Les étrangers au service de la FranceLa légion étrangère que nous connaissons aujourd’hui, date de Louis-Philippe. Mais déjà au temps de l’ancienne monarchie, des contingents étrangers avaient été incorporés à l’armée française, pour une même servitude et une même grandeur militaire.
Philippe-Auguste fut le premier de nos rois à employer régulièrement des étrangers dans ses grandes expéditions militaires. Il fut aussi le premier à plier ces « routiers » à une discipline jusqu’alors inconnue dans les armées féodales. Les « Grandes Compagnies », qui remplirent de leurs exploits et de leur tumulte la guerre de cent ans et évoquent la figure de Duguesclin, troupe difficile à mener et dont les émules et successeurs ne disparaitront pas avant la fin du Xve siècle, montrèrent un ordre plus relevé que celui de leurs devanciers, les routiers. Ces formations étaient composées de Français, mais surtout d’étrangers : Flamands, Hollandais, Castillans, Gallois, Bretons, Gascons et Savoyards. Leurs chefs étaient issus de la noblesse et parmi eux figurèrent des sires de Beaumanoir et des Rohan. La Hire et Xaintrailles, immortalisés sous Charles VII à la suite de la bannière de Jeanne, furent eux aussi des chefs de bandes.
Il faut attendre le règne de ce roi pour voir s’organiser véritablement en France une armée permanente. Des écossais étant venus combattre l’Anglais aux côtés du roi de France, le souverain les constitua en compagnies chargées de sa garde personnelle. En 1439, à l’apparition des « Compagnies d’ordonnance » créées par Charles VII au nombre de quinze, deux étaient écossaises et subsisteront jusqu’à la révolution.
Depuis ce temps, l’histoire de la « Compagnie Ecossaise des Gardes du Corps du Roi » se confondra avec celle même de l’ancienne monarchie française. Alors qu’au XVIIIe siècle, ce corps, modèle de fidélité, n’avait plus d’écossais que le nom, tous les éléments le composant étant peu à peu devenus français, tandis que les autres troupes de la maison du roi répondaient « présent » aux appels, les gardes écossais répondaient toujours en langue écossaise « hamir », mot corrompu et abrégé de « hay hamir » (I am here) qu’ils prononçaient alors, signifiant « me voici », et mieux encore : « Je suis prêt à mourir pour mon serment ».
Ce fut surtout à l’époque des guerres d’Italie, à partir de Louis XII que, sous la forme de troupes légères à cheval, élément alors tout à fait nouveau, les étrangers entrèrent dans les rangs de l’armée française. C’étaient des gens des Balkans, Albanais, Grecs ou même Turcs, tous des guerriers - dit Brantôme - ayant coutume « de porter la teste de leurs ennemis à l’arçon de leur selle ». La cavalerie demeurait cependant l’arme française par excellence et ne perdra cet apanage qu’à la guerre de trente ans.
Sous François Ier, les mercenaires étrangers formaient la plus grande partie de l’infanterie. Sur 26 000 combattants, l’armée de Marignan comptera 16 000 étrangers : Suisses, Allemands, Savoisiens, Liégeois ou Piémontais.
Dans ces pages consacrées à l’origine de notre Légion Etrangère, les Suisses méritent une place à part en raison de l’ancienneté, de l’importance et de la durée de leurs services. Louis XI se tourna vers cette nation pour l’aider dans sa lutte contre Charles le Téméraire. Par les capitulations, véritables traités d’alliance, les cantons suisses s’engageaient à fournir au roi de France, un contingent d’hommes déterminé, moyennant une redevance pour les états confédérés et une solde pour les soldats. Ces capitulations furent renouvelées par les successeurs de louis XI et, jusqu’aux derniers jours de la monarchie, les Suisses au service de la France, conservèrent leur caractère particulier. Infanterie expérimentée, aussi brave que fidèle, cette troupe partagera les garnisons, les marches, les campagnes, les fastes de notre armée, victoires ou revers. Aux champs funestes de Rossbach, en 1757, voyant leur ligne d’habits rouges couvrir notre retraite, inébranlables sous le feu, Frédéric II, manifestant son admiration, n’a-t-il pas dit : « Quel est ce mur de briques que mes canons ne peuvent entamer ? ». A quoi on lui répondit : « Sire, ce sont les Suisses ».
En 1791, l’armée française comprenait environ 14 000 Suisses, uniquement troupe d’infanterie dont 11 régiments de ligne, le régiment des Gardes Suisses, la compagnie des Cent-Suisses et la compagnie de la garde ordinaire du comte d’Artois. Défenseurs du trône de nos rois, les gardes suisses sauvèrent Charles IX à Meaux en 1567, et dans la terrible journée du 10 août 1792, ils donnèrent l’exemple du plus sublime dévouement.
Ce furent les drapeaux des régiments suisses au service de la France qui arborèrent les premiers la devise « Fidelitate et Honore ». Traduite en français, elle resplendit toujours en lettre d’or sur les drapeaux et étendards de nos régiments étrangers actuels, et c’est aussi sous cette formule que tout légionnaire signe son acte d’engagement.
Pendant les guerres de religion, des Espagnols servirent dans nos rangs et, dans nos troupes à cheval, la proportion des éléments étrangers était plus forte que celle des escadrons français. Venus d’Allemagne, des reîtres en armure noire suivront le panache blanc d’Henri IV « dans le chemin de l’honneur ». Pour assurer le succès de sa lutte contre la maison d’Autriche, Richelieu renforcera plus encore notre armée en corps composés d’étrangers. Le duc Bernard de Saxe-Weimar lui fournira un contingent de 16 vieux régiments de cavalerie allemande ; en 1639, ils compteront définitivement dans l’ordre de bataille de l’armée française. « Il y avait de tout parmi les Weimariens – rapporte le général Susane – des Lorrains, des Ecossais, des Suisses, des Polonais et des soldats venant des Pays-Bas aussi bien que de l’Allemagne ». A cette époque, les troupes du roi, infanterie et cavalerie, se composaient d’une moitié d’étrangers et il faudra attendre Louvois pour que cet apport étranger diminue dans de notables proportions. A la fin du siècle du Grand Roi, l’effectif de notre armée n’atteindra qu’un sixième de nos contingents. Parmi ceux-ci, l’Espagne, l’Italie en fourniront, et l’Angleterre elle-même enverra des troupes au roi de France. L’attirance de notre pays fut telle à ce moment que Churchill, le futur duc de Malborough, ainsi que le prince Eugène de Savoie, offrirent leurs services à Louis XIV.
De nombreux maréchaux recevant le bâton « fleurdelysé » des mains du roi, sortiront de ces troupes étrangères venues combattre à nos côtés : les deux Trivulce, le prince de Melphes, Pierre Strozzi « l’homme du monde qui arrangeait le mieux les batailles », les Broglie, les d’Ornano, Schomberg un comte allemand, Rosen et Asfeld des Suédois, Rantzau et Lowendal des Danois, Bercheny un Hongrois. A la Grande-Bretagne, nous devons Robert Stuart et Berwick, fils d’un roi, dont Villars enviait le trépas au champ d’honneur. Maurice de Saxe, le vainqueur de Fontenoy, était aussi de sang royal. Nous nous garderons d’oublier, sous l’empire, Poniatowski, le héros polonais, et enfin le dernier, le prince de Hohenlohe-Bartenstein, qui n’est autre que le colonel supérieur de la Légion de Hohenlohe, la souche de notre actuelle Légion Etrangère.
A la veille de la révolution, sur près de 150 000 hommes composant l’armée royale, 40 000 étaient étrangers et répartis en régiments suisses, allemands, irlandais ou liégeois pour l’infanterie, et allemands, suédois ou hongrois pour la cavalerie. Cette répartition n’était du reste exacte que pour la dénomination ; en effet, plusieurs régiments allemands et certains régiments suisses étaient recrutés en Alsace et en Lorraine, et de nombreux Français figuraient dans des régiments irlandais et liégeois.
Les régiments étrangers des rois de France disparus, les mots « Légion étrangère » seront prononcés en 1792, un décret décidant l’organisation d’une « légion franche étrangère » dans laquelle ne seront admis que des étrangers. Cette mesure entrainera la création d’une foule de formations portant les noms les plus variés, comme les plus surprenants et, ce qui ne peut étonner, de valeurs fortes inégales. Puis, renouant avec l’ancienne tradition, la France reprendra des Suisses à sa solde, et bientôt des Polonais. Sous l’empire, soit qu’ils se donnèrent volontairement à elle, soit qu’ils subirent les conséquences de nos conquêtes, les contingents étrangers vinrent grossir démesurément les rangs de la Grande Armée. Celle-ci en comptera une masse considérable, comme il n’en fut jamais, l’Europe presque entière s’y trouvait représentée. Après les campagnes de 1812 et de 1813, il ne restera de ces troupes que les Italiens, les Suisses et les Polonais. Ceux-ci furent les champions de la première comme de la dernière heure de l’épopée napoléonienne avec l’escadron de chevau-légers de l’île d’Elbe, immortalisé par le poême « Wiarus napoleonski » (« Le grognard napoléonien »), hymne de fidélité dédié à Napoléon : « Sire ! Dieu voit que je ne mens pas, Cent mille hommes se lèveront encore, Faites seulement un appel aux armes et il ne manquera pas d’hommes en Pologne ! ».
Au but tactique appelant dans nos armées des troupes étrangères, se mêlera souvent l’originalité : les hussards hongrois venus à la fin du règne de Louis XIV, rejoindront en pittoresque les mameluks d’Egypte entrés cent ans plus tard dans la garde du consul puis de l’empereur. Etonnante vision donnée aux Parisiens et à l’Europe de ces orientaux, en un éblouissement de couleurs, défilant à la diable sur leurs montures frémissantes.
Pendant tout l’Empire, nos alliés allemands exaltèrent les sentiments de napoléonisme et s’en firent une gloire ; pour eux, l’étoile de la Légion d’Honneur était presque devenue la plus enviée et la suprême récompense. Après la chute de Napoléon, les titulaires continuèrent à la porter auprès des médailles gagnées pendant les campagnes finales contre les Français. Les troupes badoises furent celles qui, parmi nos alliés allemands, assimilèrent le plus rapidement l’esprit combatif des troupes françaises, se montrèrent les plus mordantes et les plus résolues. Ville pacifique s’il en fut, où la bourgeoisie avait été de tout temps exempte de services militaires, Francfort peut être prise comme exemple d’une petite principauté allemande ayant fourni à Napoléon un contingent qui, de 1806 à 1813, en Prusse, en Espagne, en Russie, combattra côte à côte avec nos troupes, se battant comme elles, pensant et sentant comme elles. Et ceci au point que, franchissant en 1813 la frontière d’Espagne en France, les soldats francfortois semblaient retrouver le sol natal : « Le napoléonisme, constatait non sans regret l’historien francfortois Bernays, avait pénétré en maître dans l’âme des soldats allemands. Leur cœur était comme enchaîné dans son cercle magique ». Les grands souvenirs des campagnes faites sous les Aigles françaises demeurèrent gravés dans les mémoires de ces étrangers avec les noms d’Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram, Lutzen, Montmirail, et aussi Waterloo. Ils seront matérialisés par le portrait de l’empereur accroché au mur dans beaucoup de maisons de l’Allemagne occidentale, auprès parfois de la médaille de Sainte-Hélène. Etendue et demeurée vivace bien au-delà du Rhin, la légende napoléonienne vit éclore de nombreux écrits évoquant la Grande armée et le rôle qu’y tinrent les contingents allemands.
Dans le “liederbuch für die Veteranen der Grossen Napoleonarmee von 1803 bis 1814″, publié à Mayence en 1837 par Niklas Müller, on peut lire : « Le guerrier qui a suivi Napoléon sous tous les climats de l’univers, le guerrier qui a combattu sous ses ordres en tant de royaumes, qui a tant de fois pris sa part de la gloire et du triomphe, qui a mené cette vie tourmentée, pleine de privations, de souffrances, de fatigues et de dangers mortels, ne peut pas, ne doit pas oublier son grand général ».
Sous la première restauration, les Bourbons ne conserveront que les Suisses, en souvenir des fidèles services rendus par eux à la France durant quatre siècles, et avec eux quatre régiments étrangers dont un colonial, formé d’Espagnols et de Portugais à qui leur pays était fermé. Enfin, les huit régiments étrangers réorganisés par Napoléon aux cent-jours formeront en 1815 la « Légion Royale Etrangère » qui devint la « Légion de Hohenlohe », puis en 1821 le régiment de Hohenlohe. Licencié en 1830, ce dernier contribuera à former le 21e Léger et ensuite la Légion Etrangère. Les régiments suisses de la Restauration disparaîtront en 1830, mais les Suisses revivront encore dans l’armée française de 1855 à 1859 sous les dénominations successives de « Deuxième Légion Etrangère » et de « 1er Régiment Etranger ».
La grande aventure de la Légion a commencé un jour de mars 1831. Œuvre toute française due au roi Louis-Philippe, l’institution de la Légion Etrangère fait l’honneur à la France. Unique dans le monde entier, une société d’un caractère exceptionnel, un ordre militaire laïc a grandi ainsi à l’ombre de notre drapeau.
Partout présente où la France se bat, la Légion étrangère est de même toujours prête aux tâches pacifiques. Pratiquant par le culte de l’honneur et le sens de la fidélité toutes les vertus militaires, guidée par de solides traditions, elle donne à tous, là où elle parait, une impression réconfortante de puissance. Aussi a-t-elle conquis une place de choix dans notre armée, celle accordée au dévouement sans limite, au sacrifice absolu à tout instant consenti.
A Sidi-Bel-Abbès, sanctuaire de la Légion, quatre légionnaires de bronze veillent autour du monument élevé à la mémoire de tous leurs camarades morts au combat dans toutes les parties du monde, de tous ceux qui dans le respect de la parole donnée, sont devenus « Fils de France », « non par le sang reçu mais par le sang versé ».
D’après un article paru en octobre 1959 dans la revue « Miroir de l’histoire ».
Depuis la parution de l’article dans cette revue, le monument a été démonté le 29 septembre 1962, pour être rapatrié à Aubagne.