1 décembre 1.957 :
Rien.
2 décembre 1.957 :
Grenade dans la rue à Oran, deux blessés une jeune femme et son bébé de 21 mois.
3 décembre 1.957 :
Rien.
4 décembre 1.957 :
Sabotage sur la voie ferrée Philippeville
- Constantine, le train déraille, 4 militaires du wagon de protection tués, 2 blessés.
Il y a toute une bataille qui se livre autour des voies ferrées:
Un convoi ferroviaire circule encore en 1957 et jusqu'au début de 1958 entre l'Algérie et la Tunisie.
Ainsi, quittant Souk-Ahras, assurons nous l'ouverture devant le train jusqu'à Ghardimaou, à dix kilomètres à l'intérieur de la Tunisie.
Il est escorté lui-même par un groupe de combat embarqué dans le wagon de queue de ce train.
Soixante kilomètres nous éloignent de notre base arrière, avec laquelle nous sommes en liaison permanente par radio télégraphie, le long de la rivière Medjerda, en pleine zone interdite.
Toute la population a quitté la région qui reste donc déserte d'habitants.
Tir à priori sur tout ce qui bouge.
Au-dessus de nos têtes, nous accompagnant, un avion T6. À la moindre alerte, dans l'instant, sur demande ou à vue, il fait arriver de Bône, un groupe de bombardiers B 26.
Qui a dit qu'ici, ce n'était que du maintien de l'ordre et non la guerre? Après le poste de Sidi- Bader, nous arrivons à celui de Sidi El Hémessi, forteresse française située à la frontière, dans le "Bec de canard", avancée algérienne ainsi nommée en terre tunisienne.
Nous dominant, le poste de Bordj M'Raou.
Tous ces points forts sont tenus par le 153e Régiment d'Infanterie, célèbre unité constituée presque exclusivement de recrues alsaciennes.
Du solide tout comme le 152e et le 151e, les 3/15 qui bénéficient du même recrutement et qui verrouillent eux aussi la frontière au nord et au sud.
Sidi El Hémessi: Encore six kilomètres et nous allons franchir un ponceau, limite de l'Algérie.
Désormais, nous sommes en Tunisie. Les consignes précisent qu'à partir de là, nous devons avoir nos armes approvisionnées mais non armées, afin d'éviter autant que possible tout incident.
Dix kilomètres encore et nous pénétrons en gare de Ghardimaou. Dans cette station, deux gendarmes tunisiens sont sur le quai, nous interdisant d'aller plus loin.
Nous manœuvrons nos engins immédiatement, en attendant le train qui nous suit, tandis qu'un cantonnement de l'armée tunisienne pointe ses mitrailleuses en notre direction, dès notre arrivée.
Nous ne sommes pas certains d' ailleurs que derrière ces armes automatiques, les servants ne soient pas des algériens, des fellaghas tout bonnement.
L'avion T6 nous survole haut dans le ciel. Écoute permanente avec adrénaline au zénith ... Les incidents sont multiples, continuels, non le fait des Tunisiens en général, mais des fellaghas qui viennent nous narguer.
Ils recherchent la confrontation.
Ils approchent des engins, regardent ostensiblement ce qu'il y a dedans, nous insultent.
Causez toujours les amis d'Alger, nous vous donnons rendez-vous à dix kilomètres d'ici! Les Tunisiens subissent la présence de ces intrus.
Ils essaient bien mollement cependant de faire tampon. Ce sont leurs frères de religion.
En effet, tant à Sakhiet, à quarante kilomètres au sud, qu'ici à Ghardimaou en terre conquise, des dizaines de milliers de fellaghas sont à l'entraînement.
Les cheminots, dès l'arrivée du convoi qui nous suit, se mettent sous notre protection en attendant le signal du retour.
Un jour, nous assistons à la scène suivante: Le conducteur du train est un Européen, un Pieds Noirs originaire de Souk-Ahras.
Arrivent deux ou trois djounouds de l'Armée de Libération algérienne.
Lun d'eux arbore deux étoiles sur sa tenue. C'est un lieutenant.
Notre conducteur Pieds Noirs blêmit, car il l'a identifié. Arrogant, bien que non-armé, le jeune officier engage le dialogue:
- Tu me reconnais, Leroy? Ahmed, je suis Ahmed le facteur de la gare de Laverdure entre Souk-Ahras et Bône.
Tu vois, je suis officier de l'ALN. Les voies ferrées dans la région, c'est mon affaire. La dernière attaque près de Laverdure, il y a quelques jours contre les draisines françaises, c'est moi qui la commandait ...
Oh ça oui, nous nous en souvenons: Mon ami, le sergent Louis Sarreo, originaire de Philipppeville, a été pris à partie dans une embuscade de premier ordre.
Une roquette antichar lui a arraché à moitié le bras.
Il est à l'hôpital dans un sale état. Gardera-t-il son membre droit?
Ainsi, sommes-nous les seuls soldats de l'armée française à approcher légalement les rebelles tous les jours.
À peu de distance d'ici, en Algérie, nous nous fusillons joyeusement tandis que de ce côté, des conventions internationales interdisent toutes velléités agressives entre nous.
Des incidents multiples émaillent cependant nos sorties.
Par exemple un jour, le sergent-chef Loichot, chef de mission, descend seul des engins, traverse les quais pour aller consulter le chef de gare qui, lui, ne s'abaisserait pas à sortir de sa tanière et venir jusqu'à nous.
Trop dangereux, le secteur, où des armes tunisiennes sont braquées sur d'autres, les nôtres qui lui font face, où les servants ont le doigt sur la queue de détente.
Loichot est abordé par les pandores tunisiens. Les conventions passées avec leur État mentionnent que nous ne devons pas quitter nos véhicules en portant nos armes.
De même, les fellaghas qui traînent la savate par-là, sont-ils en tenue militaire mais généralement sans arme apparente.
Loichot, prudent, a glissé son colt 45 sous sa veste.
Comme cette arme est relativement volumineuse, elle n'a pas échappé à la vue des "poulets" tunisiens, qui aussitôt, pistolets-mitrailleurs braqués, embarquent sans ménagement notre homme récalcitrant dans les locaux de la station.
Son adjoint est le caporal-chef Ribes, un niçois, ancien du Bataillon de Corée, qui a combattu au sein de ce glorieux corps et s'est illustré contre les nord-coréens et chinois, au côté des Américains en 1953.
Pas très grand, il est animé d'une témérité à toute épreuve. Ceci compense cela! Aussitôt, prise de contact avec le chasseur T6.
Il décrit des cercles très hauts dans le ciel. Sage précaution, car en terre tunisienne, où simplement à l'approche de la frontière, l'avion se voit dans l'obligation de prendre de l'altitude pour éviter d'être abattu.
Maintes fois, lorsqu'il nous survole, il essuie le tir des mitrailleuses rebelles en passant au-dessus de Ghardimaou ou Sakhiet Sidi Youssef, plus au sud.
Manœuvre des engins. Alors que la mitrailleuse de 30 ne quitte pas le cantonnement tunisien de l'autre côté des voies, celle lourde de 50 est en batterie sur le bureau du chef de gare.
Ribes s'en rend maître, et hurle:
- Chef de gare, je compte jusqu'à dix. Si à dix le chef Loichot n'est pas libéré, la ville de Ghardimaou sera bombardée, mise à feu et à sang, détruite.
Tu as compris? Je compte. Un, deux ...
Habitué à faire la ligne, Ribes est connu par ici. Ses antécédents militaires ne sont pas ignorés.
Sa réputation de solide baroudeur fait qu'il mérite d'être pris en considération. On pense donc que les bombardiers B26 risquent effectivement d'apparaître dans le ciel de Tunisie.
Plusieurs fois déjà, après des incidents semblables, ils sont intervenus et leur vue a fait cesser toute velléité. Ribes continue, inexorablement, lentement, d'égrener:
- Trois, quatre, cinq ...
Loichot ne sort toujours pas. Alors, Ribes lâche une rafale de la 50 sur l'édifice de la gare, pan, pan, pan. On entend la cadence inimitable de la mitrailleuse lourde, saccadée, lente, à l'impact profond.
Ça fait mal. Les vitres volent en éclats. Et il reprend son compte posément, laissant le temps aux tunisiens de s'exécuter.
- Six, sept ...
La porte de la gare s'est violemment ouverte, Loichot est expédié sur le quai, projeté plus que jeté. On a dû lui donner de l'élan à l'intérieur.
En courant, tête baissée, il enjambe les voies, rejoint ses équipages. Sans attendre, tous cap à l'ouest, vers l'Algérie.
Pendant que draisine et scout quittent la gare, les mitrailleuses de 30 et le fusil-mitrailleur 24/29 arrosent copieusement la gare afin de laisser un petit souvenir.
Nos amis tunisiens ne perdent rien pour attendre. Encore quelques semaines et la ville de Sakhiet sera bombardée sur ordre du général Salan, commandant supérieur en Algérie.
Guy Chabot, "le plus sale boulot" ISBN 2-915461