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 Les origines de l'aumônerie militaire catholique

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MessageSujet: Les origines de l'aumônerie militaire catholique   Les origines de l'aumônerie militaire catholique Icon_minitimeJeu Juin 20 2013, 16:49

Les origines de l'aumônerie militaire catholique

Université de Strasbourg - Faculté de théologie catholique - institut de droit canonique - Licence théologie et sciences des religions mention droit canonique


Les origines de l’aumônerie militaire catholique préparé par Alexandre PAGES sous la direction de Madame Marie-Jeanne TUFFERY-ANDRIEUX
Année universitaire 2009/2010


Introduction

Abba in castris. Tel semble être le plus ancien nom officiel des aumôniers militaires[1] .En effet, Clotaire appela Sulpice à sa cour de Chalon-sur-Saône pour « remplir dans les camps du roi la fonction d’abbé pour le salut de sa personne et celui de son armée »[2] . Dans ses attributions, Sulpice avait la garde des reliques formant le trésor sacré des rois. Byzance connaissait l’usage de faire porter devant les grands chefs de guerre les reliques des saints. Les Francs reprirent cet usage : pour mettre le Seigneur avec eux, ils conduisaient sur les champs de bataille de pieuses reliques et des ossements sacrés. Plus particulièrement, Sulpice avait mission de garder et de faire porter devant les troupes une cape merveilleuse, le manteau de saint Martin. Sa cape ou capella fut le palladium de nos armées sous les Mérovingiens puis les Capétiens. Cette cape ou chape fut dès lors gardée par des chapelains dans des chapelles et déposée enfin par Charlemagne à Aix-la-Chapelle. De là vient que les chapelains, s’ils sont aujourd’hui des prêtres officiant dans des chapelles, étaient autrefois des prêtres aux Armées, pieux gardien dans les camps et au combat de la chape de saint Martin. Sulpice reçut aussi la charge et le nom même d’un aumônier.
En effet, l’abbé des camps avait à Chalon, parmi ses fonctions, celle de distribuer les aumônes du roi. Peu à peu, cette occupation incomba après Sulpice à ses seuls successeurs

L’assistance spirituelle auprès des soldats prit des traits assez divers selon les époques. Mais très tôt les autorités tant religieuses que politiques s’en préoccupèrent et légiférèrent en la matière. La première aumônerie militaire apparut en France sous Carloman au terme du concile de Ratisbonne réuni en 742 conjointement par ce dernier et Boniface II.
Son Premier Capitulaire précisait : « Pour toute circonstance, nous interdisons absolument à tous les serviteurs de Dieu de porter armure ou de combattre ou même de se rendre à l’ost ; sauf toutefois ceux qui, pour les besoins du ministère divin - à savoir l’accomplissement des solennités des messes et le port des reliques des saints - auront été choisis pour cela. C’est-à-dire que le prince aura avec lui un ou deux évêques assistés de chapelains-prêtres et chaque préfet un des prêtres capables de juger des péchés pour les hommes qui se confessent et d’en indiquer la pénitence ».

A partir du début du IXe siècle, l’ensemble du clergé se trouva attiré ou poussé dans les troupes combattantes. Si l’aumônerie conçue par les premiers Carolingiens disparut dans son autonomie, tel ne fut pas le cas de l’action sacerdotale auprès des soldats. A partir du XVIe siècle, se développa la pratique des « cartels » ou « capitulations », sortes de conventions passées entre chefs militaires, qui assurèrent déjà une protection spéciale aux ministres du culte et agents sanitaires[3] . Dans le même temps, François Ier institua la dignité de Grand Aumônier et donna les pouvoirs religieux aux chapelains des armées. Henri II décida en 1555 que chaque régiment devait avoir un prêtre pour le service religieux.
En 1645, le pape Innocent X, par le bref apostolique « Cum sit majestatis » prévoyait qu’un prélat pouvait-être spécialement désigné pour le soin des troupes. Cependant le premier statut détaillé pour l’aumônerie de l’armée de terre française ne vit le jour qu’avec l’Ordonnance royale du 24 juillet 1816.

La question centrale, et récurrente au cours des siècles, était donc de savoir si les prêtres qui exerçaient un ministère auprès des soldats tenaient leur pouvoir canonique de l’évêque du lieu où ils passaient et séjournaient ou bien si en vertu d’un privilège accordé par le Siège apostolique, il leur suffisait de l’avoir reçu du Grand Aumônier. La réponse à cette question a évolué dans le temps notamment en passant du Grand Aumônier à l’Evêque aux Armées.

I – Du Grand Aumônier

Le statut tout à fait particulier de la Chapelle royale résultait tant du caractère sacré lié au souverain que d’un certain nombre de privilèges pontificaux accordés depuis les XIIIe et XIVe siècles. Les trente et une bulles délivrées le 20 avril 1351 par Clément VI donnèrent ainsi de manière définitive une consécration juridique au « diocèse personnel » du Roi de France[4] . Malgré la conception territoriale de la juridiction qui domina l’Eglise de la période classique, une juridiction personnelle fut progressivement mise en place autour du roi et de sa Chapelle, et dont l’actuel diocèse aux Armées françaises hérita plusieurs caractéistiques juridiques.

Au terme d’une lente évolution amorcée dès la fin du XVe siècle, le Grand Aumônier supplanta le confesseur dans la direction de la Chapelle royale. Cependant le sort du Grand Aumônier se désolidarisa de celui de la Chapelle royale notamment sous l’Ancien Régime et la Révolution puis de manière plus flagrante sous l’Empire et la Restauration.

A – L’Ancien Régime et la Révolution

La Chapelle du roi était partagée en trois services : l’Aumônerie, l’Oratoire et la Musique. Les privilèges octroyés au confesseur, c’est-à-dire en fait à la Chapelle et au Roi, furent considérés comme propres au Grand Aumônier. Présenté comme le successeur de l’archichapelain des rois de la deuxième dynastie, il avait pour tâche essentielle, comme son nom l’indique, de veiller à la bonne répartition des aumônes du Roi. Par ailleurs, tous les hôpitaux et maladreries relevaient de son autorité. Sa juridiction en matière hospitalière était exempte de l’ordinaire. Il était en mesure d’exercer une autorité de même nature à la tête de la Chapelle. Une véritable difficulté canonique était posée quant à la portée de cette juridiction face aux prétentions de l’ordinaire. Cette difficulté fut accrue par la coutume de ne nommer qu’un évêque comme Grand Aumônier.
La Chapelle royale semblait de prime abord n’être l’objet d’aucune contestation quant à l’étendue de sa juridiction. Cependant en dehors des sources officielles, quelques traités ou mémoires, restés souvent à l’état de manuscrit, abordent sur un ton volontiers polémique l’épineuse question des privilèges de la Chapelle royale et de ses rapports avec l’ordinaire du lieu. La plupart des textes conservés furent rédigés à l’occasion de l’affaire de la confession et de la confirmation de Louis XV en 1722[5] .

A diverses époques, le Grand Aumônier se vit attribuer d’autres fonctions dont la responsabilité de tous les aumôniers militaires. La difficulté canonique citée supra se retrouvait en la matière. Le pouvoir sur l’aumônerie des armées, originellement annexe et non essentiel à la charge, comportait-il les prérogatives et pouvoirs d’un ordinaire ?
La réponse à cette question divergeait entre Rome et les évêques français. Quand bien même le Grand Aumônier était considéré par Pie VI, en 1775, comme le seul ordinaire, il n’en restait pas moins sans pouvoir réel sur les aumôniers militaires. Il abandonna ainsi, dans les faits, aux évêques diocésains et provinciaux d’ordre religieux le soin de s’en occuper[6] . Le Grand Aumônier devait ainsi en principe couvrir le choix qui se faisait des aumôniers militaires qui échappaient ainsi au contrôle de l’ordinaire sans plus relever de son contrôle. Pour remédier aux conséquences problématique de cette difficulté, le comte de Saint Germain avait, en qualité de ministre de la Guerre, préconisé la création d’un « aumônier supérieur, homme respectable, qui eût autorité et inspection sur les aumôniers particuliers des corps, qui eût soin de les contenir et de leur faire remplir leurs devoirs. Il est inutile que je m’étende sur l’importance de cet emploi. Les hommes qui pensent et qui ont vu ce qui se passe conviendront de sa nécessité[7] » .
Sous l’Ancien Régime, à chaque régiment était affecté, théoriquement, un aumônier. Dans la mesure où la charge de recruter l’aumônier incombait au colonel commandant le régiment, certains pouvaient s’en dispenser. Les motivations pour ne pas recruter d’aumônier étaient nombreuses : négligence, manque de conviction religieuse voire fausse déclaration (pour toucher eux-mêmes les fonds destinés au payement d’un aumônier qu’ils se gardaient de nommer dans leur régiment).

Les aumôniers militaires d’Ancien Régime étaient très majoritairement des religieux, principalement des Récollets. Le clergé séculier se montrait plus réticent à l’égard de la troupe perçue comme un monde si perverti qu’on redoutât d’y exposer des prêtres. La mission des aumôniers militaires étaient mal définie puisqu’elle dépendait largement de la nature des relations entretenues avec les officiers. Dans le cadre de ces relations, il leur était surtout demandé de stimuler tant les ardeurs que la moralité de la troupe : il existait même des sermons tout imprimés qui devaient servir de modèles. Les aumôniers pouvaient devenir des alliés précieux pour faire respecter une certaine discipline et protéger les soldats de certaines tentations comme l’alcool ou les prostituées. Le lieutenant-colonel Guignard du régiment d’infanterie du Thil en résuma ainsi les principales caractéristiques : « L’aumônier doit dire la messe, faire la prière, prêcher ou exhorter tous les jours, à l’heure qui lui est marquée par le mestre de camp ou autre commandant du régiment. Il doit, pour cet effet, prendre l’ordre de lui tous les soirs, à moins qu’il ne lui ait donné une fois pour toujours. C’est lui qui doit baptiser, marier, administrer les sacrements, enterrer et faire toutes les fonctions curiales dans le régiment [8]» .

A la veille de la Révolution, l’aumônerie militaire connut une crise sans pour autant être contestée puisqu’elle était considérée comme indispensable au moral de la troupe.
Les ministres de la guerre successifs de Louis XVI entendirent ainsi se servir des aumôniers pour lutter contre l’irréligion en expansion dans les armées. Le malaise provenait surtout, faute de cadre bien défini, des manifestations de volonté jalouse des autorités tant religieuses que militaires d’exercer leurs prérogatives sur des sujets leur semblant leur relever principalement.

Au cours des premières années de la Révolution, aucun bouleversement important ne fut observé. La Constituante et la Législative, loin d’envisager une séparation de l’Eglise et de l’Etat, mirent au contraire, par la Constitution civile du clergé, des prêtres au service de tous les citoyens et donc des citoyens-soldats[9] . La liberté d’action des aumôniers militaires fut peut-être plus grande dans la mesure où ils furent soulagés des différentes tutelles qui pesaient sur eux : celle de la Grande-Aumônerie supprimée en 1790 (tutelle pesante en théorie mais souvent fantomatique dans les faits) et des évêques diocésains méprisant l’aumônerie militaire considérée comme le refuge des pêcheurs. Cette mise en place sans heurt profond se traduisit par un déclin de l’aumônerie militaire, certainement favorisé par la crise traversée à la veille de la Révolution. La déchristianisation entamée à l’automne de l’an II asséna le coup fatal à l’aumônerie déjà moribonde. Cependant les Annales de la Religion, organe de l’Eglise « grégorienne » ainsi que les actes du Concile de 1797 firent quelques mentions des ci-devants aumôniers militaires. L’arrivée de Bonaparte au pouvoir ne rendit pas aux troupes leurs aumôniers.

B – L’Empire et la Restauration

La disparition des aumôniers militaires fut souvent ressentie sous l’Empire comme une perte que certains, de leur propre initiative et à la mesure de leurs moyens, tentèrent de combler. S’il exista bien une aumônerie impériale, celle-ci donna trop souvent l’impression d’avoir été motivée principalement par une double politique d’urgence et d’ostentation. Dès le Consulat, puis sous l’Empire, quelques aumôniers furent dénombrés dans les Ecoles, les prisons, les ports et principalement aux Invalides. Avec l’Empire, Napoléon rétablit la charge de Grand Aumônier en la personne de son oncle, le Cardinal Fesch. Il lui donna autorités sur les aumôniers de toutes les forces armées, y compris donc sur les aumôniers de la Marine. L’Etiquette du Palais Impérial de 1806 énumérant les fonctions et attributions du Grand Aumôniers disposait : « XXI (…) nomme les aumôniers de l’armée de terre et de mer, des Invalides et de toute autre maison militaire et règle tout ce qui concerne les services et le culte dans ces établissements et aux armées ».
Ce texte ne resta pas lettre morte puisqu’il fut l’occasion de conflit entre le Cardinal Fesch et certains évêques. Cependant la présence de prêtres à la Grande Armée ne fut pas très significative. Une politique au coup par coup, sans règle générale, accordant ici et refusant ailleurs, parait avoir été appliquées dans les hôpitaux, citadelles et prisons militaires. Les fonctions d’un prêtre ne furent pas systématiquement refusées, mais on se garda de les rémunérer, allant même jusqu’à faire supporter à l’impétrant les frais de son installation et de son ministère. Les Invalides apparurent comme l’unique exemple d’une aumônerie impériale à la fois légale, organisée mais aussi surveillée[10] . En outre, alors que le recrutement fut pratiquement tari jusqu’après le Concordat, les évêques diocésains étaient aux prises avec une très grande pénurie de prêtres. Quant aux ordres religieux, ils n’existaient plus en France. Dans ces conditions, les autorités religieuses n’étaient pas prêtes à consentir de lourds sacrifices pour fournir les armées en prêtres[11] . Cependant les réticences personnelles de l’Empereur, vraisemblablement entretenues par son entourage militaire, fournirent les raisons essentielles de l’absence d’aumônier dans les régiments français de la Grande Armée. L’Empire permit cependant de jeter les bases d’une résurrection de l’institution qui aidèrent certainement au rétablissement survenu à sous la Restauration.

Le rétablissement des aumôniers militaires catholiques sous Louis XVIII et Charles X fut une période originale et inédite. La référence de la Restauration fut l’Ancien Régime, on calqua ainsi l’organisation de l’aumônerie militaire sur un schéma pré-révolutionnaire teinté de gallicanisme. Ainsi dès la première Restauration, sous l’inspiration du Conseil en charge des affaires ecclésiastiques, une ordonnance du 1er octobre 1814, complétée définitivement le 24 juillet 1816, constituait une Grande Aumônerie des Armées[12] .
Tous les régiments, et légions, se virent attachés un aumônier (art. 1) relevant de la juridiction ecclésiastique du Grand Aumônier (art. 3). Le Roi conféra la dignité de Grand Aumônier au Cardinal de Talleyrand-Pérgord en 1814. Succédant au Cardinal Fesch, il eut la sagesse de ne pas tout bouleverser et, notamment, de garder auprès de lui l’abbé de Quelen dont il fit bientôt son principal collaborateur.
Le rattachement des aumôniers aux unités et non aux garnisons continuait la tradition de l’Ancien Régime : les aumôniers devaient être les «curés des hommes » et les suivre plutôt que des administrateurs des territoires où se succédaient des unités. Cependant contrairement à l’Ancien Régime, le choix des aumôniers n’était plus du ressort des colonels. Un des plus graves inconvénients du statut de référence en fut ainsi résolu.
Mais faute d’échelons intermédiaires, les liens de chacun avec le Grand Aumônier demeurèrent fort lâches. La situation était plus grave canoniquement : la juridiction « ecclésiastique » n’était pas reconnue par ses confrères dans l’épiscopat. Ainsi lorsque Monseigneur de Quelen devint archevêque de Paris, il assurait que de son temps à la Grande Aumônerie, il avait toujours demandé les pouvoirs à l’archevêque de Paris et entendait que l’on continuât ainsi.

Comme le nota F. Roques, « le rétablissement de la charge de Grand Aumônier sous l’Empire et son maintien sous la Restauration n’allaient pas non plus apporter une solution satisfaisante. Un cardinal Fesch et surtout un cardinal prince de Croÿ imbus de leurs prérogatives en se heurtant aussi bien aux évêques diocésains qu’au ministre de la guerre, allaient, malgré la précision des textes (ordonnances des 1er octobre 1814 et 24 juillet 1816) rendre la situation des aumôniers tout aussi instable que sous l’Ancien Régime[13] » . Paradoxalement, il fallut attendre la disparition du Grand Aumônier de France puis le régime de la séparation des Eglises et de l’Etat pour voir un véritable statut intégrant les aumôniers dans les cadres de l’armée française.

II – A l’Evêque aux Armées françaises

Par ordonnance royale du 10 novembre 1830, Louis-Philippe supprima les aumôniers militaires. Le texte admettait pourtant qu’un prêtre fût attaché aux garnisons, places fortes et hôpitaux militaires lorsque le clergé paroissial serait reconnu insuffisant pour y assurer le service divin. Commença alors une période plus longue mais moins originale que les quinze années de la Restauration. Cette période se caractérisa essentiellement par l’instabilité du statut de l’aumônerie militaire. Celle-ci devint, après l’échec de l’alliance du Trône et de l’Autel, un des enjeux de la compétition politique voire un thème de propagande électorale. Le Trône, puis ses succédanées, et l’Autel alors développèrent respectivement, et sans concertation, l’organisation juridique de l’aumônerie et les pouvoirs de juridiction des aumôniers.

A – L’organisation juridique de l’aumônerie

La mise en perspective des différentes formes d’organisation de l’aumônerie est loin de tracer une suite linéaire. De ce schéma, n’émerge qu’une seule constante : l’aumônier qui survit parfois paradoxalement à la disparition de tout cadre législatif. Ce cadre s’est vu borné par la matérialisation de deux tendances organisationnelles : l’absence d’institution structurée et permanente et la militarisation des aumôniers.

1) L’absence d’institution structurée et permanente

Cette absence ne fut pas une constante mais le terme d’une série d’étapes de rétablissement, de suppressions et de brimades. Ainsi en septembre 1914, l’aumônerie n’existait guère qu’en théorie. En 1872, paraissait un Mémoire présenté à MM. les députés du Corps législatif sur la constitution de l’aumônerie de l’armée, par un ancien aumônier de l’armée d’Orient. Le document rédigé par le père de Damas servit de base aux discussions de l’Assemblée nationale. Ces discussions aboutirent deux ans plus tard à une loi qui rétablissait l’aumônerie en temps de paix. Alors qu’aux termes de la loi du 20 mai 1874, le ministre de la guerre nommait, et soldait, les aumôniers titulaires[14] , le service des hôpitaux conservait l’organisation du Second Empire.
En 1876, les aumôniers virent leur solde supprimée ; prélude à la suppression de toute aumônerie du temps de paix par décret du 27 avril 1881. Ce décret avait été pris pour l’exécution de la loi du 8 juillet 1880. Cette loi très courte, puisque composée de trois articles, abrogeait la loi de 1874. Dorénavant des ministres des cultes étaient attachés à certaines garnisons[15] en temps de paix et aux grandes unités en temps de guerre. Le décret du 25 novembre 1889 autorisait les prêtres à pénétrer dans les hôpitaux militaires pour le service du culte strictement défini en son article 175 : « l’aumônier dit la messe tous les matins, autant que possible dans l’intervalle qui sépare la visite de la distribution ».
Ce décret fut remis en cause par une circulaire du 15 octobre 1905 interdisant l’exercice du culte dans les hôpitaux militaires. La dernière salve de la législation antireligieuse atteignit l’aumônerie de la Marine. Ainsi le décret du 6 février 1907 porta suppression du Corps des Aumôniers de la Flotte avec licenciement du personnel présent « par suppression d’emploi ». Etape culminante mais non irréversible…

L’article 31 du décret du 26 avril 1910 relatif au Service de santé en campagne rétablit l’aumônerie aux armées. Le décret du 5 mai 1913 affecta les aumôniers militaires aux groupes de brancardiers « afin de les placer le plus près possible des troupes combattantes ». Cependant l’augmentation de la portée des armes obligea à situer hors des zones de feu les positions des ambulances et donc à reléguer à vingt ou trente kilomètres du front les aumôniers. Par ailleurs ledit décret accordait quatre prêtres pour quarante mille combattants, alors que les Etats-Unis, par exemple, en prévoyaient un pour mille hommes. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’impréparation de l’aumônerie était similaire.

2) La militarisation des aumôniers
Depuis le XVIIe siècle, la tradition distinguait l’aumônerie des armées en campagne et celle de la Marine. Elle fut reprise par les décrets du 9 novembre 1935 et de 1936 qui consacraient la spécificité des missions et de l’organisation de chaque armée. Une circulaire de l’Etat-major de l’armée de l’Air du 8 janvier 1940 permit le détachement d’aumôniers mobilisés dans l’armée de terre dans l’aviation. A la fin de la campagne de France, les trois armées disposaient ainsi pour les soldats mobilisés de services d’aumôneries similaires mais spécialisés. Ce dispositif, aménagé par l’Etat français puis à la Libération, perdura jusqu’en 1964.
Le décret n°64-498 du 8 juin 1964 abrogea une dizaine de textes antérieurs et fixa des règles d’ensemble sur l’aumônerie militaire. Aux termes de ce décret, l’aumônerie catholique ne comprenait plus trois directions mais une seule ; son directeur prenant le titre d’aumônier catholique des Armées. Très soucieux de respecter la laïcité, la nouvelle réglementation opéra une séparation très nette entre les plans militaire et religieux.
Les aumôniers n’avaient ni grade ni rang la hiérarchie militaire. Soumis aux obligations de la discipline et subordonnés aux commandants des formations auxquelles ils étaient rattachés, ils conservaient leur liberté pour l’exercice de leur mission cultuelle.

Ce décret fut modifié par le décret n°2008-1524 du 30 décembre 2008. Ce texte fut particulièrement innovant puisque pour la première fois les aumôniers militaires furent définis comme « des militaires servant en vertu d’un contrat » (art. 1er) et non plus comme des ministres des cultes attachés aux forces armées. L’article 4 dudit décret ne remit pas en cause la double hiérarchie cultuelle et militaire. Cependant, l’article 3 limita les prérogatives de l’aumônier en chef à « la coordination de l’activité des aumôniers de son culte » alors que l’article 4 précisa que les aumôniers « ne peuvent recevoir d’ordres que des commandants de formation administrative ». La militarisation des aumôniers et la prévalence du commandement sur l’autorité cultuelle semble conduire à la militarisation de l’aumônerie.

B – Les pouvoirs de juridiction des aumôniers

Parallèlement aux vicissitudes de l’organisation de l’aumônerie par le pouvoir politique, les pouvoirs de juridiction de l’aumônier firent également l’objet d’une lente évolution, cependant nettement plus linéaire, qui survécut à la disparition du Grand Aumônier et à ses conflits avec ses confrères dans l’épiscopat français.

Le texte de référence en la matière fut le bref « Quae catholico nomini [16]» du 6 juillet 1875, par lequel Pie IX détermina les pouvoirs des aumôniers militaires français suite à la loi de 1874. Ce texte demeura en vigueur lors de la Grande Guerre voire jusqu’à la création du Vicariat aux Armées françaises en 1952. Il insista principalement sur les pouvoirs et privilèges canoniques en temps de conflit. Dans le cas de desserte religieuse d’une garnison, le prêtre qui en avait la charge dépendait de l’ordinaire du lieu. En revanche pour pallier les difficultés rencontrées lors de la guerre de 1870, l’aumônier mobilisé ou en campagne pouvait user des pouvoirs dont il jouissait dans son diocèse d’origine avant son départ pour l’armée. Il n’avait donc pas, pour exercer son ministère, à demander d’autorisation aux évêques des diocèses où les troupes séjournaient. En revanche, à l’instar de la loi civile, « Quae catholico nomini » ne détermina aucune organisation d’ensemble de l’aumônerie, aucune hiérarchie ni subordination institutionnelle.

Ainsi à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, l’aumônerie souffrait toujours d’une absence de hiérarchie véritable, de coordination et de liaison. Certes depuis 1937,
Monseigneur Sudour exerçait la charge de directeur général de l’aumônerie, mais vicaire général de Paris et archidiacre de Saint-Denis il devait se partager entre ses importantes responsabilités. En décembre 1939, l’archevêque de Paris reçut du Saint-Siège la charge de Vicaire aux Armées mais sans en porter le titre « qui ne convenait pas à la dignité cardinalice ». Sa juridiction comprenait non seulement les aumôniers mais également tous les prêtres et tous les hommes. D’un point de vu canonique, le Pape se considérait comme le seul ordinaire militaire mais il déléguait ses pouvoirs à un vicaire. La direction de l’aumônerie s’en trouva donc bicéphale. Monseigneur Sudour en assurait l’administration et donc les nominations, révocations et mutations d’aumôniers alors que Monseigneur Audrain, désigné comme visiteur ecclésiastique par le cardinal Verdier, exerçait la direction spirituelle des ecclésiastiques mobilisés. Pour faciliter le fonctionnement de l’aumônerie, ces derniers continuaient à dépendre de leurs évêques ou supérieurs religieux.

En 1944, l’archevêque de Paris retrouva le titre de vicaire aux Armées reçu en 1939.
Le Saint-Siège le lui confirma le 13 août 1947 alors que cette charge exceptionnelle n’avait été prévue à l’origine que pour le temps de guerre. En 1949, l’aumônerie fut rattachée à la commission du secrétariat de l’épiscopat pour le règlement de toutes les affaires courantes.

Le 23 avril 1951, la Congrégation consistoriale publia une instruction générale sur les vicariats aux Armées « Solemne semper ». Cette instruction décréta une situation canonique commune à tous les organismes érigés pour subvenir aux besoins spirituels des militaires. Si la juridiction personnelle cumulative fut alors officialisée, on ne parla pas encore pour les aumôneries de « portion du peuple de Dieu ». Le Pape était le seul évêque aux Armées. Il déléguait ses pouvoirs à un vicaire dans chaque pays intéressé. Les pays concordataires comme l’Espagne ou l’Italie n’adoptèrent pas cette organisation car ils disposaient de régimes spécifiques d’aumônerie. Dans ce cadre, le vicaire aux Armées « jouit d’une juridiction ordinaire mais spéciale » et « personnelle, dans ce sens qu’elle s’étend exclusivement aux sujets mentionnés dans le décret ». Pie XII se soucia à plusieurs reprises d’organisations « chargées de subvenir aux besoins spirituels des fidèles placés dans des conditions particulières ou difficiles ». Sa connaissance de la question des juridictions personnelles résultait non seulement de sa thèse de doctorat mais encore de son expérience de secrétaire d’Etat puisqu’il avait alors contribué à la création d’exarchats.

Au cours de l’année 1951, plusieurs vicariats furent ainsi érigés dans des Etats d’Amérique du sud ou aux Philippines. L’archevêque de Paris, maintenu comme ordinaire des militaires français depuis 1947 écrivit à Pie XII pour obtenir un vicariat. Au début de l’année 1952, Monseigneur Feltin donna procuration à MM. les abbés de Cambourg et Huet pour traiter cette question à Rome en veillant « à ce que les catholiques de l’armée française ne soient pas en situation inférieure à celle des autres armées », américaine en particulier. Ils eurent surtout « à résoudre les problèmes posés sur le plan canonique par le fonctionnement des aumôneries d’Allemagne et d’Indochine ».

Par le décret « Obsecundare votis » du 26 juillet 1952, la Congrégation consistoriale organisa l’aumônerie française selon les principes de l’instruction de 1951. Elle désigna l’archevêque de Paris comme « vicarius castrensis » avec juridiction personnelle sur tous les sujets du vicariat. Il cumula cette charge avec la juridiction territoriale sur l’archidiocèse de Paris et s’appuya sur trois vicaires généraux qui le représentèrent au plan ecclésiastique dans chacune des trois Armées : terre, air et marine. Au plan militaire, ces derniers étaient directeurs des Services des Aumôneries catholiques de la terre, de l’air et de la marine. La jonction des pouvoirs laïcs - en l’occurrence militaire - et des pouvoirs ecclésiastiques s’opéra donc sur des personnes. C’était là une solution tant au séculaire problème des pouvoirs ecclésiastiques des aumôniers militaires qu’au délicat agencement des disciplines ecclésiastique et militaire en régime de séparation. Ainsi constitué le Vicariat fonctionna comme un véritable diocèse avec un tribunal, une chancellerie ou encore une direction des œuvres.
En 1964 l’archevêque de Paris se déchargea de l’aumônerie militaire sur un évêque axillaire, en l’occurrence Monseigneur Badré. En 1967 celui-ci devint vicaire aux Armées, Monseigneur Veuillot, successeur de Monseigneur Feltin, ne souhaitant pas conserver cette fonction. Le Vicariat prit alors réellement son autonomie en se détachant de l’archevêché de Paris. Le processus s’acheva avec la constitution apostolique « Spirituali militum curae » promulguée par Jean-Paul II le 21 avril 1986. Ce changement de statuts sanctionna la réussite de l’expérience lancée par Pie XII.

Aux termes de la constitution « Spirituali militum curae », le Vicariat aux Armées devint le diocèse aux Armées françaises. La constitution « Spirituali militum curae » se présente comme liée au Concile Vatican II qui ouvrit la voie à une pastorale plus adaptée aux besoins particuliers. La forme canonique de l’aumônerie militaire en France découle du premier paragraphe de la constitution : « les Ordinariats aux armées qui sont assimilés au plan juridique à des diocèses, sont des circonscriptions ecclésiastiques particulières, régies par des statuts qui leur sont propres et promulgués par le Siège Apostolique, dans lesquels seront précisées plus en détail les prescriptions de cette Constitution, restant sauves, là où elles existent, les Conventions stipulées entre le Saint-Siège et les Etats signataires ».
Les statuts diocésains[17] reprennent les termes mêmes de la constitution en leur article 1er : « l’Ordinariat aux armées françaises est assimilé à la figure juridique du diocèse ».
Le même article précise que « dans l’usage courant de la langue française, le terme « Diocèse aux armées » sera adopté de même que celui d’évêque aux armées pour traduire « Ordinarius militaris ».


Conclusion

La conclusion pourrait se résumer à l’apophtegme posé par Lampedusa dans Le Guépard : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Quelque soit le régime ou la forme canonique, l’assistance spirituelle au combattant fut toujours reconnue voire tolérée.
La double hiérarchie sur le plan militaire et la juridiction cumulative sur le plan canonique sont par nature source de frictions plus ou moins atténuées selon les époques. Par delà ces tensions, s’impose la nécessité d’assurer le soutien de ceux qui ont consenti à l’éventualité du sacrifice suprême.

Il est à noter que le terme d’aumônier s’est échappé du vocabulaire canonique pour s’émanciper dans le langage administratif. Ainsi l’Etat français accorde désormais le statut d’aumônier non seulement aux prêtres mais aussi aux diacres et laïcs et même aux ministres des autres cultes reconnus : israélite, musulman et protestant.


Annexes
Bibliographie

La Bible, traduction française et adaptation des textes de la bible de Crampon, commentaires réalisés par les professeurs de la Faculté de Théologie de l’Université de Navarre.

Constitution apostolique « Spirituali militum curae » du 25 avril 1986.

Statuts canoniques du diocèse aux Armées françaises promulgués le 16 mai 1988.

Collectif « Liberté religieuse et régimes des cultes », CERF, Paris, 2005.
Collectif « Aumônerie militaire », numéro spécial de la Revue « Croix de guerre », Paris, 1960.
Antoine REDIER et abbé HENOCQUE « Les aumôniers militaires français », Flammarion, Paris, 1940

Alexandre MARAL « Le grand aumônier de France et le diocèse de la Chapelle royale sous Louis XIV », Bibliothèque de l’Ecole des chartes, t 158, 2000, p. 475-506.

Xavier BONIFACE « L’aumônerie militaire française 1814-1962 », thèse de doctorat en histoire, Université de Lille III, 1997.

Arnault BERRONE « Les aumôniers militaires catholiques de la Restauration à la fin du Second Empire : vecteur d’un idéal du soldat chrétien ? », Université de Paris X, Département d’histoire, 1998.

Catherine EPAULARD « L’aumônerie militaire de la Révolution à la Restauration », mémoire de maîtrise, Université de Paris I, UFR d’histoire, 1987.
Table des matières

Introduction page 2

I – Du Grand Aumônier page 4

A – L’Ancien Régime et la Révolution page 4

B – L’Empire et la Restauration page 7

II – A l’Evêque aux Armées françaises page 10

A – L’organisation juridique de l’aumônerie page 10

1) L’absence d’institution structurée et permanente page 10

2) La militarisation des aumôniers page 11

B – Les pouvoirs de juridiction des aumôniers page 12

Conclusion page 16

Annexes page 17

Bibliographie page 26

[1] A. REDIER et abbé HENOCQUE « Les aumôniers militaires français », Paris, Flammarion, 1940, p. 14.
[2] Abbé FERRE « Vie de saint Sulpice le Bon », Paris, Gabalda, 1919, p. 73.
[3] Cf. le traité de L’Ecluse entre la France et l’Angleterre, du 6 fév. 1759, et la Convention de Brandebourg du 7 sept. 1759 entre l France et la Prusse.
[4] Abbé L. Moreau « Recherches sur l’origine et la formation du diocèse royal en France : un exemple de diocèse personnel à l’époque du droit classique de l’Eglise » thèse de doctorat en droit canonique, Faculté de théologie catholique de l’Université de Strasbourg, 1975.
[5] Cette affaire opposa violemment le cardinal de Noailles aux Jésuites : au père de Linières nommé confesseur du Roi en mars 1722 par le Régent, l’archevêque de Paris déclara ne pas donner les pouvoirs pour confesser le Roi. Bien qu’un bref pontifical du 19 mai permît au Roi de choisir le père de Linières comme confesseur et à celui-ci d’absoudre le Roi indépendamment de l’approbation de l’ordinaire, Louis XV fut confessé le 29 juin 1722 à Saint-Cyr, sur le territoire et avec les pouvoirs de l’évêque de Chartres. Quant à la confirmation du Roi, l’archevêque de Paris prévint l’issue de la querelle en accordant au Grand Aumônier le pouvoir de confirmer le Roi ; ce qui fut fait à Versailles le 9 août 1722.
[6] Philippe GUYARD « Les aumôniers de troupe de la Régence à la chute de la monarchie » thèse de troisième cycle, Paris IV, 1982, p. 27 et 35. Cite un bref de pie VI au Grand Aumônier, le cardinal de la Roche-Guyon, en 1775.
[7] Mémoires de M. le comte de Saint Germain, écrits par lui-même, rédigés par l’abbé de la Montagne, Amsterdam, 1779.
[8] Guignard, L’Ecole de Mars ou Mémoires instructifs, t. I, p. 696.
[9] A cet égard, l’art. 8 de la loi du 26 décembre 1792 dispose que « les officiers sans troupes, les commissaires des guerres, aumôniers et officiers de santé, étant assimilés aux officiers des corps, tout ce qui est dit précédemment leur est applicable ».
[10] Une autre exception notable est à signaler : les régiments étrangers. L’Empereur qui recommanda à ses soldats le « respect pour les coutumes et les préjugés des pays qu’ils traversent » , se garda lui-même de déroger aux habitudes religieuses de militaires étrangers dont la participation à la Grande Armée lui fut précieuse (Cf. lettre à Leclerc, général en chef de l’armée de Portugal citée par J. Morvan in Le soldat impérial (1800-1814), 2 vol., Plon, Paris, 1914, p. 506-508).
[11] Sur 31 870 prêtres français recensés en 1809, seuls 933 avaient moins de 40 ans.
[12] Il fallut attendre 1823 pour que l’aumônerie de la Marine reçût un statut analogue.
[13] F. ROQUE « Le statut des aumôniers militaires aux XVIIe et XVIIIe siècles » Paris, Librairie Sirey, 1967.
[14] Les aumôniers titulaires étaient affectés aux rassemblements de troupes supérieurs à 2 000 hommes alors que des aumôniers auxiliaires étaient prévus pour des groupements moindres. Sans grade ni rang dans la hiérarchie, les aumôniers étaient attachés aux garnisons et placés sous la juridiction des évêques.
[15] Ces garnisons devaient comprendre au minimum 2 000 hommes et être distante de plus de 5 km des églises paroissiales (art. 2).
[16] Cf. Annexe I.
[17] Cf. Annexe II.

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