Quand l'armée française voulait changer le bariolage des treillis... Alors que l'armée britannique vient de dévoiler le nouveau camouflage de ses treillis [on peut le découvrir sur le site du Ministry of Defence], la France semble, pour l'instant, avoir abandonné l'idée d'adopter un nouveau bariolage. Pourtant en 2006, tout était prêt pour la grande bascule .
Dans une caserne de Rambouillet et sur le plateau de Satory (Yvelines), les «stylistes» militaires planchaient alors depuis des mois sur de nouveaux coloris et de nouveaux motifs de bariolage qui pourraient habiller tous les corps d'armée.
«Nous allons passer du tachisme au pointillisme», résume Louis Le Roux, ingénieur textile au Commissariat de l'armée de terre, l'ancienne intendance. Le nouveau treillis de l'armée abandonne les grandes taches de couleur au profit de petits points multicolores. Il ressemblera beaucoup à celui de l'armée allemande. Pour une raison simple : c'est le meilleur, c'est-à-dire le plus camouflant qui soit. Une découverte que l'on doit à la Wehrmacht vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un héritage pas toujours facile à porter.
Le treillis actuel de l'armée française date de 1993. Son bariolage est formé de grandes taches de quatre couleurs : beige, noir, vert et marron. Ces teintes sont inspirées des couleurs de la forêt de Fontainebleau à la belle saison. Son adoption, au lendemain de la guerre du Golfe, a marqué la rupture avec l'armée de la guerre froide et son treillis monocolore dit «vert-Otan». Et son arrivée dans les corps de troupes a également correspondu à la fin du service militaire et à la professionnalisation de l'armée (1996). Cela tombait bien : le «bariolé» renvoie traditionnellement à l'image de troupes d'élite, comme les paras durant la guerre d'Algérie.
Le camouflage français n'est pas au top, en particulier la nuit : «Son noir est trop noir et les systèmes de vision nocturne le repèrent très vite. Car le noir n'existe pas dans la nature», constate Louis Le Roux. Des contrastes trop marqués (une tache noire à côté d'une tache beige, par exemple) n'arrangent pas les choses. D'où l'idée d'en adopter un autre, peut-être moins seyant, mais plus performant.
«Les gros motifs sont efficaces à une distance de 80 à 300 mètres, alors que les petits permettent un camouflage à partir de 50 mètres», indique le chef d'escadron Lorcet, de la section technique de l'armée de terre. «300 mètres, c'est la distance nominale de tir pour un fantassin. Et avec les systèmes de grossissement dont sont dotées les armes modernes, 300 mètres correspondent à 50 mètres à l'oeil nu.»
Les petits points devraient donc faire l'affaire. Cinq couleurs ont été choisies : vert clair, vert foncé, vert marron, marron clair et bleu marine foncé. Exit le beige et le noir. «Quatre couleurs ne sont pas suffisantes. Nous avions des aberrations de réflectivité», poursuit l'officier, expert en contre-mesures face à l'observation. «Ce qui compte, c'est d'être de l'infrarouge jusqu'à l'ultraviolet sur la même courbe de fréquence que la chlorophylle», poursuit l'officier.
Va pour les petits points, mais comment alors les disposer sur le tissu ? «Nous avons trouvé la solution au cinquième essai, affirme le chef d'escadron Lorcet. Dans une version précédente, de loin on distinguait une forme qui ressemblait à une sorte de gros papillon.»
Aujourd'hui, les experts semblent satisfaits de leurs résultats. Mais que vont en penser les militaires et leurs chefs ? Car si on se camoufle, on se camoufle d'abord français. Déjà que le futur bariolage ressemble beaucoup à l'allemand... «Un uniforme est un signe distinctif qui correspond à un besoin identitaire. Sur le terrain, on doit pouvoir reconnaître un soldat français au premier coup d'oeil», note un officier. Si on appliquait les seuls critères d'efficacité, tous les militaires du monde porteraient le même camouflage.
On en est loin. En Europe, aucune standardisation des uniformes n'est envisagée. De son côté, l'armée américaine vient, par exemple, d'adopter un bariolage très gris avec des motifs «pixelisés». Une première, car, jusqu'à présent, il n'existait que trois grands styles nationaux : le français avec ses taches, l'allemand avec ses points, et l'anglais avec ses coups de pinceau. Pour les couleurs, la palette est bien plus large : des verts, des bruns, des beiges, et même du rouge comme dans l'armée suisse, voire du rose...
C'est que les militaires sont coquets. «Il faut qu'un soldat soit beau, qu'il soit fier de sa tenue», assure le chef d'escadron Lorcet. De fait, les enquêtes internes indiquent toutes que les militaires français apprécient l'esthétique de leur treillis. Beaucoup plus que l'ancien vert-Otan. Ils l'apprécient même parfois trop. «Dans l'armée, il existe une culture du muscle et de l'apparence. Très souvent, les militaires prennent une taille en dessous pour avoir une tenue très proche du corps, plus moulante, s'amuse un officier. C'est une catastrophe en terme de camouflage thermique, car plus un vêtement est près du corps, plus il est chaud, donc plus il se voit de nuit... Ce sont des tenues pour défiler, pas pour combattre. D'ailleurs, les Américains et les Britanniques portent des tenues plus amples.
C'est bien mieux, même s'ils ressemblent vraiment à des sacs...»
Même le bariolé se salit, surtout lorsqu'on rampe dans la boue ou qu'on grimpe dans un blindé plein de cambouis. Dans ce cas, gare au lavage ! «Il ne faut surtout pas utiliser de lessive contenant de l'azurant optique, qui permet de laver "plus blanc que blanc". Or, c'est le cas de la plupart d'entre elles. De nuit, dans des jumelles de vision nocturne, un treillis lavé ainsi scintille littéralement», avertit l'ingénieur Louis Le Roux. L 'armée a fait passer la consigne : sus à l'azurant optique !