Voici le texte de l'éloge funèbre prononcée par le CEMM, l'Amiral Alain OUDOT de DAINVILLE, lors des obsèque du VAE (2S) Bernard KLOTZ, compagnon d'infortune de Jean SEGALEN et second marin fait prisonnier par les Viêts après la bataille de Diên-biên-Phù :
Eloge funèbre prononcé par l’amiral Alain Oudot de Dainville, chef d’état-major de la Marine, le 2 janvier 2006, en la chapelle du Val de Grâce.
Bernard Klotz (†) nous quitte, une légende s’en va.
Nous perdons un chef, un chef qui a servi la France, partout, en mer, dans les airs et sur terre, un chef que nous admirions, que nous aimions, que nous aurions servi jusqu’au bout de nous-mêmes.
Bernard Klotz a écrit sa page dans le grand livre des figures de proue de la Marine.
Venu d’une région rude et peu maritime, la Franche Comté, où il aimait se ressourcer car il avait besoin d’herbe verte, de fleurs des champs, des senteurs de fenaison, il choisit la Marine. Pilote de l’aéronavale pendant la période douloureuse qui suivit la deuxième guerre mondiale, commandant d’unités et de force en opérations, tout au long d’une carrière exemplaire il nous a dressé le portait du chef.
Homme de cœur et d’intelligence, le regard pétillant de malice, il nous transmettait son savoir avec sa modestie naturelle et nous guidait avec humour car comme l’écrivait un de ses compagnons de captivité, Pierre Schoendoerffer, le soldat de guerre a besoin aussi de rires, de petites joies, de bêtises et de grandes espérances.
Il possédait l’élégance, celle du seigneur, l’élégance du port, du verbe, du geste, celle qui dans le fracas des derniers bombardements de Dien Bien Phu, avant le cessez le feu, lui fera commander par radio des fleurs pour celle qui l’attendait en France.
Amiral Klotz, vous nous avez appris le respect, respect de l’adversaire, respect de la nature, respect de l’homme, ce respect qui aux commandes de l’avion que vous aimiez piloter seul, maître de vous-même, ce respect qui vous faisait réduire votre moteur pour ne pas effrayer les buffles et adresser un signe d’amitié au gamin qui les gardait.
Ce respect vous a fait chérir les pays, où la France vous a demandé de servir, cette Indochine que vous avez aimée comme un être de chair, dont cependant seule l’âme serait tangible, cette Indochine que vous avez quittée un jour de septembre 1954, que vous avez quittée mais qui ne vous a pas quitté.
Vous avez aimé Tahiti encore dans sa fraîcheur, lorsque la France y forgeait son destin.
Vous avez aimé Djibouti et son territoire dont vous avez protégé les premiers pas vers la liberté.
Vous avez aimé ce Liban meurtri, et Beyrouth où vous aimiez vous réfugier pour rencontrer les factions, mais surtout pour rejoindre cette âme tangible qui ne vous avait pas quittée.
Enfer ou paradis, vous parliez plus d’amour que de mort.
Rien ne vous décourageait, ni la jungle indochinoise quand vous aviez décidé de vous enfuir, ni la jungle administrative où l’on voulait vous enfermer.
Vous nous avez enseigné le courage, ce courage qui a fait aimer les marins de Dien Bien Phu car ils se battaient sans mesurer les risques. Vous avez exigé de nous, quand nous vous servions, une parcelle de ce même courage, mais qu’aurait-on pu refuser à celui qui avait quitté son Hellcat brûlant au dessus de la cuvette de Dien Bien Phu.
Vous nous avez enseigné la fraternité, celle des risques assumées pour soulager la peine de ceux qui se battaient dans les pires conditions, celle qui vous a fait soulager la détresse des plus faibles, celle qui vous a fait catapulter des raids, pour rendre la fierté à vos frères durement frappés à Beyrouth, celle qui vous a permis d’obtenir l’honneur et la dignité dans le rembarquement palestinien.
Vous nous avez ainsi montré comment on devient chef, comme les plus grands, vous avez su ne pas voir quand il fallait ne pas voir, pour mieux réussir, fidèle à votre idéal et à vos convictions, avec l’orgueil qui permet de transcender les difficultés, un chef à la volonté mâtinée de persévérance et de patience, alliant rigueur à vigilance, l’audace à la prudence, sachant forcer ses limites pour rencontrer son destin.
Quand vous avez quitté l’un de vos commandements, vous nous écriviez :
« Le temps est venu que je vous dise au revoir, je le ferais avec tristesse, si je n’emportais avec moi la fierté de vous avoir commandés et la joie que vous m’avez donnée au fil des jours par votre attitude, par votre état d’esprit, par votre dévouement, par vos actes et vos témoignages, par votre amitié. Le bilan de ce que nous avons fait ensemble est dans les rapports. Le bilan dont je me souviendrai est celui de vos efforts, celui de l’image que vous avez donnée de vous-mêmes et de la Marine, celui de l’honneur et de la peine que nous avons partagés. Je me suis appliqué à vous indiquer des objectifs et à vous y faire adhérer. C’est pourquoi je pars sans inquiétude et presque sans mélancolie ayant aimé mon métier et les hommes qui le servent, ayant grâce à lui et grâce à eux conservé à ma vie la part de l’idéal et celle du rêve. »
Amiral Klotz, alors que vous rendez votre dernier commandement, pour les services rendus à la France et à sa Marine, pour l’exemple que vous nous avez donné, pour la légende que vous nous laissez, pour l’honneur et le privilège d’avoir servi sous vos ordres, laissez moi vous dire Merci.
Bel hommage
Amitiés
NB: Jean Segalen cité dans le livre de Pierre Pelissier