Marseille Aout 1944 Notre Dame de la Garde a vu son existence en grand danger, pendant la libération d' août 1944. Mercredi 23 août 1944 6H30. Les Marseillais, qui attendent comme chaque jour les troupes allemandes, voient avec bonheur les troupes du Colonel Chapuis traverser la ville. A 9H, les chars sont sur la Canebière. A 10H, c’est le Général de Monsabert qui est en ville. Il envoie une sommation au général Allemand qui ne répond pas.
Dans cette matinée, Monseigneur Borel, recteur de la basilique de Notre Dame de la Garde, descend, pour la deuxième fois en quelques jours, consulter son évêque Mgr Delay, dans sa résidence, juste en bas, dans le haut de la rue Vauvenargues. Que Faire ? Il craint pour la vie des religieuses qui sont restées dans la basilique. Monseigneur laisse les religieuses libres de leur choix. A son retour, elles décident une fois encore de rester. Le commandant allemand du fort Villars (nom officiel du fort de Notre Dame de la Garde) leur conseille de partir, mais la réponse est la même. Les missionnaires vont alors s’abriter derrière l’autel de la crypte . Dans l' après midi, le mitraillage est devenu intense et le sanctuaire vogue dans la tourmente.
Jeudi 24 Les religieuses et le recteur restent cachés dans la basilique. Il est impossible de circuler à l’extérieur du sanctuaire. Le soir, vers 20H, à l’occasion d’une accalmie, les religieuses aperçoivent, à l’horizon, la flotte des alliés. Les soldats allemands sont inquiets. La nuit tombe et là haut, la vierge veille.
« Demain la compagnie attaquera la face Nord de Notre Dame de la Garde. (on se croit à Chamonix). Itinéraire : Rue Vauvenargues, place Sancta Maria, Notre Dame ; Notre Dame où les Fritz gardent le Bon Dieu. Le contraire me parait douteux. En somme c’est ce qu’il faut vérifier. »
Vendredi 25 Paris est libérée.
Les Allemands ont la ferme intention de garder la colline, et du haut de celle-ci, ils ne craignent personne. Ils ont des vivres pour de longs mois. La colline est truffée de casemates et de batteries. L’assaut est, pensent-ils, impossible de jour. « Nous avons reçu l’ordre de résister jusqu’à la mort » dit un lieutenant aux religieuses.
Les Français par contre, espèrent épargner la basilique ainsi que les religieux. Ce lieu est stratégique pour la libération de la ville. Les Allemands occupent les forts St Nicolas, Endoume, Racati, Périer, Frioul…
A neuf heures du matin, pendant la messe, les obus pleuvent. Un vitrail de la crypte vole en éclats et les débris recouvrent l’autel et le recteur. Le Général de Monsabert lance l’attaque en ce début de journée avec les goumiers du général Guillaume et l’ensemble chars-infanterie du général Sudre.
Les tirailleurs Algériens en haut de la montée de l'oratoire, au pied du fort Villars 9H Les chars de l’escadron Fougère s’élancent par le Bd de la Corderie et le Bd Tellène, puis à gauche par la rue des Lices. Impossible de passer. La rue est trop étroite et en forte pente. En plus il y a des épingles. Que faire ? Demi tour et attaque par le Bd Gazzino (Bd André Aune). Retour sur le Bd de la Corderie, puis la montée du Bd Gazzino. Le Sherman Jeanne d’Arc est en tête. Il est suivi par le Jourdan. Ils forment le groupe du maréchal des logis chef Lolliot. Derrière vient le Joffre du lieutenant Laporte, le Jean-Bart et le Joubert. La pente est telle que le Joubert casse et s’immobilise dans une vitrine. Le boulevard est directement sous le feu de l’ennemi. Les deux premiers chars atteignent le bas de la rue Vauvenargues tandis que les autres sont en haut du boulevard Gazzino, et de la place Sancta Maria ils mitraillent sans arrêt le fort.
La 1ère compagnie du 7ème tirailleurs algériens est commandée par le lieutenant Pichavant. Profitant du relief, comme le font les chars, elle atteint rapidement la résidence de l’évêque, par la rue Vauvenargues. Ils sont aidés par le FFI Scorza qui habite dans la rue. « Un blockhaus a été repéré sur le toit de « l'Angélus », orphelinat et préventorium, tenu par les Sœurs de Chante. Un tireur d'élite ajuste le casque allemand qui dépasse : la tête qui se montrait à l'horizon disparaît. Reste la binoculaire. Avec dix balles traceuses, le tireur la met hors d'usage. Cet observatoire aveuglé, les soldats franchissent alors les murs de séparation entre les jardins, à l'aide d'échelles, sans recevoir un coup de feu. Une certaine protection est assurée par les arbres et couverts de cet endroit. Aux soldats arrivés à la limite des cultures, près du jardin de Monseigneur Delay, Evêque, la Basilique apparaît toute proche, mais effrayante dans la grandeur de ses sculptures blanches. Le rocher, alentour est truffé de casemates ; on soupçonne des observateurs allemands dans le clocher où ils avaient pu accéder par la tige du paratonnerre, - M. le Recteur ne leur ayant jamais permis d'y pénétrer malgré leurs demandes réitérées, - et l'on se rend compte que l'affaire va seulement commencer.
Inopinément un fusil-mitrailleur français ouvre le feu sur une pièce de D.C.A. Aussitôt, des pieds de la Basilique, des rafales rageuses partent. Deux tirailleurs sont blessés. L'évêque et le chanoine Gros aident à les panser. Le duel d'armes d'infanterie commence. Le téléphone allemand fonctionne aussi, car, sur le-champ, partant derrière nous, de longues rafales d'armes lourdes et de fusants viennent soutenir l'adversaire.
Le feu est intense. La maison reçoit plusieurs coups au but. Deux chars, envoyés en renfort depuis 10 heures, tirent à la mitrailleuse sur les casemates et la terrasse de Notre-Dame. Par moments, il faut crier pour se faire entendre à deux mètres. Au milieu de ce feu indescriptible, un infirmier du bataillon, le Père Baumann, réussit à rejoindre la section de tête, panse les blessés, reçoit la bénédiction épiscopale au
Sur la première terrasse : tirailleurs algériens attendant l'assaut final. milieu des éclats qui pénètrent dans la cuisine. Puis, souriant comme toujours, sa longue barbe en avant, en guise de bouclier, il repart pour soutenir les troupes à l'assaut. »
La 2ème compagnie est engagée par la rue St Jacques et la rue Syvabelle vers le Bd Notre Dame. Là, ils sont arrêtés : toutes les rues sont sous le feu direct de l’ennemi. Vers 10H, le FFI Chaix Brian, habitant rue Sylvabelle, indique un passage vers la rue Cherchel (rue Jules Moulet), à travers les caves abris, puis par une porte, un immeuble et un petit escalier, on débouche sur le plateau Cherchel, à l’endroit où sont les chars du lieutenant Laporte. Ils sont accueillis sur le plateau par la mitraille allemande. Léger repli par la traverse L Gondran, le Bd Gazzino en courant ; puis, par l’avenue des Villas (rue de Constantine) il débouchent dans la montée de l’oratoire, de nouveau sous le feu de l’ennemi. Devant, la Bonne Mère les contemple. Il faut aller plus loin. En s’abritant le long des façades sur leur gauche, il pénètrent alors dans la petite cour d’une maison qui fait angle avec le Bd Gazzino. Elle est prise pour cible par l’ennemi et un des murs s’écroule. « On est maintenant à pied d’œuvre pour l’assaut de la colline. »
10H30 un drapeau blanc apparaît au dessus du mur est du fort Villars. Mais les autres casemates continuent le tir. Pendant ce temps, la basilique est frappée par les canons allemands, depuis les nombreuses batteries alentour. Les vitraux sont endommagés, l’entrée de la crypte est détruite, et le clocher laisse tomber des pierres. Une des colonnes de marbre rouge qui soutient la vierge s’écroule.
11H Des coups sont donnés à la porte de la sacristie. Neufs soldats allemands se portent prisonniers. Mgr Borel les accueille. Un feu se déclare dans la crypte, mais il n’y a pas d’eau. Il y a bien une citerne extérieure, sous les obus ? Les religieuses, aidées par les Allemands font la chaîne pour maîtriser l’incendie.
13H Les tirs vers la basilique ralentissent. Le char Jeanne d’arc, bloqué depuis 10H peut reprendre son ascension. Guidé par le FFI Ponchain, et après avoir fait sauté un canon ennemi, il arrive en haut de la rue Vauvenargues, près de la résidence de l’évêque, à côté de la 1ère compagnie, et très proche de la 2ème. Il est à découvert, et deux obus de 88 frappent sa tourelle. Ponchain n’est que projeté à terre mais trois occupants du char sont tués. Un autre projectile l’atteint de plein fouet, et il bascule, désarticulé, en défonçant le mur du jardin de l'épiscopat, en contrebas. Les tirailleurs, à quelques mètres ne peuvent rien faire. L'aspirant Audibert qui suit le char essaie d'ouvrir, mais rien n'y fait. André Kerch, maréchal des logis et chef de char, le cuirassier
Le Général de Monsabert avec Mgr Borel et le Colonel Edon sur la terrasse supèrieure de la basilique. Guillot, tireur et le cuirassier Clément, chargeur, sont tombés au champ d’honneur. Seuls le conducteur Louis Contrusi et l'aide conducteur Riquelme, sont sauvés par la section de l'adjudant Martini. Le Jourdan, un peu en contrebas, prend aussitôt sa place. Il saute sur une mine mais les armes sont toujours là, et il continue le combat. L’ennemi s’acharne. Le char flambe, mais ce ne sont que des paquetages qui brûlent. Le maréchal des logis chef Lolliot surgit au dehors et coupe les sangles. Le Jourdan continue le combat.
Les munitions manquent et le canon se tait. Où est l’infanterie ? Lolliot envoie ses hommes aux nouvelles, mais aucune réponse. Le feu de l’ennemi semble ralentir ! N’écoutant que son courage, il sort de son char, arrache le drapeau tricolore planté sur l'arrière et court vers Notre dame. Un FFI le suit. Il arrive aux grilles du fort et plante son drapeau; puis il redescend et rejoint la deuxième compagnie coincée en haut de la rue, sur la gauche.
Vers 15H L’assaut final Soudain, des flammes jaillissent le long de la montée de l’oratoire. Un prisonnier raconte « Mon sous officier, spécialiste des lance-flammes a été tué au créneau par un obus du char (Jourdan) qui avait sauté sur les premières mines et qui continuait de tirer. Je me suis affolé. J’étais couvert de sang. J’ai cru à une attaque et j’ai déclanché prématurément le feu des lance-flammes à commande électrique. » Le goudron fumant s’écoule. Notre Dame de la Garde est enveloppée d’un gros nuage noir. Quand les fumées se dissipent, on aperçoit des religieuses sur la terrasse Est. L’ennemi se tait.
Le moment de l’assaut est enfin venu. Les soldats français se découvrent, derrière l'aspirant Audibert, et les deux premiers sont atteints. Ce qui refroidit l’ardeur des suivants. Mais il faut monter ! Le Lieutenant Pichavant en donne l'ordre. Le groupe du sergent Lassami s’élance en courant sur la pente qui est piégée et qui désormais n’offre plus d’abri. "L’aspirant Ripoll, qui commande la section de mitralleuses, s'avance sur ma droite, canne à la main, seul et au pas. Un défi aussi merveilleux que gratuit" écrit plus tard l'aspirant Audibert, qui s'élance à son tour. Les batteries allemandes redoublent leurs tirs, mais le premier petit groupe atteint le mur d’enceinte. Les suivants bondissent en avant et s’élancent sur les marches en évitant les mines et arrivent aux grilles du fort Villars. Il faut passer par dessus. Trois sections de tirailleurs avec les aspirants Ripoll et Audibert ainsi que le sous-lieutenant Herbelin rejoignent le petit groupe. Dans un abri ils capturent vingt trois prisonniers allemands, terrorisés.
« Avec deux tirailleurs, raconte Chaix-Bryan, nous escaladons la grille et parvenons sur l'esplanade. Nous atteignons la première enceinte. Dans un étroit réduit (où sont entreposés des fûts de marbre) nous trouvons, plaqués à terre, deux hommes : le capitaine Français André Jacques et un officier de liaison américain, (Fleet) ; celui-ci me demande tout de suite une cigarette. Nous fumons quelques instants, puis, sur l'avis du capitaine Jacques, nous repartons, bien décidés à aboutir. Entre deux rafales de fusants, nous bondissons aux escaliers, au bout desquels il y a le pont-levis. (Chose étrange, ce pont-levis qui isole la Basilique et qui en temps normal, est relevé chaque soir, a été laissé abaissé par les Allemands). Nous franchissons le pont. Nous voilà au dernier palier. A ce moment s'abat sur nous une grêle de projectiles venus apparemment d'une batterie du fort Saint-Nicolas qui nous a repérés. Nous nous aplatissons contre le porche de l'Eglise, le capitaine Jacques et l'Américain d'un côté, les deux tirailleurs et moi de l'autre. Derrière nous, la porte de bronze est martelée par les obus, elle sera même perforée. Un des tirailleurs, collé contre ma poitrine, est touché à l'épaule par un éclat, qui aurait pu m'arracher le visage. Allons-nous être tous les cinq massacrés à cette place ? Sortons de cet enfer ! Tous ensemble, nous bondissons vers la Sacristie Il était environ 15 h. 30. »
Dans la crypte, l’incendie reprend et le bombardement devient plus fort. La crypte est remplie de fumée. Les religieuses prient en implorant Notre Dame, et la fumée se dissipe. Les prisonniers allemands craignent pour la vie du recteur et des religieuses. Français ou allemands cela peut être dangereux. Un drapeau blanc est préparé, mais on ne l’utilise pas. Le recteur met ses habits de chœur. « quelle que soit l’armée qui se présente, avec les sœurs nous nous mettrons devant vous, affirmant que vous êtes désarmés et prisonniers sur parole » Et le lieutenant Allemand de rétorquer « Nous ne pouvons faire fusiller les sœurs qui ont été bonnes pour nous ! » Et le lieutenant inquiet demande à rester seuls avec ses hommes.
A cet instant, les religieuses entendent des pas sur la terrasse. Allemands ? Français ? FFI ? Américains ? Anglais ?
« Sur le seuil, des officiers en tenue américaine.
- Français ?
- Français !
Les assiégés leur serrent la main, ainsi qu’aux tirailleurs algériens. Des larmes brillent dans les yeux.
Le capitaine annonce : « Division Saint Louis. Mon rêve est réalisé. Je voulais tant délivrer la basilique et vous délivrer ce jour. Nous étions prévenus que Monseigneur Borel, Vicaire Général, et les religieuses, étiez enfermés dans le sanctuaire »
L’aspirant Ripoll, Chaix Bryan et un groupe de soldat montent au clocher, et sous le feu de l’ennemi, accrochent un drapeau sur la rambarde. Aussitôt, « une puissante clameur, incroyable, comme sortie du fond de la terre, monte alors de la ville. Cent mille poitrines viennent hurler leur joie. Marseille sait que la Bonne Mère est délivrée. Les Allemands aussi. »
Vingt Français ont laissé la vie pour la délivrance de Notre Dame de la Garde.
16H30 L’aumônier des cuirassiers, le R P Maurice de Fenoyl atteint la basilique. Sous la mitraille, une messe d’action de grâces est célébrée dans la crypte. Il est trop tard pour établir un poste à la Bonne Mère. Tant pis, on remet au lendemain
21H Soixante quatorze prisonniers redescendent en ville.
Nuit du 25 Les allemands ont vu le drapeau français flotter en haut du clocher. Une provocation. Les canons tirent vers la ville et Notre Dame de la garde.
Samedi 26La mission est confiée au groupe de Robert Balard.
« Marseille et ses faubourgs encore endormis, où seules les sentinelles veillent, sont traversés et l'on se regroupe pour monter à la Basilique, sous le feu des canons allemands qui ont repris leurs tirs. Les chemins d'accès sont minés et barrés de lance-flammes. Le groupe, qui connaît la fin tragique du char Jeanne d'Arc, frère du
Sur le livre d'or de la basilique : Général de Monsabert Shermann d'observation n° 2, se montre très prudent. Après avoir essayé d'atteindre le pied de la Basilique, par une escalade laborieuse durant laquelle des coups de feu (tirailleurs allemands) partaient des fenêtres sur l'officier et le chef de char, dirigeant la manœuvre de la tourelle, le lieutenant décide de laisser le char aux conducteur et aide conducteur près des dernières maisons ; il lui affecte une mission de surveillance et de relais radio. Lui-même monte en Jeep avec le reste de l'équipe et l'on grimpe rapidement les lacets du chemin, en pleine vue des canons des forts qui accompagnent de leurs salves la montée de la Jeep. Tout le long de la route, on peut voir des trous, de grosses assiettes plates, brun foncé : ce sont des mines, que le chauffeur évite avec soin, car une seule réduirait en bouillie la Jeep et ses occupants. La petite équipe parvient indemne au pied de la Basilique. Les tirailleurs indiquent la voie à suivre ; ces vieux soldats d’Afrique se réjouissent de la venue des artilleurs qui vont les épauler.»
Il faut maintenant « déloger » les Allemands toujours installés dans les différentes places fortes de la ville, et surtout à l’Angélus, situé à quelques centaines de mètres à peine, vers Endoume. Une à une, les pièces d’artillerie allemandes sont anéanties par les obus du lieutenant Bertrand.
Dans l’après midi, les alliés bombardent Marseille à l’aide de soixante quinze avions. L’Angélus est toujours en activité. Il faut détruire trois villas reliées entre elle par des souterrains ; sous les tirs des chars, l’ennemi se rend. Les tirailleurs algériens font cinq cents prisonniers. Les postes allemands non encore réduits tirent sur la basilique.
« Au bruit des pierres qui se détachent, les Franciscaines devinent les douloureuses destructions. Le feu est soudainement concentré sur la tour. Plusieurs obus traversent la loggia, les balcons volent en éclats. Le lieutenant Bertrand, le sous-chef Bâlard et P. Chaix-Bryan se retirent au moment de l'effondrement du plafond.
Plusieurs marches d'un escalier intérieur de la tour, après en avoir brisé les portes d'entrée, roulent avec fracas au pied de la porte de bronze qui ferme la Basilique. Les armoiries de Monseigneur Cruice, qui se trouvent à l'intérieur de la Basilique, sont blessées à leur base. Les trois rescapés de la loggia se sont heureusement engagés dans l'escalier de gauche, l'ennemi s'acharnant contre l'escalier de droite. Les murs épais de 80 centimètres sont traversés par les obus perforants et une partie de la voûte s'effondre. Bloqués dans l'escalier de gauche car de nombreux obus arrivent au pied de la tour, leur interdisant toute sortie, les trois soldats sentent l'édifice vibrer sous les obus, dont le souffle chaud les gifle au milieu du sifflement des éclats, sans qu'il leur soit possible de faire autre chose qu'attendre la fin du bombardement. Quelques minutes - des siècles. Ce fracas de bataille fait vivre aux religieuses de terribles angoisses que partagent nos chers défenseurs. Un aspirant a été légèrement blessé. Le sous chef Balard, pressé de questions par les Religieuses, répond : « Nous sommes ici pour défendre la Bonne Mère ; il faut bien qu'Elle nous garde ! » Nuit pénible par suite des incessants tirs des canons allemands. Plusieurs pièces allemandes, repérées grâce à la lueur qui accompagne le départ du coup, seront prises le lendemain sous le feu des Français. »
Dimanche 27 Mgr Borel célèbre la messe dans la crypte. Vers neuf heures. Le plus violent bombardement de la basilique commence. L’ennemi tente d’abattre le clocher par sa base. Le radio Paterna, blessé, refuse d’évacuer. Il est soigné par les religieuses.
L’artillerie française, basée à Plan de Cuques, et commandée par le lieutenant Moreau, tire sur le fort St Nicolas et la caserne Audéoud. Il voit les Allemands déguerpir « La roue tourne ! Ils courent comme des lapins ! »
Vers 17H. Il ne reste maintenant que l’Angélus, à quelques jets de pierres de la basilique, en contrebas. Le colonel Edon vient d’arriver à la Bonne Mère. Il fait installer des mortiers, en haut du bd Notre Dame, et par des tirs qui passent au dessus de la basilique, il pilonne l’Angélus. Bientôt, un Allemand arrive en émissaire. « Rédition sans conditions » exige le colonel. Ce sont 175 hommes et leur état major qui s’alignent très rapidement dans la cour.
« La basilique est sauvée ! »
Lundi 28 Les Marseillais lisent dans la presse la proclamation suivante :
Habitants de Marseille,
Marseille est définitivement délivrée grâce à vo-
Le drapeau tricolore flotte sur le clocher tre courage et au sacrifice de vos enfants ; grâce à l’intervention des troupes débarquées, l’ennemi a accepté les conditions que je lui ai imposées.
Vous avez été magnifiques dans la souffrance. Je vous demande de rester dignes dans le triomphe et de respecter scrupuleusement les consignes que j’ai données concernant l’interdiction de certains itinéraires et notamment la défense absolue de s’approcher des quais de la Joliette pour permettre la mise en œuvre des conditions de reddition et éviter les incidents possibles.
Vive Marseille ! Vive la France !
Général de Monsabert
Mardi 29 Une messe d’action de grâces est célébrée sur le perron de la basilique par le RP Py. Mgr Delay, l’évêque y assiste, ainsi que le général de Monsabert et son état major. Les tabors sont présents, avec leur mascotte, un mouton noir enrubanné.
Le général, avant de quitter les lieux, contemple la rade, puis salue la vierge et dit au capitaine Crosia :
« C’est elle qui a tout fait »
« De nous-mêmes, nous n’aurions jamais pu , en si peu de temps, vaincre la résistance ennemie ».
Ci dessus, le Sous-Lieutenant Emile Thomas présente l'étendard de son régiment, le 67ème Régiment d'Artillerie d'Afrique, lors de la messe d'action de graces du 29 août 1944. Avec l'aimable autorisation de son fils, Gérard Thomas. Extrait d'une lettre du Colonel Edon, adressée à la mère supérieure des missionnaires de Marie Rabat, le 13 Juillet 1950.
La reddition de l'Angélus, qui a permis de préserver Notre Dame de la Garde, fait revivre en moi des souvenirs qui me sont chers.
Mais je n'ai d'autres témoins de ce qui s'est passé à ce moment que vous-même et vos petites Sœurs au courage et à la modestie desquelles je ne saurais trop rendre hommage. Ce que nous avons fait n'est que l'accomplissement journalier de notre métier de soldat ; seulement quelques impressions personnelles qui me sont restées très vives, mais qui tiennent en très peu de mots :
Dans ce Sanctuaire qui venait d'être libéré, un groupe de femmes dont nous admirions le calme, la présence d'esprit et qu'elles aient le courage, en plein combat de nous accueillir avec une amitié souriante, vous, Ma Mère et vos Religieuses, un vénérable prêtre, Mgr Borel, qui gardait dans les émotions de la guerre le souci de la sainte mission qui lui était confiée.
Je reverrai toujours ce spectacle qui me fut offert du haut du clocher de la Basilique, alors que la Vierge de Notre Dame étendait ses bras sur cette ville de France que nous étions venus libérer, que le tir des pièces ennemies venait de mutiler et risquait de réduire le Sanctuaire élevé à sa gloire.
C'est alors que Mgr Borel, dans une sainte indignation, m'a indiqué où se trouvaient les résistances allemandes au pied même de la colline, au Couvent de l'Angélus.
Il m'était, dès lors, facile de faire mon métier de soldat et d'obtenir que les troupes allemandes qui occupaient le Couvent hissent le drapeau blanc. Deux heures après notre arrivée à Notre Dame de la Garde, un officier allemand parlementaire se présentait à la Basilique et c'était une de vos petites Sœurs, Alsacienne d'origine, qui me servait d'interprète pour obtenir cette capitulation qui nous permit, non seulement de sauver définitivement Notre Dame de la Garde, mais aussi d'obtenir quelques heures plus tard la reddition de la Caserne Audéoud, du Fort Saint-Nicolas et des derniers éléments de la Kriegsmarine qui s'accrochaient encore au Vieux Port.
Par la suite, le général de Monsabert me demandait de faire garder la Basilique, et cette dernière mission fut accomplie par mes Goumiers Musulmans, qui étaient, nous pouvons le croire, pénétrés de son importance comme ils étaient frappés de la majesté et de la sainteté du lieu.
Après, ce fut cette messe de la Libération, qui reste dans nos cœurs, puis ce fut le départ vers d'autres lieux, la longue route jalonnée de tombes qui nous conduisit à la capitulation totale de l'ennemi.
Voici tout ce que je puis dire sur cet évènement qui fut pour nous si émouvant et si simple à la fois.
Ci dessus, illustration de Jouanneau-Irriera dans un livre contant l'histoire de la 3ème DIA. Messe d'acton de graces du 29 août 1944. D'autres images Le Colonel Edon Le Jeanne d'Arc, éventré, chenilles cassées et tourelle abattue et renversée Les dégats causés au clocher par les obus allemands Extraits de la lettre du Général de Goislard de Mantsabert à Mgr le Recteur
22 juin 1977 "Bien sûr, depuis 1944, Marseille est chère à mon coeur. Et vous savez bien que ma conviction profonde est que les Marseillais ont dû leur libération si rapide à leur "Bonne Mère". Je n'ai été, avec mes soldats, que l'instrument providentiel de cette libération.
"C'est elle qui a tout fait", je l'ai dit alors, et je le redis plus que jamais.
Hélas ! il ne me sera plus donné de "monter" à Notre Dame de la Garde... L'âge et les infirmités ne me permettent plus de voyager. Il reste le souvenir de ces jours glorieux, où, dans le feu de l'action nous fabriquions, jour après jour, le tissu de l'histoire."
Le texte de cette page est très fortement inpiré des livres "Bataille et Délivrance 15-28 aoùt 1944" -Joseph Hourlin. -février 1951, et "Libération de Marseille : prise de Notre-Dame-de-la-Garde : août 1944 " -Roger Audibert - 1983. Notes rédigées à Berlin en 1946.
Toutes images, sauf fanion du général de Monsabert, issues du livre de Joseph Hourlin : De Renzis, Editions Ryner Marseille, A Baron photographe au service de l'urbanisme de la ville de Marseille, M Boughol, Paris, et archives de NDG.