Le dernier voyage du soldat inconnu
Par Jean-Yves Naour
L'idée a germé en France dès 1916. Il fallut quatre ans, et bien des polémiques, pour qu'elle aboutisse avec l'arrivée à l'Arc de trionphe, le 11 Novembre 1920, du soldat inconnu."Pourquoi la France n'ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à l'un de ces combattants ignorés morts bravement pour la patrie ? "
En prononçant ces mots, le 20 novembre 1916 au cimetière de Rennes, le président du Souvenir français', Francis Simon, invente l'idée du soldat inconnu. C'est qu'il n'est plus possible, à l'âge démocratique, d'honorer seulement les chefs. Ce sont les sans-grade, les poilus anonymes, ceux qui ont souffert l'enfer qui doivent être honorés.
Dès la signature de l'armistice, le 11 novembre 1918, de multiples projets voient donc le jour et l'idée de la panthéonisation d'un soldat inconnu re surgit rapidement, dès le 19 novembre, à l'initiative du député et mutilé de guerre Maurice Maunoury. Finalement, emportée par un flot de propositions, la Chambre retient bien le Panthéon mais oublie le soldat en préférant déposer au sein du temple républicain un livre d'or contenant les noms de tous les morts de la Grande Guerre. Mais ce n'est pas assez pour un certain nombre de députés qui déposent une nouvelle proposition de loi concernant l'inhumation d'un
« déshérité de 1a mort », le 12 septembre 1919, pour incarner le sacrifice de tous et donner un corps à pleurer aux 250 000 familles de disparus.
L'idée serait peut-être tombée dans l'oubli si la Grande-Bretagne n'avait pas annoncé un an plus tard, en octobre 1920, son intention de procéder à l'enterrement d'un tommy inconnu dans la cathédrale de Westminster, à l'occasion du prochain anniversaire de l'armistice. Il se crée alors un mouvement d'opinion entretenu par quelques journal conservateurs : «
Cette idée lancée en France par des hommes politiques français [...] a été ramassée par l’Angleterre qui est en train de lui faire un sort... Et c'est nous qui ne ferions rien ? » s'étrangle
L'Intransigeant.Si le gouvernement ne veut pas suivre l'exemple britannique, c'est qu'il a prévu une toute autre cérémonie pour le 11 novembre 1920 : célébrer cinquantenaire de la république (avec deux mois de retard) en portant le coeur de Gambetta au Panthéon, ce qui a l'avantage de donner un sens de revanche à la Grande Guerre et de boucler une histoire commencée dans le désastre en 1870 et achevée dans le triomphe en 1918. Les pressions de l'opinion publique et les menaces de gros bras de l'extrême droite qui annoncent qu'ils iront barrer convoi de Gambetta avec le cadavre d'un poilu anonyme ont finalement raison de la mauvaise volonté gouvernementale. Le 2 novembre, le Conseil d ministres accepte de coupler l'inhumation du cœur de Gambetta avec celle d'un soldat de 14-18.
Pourtant la polémique ne fait que commencer et l'on s'écharpe entre droite et gauche sur le lieu où reposera le glorieux poilu. Pour Léon Daudet, député royaliste, ce serait une injure que de le placer au Panthéon où trônent déjà le
« funeste Genevois » Jean-Jacques Rousseau, et «
l'immonde Zo1a », le dreyfusard. Pour les cléricaux, ce temple défroqué par la Révolution est également inacceptable. Aussi, le 8 novembre, la majorité de droite de la Chambre bleu horizon abandonne-t-elle Panthéon et choisit-elle l'Arc de triomphe comme dernière sépulture du héros national. Derrière ce débat se profile en réalité une polémique plus essentielle au sujet de l'interprétation du soldat inconnu, s'agit-il :
D'un héros ou d'une victime ?
D'un exemple ou d'un martyr ?
Justifie-t-il la guerre ou bien est-il une sentinelle de la paix ?
Pendant que l'affrontement politique fait rage, on amène à la citadelle de Verdun, selon les prescriptions du mutilé de guerre et ministre des Pensions André Maginot, neuf cercueils contenant des dépouilles prélevées sur différents champs de bataille. En fait, il n'y en aura que huit le jour de l'élection car des doutes pesaient sur la nationalité de l'un d'entre eux, et l'on ne voulait pas enterrer un Américain ou, pire, un Allemand sous l'Arc de triomphe !
Il semble également que des tirailleurs sénégalais aient été écartés.
N'étaient-ils pas des soldats français comme les autres ?
Le 10 novembre, enfin, André Maginot préside à la cérémonie du choix du soldat inconnu en remettant au caporal Auguste Thin un bouquet de fleurs à déposer sur le cercueil du héros. Très ému. Thin choisit le sixième cercueil : il affirmera plus tard avoir voulu rendre hommage à son régiment, le 132e, en additionnant tous les
chiffres (1+3+2).
Transporté à Paris par convoi ferroviaire et veillé toute la nuit dans une chapelle ardente installée place Denfert-Rochereau, le soldat inconnu traverse toute la capitale dans la matinée du 11 Novembre devant des centaines de milliers de personnes recueillies. Avec un brouillard que le soleil ne parvient pas à percer, on dirait que le temps s'est associé à cette cérémonie glaçante où la nation, victorieuse mais éplorée, vient célébrer ses Pâques.
Le 11 Novembre devait être un jour de triomphe, celui de la célébration de la revanche, cette mise au tombeau en a fait un jour de recueillement et de deuil.
10 Novembre 1920 Le caporal Thin désigne le soldat inconnu parmi huit cercueils, à la chapelle de Verdun.
Le convoi quitte Verdun pour Paris
11 Novembre 1920Entrée solennelle sous l'Arc de triomphe du cercueil du soldat inconnu, il est suivi par la châsse contenant le cœur de Gambetta
28 Janvier 1921le soldat inconnu est inhumé sous l'Arc de triomphe