Pour la première fois, un régiment de l'armée de terre sera commandé par une femmeD'autres femmes, dans d'autres unités, se sont vu confier des postes de responsabilité équivalente. Mais pour la première fois, un régiment opérationnel de l'armée de terre, le 18e régiment de transmissions de Bretteville-sur-Odon (Calvados), sera commandé par une femme, qui prendra ses fonctions le 18 juin. Dominique Vitte, qui est entrée à Saint-Cyr en 1986, promotion Général Callies, était alors la cinquième femme à pénétrer par la grande porte dans ce panthéon des valeurs masculines. Fille de militaire, elle a initialement choisi une autre
voie, et se voyait plutôt dans l'univers économique, après une prépa HEC et des études de sciences économiques. Mais une préparation militaire parachutiste en décide autrement. Elle change d'avis et se présente au concours de l'École spéciale militaire de Coëtquidan.
De ces années de formation, elle dit pudiquement s'être sentie "mouton noir chez les moutons blancs". À cette époque pionnière, voici un quart de siècle, l'armée concevait quelques difficultés à gérer la présence des femmes imposée par le politique, et Dominique Vitte a vécu ces tâtonnements sur le terrain de sport : "La première année, j'ai passé des épreuves sportives différentes de celles de mes camarades masculins, notées avec des barèmes différents. La seconde année, c'étaient des épreuves semblables, avec barème
différent. Et la troisième année, c'était la même chose pour tout le monde. Au motif que si les femmes doivent faire leurs preuves, elles les feront, et que dans une section d'infanterie, on passe les barres, et c'est tout." Elle s'adapte, se transforme : "J'étais devenue comme eux : agressive. Ce qui m'a permis de résister, c'est que j'avais une autre image du métier d'officier." Pour ne pas dire qu'elle en a bavé des ronds de chapeau, elle préfère expliquer : "C'était parfois difficile pour les garçons de vivre cette logique. Il y avait des gens très bien, aussi !"
Aujourd'hui, elle a deux préoccupations : être prête pour sa passation de commandement, ce qui ne lui pose pas de problème, et faire face à sa nouvelle notoriété, ce dont elle se passerait volontiers. "Je ne veux pas faire l'objet de curiosité. M'exposer, c'est contraire à ma nature." Vive et peu adepte de la langue de bois,
elle ne fait pas une histoire de sa carrière, ni dans l'arme des transmissions ni dans ces affectations sous-exposées où conduit parfois une carrière militaire. Elle parle avec émotion de Pierre Dabezies, officier exceptionnel et universitaire éminent, dont elle prononça l'éloge funèbre en 2003, et qui a été son professeur de relations internationales à La Sorbonne.
Avant le Collège interarmées de défense, elle est passée par la Fondation nationale des sciences politiques, y travaillant sur la conduite du changement "avec le devenir collectif et individuel des hommes au coeur de la problématique", et se dit ravie de pouvoir se mesurer à une mise en oeuvre concrète de ses études. Car sa mission au 18e RT n'est pas si simple : elle va devoir conduire le régiment à sa dissolution programmée, dans un an : "C'est une courte mission, mais à conduire tambour battant." À elle donc la charge de rendre le site très
moderne de Bretteville-sur-Odon aux autorités locales, et de préparer les hommes et les femmes du 18e RT
à partir pour d'autres unités. Aurait-elle rêvé d'une autre mission ?
Ce n'est pas le problème : "J'ai entendu un de mes supérieurs demander récemment à chacun d'atténuer les pics de sa personnalité, pour mieux servir. Je suis d'accord : ceux qui acceptent de se fondre dans la masse servent bien l'institution."
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