Bonjour à tous,
Voici l'histoire véridique du rapatriement d'INDOCHINE de 250 petits soldats français confiés à un équipage français du transport de troupe "MONTBELIARD" ex liberty ship US.
Le 3 septembre 1949, après avoir grenouillé 30 mois dans la rizière du TONKIN avec le II/6° RIC, je suis rapatriable et embarque le 07 septembre sur le "MONTBELIARD" à HAÏPHONG.
Beaucoup d'hommes de troupe, de rares sous-officiers et encore moins d'officiers dont le lnt colonel ou le colonel commandant d'Armes de ce raffiot rouillé.
Nous sommes conduits à fond de cale où nos couchettes sont superposées sur 4 niveaux, les plus anciens choississant bien entendu leurs places. J'étais pourtant caporal chef mais beaucoup trop jeune pour avoir ici une autorité sur des vieux briscards âgés de 45 ou 50 ans, 2éme classe ou caporal, ayant guerroyé depuis l'âge de 18 ans un peu partout dans le monde.
Nous quittons HAÏPHONG, traversons la baie d'ALONG et direction SINGAPOUR à une vitesse d'escargot pensant qu'une mer simplement agitée allait nous compliquer sérieusement la tâche.
Le commandant d'Armes prend la parole pour nous annoncer que nous ne serions pas autorisés à descendre aux escales, le capitaine du navire l'interdisant.
Quant à la durée du voyage: 40 jours environ dont pratiquement toute la durée sous une chaleur démente.
Au bout de 3 ou 4 jours, nous nous apercevons que la nourriture est éxécrable, en quantité infime et que la boisson est constituée uniquement d'eau tiède alors que nous avions vu charger du lait, du vin et d'autres produits alimentaires.
Un sous-officier demande au commandant d'Armes d'agir afin que nous ayons un minimum de nourriture et surtout de l'eau à volonté et non pas trois fois par jour bue non pas dans un quart faute de robinets mais en se penchant à heures fixes sur des tuyaux en cuivre perçés de trous minuscules.
La durée d'ouverture était fixée selon le bon vouloir du marin agissant sur la vanne ; quant aux douches, il n'était même pas question d'y penser ; elles étaient uniquement réservées à l'équipage et peut être aux sous-officiers et aux officiers, je ne m'en souviens plus.
Par la suite, dès qu'un orage éclatait, nous étions tous sur le pont en tenue d'Adam avec du savon sensé mousser au contact de l'eau de mer qui nous avait été remis lors de notre embarquement.
Peu après notre départ, un membre d'équipage prit la parole non pas pour nous souhaiter la bienvenue ou un agréable voyage mais pour nous annoncer que le foyer serait ouvert de telle à telle heure et que, si nous voulions manger davantage, il fallait travailler.
Et de nous résumer les différents travaux proposés que seuls les volontaires sont en droit d'accepter avec le bonus promis.
A savoir ( de mémoire...) aider les cuisiniers, peindre le navire au minium puis à la peinture, nettoyer les ponts etc.
Personnellement, j'ai refusé ainsi que beaucoup de camarades.
Parmi ceux ci, j'ai retrouvé un camarade de lycée Robert SCATENA des télégraphistes coloniaux qui avait effectué son séjour dans le pire endroit del'Indochine à l'époque, le veux parler du GNO (groupement nord ouest) dont le PC était à LAICHAU au nord d'HANOI et à la frontière de Chine.
Ces hommes étaient coupés pendant 30 mois de toute civilisation sauf celle des Méos fidèles à la France et dont le sort fut tragique en1954.
Aucun moyen d'accès si ce n'est par avion du type PIPER ou FISSLER, le ravitaillement en munitions et en vivres étaient effectué par parachutages.
Il fallait mieux ne pas être bléssé ou malade dans cette région car il n(y avaitqu'une infirmerie.
Ces hommes furent évacués sur HANOÏ en 1950 quand les chinois communistes s'emparèrent de la Chine.
Quant à mon copain Robert, comme beaucoup, il "avait tirer sur le bambou" en français gouter à l'opium, la seule distraction du pays ! heureusement, il n'en avait pas trop abusé contrairement à certains qui furent envoyés en cure de désintoxication à CHOQUAN (orthographe incertaine) en compagnie des fous furieux et des malades syphilitiques. Allez comprendre le rapport entre ces différentes pathologies ?
Au foyer, il y avait de quoi boire et manger pour ceux qui avaient de quoi payer le coût exhorbitant de la marchandise car beaucoup avaient dépensé leur pécule pour "arroser" copieusement leur départ à HAÏPHPONG.
La bière, le lait, les sardines, les cigarettes etc avaient été fournis par l'intendance et destinés à notre consommation durant la traversée ! ces voyous détournaient sans vergogne les marchandises à leur profit et en toute impunité.
Toute la journée, des militaires effectuaient les travaux demandés y compris sur des échafaudages suspendus au dessus de l'eau pour effectuer la remise en état de la coque.
L'équipage a tenu parole, comme tout homme d'honneur, il a donné ce qu'il avait promis aux camarades travailleurs en torse nu sous une chaleur accablante, ce qui était aussi notre lot, car dans les cales, il n'y avait pas le moindre souffle d'air et sauf pluie, nous couchions sur le pont à même l'acier.
Par contre, ces messieurs de l'équipage nous narguaient, allongés et profitant de l'air des ventilateurs de marque "MARELLI".
Les distractions consistaient à écouter le soir pendant deux ou trois heures de la musique diffusée d'une station généralement anglaise en fonction de notre position géographique.
La seconde formellement interdite: le poker.
Le règlement était détourné car les joueurs pariaient des cigarettes ! 10 cigarettes valaient 1 franc par exemple et gare à celui qui trichait.
Première escale: COLOMBO et sa rade magnifique.
Nous sommes ancrés près des immenses réservoirs de la compagnie "SHELL".
Comme à chaque escale, des petits bateaux à voile arrivent pour nous vendre des cigarettes en particulier.
L'équipage ne les repousse pas au début puis active les lances à incendie pour les refouler! buisness eis the buisness!
Arrive un évènement imprévu.
Une barge contenant des dizaines de carcasses de moutons congelés accoste.
Par hauts parleurs, des hommes sont appelés dont le c/chef SCATENA et moi même.
Il s'agissait de transférer la viande de mouton de la barge aux chambres froides du navire, travail qui incombait normalement à l'équipage.
Furieux, nous allons voir le commandant d'Armes à qui nous osons faire part de nos doléances, à savoir que notre grade nous exemptait de toutes corvées.
Réponse: C'est un ordre, je n'y peux rien; à croire que le capitaine du navire avait autorité sur le commandant d'Armes; il est vrai qu'il est maître après Dieu.
L'équipage active un palan, place un filet dans lequel SCATENA et 2 ou 3 autres camarades prennent place pour descendre dans la barge tandis que je reste sur le pont avec d'autres pour réceptionner la viande de mouton estampillée de dates correspondantes à la guerre du Pacifique, autrement dit, de la viande fraiche!
La France n'avait pas dû être ruinée par cet achat.
La manoeuvre débute bien jusqu'au moment où le filet s'ouvre inopinément alors qu'il était à ma hauteur et les carcasses retombent dans le chaland dont une ou deux sur SCATENA qui s'écroule.
L'équipage nous prend à partie, nous traitant de tous les noms d'oiseaux sans que nous puissions répondre car ils le savaient parfaitement, les bougres.(pour rester polis)
SCATENA est remonté par le filet et je le conduis à l'infirmerie du navire qui consistait en un bureau du médecin et une pièce avec deux ou trois lits pour les hospitalisés et surtout un ventilateur.
Le médecin examine SCATENA, nous rassure en disant qu'il ny avait rien de cassé et qu'il pourrait rejoindre ses camarades une fois le dossier rempli.
Comme témoin, il me demande mon nom et me dit: Vous êtes parent avec Maurice Gantheret ? c'est mon père lui répondis je.
Je m'appelle CAPELIN et nous sommes cousins.
Effectivement, nous étions parents pas très éloignés et je ne l'avais pas revu depuis fort longtemps ignorant qu'il était médecin aux Messageries Maritimes à moins que çe soit les Chargeurs Réunis, mais je ne le pense pas.
De me dire, que nous étions sur le raffiot le plus pourri de la compagnie avec un équipage communiste, bien entendu antimilitariste etc etc.
Mon cousin déchire le dossier d'entrée à l'infirmerie pour en rédiger un second mentionnant que l'état de santé de SCATENA était assez grave pour son maintien à l'infirmerie .Il lui expliquant qu'il aura une nourriture correcte, une literie normale et de la boisson glacée à pofusion etc etc....
Le seul hic était qu'il avait un espace restreint pour prendre l'air mais il s'en moquait royalement.
Comme j"allais quitter son bureau, mon cousin me dit qu'il faisait le nécessaire pour que j'obtienne l'autorisation de rendre visite à SCATENA tous les soirs vers 2100 heures.
Le premier soir de sa dîte hospitalisation, je suis autorisé à rendre visite au malade qui buvait tranquillement un "PERNOD" avec mon cousin.
Je prends la même consommation avec une eau glacée délicieuse et nous discutons pendant une heure environ
après que mon cousin ait sorti d'un réfrigérateur un repas pour moi accompagné d'une bouteille de vin fin.
Je me rappelle fort bien qu'il y avait deux réfrigérateurs à l'infirmerie, l'un personnel rempli de boissons et de glaçons et le second destiné à conserver les médicaments mais il n' y avait pas que cela !!
Au bout d'une heure de bavardage, je quitte l'infirmerie les deux poches du short remplies de tranches de pain, de rondelles de saucisson etc.
A mon retour sur le pont, on me demandait des nouvelles de SCATENA.
Je prenais un air contris et je répondais: ça se maintient ou une phrase du même genre.
Donc, quotidiennement je buvais mon PERNOD, dînais fort bien et je faisais le lein d'eau glacée.
COLOMBO fut la prochaine étape avec ses transports de troupe anglais ancrés à nos côtés.
Rien à voir avec le MONTBELIARD, leurs transports de troupe étaient d'anciens paquebots et leurs occupants étaient uniformément vétus contrairement à nous.
Il est évident que pendant les escales les échafaudages restaient en place et les corvéables étaient remplacés par des membres de l'équipage: pas si bêtes ces cocos.
Par la suite, escales à SINGAPOUR, ADEN et DJIBOUTI où nous avons eu la distribution du premier courrier.
Dans l'océan Indien, nous avons affronté une terrible tempête qui dura plusieurs jours et nous n'avons pas quitté nos couchettes; la Nautamine n'exstait pas ou il n'y en avait pas à bord sinon mon cousin CAPELIN me l'aurait dit.
ADEN puis la mer ROUGE où la chaleur était effroyable. Impossible de poser les mains sur le métal et encore moins de descendre dans les cales ; aussi le commandant d'Armes obtint l'autorisation exceptionnelle d'une distribution d"eau.
Nous nous sommes précipités vers les tuyaux et au lieu de l'eau tant espérée, ce fut des jets la vapeur d'eau chaude qui sortirent des trous perçés dans le tuyau.
Heureusement qu'il n'y avait pas d'armes à bord car je suis certain que la mutinerie couvait (ce qui fut le cas au cours d'un voyage ultérieur).
Nous avons attendu le soir pour nous désaltérer si l'on peut s'exprimer ainsi et moi même 2100 heures pour étancher complètement ma soif,ayant honte de profiter de ces avantages.
Ensuite, SUEZ où nous accostons à un quai situé face à des bars à marins où nous entendions sans interruption et pour la première fois un air qui allait devenir célère : "THE HARRY LIME THEME" soit le "troisième homme".
A PORT SAÏD: même rangaine.
Nous sommes arrivés à MARSEILLE le 18 octobre soit après 41 jours de mer.
A terre, nous étions incapables de nous tenir debout et il a fallu un certain temps pour monter à bord des CITROËN U45 du camp Sainte Marthe à MARSEILLE.
Toujours dans un état déplorable ce fameux camp où nous sommes restés environ 48 heures avant de bénéficier de notre CFC.
Nous avons revu le colonel qui avait rédigé le rapport concernant les conditions déplorables de notre traversée et remis au commandant du camp.
Celui ci lui a répondu que son rapport ne quitterait pas son bureau car il avait des ordres.
Je m'excuse d'avoir été aussi long mais c'est l'exacte vérité sur mon Honneur.
Je pensais bien en avoir terminé avec ces grands patriotes marins ou dockers du port de MARSEILLE mais c'était sans compter sur leurs comportements enversles bléssés couchés sur leurs brancards dont je faisais partie, sans défense, à MARSEILLE en juillet 1955.
Bien amicalement.
Gantheret
PS/ Je me demande pour quelles raisons, entres autres, je ne suis pas communiste ? toute aide sera la bienvenue.