E.Hantz (ACP