Lazare Ponticelli, 110 ans, raconte sa grande guerre
MÉMOIRE | 00h05 La France ne compterait plus que deux «poilus». Un Auvergnat et Lazare, UN LEGIONNAIRE ,qui a combattu à Verdun et dans le Tyrol.
Lazare Ponticelli est l'un des deux derniers "poilus".
Ne demandez pas à Lazare Ponticelli qui fut le responsable de la Première Guerre mondiale. Le détail s'est perdu au fin fondde sa mémoire plus que centenaire. «Guillaume II sans doute, ou son fils le Kronprinz.» Peu importe. «On se battait sans savoir pourquoi. Je n'avais rien contre les Allemands, je ne les connaissais pas.»
Demain dimanche 11 novembre, jour de l'Armistice de 1918, Lazare enfilera son manteau et trottera jusqu'au monument aux morts du Kremlin-Bicêtre, une petite commune au sud de Paris, pour commémorer une guerre dont il est, à presque 110 ans, l'un des deux derniers témoins.
Dans sa bicoque proche de la Porte d'Ivry, le bric-à-brac raconte une vie d'immigrant italien parti de rien et devenu avec ses frères propriétaire d'une multinationale de travaux publics, Ponticelli Frères. Mais de la grande guerre, aucune trace. Pas la moindre photographie. «La dernière fut prêtée à un journaliste, qui ne nous l'a jamais rendue», témoigne sa fille, Janine Debaucheron,
la quatre-vingtaine pimpante. Même son livret militaire a disparu.
Conférences scolaires
1914-1918 a ressurgi sur le tard, avec tout le tintouin sur les «derniers poilus». A 106 ans, Lazare a mis ses souvenirs en ordre, écrit ses mémoires, récupéré sa dernière médaille et pris sa canne pour aller raconter aux écoliers à quoi ressemblaient les tranchées - «des trous qu'on faisait pour s'abriter»- Verdun et le Chemin des Dames.
Ils ne sont plus que deux. L'un est Auvergnat et porte le titre pesant de doyen des Français. Louis de Cazenave entre
en guerre en 1916 avant d'être bombardé au Chemin des Dames, puis sur l'offensive Nivelle. L'autre, arrivé de son village d'Emilie-Romagne, s'engage dans la Légion étrangère en août 1914. Lazare fait l'expérience du front, en Argonne, puis à Verdun, avant d'être renvoyé en Italie où il combat les Autrichiens dans le Tyrol.
Deux destins qui contredisent une thèse en vogue: les fraternisations avec l'ennemi, les actes de désobéissance n'auraient pas pesé lourd, estiment de nombreux historiens. Or, Cazenave a partagé le bout de gras avec des Allemands. Et le soldat Ponticelli a pactisé pendant trois semaines avec les Autrichiens, ce qui lui vaudra de passer en conseil de guerre.
Sa recette de la longévité
Sa longévité, Lazare ne l'explique pas. «La fatalité, la vie sur les chantiers peut-être.» «Il a toujours commandé», suggère sa fille, en levant les sourcils d'un air exaspéré. Pas question de s'arrêter à presque 110 ans. Le matin, il exige qu'on lui récite les commentaires boursiers, puis donne ses instructions de ventes et d'achats. Chaque année, il ouvre l'assemblée générale de Ponticelli Frères (2000 employés) en roulant les «r» de sa voix lointaine.
Si le hasard le place en tout dernier, Lazare refuse qu'on le gratifie de funérailles nationales, comme l'a laissé entendre le Secrétariat aux anciens combattants. Une messe aux Invalides fera l'affaire, ainsi qu'une place dans le cimetière du Kremlin-Bicêtre.