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| Sujet: Opération Atlas - La fusillade- Ma citation Jeu Fév 26 2015, 17:57 | |
| Opération Atlas
La fusillade – Ma citation
Ce 27 mars 1957, une bronchite attrapée au cours d'une sortie en montagne avec le 3e R.P.C, et mal guérie, m'oblige à prendre des antibiotiques qui feront baisser la fièvre. Avec deux jours d'arrêt je pense que cela devrait aller.
Le général Massu, le colonel Bigeard et une pléiade d'officiers ont passé en revue les quartiers de notre camp de Zéralda, dans le même cantonnement que le 1er R.E.P du colonel Jeanpierre (1).
Tout l'Escadron est là à présenter les armes aux huiles(2).
Les pourtours des cantonnements sont propres comme un sou neuf, les affaires rangées impeccablement, tout ce qui doit être hors de vue étant camouflé.
Comme je suis devenu coiffeur de circonstance, je coupe les cheveux d'une dizaine de gars, ce n'est pas une affaire de grande compétence, mais après un pari avec le s/lieutenant Michel à qui j'ai assuré de lui couper les cheveux aussi bien que son coiffeur, aussitôt dit aussi tôt fait, il a fait l'achat d'une tondeuse, un ciseau, un peigne et en avant pour la coupe «ras le bol», mais pas dans le sens du bol, la coupe a un centimètre du crâne, certains veulent un semblant de chevelure, comme je n'est pas le temps de fignoler c'est la coupe ou rien.
J'en suis à ma 19 ème opération au sein du 4e peloton, commandé par le s/lieutenant Jacques Michel (3).
En un an d'AFN, j'ai déjà pas mal de kilomètres dans les jambes, et les pieds rodés aux dures épreuves de la marche sur des pistes parfois impossibles par des temps de fin du monde, dans le froid , la pluie, la neige l'hiver ou sous un soleil implacable dans une chaleur torride le jour, et les nuits glaciales. Malgré la pompeuse dénomination de « Escadron de Jeeps Armées » notre grand patron le lieutenant-colonel Bigeard dit «Bruno» son indicatif radio, en a décidé autrement, il a dit au capitaine Le Boudec:
j'ai besoin de gars qui suivent le régiment; ou nous allons les jeeps ne seront pas utiles, l'escadron fera comme tout le monde il marchera à pied.
Je sais ce que parler veut dire, je marche depuis le 6 avril 1956 sans une opération en jeeps armées!.
Nous recevons un contingent de « jeunes paras »(4), afin de compléter les effectifs qui en un an ont sacrément diminué.
De jeunes commandos formés en France prennent les places disponibles, j'ai un nouveau à la pièce FM, que je commande à temps plein. André Jeanneret après son peloton n°2 a été nommé caporal-chef et est passé dans une autre section.
Deux autres sont au groupe voltige; on va voir leur capacité à assimiler les kilomètres de djebel de jour comme de nuit et par tous les temps, sur des pistes traitresses capables de casser le para le plus costaud d'apparence.
Chez nous, c'est le mental qui sélectionne; petit ou grand, gros ou maigre, noir ou blanc avec du bla-bla ou taciturne, c'est dans l'endurance et la souffrance que l'on s'aperçoit qui est qui !.
L'annonce d'un départ d'une nouvelle mission demain me laisse calme. Je souri de voir la fébrilité des nouveaux qui s'activent sur leur sac à dos, en le contrôlant plusieurs fois, ils nous regardent en douce d'un œil interrogateur.
28 mars 1957
Tous les sacs sont alignés aux pieds des lits et le peloton s'est couché tôt. Il est quatre heures quand le sergent vient nous faire un réveil en fanfare avec sa voix rugueuse.
Comme un seul homme je me lève, certains fainéantes un peu. La tenue de combat est déjà enfilée, je me rue vers le lavabo pour un brin de toilette un coup sur les dents, un rasage de près !
Ici chez Bigeard; pas de barbu ni moustachu(5), les cheveux coupés ras, la casquette vissée sur la tête pour être sûr de ne pas faire l'oubli irréparable de partir sans celle-ci.
Le départ qui est fixé à cinq heures nous donne le temps de boire un café aux cuisines, et, préparé depuis quatre heures par nos braves cuistots, ils voudraient bien faire partie de la randonnée, mais il en est ainsi.
Certains demanderont de s'intégrer dans la «bandera »(6) et seront transférés dans les divers pelotons de l'Escadron.
Partis de la base de Zéralda, le convoi démarre en direction de Blida, petite ville de la Mitidja au pied de l'Atlas qui porte son nom. De forts groupements militaires de toutes les armes dont l'aviation avec son terrain où nous venons embarquer pour faire nos sauts d'entretiens sont installés ici.
L'Escadron est cantonné dans une ferme vide de ses occupants, les propriétaires ont senti le souffle des terroristes FLN, et ont préféré partir, c'est une grande exploitation d'agrumes portant le nom de ferme Isabelle, se sera notre base avancée, pour nos futures opérations.
Nous allons accomplir une série d'opérations dont la première portera le nom de «Atlas 1», quinze jours d'opérations incessantes, vont nous tenir en haleine dans des conditions éprouvantes. Cela ne va pas être une partie de plaisir pour ceux qui ne connaissent pas la cadence «Bruno».
Je suis Chef de pièce FM 24/29 et tireur, je connais mon arme sur le bout des doigts, mon équipe est composée de Tabourin ancien d'indo malgré son jeune âge, Derck un Ch'ti de Lille, Groisil le titi parisien, Binder un gars de Mulhouse c'est notre dernière recrue fraichement arrivée de France.
Je sort d'une bronchite et je suis sous l'effet d'antibiotiques, le chef nous a dit – Peinard les gars ! c'est une marche pour vous donner de l'allant !.
Cette opération prévue pour retrouver la trace de bandes rebelles sévissant dans ce secteur de 600 kilomètres carrés, couvert de végétation, le massif Blidéen et sa chaine de djebels dont les sommets dépassent 1800 mètres d'altitude, recouvert de neige, une station de sport d'hiver y est installée avec des chalets privés et des colonies de vacances
29 mars 1957
En fait de petite marche peinarde, nous avons attaqué la montée du djebel par une ascension de quatre heures, jusqu'à midi. Une halte et départ pour la suite, une montée jusqu'au sommet le plus haut.
A partir de 700 mètres, nous avons rencontré la neige pour atteindre les 1300 mètres avec 15 centimètres sur la piste, piétinée par des centaines de pieds le tracé que font les voltigeurs de pointe doit être pénible pour les premiers .
Nous passons à proximité d'une station d'hiver, par endroit, des épaisseurs de plus d'un mètre de neige.
Qu'est-ce que je fais dans cette galère!
Tout le monde souffle, grogne, çà flanche mais çà marche, sauf Derck qui a craqué à la moitié du sommet! Obligé de prendre sa musette TAP et de partager la charge supplémentaire. Il a un début de bronchite et ses poumons sifflent comme une forge.
Enfin tout le monde est arrivé tant bien que mal. Les chefs de groupes râlent, les chefs de pelotons gueulent «collez ! collez ! Trop d'espace !». C'est beau de dire celà, pour une colonne de plusieurs centaines de paras sur une piste qui monte dure. L'accordéon qui se produit est normal, il faut presque courir pour combler les écarts.
Nous faisons une halte d'une heure pour casser la croûte, à quatorze heures, rebelote dans l'autre sens pour descendre dans la vallée. Celle-ci est aussi dure car freiner les pieds sans arrêtfait travailler les muscles qui n'étaient pas sollicités dans la montée, les jambes, les mollets, les cuisses sont mis à rudes épreuves.
Au départ on croit être soulagé, mais au fur et à mesure des heures, les jambes tremblent par les à coups répétés.
Un gars qui n'a pu reprendre son équilibre à temps me double en me bousculant, en accroche deux autres en catastrophe pour finir en contre-bas de la pente dans un roulé-boulé désespéré. Les gars bousculés grondent leur colère et marmonnent des jurons
Bientôt la neige disparaît et la boue la remplace.
Mon camarade Daniel Belot tombe dans un trou rempli de boue, il en ressort dans un état lamentable. Bientôt nous sortons du froid et des nuages.
J'aperçois au loin Blida minuscule tache au pied du djebel, cette vue nous donne de l'énergie mais, pas l'ombre d'un seul fellagha.
A 19h30, nous arrivons dans la vallée.
Le jeune Binder a tenu le choc, c'est un bon élément, pas assez de volonté pour certains, qu'il a fallut pousser, tirer, j'ai même donné un coup de gnôle à un gars de mon groupe, cet alcool que l'on trouve dans les boites de ration, d'une contenance de 6 centilitres je la garde en cas de défaillance comme celle-là.
Nous rejoignons les GMC comme des loques, complétement épuisés les paras montent dans les bahuts sans un mot.
J'en ai bavé, car ma bronchite est à peine finie, mais dans l'ensemble, cela s'est bien terminé. Nous retrouvons nos lits précaires sur lesquels nous nous jetons comme des masses. Ouf !!!!!
30 mars
La matinée se passe en décrassage, je suis sale comme un bouc. Après avoir changé de tenue et de sous-vêtements, il est midi, un bon repas chaud préparé par nos dévoués cuistots efface tous ce que nous avons enduré, la récupération est rapide. Revue d'armes et de munitions pour un nouveau départ à 17 heures.
Je crois d'après le sergent Dalmasso, que des renseignements sont épluchés par Bruno et que l'affaire est sérieuse; l'équipe est prête.
Derck est sous antibiotiques, il fait la gueule mais il va mieux, je lui fait remarquer que l'on s'est coltiné son sac le temps de notre randonnée d'hier.
L'équipe change c'est un grand type de la région parisienne qui devient pourvoyeur au FM.
Unité de feu: 1200 cartouches.
La musette est pleine avec deux boites de ration une boule de pain, la veste molletonnée et une paire de pataugeas, la toile de tente et les accessoires indispensables pour survivre.
Les GMC sont partis, nous roulons en direction des gorges de la Chiffa célèbre pour ses familles de singes qui nous regardent passer, assis sur le parapet du précipice, Médéa, Mouzaïa-les-mines.
En file indienne le régiment s'infiltre par la piste. Les éclaireurs sont sur les dents et trace la piste en direction du djebel qui ce profile à travers une succession de contreforts pentus
La marche dure de 19 heures à 6 heures le lendemain, les épaules cassés par les 10kg 500 de FM, et la musette.
Je porte «nènèsse»(7) de trois-quart sur le sac ou bien sur le côté pour changer la position.
Trempé de sueur le Fusil Mitrailleur laisse des marques sur les épaules, j'ai mis un élastique sur la boite chargeur de façon à la maintenir en cas de décrochage intempestif dû à un choc ou à une mauvaise manipulation.
Enfin nous arrivons sur une aire balisée où des «Bananes»(8) sont prêtes pour l'héliportage des paras .
Nous fonçons, l'équipe au complet, suivis du sergent infirmier Dubouil (9), le bruit des rotors est infernal.
L'appareil décolle lourdement, nous sommes tout de suite en altitude étant déjà sur une hauteur, nous allons boucler le débouché du talweg, la souricière se referme sur les rebelles qui n'ont pas réalisé encore le traquenard dans lequel ils sont tombés.
20 kilomètres plus loin, nous débarquons sur une plate-forme naturelle.
Je saute de la Banane à toute allure suivi de l'équipe pour prendre position en protection et sécuriser l'héliportage qui se fait dans une rotation d'enfer.
Face au talweg profond avec des parois presque verticales des portions entières de cette paroi se sont effondrées laissant apparaître des passages d'accès.
Avec cette cavalcade, nous n'avons pas fait notre plein de bidon, il est 11 heures, et ils sont vides.
Par radio le PC du capitaine Le Boudec est avisé qu'un petit oued coule à 1000 mètres de notre position, par petits groupe, les gars vont faire le plein emportant les bidons des copains restés en surveillance.
Sous les ordres du lieutenant Lefevre le détachement part au point d'eau et reçoit de « Le Boudec »(10) l'ordre une fois les bidons pleins de se rendre vers un endroit donné, car l'escadron repart et il faut faire la jonction.
Le lieutenant Lefevre, un grand gaillard avec un œil légèrement décalé, se trompe de piste, nous voilà partis en marche commando, pour rattraper son erreur nous marchons comme des dératés.
Enfin à 19 heures, nous sommes au point fixé par le PC et restituant les bidons aux camarades mort de soif.
Que de kilomètres pour rien.
Nous retrouvons la compagnie du capitaine Chabanne dit «le Chat Tigre».
Nous recevons nos rations pour deux jours, préparons nos emplacements de combat pour passer la nuit avec la compagnie d'appui, cette compagnie est chargé d'armes lourdes, canon de 75 sans recul, mortiers de 81 et de 60 et les obus étant transportés par les gars; de vrais mulets !.
31 mars 1957
Le réveil est à trois heures, le départ est donné avec consigne: « silence complet », pas de cigarette, rester vigilants.
Je marche en tête de la compagnie juste derrière la voltige qui se disperse sur les côtés de cette piste devenue un chemin forestier.
Les camarades de la voltige avec le sergent, marchent d'un bon pas mais sans forcer l'allure, nous bouclons le fond de la vallée très encaissée à cette endroit avec une végétation dense et des arbres de bonnes taille.
Je marche depuis environ quatre heures, quand brutalement les gars de la voltige se font tirer dessus par des rebelles situés à 40/50 mètres surpris de trouver des paras à cet endroit.
Une fusillade s'ensuit, le sergent s'est élancé en avant en criant: «Les fells sont là! Vite le FM ! Feu à volonté !», je fais le forcing pour me mettre en position sur le talus, me jette à terre tout en ouvrant la béquille du fusil mitrailleur, le temps d'armer de viser et de faire feu, à peine trois secondes, les rebelles cavalent comme des forcenés à 50 mètres du bout du canon de mon armes.
Ils sont à découvert est galopent vers un petit bois légèrement en pente pour se mettre à l'abri.
Je les fauchent avant qu'ils atteignent le couvert des arbres, j'ai vidé deux boites chargeur en quelques secondes, je les vois défiler devant ma ligne de mire, mon copain qui est chargeur est me suis comme mon ombre a fait les mêmes gestes appris à l'entrainement, cent fois répétés, c'est lui qui est chargé de m'approvisionner en boitiers, il est devenu expert, la rapidité d'exécution prime avant tout.
Les fells(11) ont repéré mon FM et ripostent à mon tir, les balles sifflent très près.
Je suis comme au tir, je ne sent plus ma fatigue, la montée d'adrénaline avec l'odeur de la poudre, donne une autre vision de ce moment dangereux.
Les gestes sont instinctifs, dès qu'une boite chargeur est vide d'un coup de main elle saute de son logement qu'une autre est déjà engagée par mon second , une seconde , j'arme et tire au plus juste, à grande cadence.
Je vois plusieurs types basculer sous l'impact des balles, juste avant qu'ils arrivent au petit bois, je vide huit boitiers de cartouches.
La cadence de tir du FM est de 750 coups à la minute, à 25 cartouches dans un boitier, la cadence de feu est équivalente à une section de combattants.
Mes tirs sont meurtriers!.
Un autre FM est venu à la rescousse, ainsi que le peloton.
Le matraquage est terrible, les fells qui sont à l'abri des arbres font feu pour dégager les rescapés qui continuent à courir à perdre haleine. Mon arme est en position la plus favorable, j'entends les chefs de groupes diriger les tirs en hurlant pour se faire entendre.
Je m'enivre de l'odeur de la poudre, c'est de la frénésie, la souffrance des marches harassantes a disparu.
J'ai tout oublié, l'excitation est a son paroxysme, les balles sifflent sans que je m'en rende compte, je pourrais recevoir une balle à chaque instant, je ne pense à rien de tout çà, c'est la victoire des jours et des jours de marches épuisantes à l'extrême.
Si le sergent ne me m'avait pas crié «halte au feu!!», j'aurais continué à tirer .
Pendant que la voltige va au résultat, j'entends l'appel des copains, il y a trois fellaghas de tués et deux blessés et des traces de sang qui prouvent que d'autres sont également touchés.
Les autres sections prennent le relais au pas de charge, quant à moi , c'est la décontraction je suis tout surpris de la facilité de cet accrochage.
Ces rebelles qui avaient pu sortir de l'étreinte de l'encerclement étaient loin de se douter de ce tête à tête avec des paras dans ce coin de forêt.
Le sergent me félicite pour ma vitesse d'exécution, lui aussi est content de pouvoir enfin utiliser sa carabine US autre qu'à l'entrainement, tous ont eu le plaisir de brûler quelques cartouches.
La résonance de l'accrochage faisait penser à une bataille avec une Katiba.
Que d'histoires à raconter aux copains restés en base arrière. Un mort est a déplorer au « 3 ».
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[*]Le colonel Jeanpierre fut de la trempe de Bigeard, c'est lui qui prêta quelques parcelles de terrain à Zéralda pour loger le 3e R.P.C. Pendant l'alerte du Moyen-Orient. [*](Les Huiles) généraux de la 10e DP. [*]Jacques Michel, mon chef du 4e peloton de l'Escadron du 3e R.P.C jusqu'au 23 juillet 1957 lors de sa blessure voir le chapitre « tête à tête macabre » [*](jeunes paras) passé un an d'ancienneté, nous étions déjà des « anciens » [*](Les moustachus) au 3e RPC, aucun barbu ni moustachu sauf dérogation spécial pour l'adjudant Cugnac du PC Bruno portant une déformation de la bouche
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