Les dernières confidences du général Paul Aussaresses En s’invitant chez le général, on pouvait craindre un accueil plutôt froid ; il est en réalité très courtois.
Âgé de 94 ans, fatigué (le dernier hiver l’a éprouvé), entendant mal et ne voyant pas mieux (il a perdu un œil au combat), le militaire ne s’est pas défilé, s’exprimant de façon claire, avec une pointe d’accent du Sud-Ouest.
Ces confidences sont-elles les dernières ?
Le vieil homme, qui se dit croyant et pratiquant, a prévenu ses proches qu’il exigera la présence d’un aumônier militaire quand sa dernière heure sera venue.
Général Aussaresses, êtes-vous heureux en Alsace ? Je réponds, avec un point d’exclamation : oui, je suis heureux en Alsace !
Qu’est-ce qui vous plaît ici ? Les Alsaciens… et les Alsaciennes !
Mais nous allons plutôt parler de l’Algérie, où vous avez combattu le FLN. Cette période a marqué votre vie, j’imagine… Grandement !
Vous avez confirmé l’utilisation de la torture durant cette guerre. Vous estimez que c’était un moyen nécessaire, dans ces circonstances ? Je trouve que c’était nécessaire, quand nous l’avons fait, et utile…
S’il fallait le refaire, vous le referiez ? Si c’était à refaire, je referais ce chemin. Je ne serais pas content, mais je le referais… C’était pour la France. C’est le devoir d’un soldat. J’assume. C’était une vraie guerre. « Notre sang vert, c’est pour la France… »
Votre « sang vert » ? Un de mes chefs m’avait dit : « Depuis que je vous connais, je trouve que vous avez le sang vert ! » J’ai dit : « Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » C’est un jeu de mots, avec une chanson : « Notre sang versé pour la France ! » Ça ne veut pas dire que je suis content d’avoir le sang vert, mais j’ai le sang vert !
Vous appelez la petite maison où vous dormez la « casbah ». Vous pensez encore souvent à ce que vous avez fait en Algérie ? [Il rit] Alors là… Je reste muet. Mais si je réfléchissais pour vous répondre, je vous dirais que j’y pense tout le temps…
Après vos révélations sur la torture, le président Chirac a demandé que l’on vous retire votre Légion d’honneur. Comment l’avez-vous vécu ? C’était injuste ! J’aurais pu dire : « Mais ce que j’ai fait, je l’ai fait sur ordre ! » Mais ce serait lâche de le dire, je ne le dis pas, hein ? J’ai agi parce que c’était mon devoir.
Vous n’êtes pas pour la repentance par rapport à la façon dont la France a agi en Algérie ? Non, on a fait ce qu’on devait.
Vous considérez-vous comme un homme d’honneur ? Ce n’est pas moi qui l’ai dit, en me regardant fièrement dans la glace, c’est Monsieur Bouteflika, le président de la République algérienne, interrogé par un journaliste français. Il a dit :
« Tout ce qu’a fait, dit, écrit Paul Aussaresses, il l’a fait dans l’honneur ! » Ça m’a fait plaisir d’entendre ça. Parce que, figurez-vous, c’était l’expression de la vérité.
Vous faites de la politique ? Non, mais ça m’intéresse.
Si l’on pense que votre préférence va à l’extrême- droite, on se trompe ? Non, c’est vrai. Je connais Marine Le Pen, pour avoir dansé avec elle. J’ai trouvé qu’elle avait avec moi quelque chose de commun : la taille ! Si vous me demandez ce que je pense d’elle… Oh, je n’en pense que du bien ! Mais j’ai voté pour Sarkozy…
On a l’impression que vous avez encore beaucoup de secrets à dire… J’en ai, bien sûr, mais pas beaucoup… Je n’ai plus de révélations à faire.
S’il reste des secrets, c’est parce que vous avez promis de les taire, c’est ça ? C’est ça.
Est-il vrai que vous avez rencontré Klaus Barbie en Amérique du Sud ? Bien sûr ! Il s’appelait Altmann, il était chez lui, là-bas. J’ai dit aux représentants de nos services : « C’est Barbie, pourquoi on ne le zigouille pas ? »
Vous, il vous est arrivé de tuer directement ? Mais j’ai tiré, j’ai été obligé de tirer ! Devant moi…
Votre vie est celle d’un personnage de roman… C’est un personnage qui faisait ce qu’on lui disait de faire. Ça s’est passé comme ça… Je me souviens d’une fois, en Indochine, j’entendais parler des colonels, l’un d’eux disait : « Il y a telle chose qui doit être faite », et les autres ont dit : « Qui va le faire ? » Alors, un des colonels a dit : « On va le donner à Aussaresses parce que ça l’amuse ! » Mais ça ne m’amusait pas !
Est-ce que vous considérez que vous avez eu une belle vie ? Oui ! Parce que ma vie se termine avec une belle femme !