Législatives : dans une lettre aux Français, Macron dit se laisser « un peu de temps » pour nommer un premier ministre
Estimant que « personne ne l’a emporté » dans les urnes, le président a rédigé une lettre aux Français pour appeler à bâtir des « compromis » dans « un large rassemblement ».
Il avait gardé le silence depuis le premier tour des élections législatives, au grand soulagement d’une partie de son camp. Trois jours après le verdict des urnes, Emmanuel Macron a fini par s’exprimer sur le résultat du scrutin qu’il a provoqué en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale. Dans une « lettre aux Français » publiée mercredi dans la presse régionale, le président de la République en appelle au « compromis » entre les « forces républicaines » pour gouverner le pays. Et exclut, entre les lignes, toute cohabitation avec l’une ou l’autre des oppositions, dans une tentative de rester au centre du jeu malgré la déconvenue subie par ses troupes, revenues au Palais Bourbon amputées d’une centaine de députés.
« Si l’extrême droite est arrivée en tête au premier tour avec près de 11 millions de voix, vous avez clairement refusé qu’elle accède au gouvernement », écrit Emmanuel Macron, qui considère que « personne ne l’a emporté ». « Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires », poursuit-il, en affirmant que « seules les forces républicaines représentent une majorité absolue ». Ce qui les obligerait « à bâtir un large rassemblement », prolongeant ainsi les désistements et les retraits mutuels consentis dans l’entre-deux-tours pour faire barrage au Rassemblement national.
Le président, qui estime que les électeurs ont « appelé à l’invention d’une nouvelle culture politique française », souhaite l’avènement d’« une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays ». Il s’adresse donc « à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française ».
Il ne nomme aucun parti, mais ces critères excluent à ses yeux le Rassemblement national et La France insoumise, ce qui renvoie dès lors aux formations incluses dans ce qu’il aime habituellement appeler « l’arc républicain », ressuscité pour l’occasion. Jugeant que ces élections anticipées ont été « marquées par une demande claire de changement et de partage du pouvoir », Emmanuel Macron ajoute : « Ce que les Français ont choisi par les urnes - le front républicain -, les forces politiques doivent le concrétiser par leurs actes. »
Bâtir des compromis
Cet appel permet au chef de l’État de repousser opportunément la désignation d’un premier ministre, lui qui a refusé lundi la démission de Gabriel Attal. Le président préfère « laisser un peu de temps aux forces politiques pour bâtir ces compromis ». Cela revient en tout cas à fermer d’avance la porte au Nouveau Front populaire, qui compte proposer bientôt un nom pour Matignon pour imposer une cohabitation.
Idem avec ces ténors de la droite qui, de Xavier Bertrand à Olivier Marleix, ont plaidé mardi pour la nomination d’un «premier ministre issu des Républicains ».
Des offensives dédaignées à l’Élysée, qui prend argument de la fragmentation inédite de la nouvelle Assemblée nationale. « Ce qui est historique, c’est qu’il n’y a que des minorités, observe-t-on. La seule majorité possible réunit les forces républicaines, sans LFI ni le RN. Il faut donc inventer quelque chose de nouveau. »
Dans le gouvernement en sursis et chez les députés réélus, cette idée de grande coalition centrale est d’ailleurs déjà, depuis le début de la semaine, au cœur de discussions quelque peu brouillonnes. « Personne n’est missionné officiellement, mais beaucoup de gens parlent à beaucoup d’autres gens », sourit un ministre, qui prévient : « On peut former une coalition allant des communistes aux LR, en passant par les socialistes, les écologistes et nous, à condition de ne pas proclamer que “c’est pour transformer le pays et faire de grandes réformes”. Ça doit être un gouvernement qui apaise, gère le pays, vote un budget et avance sur deux ou trois points importants. »
Dans l’entourage présidentiel, on jure qu’Emmanuel Macron adopte désormais « une nouvelle posture plus en surplomb, en tant que garant des institutions ». « Maintenant, la balle est dans le camp des chefs de parti », explique-t-on, en appelant à « une sorte de conclave républicain ». « Techniquement, il faut que Laurent Wauquiez , Olivier Faure , les responsables d’Ensemble se mettent dans une pièce et discutent texte par texte, projet par projet », détaille un interlocuteur du chef de l’État.
Un scénario très peu réaliste, alors que toutes les précédentes tentatives de cet acabit se sont soldées par un échec. Le dernier étant, après le raté du Conseil national de la refondation, le flop des Rencontres de Saint-Denis convoquées l’an dernier par Emmanuel Macron avec les chefs de tous les partis représentés au Parlement. À l’époque, le RN et LFI étaient d’ailleurs conviés, ce qui introduisait un flou dans le concept mouvant d’« arc républicain ». Mais déjà, après les élections législatives de juin 2022, qui ne lui avaient donné qu’une majorité relative, le chef de l’État avait donné 48 heures aux forces politiques pour participer à une « configuration nouvelle » avec son camp. Cette fois, insiste son entourage, il ne borne pas dans le temps la durée des discussions.
Impatience des oppositions
Du temps, cela permet surtout à Emmanuel Macron d’en gagner, lui qui assiste jusqu’à jeudi soir ausommet de l’Otan à Washington. Le chef de l’État a commencé à rédiger sa lettre mardi soir, avant de la finaliser dans l’avion qui l’emmenait vers la capitale américaine mercredi. Sur place, où il était le dernier dirigeant à arriver, il n’a pas souhaité en rajouter, se dérobant aux questions de la presse pour se rendre directement à un entretien bilatéral avec le nouveau premier ministre britannique, Keir Starmer. Aucune prise de parole ni conférence de presse du président n’est d’ailleurs prévue au cours du sommet. Emmanuel Macron doit rentrer à Paris vendredi matin, deux jours avant de présider dimanche le défilé militaire du 14 Juillet.
Gabriel Attal et ses ministres y sont attendus, eux qui restent dans l’incertitude sur la durée de leur maintien en poste. « D’ici là, le gouvernement actuel continuera d’exercer ses responsabilités puis sera en charge des affaires courantes comme le veut la tradition républicaine », indique dans sa lettre Emmanuel Macron, sans préciser la date à laquelle il compte franchir cette étape. Une subtilité juridique cruciale pour les ministres élus ou réélus députés, puisqu’ils ne peuvent siéger à l’Assemblée nationale tant que le chef de l’État n’a pas mis officiellement fin aux fonctions du gouvernement.
Mais, selon un proche, ce décret sera « sans doute » signé avant le début de la session au Palais Bourbon, le jeudi 18 juillet, libérant les ministres désireux de briguer des postes clés de l’Assemblée (présidence, vice-présidence, questeurs, etc.) et de s’impliquer dans les batailles politiques à venir.
En revanche, dans l’esprit d’Emmanuel Macron, la période de gestion des affaires courantes pourrait s’étendre jusqu’après les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. « On peut tenir un mois comme ça », hasarde une ministre, tout en concédant qu’« il peut y avoir une impatience » si le chef de l’État traîne trop à concrétiser le résultat des élections législatives à travers la nomination d’un nouvel exécutif.
Cette impatience se ressent déjà dans les rangs des oppositions, qui ont rapidement donné de la voix à la lecture de la lettre présidentielle. « Irresponsable !», a tempêté le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, tandis que Marine Le Pen déplorait de son côté un « cirque indigne ». Quant à Jean-Luc Mélenchon, il fustigeait un « droit de veto royal sur le suffrage universel » et « le retour des intrigues de la IVe République ». « Ça suffit. Il doit s’incliner et appeler le Nouveau Front populaire. C’est tout simplement la démocratie », a encore exigé l’Insoumis en chef. Si Emmanuel Macron voulait se donner de l’oxygène, ses opposants sont bien décidés à ne pas le laisser respirer.
Sources
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« Lorsque dans notre pays on parle de courage et de grandeur, c’est vers les croix de guerre que se tournent les regards » Alphonse JUIN Maréchal de France