Avril 1918 : le R.M.L.E. gagne sa 7e citation au bois du Hangard en Picardie.
21 mars 1918 : trois armées allemandes attaquent les deux armées britanniques des généraux Byng et Gough, sur un front de plus de 60 kilomètres et brisent ce front en de nombreux endroits. C’est la grande offensive du général Ludendorff. Les soldats britanniques, de vrais et durs soldats qui ont fait leurs preuves, reculent vers les unités en repos qui voient arriver des cavaliers démontés, des artilleurs sans canon, des fantassins blessés sans arme, morts de fatigue, visage creusé.
23 mars 1918 : dès 7 heures du matin, un canon à longue portée tire sur Paris. Tout le monde croyait que la portée maximale d’un canon était de trente kilomètres. En réalité, la Grosse Bertha tirait sur Paris depuis le massif de Saint-Gobain à cent dix kilomètres.
2 avril 1918 : la division marocaine avec ses quatre régiments dont le R.M.L.E., rappelée dans le secteur d’Amiens suite à l’offensive allemande dans le secteur britannique de Saint-Quentin, et à la rupture du front le 21 mars, va s’opposer à l’avance allemande dans le Bois du Hangard et à Villers-Bretonneux. Lorsque la division marocaine arrive dans la région de Boves, la première poussée ennemie semble momentanément arrêtée ; pendant près de trois semaines, elle reste en réserve de commandement, prête à intervenir dans un moment de crise.
23 avril 1918 : c’est la crise. Des troupes alliées sont rappelées pour arrêter la poussée allemande, pour briser l’élan ennemi, pour colmater les brèches et pour soutenir les troupes australiennes et britanniques. La Légion Etrangère, affectée à la 1ère Brigade marocaine, est engagée à l’aile droite de la division marocaine sous les ordres du général Daugan.
24 avril 1918 : la crise se produit : la droite britannique fléchit sous une attaque puissante, et, si, dès le soir, les Australiens parviennent à reprendre brillamment Villers-Bretonneux, le danger néanmoins est loin d'être écarté. Les Anglais sont à bout de forces, ils ne disposent plus d'aucune réserve. Il est nécessaire de les relever et de refouler par un coup de boutoir vigoureux, l'ennemi qui menace directement Amiens. C'est à la Division Marocaine que le Général Debeney commandant la première Armée fait appel pour cette capitale mission.
24 avril 1918 : les quatre régiments de la Division passent rapidement sur la rive droite de l'Avre et se forment à l'Ouest et au Sud du bois de Gentelles. L'artillerie divisionnaire, encore engagée dans la région de Cottenchy, où elle travaille sans répit depuis le 11 avril, quitte ses positions de batteries en plein jour pour venir, en toute diligence, rejoindre la division.
25 avril 1918 : la situation de la droite anglaise est extrêmement confuse ; les premières lignes, tenues par des troupes épuisées, subissent de nombreuses fluctuations : le front est indécis. L'artillerie ennemie fait rage.
Dans la nuit du 25 au 26, les quatre régiments de la Division Marocaine, au milieu de mille difficultés, gagnent leurs emplacements de départ. Les guides que devaient fournir les Anglais, ne sont pas venus ou se sont perdus ; on marche à la boussole dans l'obscurité complète ; le front anglais même n'est plus continu : le 4° Tirailleurs, sans avoir traversé de troupes anglaises, se heurte à l'ennemi dès la sortie de Cachy et est obligé de livrer de durs combats pour atteindre sa ligne de départ. Malgré tout, les régiments sont en place à l'heure H ; la Légion à droite, le 4e R.T. et le 7e R.T.A. au centre, le 8e Zouaves, à gauche. Les fatigues et les pertes de ces pénibles mouvements de nuit n'ont en rien diminué leur ardeur.
26 avril 1918 : à 5 heures 15,l'attaque se déclenche. La brume est épaisse. Les bataillons s'ébranlent dans un ordre impressionnant. En un instant, les premiers éléments ennemis sont culbutés. Mais l'alerte est vite donnée, et, sur ce plateau sans une ride, un feu violent de mitrailleuses se déchaîne, feu infernal qui rappelle Belloy, et qui sème la mort. Les troupes anglaises à la droite de la division attaquent le bois de Hangard ; elles échouent, arrêtées par une grêle de balles. La Légion prend leur place, et entraînée par le lieutenant-colonel Rollet, pénètre dans le bois, dont elle arrache morceau par morceau toute la partie ouest.
L’assaut du 4e Régiment de Marche de Tirailleurs Tunisiens. Les compagnies de tête du 4e Régiment du lieutenant-colonel Aubertin sont fauchées dès les premiers 5oo mètres ; à leur tête, le capitaine Gaston Faraud tombe glorieusement. Les deuxièmes vagues cependant dépassent les premières. La section de mitrailleuses du lieutenant Georges Lebout constitue 1e détachement de liaison entre le 4e Tirailleurs et la Légion. On lui a fixé son itinéraire et sa vitesse de marche ; elle part, des hommes tombent, la marche continue ; le lieutenant tombe à son tour, le mouvement se poursuit, pas un blessé n'est revenu, pas un tirailleur n'a reparu, pas un n'a regardé en arrière. La section Lebout est couchée sur le plateau de Hangard.
Assaut du 7e Régiment de Tirailleurs Algériens. A gauche du 4e Tirailleurs, le 7e R.T.A. du colonel Schultz s'élance ; le bataillon de Saint Léger, d'un seul bond, atteint la route Villers-Bretonneux, bois de Hangard ; c'est son objectif normal. Mais n'est-il pas coutume que le 7e Tirailleurs dépasse toujours son objectif normal ? Le sous-lieutenant Montfollet dont la bravoure fait l'admiration de tous, se lève pour enlever sa section ; à peine debout, il tombe, frappé d'une balle au front. Le capitaine Britsch, calme sous la mitraille, donne des ordres à ses agents de liaison ; une balle le couche à terre. Non loin de lui, tombent le capitaine Faye et le lieutenant de Boisrenard, héros légendaire de tant d'exploits passés.
Assaut du 8e Zouaves. A gauche de la ligne d’attaque, les Zouaves du lieutenant-colonel Lagarde se sont élancés, le bataillon Durand en tête ; en deuxième ligne, le 3e bataillon dont le chef, le commandant Cadiot tombe bientôt, blessé par balle. Ils gravissent les pentes de crêtes du monument de Villers-Bretonneux, mais ne peuvent atteindre le but fixé à leur vaillance. En vain, le lieutenant Jolivald veut-il forcer le succès, il succombe de n'avoir pu accomplir sa mission. Toute la ligne semble clouée au sol.
Assaut du détachement russe. Soudain un soubresaut agite la ligne. Une petite troupe s'est dressée dans la plaine : cette troupe s'élance, elle passe comme une trombe entre zouaves et tirailleurs ; magnifique, la baïonnette haute, méprisant les balles qui la déciment, officiers en tête, elle bondit sur l'ennemi d'un tel élan qu'elle le refoule jusqu'à la route du monument. Quels sont donc ces hommes prodigieux, qui, hurlant des paroles incompréhensibles, sont parvenus chose à peine croyable, à franchir cette zone de mort que zouaves et tirailleurs n'avaient pu dépasser ? Ce sont les Russes de la Division Marocaine. Gloire à eux ! Gloire à ceux qui sont tombés, et gloire aussi à ceux qui ont survécu, et qui, n'ayant pu, trop peu nombreux, se maintenir sur la position conquise, ont tenu d'aller la nuit tombée, arracher aux mains de l'ennemi les cadavres de ceux de leurs frères qu'ils y avaient laissés !
Assaut du Régiment de Marche de la Légion Etrangère.
A la naissance de l’aube, les légionnaires boivent leur café fumant ; ils distinguent très suffisamment le fameux bois, petite masse sombre sur le plateau crayeux, arbres manchots, tout noirs, très pitoyables arbres troncs avec ici et là quelques feuilles vertes.
A 5 heures 15 du matin, la Légion attaque une nouvelle fois, mais sans préparation d’artillerie car le temps presse ; le 1er Bataillon, sous les ordres du commandant Husson de Sampigny, forme le détachement d’assaut, le 3e Bataillon, sous les ordres du commandant Colin, s’installe en soutien à 300 mètres en arrière tandis que le 2e Bataillon est en réserve. Malgré le tir d’artillerie, les mitrailleuses allemandes battent le glacis absolument découvert. Néanmoins, le 1er Bataillon quitte ses positions et s’élance droit devant lui. Le chef de bataillon Husson de Sampigny est grièvement blessé. Privé d’officiers, tous fauchés à la première attaque, le 1er Bataillon est commandé par un simple légionnaire, Kemmler, volontaire luxembourgeois. A gauche du 1er Bataillon, une compagnie de tirailleurs est pratiquement anéantie. Le 3e Bataillon suit rapidement les premières vagues d’assaut. Le commandant Jean Colin et les capitaines Sandre, Bouffé, Tartrais, Meyer sont tués lors de l’assaut. Le 3e bataillon, très éprouvé lui aussi par les rafales nourries, se jette dans le bois du Hangard et fait sa jonction avec les Anglais. Le 2e Bataillon qui prend part à la lutte à son tour permet de tenir vaille que vaille le terrain conquis.
Mais les légionnaires ne sont plus seuls face aux mitrailleuses ; en même temps qu’eux, sur le plateau crayeux entre leurs groupes, devant eux, s’avancent des machines étranges, cliquetantes, lentes, lourdes, maladroites : les tanks.
- Les tanks mis en ligne ce jour-là pour attaquer le bois du Hangard appartiennent à une unité britannique rameutée dans le désordre du repli. Une partie des hommes de la vague d’assaut peut marcher derrière les tanks, abritée par eux ; de plus, les nids de mitrailleuses voient arriver sur eux une tortue d’acier crachant du feu.
- Les tanks ne sont pas assez nombreux ; il n’y a pas de liaison entre eux ni avec la troupe assaillante. Cette attaque avec les chars est du bricolage mais les tanks britanniques aident beaucoup les légionnaires à la conquête du Bois du Hangard puis à s’y maintenir. Finalement l’ennemi doit abandonner ses postions.
- La prise du Hangard voit l’anéantissement des deux bataillons du R.M.L.E. qui ont lancé l’assaut, le 1er bataillon et le 3e bataillon.
- Le R.M.L.E. a perdu dans cette prise 18 officiers, dont le chef de bataillon Jean Colin, et 833 légionnaires tués ou blessés, presque tous par les mitrailleuses.
La nuit est venue : aller plus loin est folie ; on s'organise sur le terrain conquis, tâche difficile sur ce glacis où n'existe aucun abri, que rase sans arrêt une nappe de balles et qu'ébranlent à intervalles irréguliers les plus terribles bombardements jamais subis par la division marocaine.
L’artillerie divisionnaire riposte aux bombardements par d'énergiques tirs que combine avec son habituelle maîtrise, le colonel Maloigne, commandant l'A. D. M. A la moindre demande de la première ligne, elle répond par de formidables barrages, et, sous sa vigilante protection, l'infanterie peut mener à bien l'organisation du terrain conquis que dirigent le colonel Schuhler, pour le secteur de la 2e brigade, et pour celui de la 1ère brigade, le colonel Bouchez qui, en pleine bataille, a remplacé au P. C. de Gentelles, le colonel Mittelhausser, nommé au commandement d’une division et promu général.
Dès le 28 avril, un communiqué fait connaître au monde la vaillance de la Division : ‘’ La célèbre Division Marocaine, troupe d'élite, qui fut engagée au bois de Hangard, au lieu et place des Anglais fortement ébranlés, subit des sacrifices sanglants, notamment pour le 1er Régiment Etranger, les régiments de turcos et de zouaves de cette division. Les vagues d'assaut furent dispersées par le feu violent des mitrailleuses allemandes ; seuls quelques éléments des braves assaillants ennemis, atteignirent notre ligne au sud de Villers-Bretonneux.’’ Mais les sacrifices ont été sanglants, 74 officiers et 3.5oo hommes hors de combat étaient la rançon du succès obtenu.
28 avril 2018 : la 19e D.I. allemande, montée en ligne pour attaquer le 26 au matin, doit, à la suite des pertes sanglantes que la division marocaine lui fit subir, est relevée par la 109e D.I. allemande alors que la Division Marocaine va rester en ligne jusqu’au 7 mai. Les nuits et les jours qui se succèdent jusqu’au 6 mai, sont occupés à aménager les positions tenues et à repousser toutes les contre-attaques. Les tanks sont autant de petits fortins très redoutables aux fantassins allemands qui contre-attaquent.
- Le R.M.L.E., dont le drapeau a été décoré de la Légion d’Honneur le 04.12.1917, qui a consenti de très lourds sacrifices, recueille sa 7e citation à l’ordre de l’armée.
- Enfin il faut ajouter avec fierté, parce que c'est le résultat de l’œuvre du R.M.L.E. et de ses sacrifices, c'est qu'à partir de ce jour-là, l'ennemi n'osa plus renouveler ses attaques. La route d'Amiens lui était à jamais fermée.
- « Le Boche apprécie notre valeur » disait le général Daugan à ses troupes en quittant la région, « il nous retrouvera. »
Jean Balazuc P.P.P.P.