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| Sujet: la mort d'un héros Dim Mai 11 2014, 13:25 | |
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La mort d'un héros!! Campagne d'Italie 1943-1944 Témoignage demandé en 1945 par les autorités civiles et militaires de la ville de Taza ( Maroc ), rédigé par l'ex-adjudant chef Antoine Hernandez du 4e RTM, qui participait à l'attaque au cours de laquelle le sergent René S. fut mortellement blessé. Le 1er juillet 1944, pour la paix, pour notre liberté, un jeune Tazi faisait le sacrifice de sa vie.
Le 2ème bataillon du 4ème Régiment de Tirailleurs Marocains fut dissous pour pertes considérables. Le sergent René S. qui en faisait partie, était affecté à ma formation, la 1er compagnie de ce même régiment. Arrivé à l'unité le 17 mai 1944, il nous exprime avec le sourire, sa satisfaction: ''Je suis heureux de venir combattre dans une compagnie de fusiliers voltigeurs, je vais enfin montrer ce dont je suis capable ''. Il considérait avoir été privilégié depuis son engagement dans les opérations d'Italie alors que, spécialiste des transmissions au poste de commandement du 2ème bataillon, il avait avec cran et compétence assuré une tâche difficile et essentielle dans les affrontements. Sa croix de guerre avec 2 citations témoignait de sa brillante conduite au combat, mais son désir avait toujours été de se battre au 1er rang de ligne de feu.
Le 23 mai, au col de Colle Calcarato, on le voit se déplacer sous le feu des mitrailleuses et des obus de chars ennemis pour assurer la liaison entre sections de la compagnie, il participe activement à la capture d'un grand nombre d'Allemands avec la 1er section. Hélas ! Depuis les combats de la veille, les pertes sont à déplorer ; lieutenant N , blessé, sergent-chef C tué, sergent-chef H grièvement blessé, trois sous-offs, chef de section et plus de 30 hommes de troupes tués ou blessés. René demande avec insistance le commandement d'un groupe de combat mais ne peut l'obtenir en raison de ses capacités de spécialiste des transmissions. Le 18 juin René va se placer à la tête d'un groupe de voltigeurs, le Capitaine lui a donné l'autorisation. On le voit alors, au cours de nos progressions, toujours en avant, ouvrant la marche de la compagnie, guidant ses éclaireurs, recherchant et souhaitant le contact avec l'ennemi. Le 26 juin, au cours d'un très sévère accrochage, des hommes tombent, son chef de section est blessé. Il entraîne son groupe dans une manoeuvre hardie. Il surprend nos adversaires en les contournant; ces derniers abandonnent le combat et s'enfuient pour la plupart. Il capture un mitrailleur Allemand avec son arme et permet à la compagnie d'occuper la côte 533. Le 28 juin, incitant ses hommes à aller de l'avant, il repousse l'ennemie posté aux abords du village de San Cuirico. Il réussit à y pénétrer, infligeant des pertes à l'opposant en intervenant lui-même à la mitraillette. Dans la nuit du 29 au 30 juin, il est volontaire pour effectuer avec quatre hommes une patrouille de reconnaissance. Approchant le sommet d'une crête, des guetteurs Allemands tirent dans la direction des '' visiteurs ''. La riposte ne se fait pas attendre et c'est le déclenchement d'une très vive fusillade. Regagnant tous les cinq sains et saufs la compagnie, René donne des renseignements fort utiles sur la position ennemie. Depuis la rupture du front du Garigliano, dans la nuit du 11 au 12 mai, l'ennemi bat en retraite, harcelé par nos formations, mais nous sommes souvent opposés à des résistances farouches, l'infanterie et les blindés Allemands, nous font payer durement nos offensives. Traversant des champs de mines, bien des nôtres aussi ont été tués ou blessés. René s'est fait remarquer par son courage, son allant, son aptitude au commandement et aussi son désir de bien faire. Le 1er juillet, la compagnie a pour mission d'attaquer et d'occuper la ferme de Montemori, belle construction étendue. Vers midi, nous partons vers l'objectif à atteindre. René fait partie d'une section de tête. Un groupe de maisons occupées par des Allemands est situé devant nous à environ 300 mètres. La ferme ce trouve à cinq cents mètres. Nos manoeuvres et le tir précis de nos armes obligent les premiers éléments ennemis à se replier sur la ferme. Nous atteignons les maisons en essuyant des coups de feu de tireurs isolés. René est là, debout; il donne des ordres pour qu'on place à l'abri un de ses hommes qui vient d'être blessé. La compagnie arrête momentanément sa progression, puis le Capitaine M. commande à haute voix: '' Baïonnette au canon ! En avant ! '' et d'un geste du bras indique la direction de la ferme. Nous nous exécutons et partons tous d'un pas rapide. Les hommes de tête arrivent à peu de distance de la ferme lorsque, brusquement, nous sommes accueillis par des feux nourris, des armes qui nous font face et celles des blindés appliquant des tirs sur notre flanc doit. Dans les dépressions du sol, nous nous efforçons de trouver une protection et une position de défense. Nos armes automatiques se mettent en action mais notre progression devient quasiment impossible. Malgré les tirs et les explosions de grenades ennemies, René ordonne à ses hommes de se porter en avant et lui-même fonce courbé, mitraillette au poing. Devant le courage de leur chef, des tirailleurs le suivent, mais hélas ! Sont très vite arrêtés dans leur élan. A une trentaine de mètres de la ferme, René est atteint d'une balle au côté droit de la poitrine, il tombe, se relève avec peine, fait quelques pas et tombe à nouveau frappé de deux balles au bras droit et à la jambe droite.
En exécutant des bonds courts et successifs dans des moments que je juge opportuns, je parviens à rejoindre René. Il ne désire pas être secouru. Se sachant perdu, il ne veut pas que l'on risque sa vie pour lui. Il me le fait savoir et ajoute; ''Sois prudent Antoine, tu es marié toi et tu as un enfant '' puis en pensant à ceux qu'il affectionne, il me dit: « je sais que je vais mourir, mais je n'ai pas peur, dis à mes parents qu'ils ne s'en fassent pas ».
René est sur le dos, sa tenue de combat est entachée de sang à la hauteur du bras droit et de la cuisse droite. La balle qui à frappé à la poitrine est ressortie au bas des côtes. Son blouson relevé en cet endroit laisse apparaître une plaie béante ( cette blessure s'explique par la trajectoire de la balle tirée des hauteur de la ferme et de la position de René, courbé lorsqu'il est touché ). Près de René, couché à plat ventre, je ne peux faire le moindre geste sans essuyer des coups de feu. Je m'immobilise pour faire croire à l'ennemi que je suis touché. René crie: « Antoine ! Antoine ! Tu n'as rien ? » « Non René, il tirent sur moi si je bouge. » Il fait très chaud, des mouches se sont posées sur le visage de René et j'entends: « Vois les mouches, elles commencent à sentir le cadavre ». Je veux le détourner de sa pensée; « Tes blessures ne sont pas graves René, tu seras bientôt près des tiens avec des décorations bien méritées ». « Non je suis fichu, si tu t'en sort, dis bien à mes parents que je n'ai jamais eu peur et que je n'ai pas peur de ce qu'il va m'arriver ».
Ses parents, il sait que plus jamais il ne les reverra et dans son désespoir il songe à atténuer sa peine. Malgré sa grande souffrance, au milieu d'une odeur de poudre, le bruit fracassant de la mitraillade et des explosions de grenades, René démontre un courage stupéfiant. Nos adversaires, bien organisés dans leur défense, neutralisent tout mouvement.
Menacés de très près, René et moi évitons de bouger. Soudain, les tirs s'accentuent de part et d'autre, c'est la troisième compagnie de notre régiment qui, venue en renfort, attaque l'ennemi sur notre droite. Une petite accalmie se produit de notre côté. J'en profite pour tenter de porter René à l'arrière pour permettre son évacuation. J'ordonne à trois hommes de venir m'aider, comme nous faisons fréquemment; un brancard est réalisé très rapidement avec une toile de tente et deux fusils. René est déposé avec précaution sur le brancard. Nous sommes face à l'ennemi, quand tout à coup les tirs reprennent dans notre direction; Le tirailleur L qui tenait le brancard de la droite est frappé au ventre par une rafale d'arme automatique et meurt sur le coup.
Grâce à l'intervention de la 3è compagnie et au feux conjugués de nos armes, dans un dernier assaut nous pénétrons dans la ferme et capturons une dizaine d'Allemands dont un Officier blessé. De nombreux éléments ennemis ont réussi à s'échapper. Nous portons René dans un local de la ferme où, un peu après il recevra les premiers soins du médecin du bataillon. Des blessés en grand nombre seront soignés avant leur évacuation.
Le terrain est jonché de corps inanimés dont celui du sergent-chef D. chef de section de René . Evacué, René décédait la nuit dans un hôpital de campagne. Il disparaissait à l'âge de vingt-et- un ans, après avoir donné l'un des plus beaux exemples de courage et de sacrifice. Sa présence à la 1er compagnie fut de courte durée, un mois et demi. Il avait obtenu durant quatorze jours ce qu'il désirait tant: commander un groupe de combat.
Véritable héros de la bataille d'Italie, il était né le 15 juin 1923 à Taza (Maroc ). L'honneur qu'il avait reçu de sa ville natal lui valu une rue appelée: « Rue du sergent René Ségura, mort pour la France ». L'inauguration eut lieu le 21 décembre 1946.
Antoine Hernandez
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