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 Aspects du soutien aérien dans la bataille de Diên Biên Phû.

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MessageSujet: Aspects du soutien aérien dans la bataille de Diên Biên Phû.   Aspects du soutien aérien dans la bataille de Diên Biên Phû. Icon_minitimeVen Mar 28 2014, 13:11

Aspects du soutien aérien dans la bataille de Diên Biên Phû


Auteur
Philippe Gras
Docteur en histoire.



Avec le déclenchement imminent de la bataille de Diên Biên Phû, que souhaite le commandement français, s’engage la dernière et la plus douloureuse phase de la guerre d’Indochine. Pour l’armée de l’Air, la problématique de cette bataille est de connaître son engagement véritable, ses limites d’utilisation dans le respect du contrat « Terre-Air » de novembre 1953[1]

2 Ce fameux contrat est un point capital de l’histoire aérienne de Diên Biên Phû. Au terme de difficiles négociations, l’armée de l’Air s’est engagée à fournir les 65 t/jour si la piste reste dégagée. En retour, l’état-major de l’armée de Terre prend l’engagement de garder la piste ouverte. Or, la piste n’est plus praticable après une semaine de bataille ! Dans ces conditions, la mission était-elle réalisable ?

3 Pourtant les alertes préalables sont nombreuses ; l’action de l’aviation est mise en cause dans ses capacités à défendre le camp, et ce bien avant le début de la bataille. Lors des coupures des voies de communications, l’EMIFT (état-major interarmées en Indochine) et le général Cogny (commandant en chef au Tonkin) avaient déjà critiqué les résultats des bombardements des B-26 sur les voies viêt-minh menant à la cuvette[2]

4 Le général Navarre, commandant en chef en Indochine, admet a posteriori l’impossibilité pour l’armée de l’Air d’obtenir une coupure totale des ravitaillements viêt-minh avec les moyens aériens du Groupe aérien tactique, GATAC/nord[3]
En reconnaissant que les moyens n’étaient pas à la hauteur des demandes, le commandant en chef « lave » en partie l’armée de l’Air de la faute de Diên Biên Phû.

5 L’essence de cet article est donc de cerner certains paramètres, qui rendirent cette opération irréalisable pour les forces aériennes, que ce soit pour des raisons structurelles ou en raison de l’évolution des conditions du combat.
L’enjeu de Diên Biên Phû

6 À la fin du mois de janvier 1954, la division 308 et des éléments de la 316 quittent la vallée de Diên Biên Phû pour se diriger vers Luang Prabang et le Laos. Les objectifs de Giap semblent multiples, car plusieurs possibilités sont offertes aux divisions viêt-minh[4]
L’objectif final, selon les FTVN, est de débuter l’asphyxie du camp par la coupure de Muong Saï. Le général Navarre fait larguer un bataillon sur le poste et ordonne aux maquis du colonel de Crevecœur de se déplacer vers le nord, la vallée de la Nam Bac, et Muong Saï. Le détachement de B-26 de Ventiane, ainsi que celui de Seno sont en alerte pour intervenir sur Muong Saï.

7 Il est évident que la période allant de la mi-janvier au début du mois de février 1954 est un moment de « flottement » pour le général Navarre au sujet du rapport entre Diên Biên Phû et les objectifs de sa stratégie. Il envisage même un allégement rapide de la garnison de Diên Biên Phû en cas de repli viêt-minh[5]
Pour vérifier le retour des grandes unités et notamment celui de la division 312, Cogny ordonne les opérations de « reconnaissances profondes », qui sont davantage des sorties de tests, dans lesquels les hommes des GAP jouent le rôle d’appât. Ces sorties sont suffisamment coûteuses en hommes pour que la réponse soit positive[6]
La situation d’incertitude se poursuit durant tout le mois de février. Si le général Navarre se dit décidé à livrer bataille à Diên Biên Phû, il prépare les opérations en cas de retrait du dispositif de siège[7]

8 La situation internationale est un argument souvent proposé et qui pèse d’un poids certain dans l’analyse du « retrait » de Muong Saï. La conférence de Berlin sur le règlement des questions allemandes s’est achevée le 22 février, sur un constat d’échec, mais également sur la promesse de se retrouver à partir du 26 avril à Genève. Avec l’annonce de la conférence de Genève, Diên Biên Phû devient un enjeu politique de premier ordre.

9 Le retour des forces de combat vers la cuvette est en tout cas la preuve que le commandement viêt-minh se recentre complètement sur Diên Biên Phû. Durant le mois de février, des signes attestent de l’accélération des travaux préparatifs de la bataille. De nombreuses tranchées sont creusées, qui forment un véritable réseau de communications autour du camp. Ces faits sont attestés par les photographies aériennes des F-8 F de l’EROM (Escadrille de reconnaissance d’outre-mer)[8]
Les livraisons de matériels chinois semblent s’accélérer, fruits de demandes plus importantes pour préparer la bataille. Les rapports français parlent de matériels lourds, de DCA et d’artillerie[9]
Les ultimes préparatifs confirment à quel point la DCA va être le principal obstacle aux opérations de l’armée de l’Air. Le colonel de Castries constate que les batteries viêt-minh se sont révélées à plusieurs reprises à partir du début du mois de mars[10]
Il rejoint dans sa préoccupation les craintes de Navarre que le camp ne soit : « étouffé par l’artillerie et la DCA »[11]

10 La bataille se déclenche à la date prévue par les services de renseignements français, le 13 mars. À partir de cette date, et jusqu’à la chute du camp, le 7 mai, l’aviation du GATAC/nord assure les missions principales de soutien et d’appui du Groupement opérationnel nord-ouest (Diên Biên Phû), le GONO, en fonction des différentes phases. Les conditions météorologiques sont capitales dans le déroulement de la bataille. Leurs évolutions ont un impact direct sur les actions de l’aviation. Dès le mois de février, le temps de la mousson d’hiver s’est installé sur la haute région, ce qui interrompt le pont aérien, comme cela avait été envisagé, sinon prévu, par les généraux Dechaux et Bodet. La situation est caractérisée par un ciel nuageux et des plafonds bas, tandis que des passages de fronts froids laissent derrière eux des éclaircies[12]
La situation climatique des 12, 13 et 14 mars est peu favorable aux opérations aériennes, car la mousson gagnant le nord du Laos donne des orages sur Diên Biên Phû, et un temps généralement lourd, avec un plafond bas, de 0 à 300 m sur la cuvette[13]

LA PERTE DES PREMIERES COLLINES

Les désastres de mars : les Points d’appui (PA) Nord

11 Comprendre la bataille de Diên Biên Phû revient à se placer du côté de Giap plutôt que sur le GONO puisque celui-ci ne va, pendant cinquante-sept jours, que subir la stratégie viêt-minh. Or, il est évident que Giap prend l’aviation comme principal adversaire pour le début de la bataille. Il sait, tout comme de Castries, que le pont aérien est le cordon ombilical qui relie le GONO à l’ensemble du dispositif français en Indochine. Dans une lettre adressée au général Cogny, de Castries écrit cette phrase, prophétique et révélatrice : « Diên Biên Phû, c’est un peu Verdun, mais sans profondeur et sans la voie sacrée. »[14]

12 Couper le pont aérien revient à gagner la bataille, en asphyxiant et affamant le camp. Ce postulat explique les actions viêt-minh avant le déclenchement des combats et les objectifs des premières attaques. Le 31 janvier 1954, un commando viêt-minh s’est introduit sur la base de Doson (où sont révisés les C-47), pour les détruire. Plusieurs Dakota sont incendiés ou endommagés ; quelques jours avant la bataille, des commandos ont attaqué des aérodromes français du delta (Gialam le 5 mars, Cat Bi le 6 mars), détruisant plusieurs avions[15]
Les objectifs viêt-minh semblent clairs. Ils visent le potentiel aérien français de ravitaillement et d’intervention sur Diên Biên Phû. Les objectifs de l’artillerie viêt-minh à Diên Biên Phû confirment cette hypothèse.

13 Dès le 11 mars, des pièces camouflées (et notamment le fameux « 75 japonais ») prennent la piste, les stationnements et les aires de dispersion sous leur feu[16]
Un avion de transport C-119 est détruit le 11, un Morane 500 le 12 et un Curtiss Commando civil le 13 mars. Durant ces trois jours, des obus tombent autour des alvéoles des avions, autour du point central. Un chasseur F-8 F Bearcat du I/22 Saintonge est détruit par un obus le 13 mars, de même qu’un dépôt d’essence pour avion. Le poste de commandement d’intervention aérienne, PCIA « Torricelli », du capitaine Charnot est touché à huit reprises par l’artillerie viêt-minh. Le stationnement des avions dans le camp devient problématique, avant même le début de la bataille. L’artillerie viêt-minh touche deux C-47 du groupe II/64 (le Novembre-Hôtel et le Novembre-Québec) en stationnement sur le bord de la piste. Mais les deux appareils parviennent à s’échapper lors d’une accalmie, en évitant ainsi la destruction et l’encombrement du « tarmac ». Le décollage des deux avions du S/GMMTA est dû uniquement aux équipages, qui, couchés dans une tranchée, étudient les rythmes des salves[17]
De nombreux autres avions sont touchés par les éclats de l’artillerie ou par la DCA, le 13 mars 1954. Avant même toute attaque terrestre, le pont aérien est mis en difficulté[18]

14 Le « mythe » d’une aviation opérant depuis le GONO s’effondre. Le 13 mars, le général Lauzin autorise les équipages à prendre des « risques exceptionnels »[19]
Cette phrase, mal perçue par les aviateurs, est à analyser dans le délicat contexte de la bataille de Diên Biên Phû et des relations interarmées. Lauzin semble davantage vouloir persuader l’EMIFT et l’État-major de Navarre de la bonne volonté de ses hommes, à la veille de la bataille décisive pour le CEFEO, que de haranguer les équipages. La phrase est avant tout destinée à l’armée de Terre, et non aux aviateurs, qui prennent des risques exceptionnels depuis longtemps, à Diên Biên Phû et ailleurs[20]

15 Giap a compris que l’artillerie ne peut pas obtenir seule la rupture du pont aérien. Il faut, pour lutter contre le ravitaillement aérien, interdire le ciel aux avions. La prise des PA/nord et la transformation de ces collines en plates-formes de DCA peuvent-elles arriver à ce résultat ?[21]
Les circuits d’atterrissage des avions passent à la verticale ou sur le côté de ces PA. De plus, les PA/nord offrent une vue directe sur le CR (Centre de résistance). La prise des points éloignés est donc à l’évidence une obligation première pour Giap, et une possibilité de se débarrasser rapidement de l’ennemi aérien français. Davantage encore que pour le CEFEO, Diên Biên Phû est pour le Viêt-minh une bataille aérienne.

16 Grâce à plusieurs informations, de Castries sait que l’attaque était prévue pour le 13 mars en fin d’après-midi. Il connaît même l’heure exacte : 17 h 30. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que la position, tenue par un bataillon de Légion, allait succomber en une nuit. Il est probable également que la prise de Béatrice est psychologiquement importante pour Giap. La Légion étrangère jouit en Indochine d’un prestige immense. Le choc de la perte d’un bataillon de Légion (et pas n’importe lequel, le I/13 DBLE) peut entraîner la démoralisation de la garnison[22]  Après le mythe de la base aéroterrestre, c’est le mythe du camp retranché imprenable qui allait s’effondrer en une nuit.

17 Dès le début de la bataille, les troupes viêt-minh attaquent en force Béatrice. En dépit de ses fortifications et de sa solidité, la position tombe la première nuit. Le lendemain, 14 mars, Gabrielle tombe aussi, après des combats acharnés.

18 Les opérations aériennes sur la cuvette se passent dans des conditions délicates, du fait de l’importance des moyens déployés. Les C-47 embarquent des « lucioles » pour épauler les défenseurs de nuit, alors que les chasseurs de l’aéronavale bombardent des emplacements d’artillerie, désignés le plus souvent par des fumigènes. Malgré le courage des Pingouins de l’aéronavale, qui plongent leurs F-4 et S B D sur les contours des PA, les liaisons sont mauvaises avec le sol. Le PCIA « Torri rouge » est débordé par le nombre d’appels et celui des avions dans le circuit.

19 Dès le 14 mars, la faiblesse du guidage radiogoniométrie est évidente sur Diên Biên Phû, d’autant plus que le plafond nuageux est à moins de 300 pieds[23]
L’appui aérien important au profit de Diên Biên Phû désorganise également les bases du Tonkin. Les chasseurs de l’aéronavale reçoivent des consignes pour se poser à Cat Bi, car le porte-avions Arromanches est noyé dans le brouillard du golfe du Tonkin. Mais la base n’est pas préparée à cet afflux, nouvel exemple des erreurs de Diên Biên Phû. Le désordre le plus total règne aussi sur le circuit de Cat Bi, où tous les avions à court d’essence cherchent à se poser rapidement. Dans la crasse qui recouvre aussi le delta, de nombreux avions volent à ras de terre pour se repérer aux lumières des rues de Hanoi ou de Haïphong. La multitude et le désordre de Cat Bi entraînent des accidents aériens. Deux B-26 du I/19 se télescopent en vol[24]

20 Mal engagée dans la cuvette, la bataille aérienne l’est également dans le delta, faute de préparations et de prévisions. La non reprise de Béatrice dans la nuit, ou au matin du 14 mars est la première erreur stratégique de la bataille, erreur du commandement du GONO, peut-être « abusé » par les demandes de trêves pour les blessés. Le seul point « positif » est la prise de conscience de l’incertitude nouvelle quant à la victoire finale. En autorisant le parachutage d’un bataillon supplémentaire, Cogny admet l’urgence de renforcer le camp. Le 5e BPVN du capitaine Botella est largué le 14 sur les zones de largage (DZ) sud du camp. Après une réunion avec ses subordonnés (dont le général Bodet), Cogny décide d’envoyer de nouveaux renforts à Diên Biên Phû, et également d’intensifier le pont aérien[25]
Le « contrat Terre-Air » de novembre 1953 s’évanouit-il dans les ruines de Béatrice ?

21 Le 17 mars, le 3e PA/nord, Anne-Marie, est évacué. La bataille pour les PA/nord est perdue en une semaine. Malgré l’évolution rapidement défavorable de la bataille, l’armée de l’Air parvient encore à assurer les transports quotidiens. Les C-119 Packet larguent leurs 30 t de charge alors que les C-47 parviennent à se poser dans la journée pour emporter les blessés et décharger du sang.

22 Paradoxalement, les mauvaises conditions météorologiques servent les intérêts des aviateurs, pour peu qu’ils se risquent à percer sur la cuvette aux instruments, mais il est évident que la coupure de la piste peut rompre à tout moment le fragile équilibre des ravitaillements. La seule lueur d’espoir dans cette semaine sombre pour le GONO est le largage sur Diên Biên Phû du 6e BPC de Bigeard[26]
Si le largage du bataillon le 16 mars est un réconfort pour la garnison, il marque l’inquiétude du commandement sur l’avenir du camp retranché. Durant cette période, les chasseurs et les bombardiers interviennent quotidiennement en appui des garnisons isolées

23 Les opérations aériennes se révèlent particulièrement dangereuses, voire désastreuses, du fait de l’artillerie ennemie. La DCA viêt-minh est active depuis le 13 mars et inflige aux avions des pertes, et surtout pour ceux situés à Diên Biên Phû. Les chasseurs, qui devaient décoller dès les premières attaques viêt-minh et constituer la base de l’appui aérien, sont pratiquement cloués au sol, du fait de l’activité de la DCA et à cause de problèmes mécaniques. Plusieurs avions sont détruits au sol dans leurs alvéoles, des Criquet et des hélicoptères. Grâce aux PA conquis, la DCA viêt-minh prend position à moins de 3 km du CR, sur le circuit d’atterrissage et dans l’axe même de la piste.

24 La piste est donc sous le feu de l’artillerie viêt-minh depuis la prise de Béatrice et Gabrielle. Bien que Béatrice ne soit occupé par l’artillerie et la DCA que le 20 mars. Les conditions d’envol des avions deviennent rapidement intolérables, et les ravitaillements doivent dès ce moment être envisagés uniquement par parachutages. Outre la perte de deux bataillons et la démoralisation de la garnison, la perte des PA éloignés a d’autres conséquences. Les positions d’artillerie « offertes » par les collines conquises représentent autant de positions non utilisables pour la contre-batterie française, selon une technique de « vases de communications »

.25 Le PA Béatrice était couvert par les canons lourds de 155 mm d’Éliane qu’il faut rapatrier dans le réduit central, amenuisant l’efficacité des pièces et aussi leur vision[28] [28] P.  Rocolle, Pourquoi Dien Bien Phu, op.  cit. ,...suite. La prise des positions nord permet par contre au Viêt-minh de toucher le CR avec toutes ses pièces, alors qu’il ne pouvait le faire avant le 13 mars qu’avec ses pièces de 105 mm. Durant toute cette partie de la bataille, le PCIA garde le contrôle des interventions aériennes. Bien que touchées par les bombardements, les installations de liaisons (Bacon et Gonio) sont remises en état par le détachement de l’armée de l’Air du camp et vont fonctionner jusqu’à la fin. « Torri rouge » assure les guidages des avions sur les PA, et également les permanences des Dakotaluciole[29]

26 Le général commandant le GATAC/nord transmet aux unités aériennes un message dans lequel il leur demande de fournir un effort maximum[30]
Les transports du S/GMMTA poursuivent leurs opérations de parachutages d’hommes et de matériels, mais les pertes du fait de la DCA les contraignent à relever les altitudes de parachutages et à tester des systèmes d’ouvertures retardées, lesquels vont donner des résultats mitigés au début. De même que le rétrécissement des zones de largage, le « relèvement » des hauteurs minimales est un autre facteur handicapant pour les transports. L’addition des deux obstacles peut déboucher sur la rupture du pont aérien.

27 Durant cette première période de crise, l’aviation de transport participe aussi aux interventions de feu sur la cuvette. Les Dakota chargés de touques de 20 litres de napalm attaquent les lieux présumés des concentrations viêt-minh (opération Vénus du 25 mars), et les C-119 du détachement Packet opèrent de même (opérations Junon et Minerve }

28 Les renseignements tirés de ces opérations ne paraissent pas concluants, et surtout pas de nature à empêcher la progression des unités viêt-minh vers les PA. Le choc psychologique attendu de ces largages de napalm ne produit pas son effet, comme cela avait été le cas dans les batailles de 1951 pour le delta. Le Viêt-minh a appris l’art du camouflage et des protections souterraines aux attaques aériennes. Ces interventions alourdissent encore la charge de travail des groupes de transport qui doivent faire face, à partir du 20 mars, à toutes les missions de ravitaillement du camp.

29 La perte des centres de résistance éloignés fait craindre le pire pour les responsables militaires et politiques, en France et en Indochine. Dès ce moment, l’exubérance de la victoire laisse la place à un pessimisme total. Bien que la position officielle soit également de considérer que la mauvaise tournure des événements ne saurait préjuger de l’avenir, le mot de défaite fait son apparition dans les communiqués secrets[32]
La fin du mois de mars fait apparaître la problématique du ravitaillement par air du camp comme fondamentale dans la conception de la bataille.

Les difficultés des ravitaillements aériens

30 La difficulté principale réside dans le fait que les PA/nord sont perdus à partir du 17 mars et que la piste est inutilisable à partir du 20 mars. Alors que les ravitaillements utilisaient les deux types de poser (parachutages et atterrissages), les parachutages seuls sont à présent possibles. D’autres paramètres vont enlever encore de la marge de manœuvre à l’aviation. Avec la DCA viêt-minh, installée sur les positions conquises, les avions doivent larguer à des altitudes de plus en plus élevées :

31 Un C-47 est obligé d’orbiter pendant une demi-heure pour lâcher les 2,5 t de sa cargaison, alors que le C-119 peut larguer ses 4 t en un seul passage, grâce à ses portes arrière.

32 La principale inquiétude de la fin mars concerne les dotations en obus. Les appuis d’artillerie des premières semaines de la bataille ont considérablement fait baisser les stocks d’obus, dont les consommations ont été calculées sur les bases de Na San ; les transports doivent parachuter des obus de 105 en priorité. La question des ravitaillements de la garnison devient une urgence vitale et de la responsabilité unique mais accablante de l’aviation de transport[33]  Le ralentissement de la fin mars permet de compléter les stocks à 5 unités de feu. À partir de cette date, les ravitaillements en obus qui proviennent des parachutages deviennent aléatoires. Les conditions de la bataille imposent des consommations en obus de tous calibres. Lors de la seconde série d’attaques, fin mars, 500 t d’obus sont dépensées, chiffre qui fait baisser les stocks du camp. Les batteries de 105 et de 155 ne disposent d’une seule unité de feu, alors que les mortiers de 120 n’en ont pratiquement plus. Le 6 avril, la situation est telle que le commandement du GONO prévoit une seule journée de combat avant l’épuisement total des réserves[34]

33 Les tentatives de posés, à partir du 17 mars représentent de véritables « missions suicides » pour les équipages. Le 17 mars à 13 h 30, le C-47 Zoulou du II/62 (lieutenant De Ruffray) parvient à se poser. Il embarque 32 blessés et redécolle au milieu des explosions de mortiers. Le même jour, le C-47 Zoulou Tango du commandant Darde réussit le même exploit, mais doit redécoller aussitôt, à vide et avec 19 impacts dans la carlingue. Le vendredi 19 mars, en fin de matinée, le lieutenant De Biswang est le dernier à poser son C-47 à Diên Biên Phû. Il parvient à faire monter 23 blessés à bord avant de redécoller, « poursuivi » par la DCA. Les risques énormes pris par les équipages pour se poser sous le feu de l’artillerie et de la DCA contredisent une partie des griefs du commandant en chef sur l’attitude et la combativité des aviateurs à Diên Biên Phû[35]

34 Les « grèves » des pilotes de la CAT (Confederate Air Transport) fin mars et début avril sont également des preuves que l’action des pilotes du S/GMMTA n’est pas à mettre en doute. Les mercenaires (américains) du général Chennault, qui sont pourtant pour certains des vétérans de la Seconde Guerre mondiale ou de la Corée, vont refuser par deux fois de revenir sur Diên Biên Phû. Bien que payés à prix d’or (35 dollars de l’heures de vol !) les mercenaires de la CAT ne veulent plus affronter la DCA viêt-minh sur la cuvette, qui serait selon les témoignages : « Pire que la Flak sur la Ruhr... »[36]

35 Les exploits de quelques pilotes ne sauraient masquer la réalité de la situation. La piste est à présent inutilisable. Le calvaire des défenseurs du GONO et surtout des blessés commence véritablement à partir de cette date. Les généraux Navarre et Cogny, déjà pessimistes sur l’issue de la bataille, comprennent que la fermeture de la piste signifie l’asphyxie du camp retranché à brève échéance par manque de ravitaillements et de renforts et aussi à cause des blessés qu’il devient impossible d’évacuer. Il s’ensuit une période de tensions, significative de dégradations des rapports entre armée de Terre et armée de l’Air et représentative de l’attitude de l’EMIFT à l’égard de l’aviation. Le général Navarre adresse à Lauzin une lettre acerbe sur l’action de l’aviation à Diên Biên Phû[37]

36 Ces remarques sur l’attitude négative des aviateurs à l’égard de leurs camarades au sol atteste d’une méconnaissance totale, sinon d’un mépris certain pour les risques encourus par l’aviation sur Diên Biên Phû. La programmation de la défaite semble détourner Navarre de ses responsabilités de commandant sur l’aviation, et surtout le transport. L’étude des tonnages livrés à Diên Biên Phû durant la bataille dément les affirmations du « généchef » :

37 Les transports du S/GMMTA déposent ou larguent, en cinquante-six jours de combats :

38 — 1 416 t de jour, à basse altitude (300 m), dont une petite partie pendant que la DCA est neutralisée ;

39 — 12 t à moyenne altitude sans dispositif pyrotechnique retard (pertes importantes) ;

40 — 1 697 t en altitude avec dispositif retard ;

41 — 150 t de nuit à basse altitude[39]

42 Le nombre de missions de transport du S/GMMTA sur la cuvette est lui aussi éloquent, et en totale contradiction avec les affirmations du général Navarre sur l’action de l’armée de l’Air, bien que la moyenne des livraisons journalières soit inférieure de 20 à 30 % aux prévisions du général Lauzin de novembre 1953 ; mais elles ont été annoncées avec une garantie totale de la sécurité de la piste

43 Le nombre des sorties de l’aviation sur la cuvette, ainsi que les tonnages transportés durant la bataille prouvent que l’aviation n’a pas failli à sa tâche, même si les chiffres généraux sont inférieurs aux prévisions. Les conditions de l’échec de l’aviation sont à chercher dans d’autres domaines, telles que la gestion du GATAC Les autres problèmes du ravitaillement aérien sont liés aux conditions de la bataille, à la DCA viêt-minh qui interdit le ciel aux transports et au resserrement du camp, qui rétrécit les zones de largages.

44 Depuis le 23 mars, le général Cogny a créé un centre de coordination des feux qui réunit deux fois par jour, à Hanoi, les responsables des forces terrestres du Nord-Vietnam et le GATAC. Ce centre est destiné à rationaliser les interventions de l’aviation, par rapport aux demandes du GONO, aux disponibilités de l’armée de l’Air et aux autres impératifs de l’aviation en Indochine[41]
. Malheureusement, ce comité de gestion interarmées des actions aériennes ne permet pas à lui seul d’avoir des résultats, tant les demandes du PCIA prennent le pas sur toute tentative de restriction. Depuis le mois de mars, Diên Biên Phû a la priorité des moyens aériens, accordée par Cogny lui-même, ce qui annihile les volontés de coopération entre états-majors[42]

45 La coopération entre les états-majors, pour véritablement être efficace, aurait dû à l’évidence être une des bases de la guerre. Or la tentative de Cogny date du 23 mars, alors que Béatrice, Gabrielle et Anne-Marie sont déjà tombés.

LES ALÉAS DU RAVITAILLEMENT PAR PARACHUTAGE

46 L’impossibilité d’utiliser le terrain oblige à trouver de nouveaux moyens de ravitaillements, car le GONO dépense toujours plus de munitions qu’il n’en reçoit. À cette surconsommation en obus, s’ajoutent progressivement les aléas des parachutages. Cette dispersion des largages est avant tout due aux diminutions des zones de largage. La perte des points d’appui nord-est aussi en cause, de façon directe. En ouvrant le périmètre du camp à sa DCA, le Viêt-minh interdit les largages de jour. Pendant un temps, les transports peuvent utiliser la piste de nuit, en usant de « ruses ». Tandis que des avions interviennent sur des points d’appuis viêt-minh, pour masquer le bruit des moteurs, des C-47 se posent sur la piste pour embarquer des blessés. Entre le 20 et le 28 mars, 18 avions évacuent 316 hommes, qui encombraient les salles de soins du GONO. Mais le système est compris quand un PA français envoie une fusée éclairante alors qu’un C-47 est sur la piste[43]

47 Les pertes des points d’appui/est, Dominique et Éliane, entament le centre de résistance même, et donc la surface des zones de largage (DZ). C’est la « peau de chagrin » de Diên Biên Phû, problème qui devient insoluble pour le S/GMMTA. Plus les C-47 larguent de munitions sur le camp, plus la proportion d’obus « livrés » au Viêt-minh augmente : « Les parachutages ennemis constituaient une source non négligeable de fournitures, qui nous tombaient littéralement du ciel. »[44]

48 Les erreurs de largage provoquent non seulement des manques, mais aussi des tensions entre les combattants au sol et les aviateurs. Le 6 avril, un C-119 qui largue sa cargaison complète (dont 2 canons de 75 mm sans recul, des obus, du sang et des accumulateurs) entre les lignes provoque chez Langlais « une moue de dégoût »[45]  Ces erreurs sont d’autant plus graves que les stocks d’obus baissent dangereusement. Lors de la bataille du début avril, les stocks français en obus sont en déficit complet, à tel point que des unités n’ont plus aucun obus de 60 ou de 81 éclairants dans la nuit du 6 au 7 avril. Dans ces conditions, il est aisé de comprendre le désespoir des défenseurs quand les C-119 Packet larguent la totalité de leur chargement (18 t d’obus de 105 mm) dans les lignes viêt-minh le 7 avril. Il semble que le Viêt-minh ait reçu (en caisses) durant toute la bataille 3 500 obus de 105 mm, 4 000 obus de 75 mm et 7 000 obus de mortier de 60 et de 81 mm.

49 Les conditions d’intervention de l’aviation début avril mettent en exergue le décalage important entre la situation « idéale », issue des accords de 1953 et la réalité du mois d’avril 1954. La DCA viêt-minh est devenue tellement efficace qu’elle est, à partir de la fin du mois de mars, capable d’interdire le ciel aux transports du S/GMMTA de jour. Le parachutage à basse altitude (autour de 300 m) pour favoriser le regroupement des colis devient vite très dangereux, car un C-47 doit effectuer en moyenne 12 à 15 passages pour larguer sa cargaison. À vitesse réduite, les avions sont des cibles idéales pour les artilleurs. En huit jours, trois avions de transport ont été abattus et plusieurs autres touchés. Dès le 17 mars, le colonel Nicot impose des altitudes de sécurité : 1 500 m pour être à l’abri des mitrailleuses de 12,7 mm et 2 800 m pour les canons de 37 AA[46]

50 Contrairement aux affirmations du colonel Rocolle, la décision du colonel Nicot n’est pas pour favoriser le confort des équipages, ni la preuve du manque de combativité des équipages, mais une nécessité absolue pour continuer le ravitaillement sur la cuvette. P. Rocolle explique ainsi aisément les faiblesses de l’armée de l’Air (altitudes de largages, insuffisance des bombardements, rupture du pont aérien en cas de météorologie défavorable) par « la lâcheté et la prudence » des aviateurs[47]

51 Si les parachutages doivent continuer, il faut trouver de nouvelles solutions, sans quoi le pont aérien risque de s’arrêter. Des procédés de parachutages à haute altitude, avec système d’ouverture retard, sont expérimentés à partir du 20 mars. Le premier système de largage utilise un avion P. C. qui détermine le vent et ordonne les largages « au top ». Mais les résultats sont mauvais, car les mises à feu fonctionnent irrégulièrement et le vent disperse les colis. Les parachutages à haute altitude avec ouverture retard entraînent la perte de 20 à 40 % des largages[48]
Le meilleur système de largage est inventé en France, à l’École des troupes aéroportées de Pau, et envoyé en urgence en Indochine à la fin du mois de mars[49]
Il consiste en une ouverture retardée, avec une mise à feu grâce à un système de pyrotechnie. La mise à feu entraîne l’ouverture de la toile, ce qui annihile les effets du vent sur le vol. Malgré des taux d’échecs conséquents (15 à 20 % des parachutes ne se déployaient pas ou se mettaient en torche), le procédé est employé durant toute la bataille, faute de possibilités, et à des altitudes de plus en plus élevées avec des résultats finalement satisfaisants[50]
Mais les systèmes de largages à ouverture retard ne constituent pas la panacée pour le camp retranché, les essais sont parfois peu concluants, alors que la DCA oblige les appareils à une altitude minimale de 800 m.

52 De la fin mars au début avril, les dotations effectives tombent à 90 t par jour quand la météorologie le permet. Pour le camp, c’est l’étouffement à brève échéance. Depuis la fin du mois de mars, le colonel Nicot a décidé de garder les équipages détachés au détachement Packet, alors qu’ils devaient rejoindre leurs unités, pour le 1er avril. Le 23 mars, le détachement Packet est au complet. Depuis le mois de novembre 1953, et suite à de nombreuses tergiversations entre Français et Américains, six avions C-119 sont arrivés en Indochine. Leur mission est la fois de participer aux opérations de ravitaillement et de former des pilotes français sur ce type d’avion[51]
À partir de décembre 1953, le nombre est porté à 15 appareils, pilotés par des Français détachés des GT et des mercenaires américains de la CAT. La France possède cinq avions en novembre 1953, six en avril 1954 et dix en mai. À partir du 1er mars, et suivant des procédés « particuliers » qui attestent de la spécificité de cette guerre, le général Chennault envoie 12 équipages américains, pour piloter les C-119 aux couleurs françaises, sur la cuvette, à partir du 1er mars. Les hésitations politiques sur l’emploi des mercenaires sont levées par les obligations du combat. Malgré leurs « grèves », les Américains participent aux côtés des Français aux ravitaillements quotidiens pour le GONO (500 t sont livrées par la CAT entre mars en mai 1954). Les Américains sont touchés 41 fois par la DCA viêt-minh et un de leurs équipages est abattu, le 6 mai 1954[52]

53 Le 6 avril, la situation est la plus grave : des stocks de vivres pour deux jours et 2,5 à 4 unités de feu pour les pièces. Grâce à un effort important de l’aviation de transport, les dotations reviennent à des niveaux plus corrects à partir du 20 avril. En trois semaines, l’aviation largue 3 500 t de vivres et de matériels sur le camp, dont 75 % sont ramassés par les défenseurs. Les évolutions de la bataille font tomber les largages à 800 t au début du mois de mai, alors que seule une faible partie (de 20 à 30 %) est récupérée[53]
Le combat est totalement inégal entre l’aviation et le Viêt-minh, principalement à cause de la réduction de la surface du camp retranché de Diên Biên Phû, qui oblige à des prodiges pour centrer les colis sur les PA[54]

54 À partir du 25 avril se pose la question cruciale, qui n’est plus de savoir si la victoire est possible à Diên Biên Phû, mais combien de temps le camp peut-il encore tenir ? Pour l’armée de l’Air, les consignes sont inchangées, il faut principalement détruire le ravitaillement viêt-minh, avant qu’il n’arrive dans la cuvette.

55 Du 17 au 25 avril, l’aviation engage des moyens importants sur cet axe, 43 F-8 F Bearcat, 46 chasseurs de l’Arromanches, 16 B-26, 34 P. B. Y. Durant le mois d’avril, le général Lauzin a adressé au GATAC/nord plusieurs directives et notes sur l’action aérienne sur Diên Biên Phû. Il ressort de ces documents que le travail aérien et les potentialités restent satisfaisants, grâce au travail acharné des personnels au sol des groupes de transport, de chasse et de bombardement ainsi qu’au renfort de 10 B-26. Les disponibilités du I/22 sont de 16,5 avions et celles du II/22 de 13,5.

56 Malgré ces satisfecit adressés à l’aviation, les disponibilités des appareils ont baissé depuis mars. Les pertes d’équipages et la fatigue généralisée des unités annoncent des déficits encore plus importants pour l’avenir. Globalement, tous les groupes connaissent des problèmes importants, liés aux conditions météorologiques défavorables depuis la mi-mars, aux servitudes logistiques de la bataille, aux pertes en équipages et aux dégradations sur les appareils, principalement du fait de la DCA.

57 Les dégradations successives des conditions d’intervention fin avril et début mai 1954 ne sont que les continuations des postulats exposés.

Conclusions

58 La solution des bases aéroterrestres, inaugurée en 1952, est une conséquence directe de la situation dramatique du CEFEO. Il sait qu’il ne peut plus gagner la guerre, malgré l’aide américaine et les matériels nouveaux, malgré les B-26 et le napalm. Il tente donc d’attirer les divisons viêt-minh vers les appâts tentants que constituent les camps retranchés. Dans cette nouvelle philosophie du combat, l’aviation joue un rôle vital. Le ravitaillement des bases aéroterrestres devient une mission prioritaire, qui grève encore le potentiel des transports militaires et civils. L’aviation est le cordon ombilical du corps expéditionnaire de la dernière partie de la guerre, cordon que le Viêt-minh s’emploie à couper à Diên Biên Phû.

59 Dans cette stratégie, la piste d’aviation devient le symbole de la survie d’un camp retranché, et sa rupture synonyme de l’étouffement. L’action de l’armée de l’Air dans la bataille de Diên Biên Phû est à replacer à la lecture de ces différents obstacles. L’aviation, qui regroupe l’armée de l’Air, l’aviation civile, la CAT et l’aéronavale, perd 51 avions, alors que 169 autres sont touchés plus ou moins gravement entre novembre 1953 et mai 1954. Dien Bien Phu coûte 30 000 heures de vol à l’aviation et près de 80 pilotes et hommes d’équipage.

60 Au regard de ces chiffres et des conditions du combat, il est clair que l’aviation n’a pas failli à ses missions et qu’elle n’est pas la cause directe de la défaite de Diên Biên Phû. La responsabilité de l’armée de l’Air est à l’égal des autres composantes du corps expéditionnaire en Indochine, largement proportionnelle aux modes d’emploi, et donc aux stratégies utilisées pour son utilisation. Il ne saurait être question de la mettre en question sans lui avoir au préalable donné les moyens techniques et tactiques d’accomplir sa mission. Diên Biên Phû était au-delà de ses possibilités, compte tenu de ses moyens aériens. L’armée de l’Air ne dispose pas des moyens techniques, radiogoniométriques, pour effectuer des parachutages sans visibilité, des bombardements de nuit, pour des missions d’appui guidées précisément depuis le sol.

61 L’intensité de la bataille et l’importance des moyens engagés par Giap marquent les limites de l’utilisation de l’armée de l’Air. Dans des conditions atmosphériques et opérationnelles souvent épouvantables et alors que le camp de Diên Biên Phû est virtuellement perdu depuis la fin mars, l’armée de l’Air continua ses missions sur la cuvette jusqu’au 7 mai. Elle déversa en moyenne 65 t de matériels et de 150 à 200 hommes par nuit pour continuer à faire vivre l’espoir. Dans cette opération, elle épuisa ses hommes et ses matériels pour sortir exsangue de la lutte inégale.

62 L’emploi de l’armée de l’Air en Indochine, souvent marqué par l’incompréhension et les bricolages, est pourtant paradoxalement facteur d’innovations fondamentales dans l’optique de l’utilisation d’une aviation en guerre coloniale, comme le prouve son engagement, à partir de l’automne 1954, dans le conflit algérien. Elle profita « immédiatement » des acquis tactiques de la guerre d’Indochine. Le premier enseignement de l’Indochine transmis aux forces aériennes d’Algérie est celui de la nécessaire coopération entre les forces terrestres et l’aviation, afin de rechercher et détruire les bandes « rebelles ». À partir de 1954, et grâce aux leçons de la guerre d’Indochine, l’aviation légère joue un rôle essentiel dans la lutte anti-guérilla, selon une organisation tactique et des méthodes de combat largement inspirées de l’expérience indochinoise. Dans cette optique, l’action de l’aviation française en Asie de 1945 à 1954 fut largement positive pour l’évolution de l’aviation française dans son ensemble. L’Indochine, premier conflit de lutte anti-guérilla mené après la Seconde Guerre mondiale met en évidence les deux vecteurs indispensables au succès d’une intervention aérienne : une structure tactique adaptée au conflit, dans laquelle l’aviation est employée au profit de l’élément terrestre, et des matériels aériens adaptés eux aussi au conflit.

Notes

[ 1] Contrat négocié entre les commandants des armées de Terre et de l’Air en novembre 1953 avant l’opération Castor.
[ 2] Rapport no 153/GENE/OPS/TS du 22 février 1954 et rapport du général Cogny no 222/OPS du 22 février 1954 sur la conduite des opérations aériennes. Il ne pose pas la question de moyens supplémentaires, surtout en bombardiers Invader.
[ 3] H. Navarre (général), Le temps des vérités, p. 327.
[ 4] Note no 6021/TFNV du 7 février 1954.
[ 5] Note du général Navarre no 1127/EMIFT/3/OTS du 2 février 1954. Il revient sur l’opération de retrait éventuel (Xénophon) qui n’est plus possible
[ 6] P. Rocolle, Pourquoi Diên Biên Phû, op. cit., p. 269
[ 7] Directive générale pour la conduite des opérations en mars et avril 1954, note no 222/EMIFT/OPS du 25 février 1954 et directive du général Cogny no 3/EMIFT/OP/TS du 27 février pour connaître l’étendue des incursions viêt-minh sur les régions de Thaï N’Guyen et Langson.
[ 8] Service historique de l’armée de Terre (SHAT), carton 10H337, clichés.
[ 9] Rapport du général Navarre no 222/OPS du 25 février 1954 sur la situation en Indochine du Nord.
[ 10] 10 Rapport no 32/GONO/CAB du colonel De Castries du 10 mars 1954.
[ 11] Télégramme du général Navarre no 30-480/EMIFT/TS du 1er mars 1954.
[ 12] Service historique de l’armée de l’Air (SHAA), carton C. 1348, Rapport du général Lauzin sur les conditions météorologiques durant la bataille.
[ 13] Témoignage du commandant Pham Phu Bang de la division 308 à l’auteur, qui confirme les mauvaises conditions météorologiques générales au mois de mars, et au mois d’avril.
[ 14] Lettre personnelle du colonel de Castries au général Cogny le 21 mars 1954, citée par P. Rocolle, op. cit., p. 344. Faut-il comprendre que l’aviation est la voie sacrée de Diên Biên Phû ?
[ 15] Compte rendu de l’attaque de Do Son, no 618/AIR/EO/3/DEF/TS du 15 février 1954.
[ 16] B. Fall, Diên Biên Phû, un coin d’enfer, op. cit., p. 170.
[ 17] R. Bail, Indochine 1953-1954, les combats de l’impossible, Lavauzelle, 1996, p. 100.
[ 18] Parmi les avions touchés, figurent 2 transports lourds C-119 (les nos 137 et 536) qui se présentent en phase de largage, moment où ils sont très vulnérables. Les appareils sont pilotés par les mercenaires américains de la CAT. À la suite de ces incidents, les pilotes américains refusent de décoller à nouveau pour Diên Biên Phû. Cette première « grève » des pilotes de Chennault prouve l’intensité de la DCA sur la cuvette dès le mois de mars.
[ 19] Message du général Lauzin no 124/GAEO/EO/TT/TS du 13 mars 1954. La réaction des équipages de transport (M. Bertin, Packet sur Dien Bien Phu, la vie quotidienne d’un pilote de transport, 1991, p. 85) atteste des incompréhensions entre les hommes et la hiérarchie, même au sein de l’armée de l’Air.
[ 20] Le 17 mars 1954, un C-119 reçoit un obus de 37 mm dans la cabine de pilotage. L’émotion sur la base de Cat Bi est importante. Le pilote est grièvement blessé, l’obus lui a arraché le bras droit.
[ 21] Les axes d’atterrissages à Dien Bien Phu passent par les PA/Nord. Qui tient les positions Béatrice, Anne Marie, et Gabrielle, contrôle le circuit aérien.
[ 22] L’histoire de la Légion étrangère est liée à la guerre d’Indochine, et son image intrinsèquement représentative de la puissance militaire française. En 1950, le colonel Constant s’est entouré d’une garde rapprochée de légionnaires, dénommés « les dieux de la Légion », d’après L. Bodart, La guerre d’Indochine, t. II : L’humiliation, 1965, Gallimard, 603 p., p. 399-400.
[ 23] Soit une centaine de mètres environ. Pour un avion volant à 400 km/h, cette distance représente moins de quatre secondes de vol. Il est aisé d’imaginer le stress des équipages dans ces conditions, qui sera la généralité de l’appui et du ravitaillement sur Diên Biên Phû durant une grande partie de la bataille.
[ 24] Les stations de Hanoi et Haïphong sont saturées, par manque de moyens et de fréquences. Le retour des avions s’effectue au hasard, certains se guident sur les lumières de Haïphong pour retrouver les terrains. Plus de 20 avions de tous types se présentent à l’atterrissage en urgence.
[ 25] Message du général Cogny TO/1217/O/OP/TS du 14 mars 1954. Cogny envisage 120 tonnes par jour pour le GONO. Le contrat « Terre/Air » se révèle une utopie, mais également une option singulièrement naïve pour l’armée de l’Air qui pensait garder ses quotas de largage, même en cas de dégradation de la situation.
[ 26] Fiche du général Navarre no 1233/FTNV/2 du 15 mars 1954 et fiche no 10-271/FTNV/3 du 16 mars 1954, pour demander au général Cogny le renforcement de la garnison de Diên Biên Phû.
[ 27] SHAA, carton C. 728, L’armée de l’Air à Diên Biên Phû.
[ 28] P. Rocolle, Pourquoi Dien Bien Phu, op. cit., p. 386.
[ 29] SHAA, C. 1348, L’aviation dans la bataille de Dien Bien Phu, p. 16 : « Le déroulement des opérations aériennes ».
[ 30] Message no 577/GATAC/nord/3/OPS/TS du 27 mars 1954.

[ 31] Id.
[ 32] SHAA, Télégramme no 20/007 du 16 mars 1954 dans lequel M. Jacquet envisage la perte de Diên Biên Phû.
[ 33] Sur les 24 pièces d’artillerie du camp retranché, huit sont détruites, qu’il va falloir remplacer par avion, alors que le colonel Piroth a refusé de nouveaux tubes avant la bataille
[ 34] P. Rocolle, Pourquoi Diên Biên Phû, op. cit., p. 286.
[ 35] M. Dupouy, Les rapports entre l’armée de l’Air et l’armée de Terre en Indochine, 1946-1954, op. cit., p. 121. Les C-47 se posent, font demi-tour et redécollent aussitôt, à vide ou avec les blessés entassés dans la carlingue.
[ 36] M. Bertin, op. cit., p. 151. De nombreux témoignages parlent de cette DCA comme très violente.
[ 37] Lettre no 879/GENE/OP/TS du 17 mars 1954. La dégradation entre les responsables est visible dès le début de la bataille. La rupture de la piste entraîne la redéfinition du pont aérien.
[ 38] SHAA, carton C. 918, tonnage S/GMMTA.
[ 39] SHAA, note no 2249/AIR/EO/3/TS/A du 22 mai 1954.
[ 40] SHAA, carton C. 918

[ 41] P. Facon, Diên Biên Phû dans les airs, p. 15.
[ 42] Lettre du général Cogny no 89/FTNV/CEM/TS du 9 mars 1954.
[ 43] P. Facon, Diên Biên Phû dans les airs, op. cit., p. 15.
[ 44] Contribution à l’histoire de Diên Biên Phû, fascicule no 3, 1965, cité par P. Rocolle, op. cit., p. 287. Les faits sont confirmés par le commandant Pham Phu Bang, de la division 308, présent à Diên Biên Phû à partir de janvier 1954. Les hommes (à leur grand étonnement) et les munitions tombent de plus en plus dans les tranchées viêt-minh.
[ 45] P. Langlais, Diên Biên Phû, Paris, France-Empire, 1963, 264 p., p. 167 et B. Fall, Diên Biên Phû, un coin d’enfer, op. cit., p. 260.
[ 46] Note du colonel Nicot no 854/CAEO/IV/TS du 17 mars 1954.
[ 47] P. Rocolle, Pourquoi Diên Biên Phû, op. cit., p. 313-323.
[ 48] « Le ravitaillement par air de Diên Biên Phû », Revue historique des armées, no 4, 1985, p. 55.
[ 49] Note FTNV no 133/FTNV/CEM/TS du 26 mars 1954.
[ 50] Les torches sont proportionnellement plus importantes avec les largages à ouverture retard. Sur les 55 700 parachutes utilisés lors de la bataille, 2 052 se sont mis en torche (soit 4,7 % du total). Pour les utilisations avec système retard, le taux est de 20 %.
[ 51] Fiche no 2249/AIR/EO/3/TS/S du 22 mai 1954.
[ 52] Piloté par Earl Mag Godern (surnommé « Mag Goon »), le C-119 est touché par plusieurs obus au-dessus de la cuvette, mais il s’écrase sur le chemin du retour, à 120 km de Diên Biên Phû.
[ 53] Rapport, no 113/FTNV/CEM/S3 du 6 juillet 1954 sur la logistique à Dien Bien Phu.
[ 54] Le ravitaillement par air de Dien Bien Phu, op. cit., p. 55, extrait du rapport no 125/EM/FTNV/TS/3 du 16 juillet 1954.

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Merci Jean-Pierre  Aspects du soutien aérien dans la bataille de Diên Biên Phû. 3073871970 Félicitations, je te serre la patte  :32: 
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