Le point 18 septembre 2013
Par François-Guillaume Lorrain.
Allemagne le génocide oublié.
En 1904, les Hereros, un peuple de Namibie, s'en prennent à des colons allemands qui s'arrogent leurs terres. L'ordre de les exterminer est donné.
L'Allemagne n'a présenté officiellement ses excuses à la Namibie qu'il y a quelques années et l'histoire reste encore très largement méconnue. La réalisatrice Anne Poiret - qui dévoilera son documentaire consacré à la question le 13 octobre à 15 h 25 au Forum des images pour Les Étoiles de la Scam - a raison d'en parler comme du premier génocide du XXe siècle. Rappelons les circonstances. Au congrès de Berlin de 1885, l'Allemagne triomphante veut rattraper son retard en matière de colonies. Il existe encore quelques territoires non attribués en Afrique où elle s'engouffre : dans le Tanganyika (Rwanda), au Togo, au Cameroun et dans le Sud-Ouest, en Namibie, où des commerçants, dont Lüderitz, attirés par l'or et les diamants, ont commencé à s'implanter sur les côtes.
Camps de concentration
À la différence des autres pays, la Namibie est désignée comme colonie de peuplement et le premier gouverneur, Heinrich Göring, qui n'est autre que le père de Hermann, incite à l'émigration les fermiers allemands. Il leur remet des terres confisquées aux trois ethnies dominantes, les Hereros, les Namas et les Ovimbas. En janvier 1904, les Hereros, agacés par les trop grandes concessions accordées par les autres tribus aux Allemands, attaquent ces derniers, très peu nombreux, dans plusieurs fermes qu'ils incendient.
La réplique allemande sera terrible. On fait venir les troupes de Lothar von Trotha qui s'est illustré au Tanganyika et en Chine où il a exterminé les civils chinois, après la révolte des Boxers. Ce qu'il a fait à Pékin, von Trotha va le réitérer en Namibie. Il encercle les Hereros sur le grand plateau du Waterberg en août 1904 avant de pourchasser la population obligée de fuir vers le désert du Kalahari, en direction du Botswana. Il a fait empoisonner les points d'eau, et les victimes de la soif se comptent par milliers. Les survivants, civils, sont enfermés dans des camps de concentration, inventés par les Espagnols lors de la révolte à Cuba (mais destinés exclusivement aux insurgés armés), puis étendus aux civils par les Anglais lors de la guerre des Boers, quelques années auparavant.
Sur 80 000 Hereros, 15 000 survivants
Pire : un ordre d'extermination est rédigé le 2 octobre 1904 par le même von Trotha. Tout Herero, armé ou non, doit être abattu. Voilà qui explique pourquoi dans ces camps on va laisser mourir de faim les civils astreints à des travaux de force. Des prisonniers sont tatoués avec les lettres GH (Gefangene Hereros). Des pratiques qui ressurgiront quelques décennies plus tard. Il faudra attendre six mois et des protestations adressées par les socialistes allemands pour que le Kaiser renonce à l'extermination. Mais le mal est fait. Sur les 80 000 Hereros présents en 1904, il n'en restera plus que 15 000 cinq ans plus tard. Puis ce sera au tour des Namas d'être exterminés. Deux mille d'entre eux seront abandonnés sur un îlot rocheux, Shark Island : ils y mourront tous. Les terres resteront confisquées durant plusieurs générations dans une Namibie où 1 % seulement de la population aujourd'hui descend des colons allemands, mais pèse lourd dans l'économie du pays.
Ce génocide s'était aussi appuyé sur une idéologie des races. De nombreux crânes de Hereros tués furent envoyés à Berlin pour un examen médical. Ils y sont toujours, en particulier à l'Institut de la Charité. La Namibie a insisté pour obtenir la restitution de vingt d'entre eux. Sur les registres d'alors, ils ne correspondent à aucun nom, seulement à des numéros. Parmi les médecins qui travaillent à l'époque sur les crânes hereros, Eugen Fischer, qui proscrit la mixité raciale. Le résultat de ses études, publié en 1914, sera cité par Hitler dans Mein Kampf et les historiens s'accordent pour reconnaître son influence dans la formation de la pensée raciste du futur leader nazi. Parmi les élèves de Fischer, on trouve aussi un certain Josef Mengele...