Le renseignement militaire français dans l’Allemagne d’après-guerre (mai 1919-mars 1920) : à la recherche d’une nouvelle sécurité
Olivier Lahaie
p. 32-42
Résumé
L’occupation de l’Allemagne permet aux services de renseignements français de prendre pied sur le sol de leur « ennemi »,étant entendu que la victoire de novembre 1918 n’a pas changé leur objectif principal. De l’ouverture de la conférence de la Paix à la signature du traité de Versailles s’ouvre une période se caractérisant par l’incertitude la plus marquée quant aux réactions possibles de la population allemande et de la Reichswehr. Il leur faut donc continuer à transmettre des données complètes et précises sur la situation dans ce pays. Mais face à un Reich qui tente de se soustraire à un traité qu’il ressent comme un Diktat, les difficultés sont nombreuses : personnel formé à la recherche en nombre insuffisant, budget limité. Dans l’ombre pourtant, et sous l’impulsion d’anciens chefs du service de renseignements allemand (Nachrichtendienst), des éléments extrémistes commencent déjà à préparer la future guerre de revanche.
Plan
1919 : un dispositif de surveillance de l’Allemagne en plein redéploiement
L’inadéquation des moyens aux objectifs : une caractéristique récurrente du renseignement militairefrançais ?
Inquiétudes autour de la signature du traité de Versailles
Contrôler une Allemagne vaincue et turbulente : une priorité
L’ancien (et le nouveau) SR allemand sous haute surveillance
Texte intégral
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1 NAVARRE (général H.),Le service de renseignements (1871-1944), Paris, Plon, 1978, p. 22.
2 Ibid. p. 23.
3 SHD/DAT, 7 N² 2151, note sur la répartition du travail des postes SR en Europe, 10 novembre 1918 e(...)
1Le service de renseignement, « que l’on appelle désormais le SR-Guerre » 1, se compose notamment de la « section de centralisation des renseignements » (SCR) et de la « section de recherche », aussi appelée « section de renseignement » (SR). La SCR est chargée du contre-espionnage (CE) à l’extérieur et sur le sol national, en liaison avec les commissaires spéciaux de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur, encore que « les attributions respectives soient assez mal définies » 2. À l’étranger, ces commissaires arment les bureaux de centralisation des renseignements (BCR) qui fournissent en renseignements l’organe central parisien ; en France, chaque état-major de région militaire possède son BCR. La SR, dont la centrale parisienne est rue de l’Université, collecte le renseignement ouvert(librement accessible) et fermé (par espionnage) ; elle s’appuie sur des postes, implantés aux frontières ou hors de France 3.
4 À l’époque, commandant et chef du poste d’Aix-la-Chapelle.
5 Souvenirs du général J. Merson parus sous le titre : « Nos services avant-guerre », site Internet(...)
6 SHD/DAT, 7 N 2483, d. 1, inventaire des archives de la section allemande, 1919-1940 (reprenant l’i(...)
7 BARROS (A.), « Le 2e bureau dans les années vingt : l’impact de la guerre totale sur les renseigne(...)
8 Nous taisons ici les sources non militaires d’information, mais elles n’en sont pas moins importan(...)
9 SHD/DAT, 7 N 2612, d. 12, renseignements sur le fonctionnement du 2e bureau, (s.d.).
2Le SR recueille en permanence le renseignement au profit du 2e bureau de l’état-major des armées (EMA), organe de synthèse auquel il est rattaché. Dans la réalité, le lien est pourtant ténu à cette époque, comme le reconnaît le général Merson 4 : « Officiellement, SR et SCR dépendaient du 2e bureau de l’EMA. Pratiquement, nous ne dépendions de personne ; nous ne recevions ni ordres, ni instructions de quiconque.[En revanche], les chefs de postes et d’antennes recevaient parfois une "note d’orientation"[du SR-Paris] » 5. Ce 2e bureau d’après-guerre, placé sous les ordres du 1er sous-chef d’état-major de l’État-Major général de l’armée (EMGA), comporte plusieurs sections d’analyse, dont une « section allemande », qui est de loin la plus sollicitée 6, subdivisée en sept sous-sections (organisation de l’armée, production d’artillerie, production industrielle, budget, politique, ressources économiques, mobilisation) 7. Il exploite les renseignements transmis par les services spéciaux déjà cités, mais aussi ceux émanant des 2e bureaux, de la division à l’armée, des attachés militaires (en poste en Suisse, Belgique et Autriche), et des officiers de renseignement, membres des missions à l’étranger 8. Il fournit ses synthèses de renseignements au chef de l’EMGA, lequel les exploite puis les diffuse vers le Conseil supérieur de la guerre, le ministre de la Guerre et le Conseil supérieur de la défense nationale, plus haute instance française en matière d’orientation des politiques de défense 9.
1919 : un dispositif de surveillance de l’Allemagne en plein redéploiement
3L’occupation de l’Allemagne permet aux SR français de prendre pied sur le sol de leur « ennemi»,car la victoire n’a pas changé leur objectif principal. La période allant de l’ouverture de la conférence de la Paix à la signature du traité de Versailles étant caractérisée par l’incertitude la plus marquée quant aux réactions possibles de l’Allemagne, il leur faut continuer à transmettre des données complètes et précises sur la situation dans ce pays.
10 Voir plus avant.
11 NAVARRE (général H.), op.cit., p. 24.
12 SHD/DAT, 7N² 2770, d. 23, renseignements sur les époux Brandlewitz ayant renseigné les troupes d’o(...)
13 FORCADE (O.), La République secrète, Paris, Nouveau Monde éd., 2008, p. 85.
14 Voir à ce propos : LAHAIE (O.),Renseignement et services de renseignements en France pendant la g(...)
15 NAVARRE (général H.), op.cit., p. 24.
4Certes, à partir de la rive gauche du Rhin (puis à partir des têtes de pont exigées par Foch sur sa rive droite), ils peuvent étendre leur périmètre d’investigation jusqu’aux endroits les plus reculés du territoire germanique, et ceci bien avant l’arrivée des Commissions militaires interalliées de contrôle qui bientôt vont être instituées par le traité de paix 10. Ils ont la possibilité de recruter des nationaux, « car la misère générale qui régnait en Allemagne[faisait] que les candidats informateurs affluaient en grand nombre ; la principale difficulté étant souvent de faire le tri entre ceux qui semblaient valables et les autres » 11. Certains Rhénans – sympathisants de la cause française – acceptent volontiers de devenir des agents 12. Les Alsaciens-Lorrains, Français de nouveau, font des bons agents infiltrés. Les condamnations pour faits d’espionnage vont d’ailleurs être multipliées pratiquement par dix en Allemagne entre 1919 et 1924 13. Mais le souci des SR reste finalement le même que pendant la guerre, c’est-à-dire le manque de moyens 14, handicap qui va les obliger à axer majoritairement leur travail sur la zone rhénane d’occupation, puis dès juin 1919 sur la zone démilitarisée à l’est du fleuve 15.
16 Ancien chef du 2e bureau du GQG (1914-1917), Dupont dirige la MMF de Berlin ; cf. LAHAIE (O.), « F(...)
17 Appelé « Centre de liaison français ».
18 Voir ci-après.
5Pour remplir sa mission d’investigation, la SR s’appuie donc sur plusieurs « postes ». Celui de Berlin, isolé à l’est, est abrité par la mission militaire du général Dupont 16. Celui d’Aix-la-Chapelle 17 surveille l’Allemagne du nord ; il coopère avec le poste de renseignement franco-belge de Bruxelles et possède également une antenne à Düsseldorf, une autre à La Haye. Celui de Mayence a implanté des antennes à Bonn, Coblence, Wiesbaden et Trèves, ceci afin de se renseigner sur l’Allemagne centrale. Enfin, le poste de Belfort a implanté les siennes à Bâle, Zurich et Annemasse pour observer l’Allemagne du sud et la Suisse ; un redéploiement supplémentaire va s’opérer à l’été 1919, autant pour surveiller l’Allemagne « revancharde » que pour suivre les progrès du bolchevisme 18.
19 Pour s’en convaincre, voir :7 N 2483, d. 1, répertoire des archives du 2e bureau (1920-1940) ; rap(...)
20 SHD/DAT, 7 N 2486, d. 2, organisation et fonctionnement des SR du Rhin, 24 juin 1919.
21 Souvenirs du général J. Merson.
22 SHD/DAT, 7 N² 2151, d. 2, note sur l’organisation du CE à l’étranger et sur la participation des f(...)
6Si l’« armée française du Rhin » (AFR) possède un 2e bureau extrêmement prolixe 19, il ne dispose pas d’une SR, ne se préoccupant pas de savoir ce qui se trame au-delà de la zone démilitarisée. Fin juin 1919, afin d’anticiper la dissolution du Grand Quartier général (GQG,) les postes SR du Rhin – qui relevaient du général en chef des armées françaises de l’Est – sont rattachés « pour emploi » à l’EMA/2e bureau 20 avec lequel ils sont reliés par TSF pour l’expédition de leurs comptes rendus 21. Présents dans la zone d’occupation, Düsseldorf, Aix-la-Chapelle et Mayence ne sont donc rattachés qu’« administrativement » à l’état-major de l’armée d’occupation des pays rhénans. Ils coopèrent bien entendu avec le 2e bureau de l’AFR et, sur sa demande, peuvent effectuer ponctuellement des recherches ciblées (renseignements d’ordre militaire et enquêtes liées au contre-espionnage) à partir du moment où elles concourent à la sécurité des forces françaises. Par ailleurs, ce sont les commissaires et inspecteurs spéciaux de la Sûreté, détachés par le ministère de l’Intérieur auprès des postes SR, qui font la chasse aux espions et aux provocateurs dans la zone d’occupation française 22.
L’inadéquation des moyens aux objectifs : une caractéristique récurrente du renseignement militairefrançais ?
7Malgré la surabondance du travail d’investigation et de synthèse, il y a aussi au sein des SR (outre le manque cruel de moyens financiers déjà souligné), un déficit en personnels suite à la démobilisation des réservistes 23. Or il va bientôt falloir guetter les réactions des Allemands au moment de la signature du traité de paix, puis ultérieurement, s’assurer du respect des clauses territoriales, militaires, économiques 24 ou financières 25 de ce dernier. C’est évident, les questions de désarmement et de démobilisation sont les plus sensibles pour un état-major français qui doute déjà de la bonne foi germanique en la matière et continuera à en douter ensuite, malgré les décomptes optimistes du général Nollet, futur président de laCommission de contrôle. Ces questions vont donc intéresser au premier chef un SR « militaire », encore que ce dernier n’ait pas le droit de s’y cantonner. Ce sont les sections « Matériel de guerre » et celle dite « des Armées étrangères »26 qui vont suivre l’évolution numérique des forces armées ou de sécurité, comme elles vérifieront – discrètement – la véracité des données chiffrées se rapportant à la destruction volontaire d’armes de guerre, transmises par le gouvernement allemand aux alliés.
23 FORCADE (O.), op.cit. , p. 141.
24 La « section économique » du 2e bureau est pourtant supprimée fin août 1919 ; dès lors, attachés e(...)
25 Détection d’éventuelles fuites de capitaux allemands vers la Hollande notamment grâce à la complic(...)
26 Il s’agit de deux sous-sections de la SR.
27 Le SR allemand. Voir ci-après.
28 SHD/DAT, 7 N² 2477, note sur les SR allemands, GQG/2e bureau, 5 mai 1919.
29 SHD/DAT, 7 N 2486, d. 2, organisation et fonctionnement des SR du Rhin, 24 juin 1919.
30 Foch fait de l’occupation militaire interalliée de la ligne du Rhin la condition première à l’édif(...)
8Depuis novembre 1918, le SR n’a pas cessé de s’informer sur son ennemi principal, le Nachrichtendienst 27, lequel semble déjà redéployer au printemps 1919 des postes à Cassel et Munster face à la France 28 ; n’oublions pas que sa mission première est de « rechercher systématiquement les centres d’action du contre-espionnage ennemi, d’identifier ses agents et de démasquer leurs procédés, de mener les recherches nécessaires dans l’intérêt même de la sécurité de ses agents » 29. Il ne peut se désintéresser non plus de la situation politique allemande, de la stabilité et de la survie de la jeune république, évaluant au passage la portée de l’engagement de ses élites en faveur de la paix et détectant les opposants de tous bords, agitateurs ou comploteurs, en vue d’évaluer leur dangerosité. Enfin, la SR doit jeter un œil indiscret sur les activités des Belges, des Britanniques et des Américains dans leurs zones d’occupation respectives, ceci afin d’y détecter les indices trahissant les prémices d’une évacuation qu’on souhaiterait dissimuler le plus longtemps possible au commandant en chef interallié 30.
31 BENOIST-MECHIN (J.),Histoire de l’armée allemande, t. 1, Paris, A. Michel, 1993, p. 306.
9Beaucoup de travail donc, dans une Allemagne en proie à des soubresauts d’une extrême violence et difficilement prévisibles. Le 20 mai, les corps francs renversent ainsi le gouvernement des Conseils des commissaires du peuple en Saxe ; le général Rüdiger von der Goltz – dont la mission militaire française (MMF) de Berlin répertorie pourtant les moindres agissements – a installé un gouvernement pro-allemand à Riga. Partout, « ce sont les corps francs – et eux seuls – qui ont rétabli la situation pour empêcher l’anarchie. En quelques mois, leurs chefs ont fait surgir du néant une armée de 400 000 volontaires, destinée à remplacer l’ancienne armée impériale. Et soudain, tout cet énorme effort vient buter contre les clauses du traité de Versailles » 31.
Inquiétudes autour de la signature du traité de Versailles
10Refusant depuis deux mois la ratification du traité de paix, la délégation germanique conduite par Ulrich von Brockdorff-Rantzau se voit à présent acculée, menacée en cas de refus d’une reprise des hostilités, prélude à une dislocation prévisible du Reich. Préférant ne pas endosser la responsabilité d’une capitulation « inacceptable », le chancelier Philipp Scheidemann démissionne le 20 juin au profit de Gustav Bauer. Huit jours plus tard, le traité est signé à Versailles ; dans l’esprit de Matthias Erzberger qui a poussé dans ce sens, ce n’est pourtant qu’un engagement « de pure forme », nul n’étant tenu d’obéir à la contrainte... Une semaine de deuil est alors décrétée en Allemagne ; les dispositions du traité provoquent un véritable traumatisme au sein de la population : des manifestations spontanées d’hostilité aux alliés et à leur Diktat éclatent ça et là. Les membres du SR ne cachent pas leur inquiétude : « Quand nous avons découvert le traité de paix, à la SR et au 2e bureau, nous avons conclu que ça[la guerre] recommencerait d’ici 15 ans, 20 ans tout au plus. »32
32 Témoignage du général J. Merson,Bulletin des anciens membres des services spéciaux de la Défense(...)
11Sur le plan territorial, un corridor, passant par Dantzig, relie une Pologne recréée à la mer ; si l’on ajoute la perte d’autres régions, l’Allemagne concède le septième de sa superficie de 1914, soit 67 000 km². Il faut encore ajouter l’abandon de ses colonies, un mandat pour 20 ans de la SDN sur la Sarre et le remboursement exigé de 132 milliards de marks-or au titre des réparations de guerre. La rive gauche du Rhin, ainsi que des têtes de pont sur la rive droite, sont occupées militairement par les vainqueurs et leur évacuation s’échelonnera sur 15 ans, à condition que toutes les dispositions imposées à l’Allemagne soient exécutées.
33 NOLLET (général),Une expérience de désarmement ; 5 ans de contrôle militaire en Allemagne, Paris,(...)
12Les forces armées, expression du militarisme prussien aux yeux des vainqueurs, sont durement touchées. L’Allemagne doit réduire les effectifs de la Reichswehr provisoire à 100 000 hommes dont 4 000 officiers ; toutes les organisations paramilitaires sont interdites. Le Grand État-Major est définitivement dissous. La possession d’armements et de munitions est sévèrement encadrée, le surplus devant être détruit. Recrutement et instruction obéissent désormais à des conditions drastiques ; toutes les fortifications, présentes sur la ligne du Rhin, doivent être abandonnées ou détruites. Enfin, avions et bateaux doivent être livrés aux alliés. Une Commission militaire interalliée de contrôle est instaurée ; depuis Berlin, elle est chargée de s’assurer du désarmement de l’ancienne armée de terre « ennemie » 33 et doit pouvoir compter sur l’aide du gouvernement allemand dans l’accomplissement de sa mission.
34 Rattaché administrativement à l’état-major militaire de la ville. FORCADE (O.), « La sortie de gue(...)
35 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 141.
13Pour accroître la surveillance face à l’Allemagne du sud tout autant que pour mettre en évidence les connexions que le bolchevisme international a établi en Suisse, le SR de Belfort crée une antenne à Strasbourg 34, laquelle fait de même à Mulhouse, Zurich, et Ludwigshafen à la fin du mois de juin. De Berlin, le général Dupont témoigne : « La période qui s’ouvrait à la signature de la paix allait être semblable à celle qui suivit la conclusion de l’Armistice : une vague puissante de dépression s’abattit d’abord sur l’Allemagne. Je signalai à ce moment-là au Président Clemenceau combien il était nécessaire que les Alliés profitent de ce moment de résignation que je prévoyais très court pour appliquer immédiatement les clauses du Traité à réalisation immédiate : l’occupation des territoires annexés ou administrés jusqu’à plébiscites, entrée en fonction des Commissions de contrôle, livraison du matériel, etc. » 35
36 NAVARRE (général H.), op.cit. p. 25.
37 BENOIST-MECHIN (J.),op.cit. p. 325.
38 PERNOT (M.), « Carnet d’un Français en Allemagne, juillet-octobre 1919 », Revue des Deux mondes, 1(...)
39 Il est fort probable qu’il s’agisse là d’une « élimination », comme il s’en produit parfois entre(...)
40 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 142-150.
14Afin de se conformer aux dispositions prévues à Versailles,le gouvernement allemand crée le 5 juilletune « Commission préparatoire de l’armée de paix » qu’il confie au général Hans von Seeckt, commandant en chef de laReichswehr ; ce « grand théoricien stratégique et organisateur de classe » 36accepte en maugréant que le traité reflète « la volonté alliée de détruire l’Allemagne elle-même, à travers la destruction de son armée » 37. Le 28, le texte de la constitution de la République est adopté par l’assemblée.La République de Weimar naît ainsi le 11 août, sa constitution entrant en vigueur trois jours après. Vu de l’extérieur, il semblerait donc qu’un processus de normalisation ait débuté. Malheureusement, le ton des rapports de Dupont demeure inchangé pendant l’été, confortant les inquiétudes d’un haut commandement français déjà très sceptique quant à la capacité des Allemands à abandonner leur mentalité belliqueuse.« Dans les rues de Berlin, la capitulation de Weimar avait surexcité la fureur des partis nationalistes. On vit brûler les drapeaux français de 1870, sous l’œil bienveillant des gardiens de l’arsenal et des forces de police. Le maréchal des logis Mannheim – qui appartenait à ma mission – fut assassiné [par des passants, au soir du 11 juillet en pleine Friedrichstrasse 38] à Berlin, et la police, manifestement, négligea de rechercher les coupables 39. En dehors de cet assassinat, la mission française qui ne prenait aucune précaution et dont les membres circulaient souvent en uniforme ne devait subir aucune autre provocation (…). Manifestement, l’Allemagne ne prit pas au sérieux le parlementarisme ; le Parlement était désert et même lorsque les débats étaient particulièrement importants, les députés étaient absents. » 40
41 SHD/DAT, 7 N 681, bulletin de situation générale, EMA/2e bureau, 15 août 1919.
42 Kölnische Zeitung, août 1919.
43 Articles desFränkischer Kurier,Münchner Neueste Nachrichten et Frankfürter Zeitung, automne 1919(...)
15Cette mauvaise impression est renforcée par les coupures de journaux qui parviennent au 2e bureau 41. En effet, une partie de la presse critique le virage démocratique amorcé par la République de Weimar, d’autant plus qu’il paraît lui avoir été imposé par les vainqueurs : « La nouvelle Constitution allemande respire vraiment peu l’esprit allemand ; le droit électoral étendu, la domination du Parlement, la faiblesse du gouvernement, l’insignifiance du président et la pratique du référendum ont radicalisé l’Allemagne comme aucun grand pays civilisé ne l’a encore été. Nous craignons que cela ne réponde ni au caractère, ni à la mission que l’État allemand doit remplir, tant dans le temps présent que dans l’avenir proche. Les partis de droite, que de bonnes raisons ont amenés à repousser la Constitution, devront tenter de restaurer l’ordre à l’intérieur et le respect du nom allemand à l’étranger. » 42 Par ailleurs, la présence de troupes noires en Rhénanie sert de prétexte à une campagne antifrançaise, nourrie par des mensonges intéressés 43. Les observateurs avertis comprennent que de tels écrits sont porteurs de menaces : confronté aux difficultés matérielles nées de la guerre et de la défaite, le quidam est particulièrement réceptif aux discours appelant à un renouveau national, prompt à lui faire espérer de meilleures conditions d’existence.
Contrôler une Allemagne vaincue et turbulente : une priorité
16Mais d’autres sujets sont tout aussi préoccupants… Il y a d’abord la situation dans les provinces baltes qui paraît échapper totalement aux alliés. « Dès juillet, des généraux russes [blancs] m’avaient dit : "Nous allons opérer dans les provinces baltiques (sic.) vers Petrograd. Nous recruterons des volontaires dans les camps. Les Allemands nous fourniront le matériel et les armes nécessaires et également autant de soldats que nous voudrons. Ils serviront sous nos ordres comme lansquenets et nous les paierons par des concessions de terre." 44 L’exploitation des provinces baltiques et la prise en main des troupes d’occupation de ces régions par les régiments allemands camouflés se complétèrent avec le concours d’aventuriers russes. Tout cela devant les Alliés, hésitants, impuissants ou lassés. » 45 Négligeant les avertissements de Foch, von der Goltz s’est en effet emparé de la direction des opérations et brusquement l’Europe manque de se réveiller « avec une Allemagne s’étendant jusqu’aux portes de Petrograd (…). Les corps conservant leur nom allemand, personne ne se cachait ; on disait ouvertement à Berlin : "Tel officier là-bas sera notre Bonaparte. Une fois le pays conquis et pacifié, il reviendra à la tête de ses légions victorieuses renverser notre gouvernement de pantins." Bien que l’esprit de tous ces corps fût nettement réactionnaire, le gouvernement soutenait le mouvement car il y trouvait un exutoire pour tous ces cadres qui ne voulaient pas rentrer chez eux et il comptait bien que tous se fixeraient dans le pays. » 46
44 DUPONT (général C.), « Le rapatriement des prisonniers », Revue des Deux mondes, 1er mai 1920, p. (...)
45 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 142.
46 DUPONT (général C.),op.cit., p. 166.
47 Les clauses du traité ne sont pas à application immédiate, ce qui laisse à l’Allemagne le temps de(...)
48 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 142.
17Car l’attitude des dirigeants germaniques intrigue aussi : à côté des discours officiels où semble transparaître la volonté de coopérer avec les alliés, une certaine passivité (quand il ne s’agit pas sur certains dossiers d’une forme de résistance passive) se généralise. « Malgré mes interventions pressantes, les Gouvernements alliés tardèrent à appliquer le Traité et, en quelques semaines, les Allemands retrouvèrent leur souffle. » Le 31 août, c’est la « Ligue pangermaniste » qui réclame à Berlin le rétablissement de la monarchie impériale… « L’Allemagne n’observait aucune clause du traité, mais ce qui est plus grave, c’est qu’elle avait tout loisir pour atténuer les effets de nombreuses dispositions 47. Tous mes officiers me signalaient que les régions à céder étaient immédiatement exploitées à fond et vidées de tout ce qui pouvait être emporté. » Enfin, « un énorme dispositif de propagande et d’organisation fut préparé dans les pays à plébiscite ». Une insurrection polonaise éclate en Haute-Silésie,générant de féroces combats avec les corps francs. L’Allemagne joue en effet son va-tout pour garder la région ; « tandis qu’on assassinait ou déplaçait tous ceux qui étaient susceptibles d’alimenter la propagande adverse, les armes étaient réparties dans toutes les localités » 48.
49 NAVARRE (général H.), op.cit. p. 25.
50 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op. cit., p. 143.
51 NAVARRE (général H.), op.cit. p. 24. Tout le problème réside dans l’utilisation que les décideurs(...)
18Dès septembre, « la Commission de contrôle interalliée, chargée de surveiller l’exécution par la Reichswehr des stipulations du traité de paix, se heurtait à des difficultés considérables, dues à la résistance systématique des autorités civiles et militaires, pleinement appuyées par l’ensemble de la population. Les dissensions entre Alliés ne facilitaient pas les choses. La Commission bénéficia heureusement de l’étroite collaboration du SR, et ce fut en grande partie grâce à lui que les nombreux manquements au traité furent décelés »49. Dupont constate lui aussi que l’armée allemande fonctionne selon un système de camouflage et de faux-semblants. Malgré le fait que laCommission du général Nollet ait le droit d’aller partout pour remplir sa mission, il doute de l’efficacité des contrôles : « La constitution de l’armée se perfectionnait. Je pouvais suivre pas à pas l’organisation militaire nationale en marge du Traité. Tout est prévu pour que tout se volatilise pendant la présence des Commissions de contrôle prévues par le Traité. Elles parties, tout sortira du sommeil. Tous les Allemands me disent : ″Nous avons signé le couteau sur la gorge, mais c’est inexécutable".» 50 Les agents de renseignement font partout un constat similaire : « Le SR a pu suivre avec la plus grande précision l’évolution de la situation militaire en Allemagne ; haut commandement et Gouvernement en ont été constamment tenus au courant. » 51
19La vie politique reste toujours aussi chaotique. L’extrême droite, représentée par le Parti national allemand et le Parti populaire allemand, est en opposition ouverte avec la République. Le 7 novembre, Hugo Haase, président du groupe parlementaire de l’USPD(Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands – Parti social démocrate allemand) à Weimar, est assassiné. Quelques jours plus tard, Erich von Ludendorff et Paul von Hindenburg se servent de leur comparution devant la « Commission d’enquête parlementaire sur certains événements survenus avant et pendant la guerre » comme d’une tribune, dénonçant « le manque de soutien de l’arrière » pendant la guerre et accréditant la légende du « coup de poignard dans le dos » dont l’armée aurait été victime en 1918. Or le malaise entre les militaires et le pouvoir politique est accentué par le peu de ménagement que le gouvernement témoigne aux soldats et aux volontaires qui se sont battus depuis fin 1918 sur tous les fronts afin de rétablir l’ordre, évitant ainsi le chaos bolchevique ; à la suite des mesures de démobilisation, 200 000 d’entre eux se retrouvent à la rue, sans emploi ni aide. L’amertume est à son comble dans une armée diminuée, dont une partie des chefs fustige la perte de prestige du corps des officiers, rejette les changements démocratiques, ou est sur le point de s’engager sur la voie de la sédition.
52 « Renseignements reçus d’un agent du service de CE de la MMF » rapport transmis le 2 novembre 191(...)
53 Au sein d’une « Commission interalliée de délimitation », il doit tracer les frontières germano-po(...)
54 AN, F7 13 424, notes du 2e bureau sur la propagande bolchevique en Allemagne reçues par la SG, fin(...)
20L’économie allemande peine à redémarrer ; il y a des grèves, d’énormes difficultés dans l’exploitation des charbonnages et des chemins de fer. Avec le blocus, s’alimenter demeure difficile et beaucoup d’Allemands vivent d’expédients et de combines en tous genres. Un agent de la SCR, membre de la MMF de Berlin, met ainsi en lumière l’existence d’un trafic de vivres et de monnaies alliées au bénéfice de la Russie bolchevique ; ce rapport est aussitôt transmis à Foch par la SCR 52. Courant novembre,Dupont doitquitter Berlin 53, laissant la mission militaire continuer son travail de renseignement. Le mois suivant, la SR crée un poste à Metz, lequel implante aussitôt une antenne à Forbach ; il s’agit tout autant de se renseigner sur la francophilie des Sarrois que de mesurer les progrès du communisme dans cette région 54.
55 À propos des commissions, voir : SHD/DAT, 7 N² 2720, opérations de la Commission militaire interal(...)
56 RICHTER (S.), Service secret, Paris, Mignolet et Storz, (s.d.), p. 172.
57 Souvenirs du général J. Merson,op.cit. La recherche du renseignement va être organisée dans le co(...)
21Le 10 janvier 1920, les dispositions du traité de paix entrent en vigueur. La Commission militaire interalliée de contrôle (Berlin) comprend trois sous-commissions (armement, effectifs, fortifications) qui ont implanté 22 comités de districts sur tout le territoire germanique ; la Commission aérienne interalliée de contrôle (Berlin) en possède six, la Commission navale interalliée de contrôle, trois 55. « Le choix des personnels des Commissions trahissait l’intention d’exercer bien plus qu’un contrôle militaire, un véritable espionnage technique ; au lieu d’être composées d’officiers de carrière, elles comprenaient surtout des officiers de réserve qui étaient employés avant la guerre dans l’industrie en qualité d’experts techniques ou de chefs de corporations ouvrières. » 56 Les commissions sont aidées par les investigations des agents de la SR visant à découvrir les dépôts clandestins de matériels ; en retour, le général Nollet adresse ses rapports au 2e bureau. Cet échange d’informations accroît l’efficacité du contrôle, autorise des recoupements et permet à la SR – à défaut de « plans de recherches »57– de se fixer des priorités concernant des points demeurés obscurs.
58 Rapport du 2e bureau cité par la Commission de l’armée, 11 février 1920.
22Le 12, des Spartakistes tentent un coup de force contre le Reichstag ; une nouvelle fois, le centre de Berlin est l’enjeu de combats, mais la situation est vite rétablie par la Reichswehr et la Schutzpolizei. En raison de leur nombre et de leur équipement quasi militaires, ce sont surtout les forces de police et de sécurité qui retiennent l’attention du 2e bureau. S’ajoutant à l’effectif déjà pléthorique des associations d’anciens combattants comme le Stahlhelm, on craint que cette masse d’hommes en armes soit potentiellement dangereuse 58.
59 Elle a éclaté le 19 décembre 1919.
23Début février,les alliés exigent que 890 criminels de guerre leur soient livrés ; le gouvernement allemand, redoutant une révolte de l’armée, refuse. Pesant le pour et le contre, les alliés choisissent de ne pas insister. Le 14cependant, Foch tape du poing sur la table pour empêcher que l’insurrection polonaise de Poznan59 soit noyée dans le sang. Von Seeckt, approché par Brockdorff-Rantzau et Hindenburg pour éradiquer les bandes armées polonaises, préfère renoncer. Il règne partout une atmosphère chargée d’électricité qui fait craindre tous les débordements ; à cette époque, un groupuscule, inconnu de la majorité des Allemands – le Deutsche Arbeiterpartei (DAP) d’Anton Drexler – édifie un inquiétant programme de rénovation nationale : constitution d’une « Grande Allemagne», abrogation des traités de Versailles (puis de Saint-Germain), ségrégation raciale et religieuse, recréation d’une armée forte, etc.
L’ancien (et le nouveau) SR allemand sous haute surveillance
24Le 2e bureau est persuadé que des forces hostiles s’organisent dans l’ombre, menaçant la stabilité d’une Europe en reconstruction. La SR surveille de près les usines de chimie de la région du Rhin et du Mein, intactes et capables de se remettre à produire des substances incapacitantes ou mortelles « du jour au lendemain ». « Nous suivions exactement le travail de von Seeckt, malgré le SR allemand que la défaite n’avait nullement abattu et qui nous portait des coups sévères » 60, « les organisations terroristes allemandes employant à l’égard de leurs adversaires démasqués ce moyen radical qu’est l’assassinat » 61. Théoriquement dissous, le Nachrichtendienst du colonel Walther Nicolaï 62, un proche de Ludendorff, a en effet recommencé ses activités de renseignement et de propagande anti-alliée 63. Dans tout le pays (comme dans les États anciennement neutres qui l’abritaient pendant le conflit 64), il se montre dès 1919 « agressif jusqu’à l’insolence, pétri d’esprit revanchard et ne s’en cachant pas » 65. L’heure est précisément au recrutement dans les milieux ultranationalistes, afin de reconstituer les réseaux secrets, désagrégés par la défaite 66.
60 Souvenirs du général J. Merson.
61 NEY (E.-L.), L’autre Allemagne ; récits de missions spéciales, Paris, Berger-Levrault, 1930, p. 4.(...)
62 Chef de l’Abteilung IIIb (renseignements) du Grand État-Major allemand en 1914-1918 voir : PÖHLMA(...)
63 SHD/DAT, 7N2583, d. 2. Voir : WACHENDORF(K.), Zehn Jahre Fremdherschaft am deutschen Rhein. Eine G(...)
64 AN, F7 13 424, note de la Sûreté à propos des agissements allemands en Suisse, juin 1919.
65 Conférence du général Rivet, Revue de Défense nationale, décembre 1947.
66 Bundesarchiv(Potsdam), 672, d. 11.
67 FALIGOT (R.), KAUFFER(R.), Histoire mondiale du renseignement 1870-1939, Paris, Laffont, 1993, p.(...)
68 L’intéressé a été l’adjoint de Nicolaï pendant la guerre ; il a laissé un journal, rédigé en 1928,(...)
69 SR créé officiellement en 1921.
25D’abord séduit par le ton des propos d’un certain Adolf Hitler, le hauptmannKarl May 67 du service de renseignement du commandement militaire de Bavière s’entretient avec lui ; l’officier traitant convainc très vite l’ex-caporal à la dérive de s’infiltrer au sein du DAPet de devenir son indicateur. On sait quelle carrière va y faire Hitler dès février 1920, au moment où le DAPdevient le National Sozialistische Deutsche Arbeiterpartei – Parti national socialiste (NSDAP). À Berlin, le major Friedrich Gempp 68 regroupe des officiers d’active et d’anciens membres du IIIb, dégagés manu militari des obligations militaires ; son objectif est de constituer le noyau du service qui va bientôt s’appeler l’Abwehr 69.
70 SHD/DAT, 7 N² 2723, d. 1, renseignements sur les agissements du SR allemand, EMA2/SCR, (Haute-Silé(...)
71 NEY (E.-L.), op.cit., p. 5.
72 SHD/DAT, 7 N² 2345, d. 1, dossiers de suspects, Allemagne et Suisse, EMA2/SCR, 1920.
73 SHD/DAT, 7 N² 2151, d. 2, note sur l’organisation du CE en temps de paix, non signée, 12 pages.(...)
26À côté de cette menace d’espionnage traditionnelle, incarnée par leNachrichtendienst, d’autres dangers ont surgi après Versailles, conséquences de la modification des rapports internationaux. Dans la région d’Oppeln, le 2e bureau suit ainsi l’implantation de réseaux ennemis et de stocks d’armes illicites 70, de même que les manigances du corps francOberland, auteur de« plusieurs assassinats politiques » 71. Comme pendant la guerre, il s’intéresse aussi à la Suisse où paraît se dessiner un complot antifrançais, rassemblant agents duSRallemandet du Komintern 72. Au même moment, la SCR souligne le besoin de revoir l’organisation du contre-espionnage, « en raison de la reconstitution des services ennemis (…) et du fait qu’il ne soit pas prévu, jusqu’à présent tout au moins, d’organisation de ce genre afférente à la Société des Nations ». Cette note milite néanmoins pour que les attachés militaires ne s’occupent plus de contre-espionnage, ceci afin de ne pas se discréditer dans les pays où ils représentent l’armée française, c’est-à-dire – « auprès des puissances encerclant l’Allemagne et ses anciens Alliés et dans les pays ou l’espionnage ennemi et agents du bolchevisme sont particulièrement actifs (Suisse, Hollande, Suède, Belgique, Espagne) » – et suggère même que le CE échoie au Quai d’Orsay ou à la Sûreté générale 73.
74 VERMEIL (E.), « Les origines du coup d’État Kapp-Luttwitz », Revue des Deux mondes, 15 août 1920,(...)
27Le 13 mars, Friedrich Ebert et Gustav Noske – qui exigeaient la dissolution de la Marinebrigade Ehrhardt – sont confrontés au putsch Kapp-Lüttwitz dans lequel Ludendorff est impliqué. Au nom de la « volonté nationale du Peuple allemand », il s’agit d’une tentative de restauration monarchiste, fomenté par les partis de droite et les pangermanistes 74. Bien qu’en relation avec Noske, le capitaine de corvette Wilhem Canaris, ancien membre du SR allemand à Madrid durant la guerre (et futur chef de l’Abwehr), a trempé dans le complot.
75 CROS (G.-C.), « Le coup d’État de Kapp, notes d’un témoin »,Archives de la Grande Guerre, t. 10,(...)
76 Après ces événements, Noske démissionne au profit de Gessler.
28« À l’ambassade de France, tout est normal et parfaitement calme. De nouvelles, point ; on observe, dans l’attente des événements, une réserve naturelle et bien compréhensible. À la porte de Brandebourg, des curieux stationnent, regardent. Vont-ils se résigner passivement à cet étranglement de la République allemande ? On ne voit que des casques marqués de la svastika blanche des volontaires rentrés depuis peu des provinces baltiques. Ce sont des jeunes gens de 20 à 25 ans, fort bien armés, parfaitement équipés, bien nourris, l’air brutal et satisfait (on disait à Berlin que, sur un effectif d’environ 8 000 hommes, les "Baltikum" comptaient près de 5 000 officiers camouflés. Les troupes régulières semblent s’être volatilisées »75. Le commandant en chef de la Reichswehr s’étant refusé à faire tirer sur les militaires rebelles, le président et son ministre de laDéfense ont dû quitter précipitamment Berlin pour Dresde. Appelant à la grève générale, ils parviennent in extremis à faire échouer le coup d’État76.
Notes
1 NAVARRE (général H.), Le service de renseignements (1871-1944), Paris, Plon, 1978, p. 22.
2 Ibid. p. 23.
3 SHD/DAT, 7 N² 2151, note sur la répartition du travail des postes SR en Europe, 10 novembre 1918 et 7 N 2486, d. 2, organisation et fonctionnement des SR du Rhin, 24 juin 1919.
4 À l’époque, commandant et chef du poste d’Aix-la-Chapelle.
5 Souvenirs du général J. Merson parus sous le titre : « Nos services avant-guerre », site Internet de l’Association des anciens des services spéciaux de la défense nationale.
6 SHD/DAT, 7 N 2483, d. 1, inventaire des archives de la section allemande, 1919-1940 (reprenant l’intitulé de ses « Bulletins de Renseignements » mensuels).
7 BARROS (A.), « Le 2e bureau dans les années vingt : l’impact de la guerre totale sur les renseignements », dans Naissance et évolution du renseignement dans l’espace européen (1870-1940) ; entre démocratie et totalitarisme, 14 études de cas, Vincennes, SHD, 2006, p.197.
8 Nous taisons ici les sources non militaires d’information, mais elles n’en sont pas moins importantes.
9 SHD/DAT, 7 N 2612, d. 12, renseignements sur le fonctionnement du 2e bureau, (s.d.).
10 Voir plus avant.
11 NAVARRE (général H.), op.cit., p. 24.
12 SHD/DAT, 7N² 2770, d. 23, renseignements sur les époux Brandlewitz ayant renseigné les troupes d’occupation françaises en Rhénanie, EMA2/SCR, 1927.
13 FORCADE (O.), La République secrète, Paris, Nouveau Monde éd., 2008, p. 85.
14 Voir à ce propos : LAHAIE (O.), Renseignement et services de renseignements en France pendant la guerre de 1914-1918, 2e et 5e Bureau de l’EMA./2e Bureau du GQG, évolutions et adaptations, thèse de doctorat sous la dir. de G.-H Soutou, Paris IV-Sorbonne, 2006.
15 NAVARRE (général H.), op.cit., p. 24.
16 Ancien chef du 2e bureau du GQG (1914-1917), Dupont dirige la MMF de Berlin ; cf. LAHAIE (O.), « Face à l’Allemagne vaincue : les services de renseignements français (novembre 1918-avril 1919) », Revue historique des armées, no 251 (2/2008), p. 61-71.
17 Appelé « Centre de liaison français ».
18 Voir ci-après.
19 Pour s’en convaincre, voir :7 N 2483, d. 1, répertoire des archives du 2e bureau (1920-1940) ; rapports annuels de l’AFR reçus par l’EMA/2e bureau.
20 SHD/DAT, 7 N 2486, d. 2, organisation et fonctionnement des SR du Rhin, 24 juin 1919.
21 Souvenirs du général J. Merson.
22 SHD/DAT, 7 N² 2151, d. 2, note sur l’organisation du CE à l’étranger et sur la participation des fonctionnaires de la SG, EMA2/SR-SCR, février 1920 et SHD/DAT, 7 N 2486, d. 2, compte rendu de mission auprès de l’AFR, déclaration du général Guillaumat, signé « LCL Lainey », 21 mars 1925.
23 FORCADE (O.), op.cit. , p. 141.
24 La « section économique » du 2e bureau est pourtant supprimée fin août 1919 ; dès lors, attachés et missions militaires transmettent au Quai d’Orsay les renseignements d’ordre économique. SHD/DAT, 7 N 2485, note de la SE au sujet de sa transformation pour le temps de paix, non signée, 22 août 1919.
25 Détection d’éventuelles fuites de capitaux allemands vers la Hollande notamment grâce à la complicité de banquiers d’Amsterdam et de Rotterdam.
26 Il s’agit de deux sous-sections de la SR.
27 Le SR allemand. Voir ci-après.
28 SHD/DAT, 7 N² 2477, note sur les SR allemands, GQG/2e bureau, 5 mai 1919.
29 SHD/DAT, 7 N 2486, d. 2, organisation et fonctionnement des SR du Rhin, 24 juin 1919.
30 Foch fait de l’occupation militaire interalliée de la ligne du Rhin la condition première à l’édification d’un nouveau système défensif contre l’Allemagne, mais la paix revenue réanime les égoïsmes nationaux ; LAHAIE (chef d’escadron O.), « Foch et l’établissement d’une nouvelle doctrine défensive française sur le Rhin », actes du colloque international sur le maréchal Foch (École militaire), Paris, 14-18 éditions, à paraître en 2009.
31 BENOIST-MECHIN (J.), Histoire de l’armée allemande, t. 1, Paris, A. Michel, 1993, p. 306.
32 Témoignage du général J. Merson, Bulletin des anciens membres des services spéciaux de la Défense nationale, no 52, 1966, p. 3. C’est exactement ce que pense Foch.
33 NOLLET (général), Une expérience de désarmement ; 5 ans de contrôle militaire en Allemagne, Paris, NRF, 1932. Nollet n’arrive à Berlin que le 13 septembre 1919 ; les Commissions de contrôle du désarmement aérien et naval sont placées sous responsabilité britannique.
34 Rattaché administrativement à l’état-major militaire de la ville. FORCADE (O.), « La sortie de guerre des services spéciaux français 1918-1925 », Cahiers du CEHDno 31, dossier sur les sorties de guerre, 2007, p. 51.
35 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 141.
36 NAVARRE (général H.), op.cit. p. 25.
37 BENOIST-MECHIN (J.), op.cit. p. 325.
38 PERNOT (M.), « Carnet d’un Français en Allemagne, juillet-octobre 1919 », Revue des Deux mondes, 1er janvier 1920, p. 165.
39 Il est fort probable qu’il s’agisse là d’une « élimination », comme il s’en produit parfois entre SR adverses.
40 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 142-150.
41 SHD/DAT, 7 N 681, bulletin de situation générale, EMA/2e bureau, 15 août 1919.
42 Kölnische Zeitung, août 1919.
43 Articles des Fränkischer Kurier, Münchner Neueste Nachrichten et Frankfürter Zeitung, automne 1919.
44 DUPONT (général C.), « Le rapatriement des prisonniers », Revue des Deux mondes, 1er mai 1920, p. 165.
45 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 142.
46 DUPONT (général C.), op.cit., p. 166.
47 Les clauses du traité ne sont pas à application immédiate, ce qui laisse à l’Allemagne le temps de soustraire ce qu’elle souhaite à la vue des alliés.
48 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op.cit., p. 142.
49 NAVARRE (général H.), op.cit. p. 25.
50 SHD/DAT, 1 KT 526, Mémoires du général Dupont, op. cit., p. 143.
51 NAVARRE (général H.), op.cit. p. 24. Tout le problème réside dans l’utilisation que les décideurs font du renseignement qui leur est transmis ; en France – à la différence de ce qui se passe en Angleterre – le renseignement d’origine militaire est difficilement utilisé comme une aide à la décision, parce qu’émanant de spécialistes, il est a priori suspecté d’être tendancieux. L’ignorance de ce travers national explique les conclusions hâtives de certaines études Voir : ALEXANDER (M.), « Did the Second Bureau work, 1919-1939 ? », Intelligence and National Security, 1991-2.
52 « Renseignements reçus d’un agent du service de CE de la MMF » rapport transmis le 2 novembre 1919 à l’EMA2/SCR par l’attaché militaire français à Berlin, reproduit dans : KROP (P.), Les secrets de l’espionnage français de 1870 à nos jours, Paris, Lattès, 1993, p. 647.
53 Au sein d’une « Commission interalliée de délimitation », il doit tracer les frontières germano-polonaises, incluant celles de Dantzig.
54 AN, F7 13 424, notes du 2e bureau sur la propagande bolchevique en Allemagne reçues par la SG, fin 1919.
55 À propos des commissions, voir : SHD/DAT, 7 N² 2720, opérations de la Commission militaire interalliée de contrôle des armements de l’Allemagne (février-mars 1920).
56 RICHTER (S.), Service secret, Paris, Mignolet et Storz, (s.d.), p. 172.
57 Souvenirs du général J. Merson, op.cit. La recherche du renseignement va être organisée dans le courant de l’année 1920. Le plan de recherches, d’abord soumis pour approbation au chef d’état-major, est un ordre donné par le chef du 2e bureau à ses organes de recherche pour les orienter, individuellement et méthodiquement, sur les indications que le commandement souhaite obtenir. ESNEVAL (capitaine d’), « Fonctionnement d’un 2e Bureau », Revue Militaire française, octobre-décembre 1936, p. 245.
58 Rapport du 2e bureau cité par la Commission de l’armée, 11 février 1920.
59 Elle a éclaté le 19 décembre 1919.
60 Souvenirs du général J. Merson.
61 NEY (E.-L.), L’autre Allemagne ; récits de missions spéciales, Paris, Berger-Levrault, 1930, p. 4.
62 Chef de l’Abteilung IIIb (renseignements) du Grand État-Major allemand en 1914-1918 voir : PÖHLMANN (M.), « Le renseignement allemand en guerre : structures et opérations », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 232, Paris, PUF, décembre 2008.
63 SHD/DAT, 7N2583, d. 2. Voir : WACHENDORF (K.), Zehn Jahre Fremdherschaft am deutschen Rhein. Eine Geschichte der Rheinlandbesetzung von 1918-1928, Berlin,Völkischer Beobacher (1929) pour cette propagande.
64 AN, F7 13 424, note de la Sûreté à propos des agissements allemands en Suisse, juin 1919.
65 Conférence du général Rivet, Revue de Défense nationale, décembre 1947.
66 Bundesarchiv (Potsdam), 672, d. 11.
67 FALIGOT (R.), KAUFFER (R.), Histoire mondiale du renseignement 1870-1939, Paris, Laffont, 1993, p. 192.
68 L’intéressé a été l’adjoint de Nicolaï pendant la guerre ; il a laissé un journal, rédigé en 1928, consultable au Bundesarchiv-Militärarchiv (Freiburg), RW 5/654,Generalmajor a. D. Gempp, Geheimer Nachrichtendienst und Spionageabwehr des Heeres. t. 1, 1866-1914.
69 SR créé officiellement en 1921.
70 SHD/DAT, 7 N² 2723, d. 1, renseignements sur les agissements du SR allemand, EMA2/SCR, (Haute-Silésie, février-août 1920).
71 NEY (E.-L.), op.cit., p. 5.
72 SHD/DAT, 7 N² 2345, d. 1, dossiers de suspects, Allemagne et Suisse, EMA2/SCR, 1920.
73 SHD/DAT, 7 N² 2151, d. 2, note sur l’organisation du CE en temps de paix, non signée, 12 pages.
74 VERMEIL (E.), « Les origines du coup d’État Kapp-Luttwitz », Revue des Deux mondes, 15 août 1920, p. 801.
75 CROS (G.-C.), « Le coup d’État de Kapp, notes d’un témoin », Archives de la Grande Guerre, t. 10, 1921, p. 560-563.
76 Après ces événements, Noske démissionne au profit de Gessler.
Pour citer cet article
Référence électronique
Olivier Lahaie , « Le renseignement militaire français dans l’Allemagne d’après-guerre (mai 1919-mars 1920) : à la recherche d’une nouvelle sécurité », Revue historique des armées, 256 | 2009, [En ligne], mis en ligne le 28 juillet 2009. URL : http://rha.revues.org/index6808.html. Consulté le 13 mai 2013.
Auteur
Olivier Lahaie
Docteur en histoire de l’université Paris IV-Sorbonne, il s’est spécialisé dans l’étude des services de renseignements pendant et après la Première Guerre mondiale. Chef du cours d’histoire militaire aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et chercheur au centre de recherche de ces écoles, il est l’auteur d’articles dans des revues scientifiques ou de vulgarisation et a participé à la rédaction d’ouvrages collectifs d’histoire militaire, dont le dernier en date (Les espionnes dans la Grande Guerre) est sorti aux éditions Ouest-France en avril 2008.
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