LETTRE OUVERTE À MONSIEUR MOUNDIR ZOUGHARI
Monsieur,
Jusqu’à hier, j’ignorais même votre existence. J’appartiens à une génération qui va chercher un semblant de culture générale dans les livres, pas dans des émissions de télé débilitantes.
Vous fûtes, me dit-on, découvert par la « téléréalité » – un monde où tout est faux ! – et vous êtes dorénavant chroniqueur chez Hanouna ; vous y côtoyez des « intellectuels » de votre acabit.
Vous venez de faire parler de vous en déclarant à une Elisabeth médusée que « pendant que les Français collaboraient, les musulmans libéraient la France » (1). C’est du grand n’importe quoi !
Permettez au modeste historien que je suis de rectifier, chiffres à l’appui, les énormités que vous vous autorisez à proférer. J’ai une véritable admiration pour l’Armée d’Afrique mais je me fais un devoir de remettre les pendules à l’heure au sujet de la Libération de la France en 1944 :
Les Français connaissent le 6 juin 1944, début de l’opération « Overlord », nom de code de la bataille de Normandie. La 2ème Division Blindée du général Leclerc est entrée dans l’histoire, et elle le mérite grandement ! Le débarquement en Normandie fait partie du mythe, entretenu depuis 1945, de « la France libérée par elle-même ». C’est sans doute la raison pour laquelle on nous parle si peu de l’autre débarquement, celui de Provence, commencé le 15 août 1944.
Le débarquement de Provence – nom de code « Anvil Dragoon » – est une vaste opération menée par les Alliés dans le sud-est de la France. Appelée à l’origine « Anvil » (enclume en anglais), le nom a été changé en « Dragoon » par Winston Churchill qui était contre ce débarquement. Il déclara y avoir été « contraint » (dragooned en anglais) par les Américains.
Les objectifs de l’opération étaient de libérer Toulon et Marseille, puis de remonter ensuite la vallée du Rhône pour effectuer la jonction avec les forces de l’opération « Overlord » débarquées en Normandie à compter du 6 juin.
À partir du 15 août 1944, ce sont 260 000 combattants de la 1ère Armée Française du général Jean de Lattre de Tassigny qui vont arriver dans le sud de la France.
Durant la nuit du 14 au 15 août, des commandos français sont débarqués sur les plages.
Le 16 août, à J + 1, débarque « Force Garbo » aux ordres du général américain Alexander Patch, et composée de la 7ème Armée Américaine et de la 1ère Armée Française du général de Lattre de Tassigny. Les trois quarts de « Force Garbo » étaient sous commandement français avec, presque exclusivement, des unités de l’Armée d’Afrique : 10 % des combattants étaient originaires de la métropole (les « Français libres »), 90 % venaient d’Afrique du Nord dont une écrasante majorité d’anciens soldats de l’Armée d’armistice (devenue vichyste). 48 % étaient des « Pieds noirs ». Cette Armée, c’était « l’Armée Giraud », et, pour certains « l’Armée du maréchal ».
Elle était constituée par : la 3ème Division d’Infanterie Algérienne du général de Monsabert ; la 1ère Division Blindée du général Touzet du Vigier et la 1ère Division Française Libre du général Diégo Brosset (gaulliste). Dans les jours suivants, ces unités ont été renforcées par : la 9ème Division d’Infanterie Coloniale du général Magnan ; la 2ème Division d’Infanterie Marocaine du général Dody ; la 4ème Division Marocaine de Montagne du général Sevez ; la 5ème Division Blindée du général de Vernejoul et les deux groupements de Tabors Marocains du général Guillaume.
Après de rudes combats, les troupes du général de Lattre volent de victoire en victoire ; en deux semaines la Provence est libérée. Digne et Sisteron sont atteintes le 19 août, Gap le 20 août, Grenoble est prise le 22 août (soit 83 jours avant la date prévue), Toulon le 23 août, Montélimar le 28 août, Marseille le 29 août et Lyon le 3 septembre.
Les Alliés, remontant la vallée du Rhône, rejoindront le 12 septembre, à Nod-sur-Seine, au cœur de la Bourgogne, celles du front de l’Ouest.
Alors, est-il exagéré de dire que c’est l’Armée d’Afrique qui a libéré la France ?
Certes, comme je l’ai raconté dans un de mes livres (2) elle n’était pas seule, tant s’en faut.
Le III° Reich a été mis à bas par 360 Divisions soviétiques, et sur notre sol, par 90 Divisions américaines, 20 Divisions britanniques et… l’Armée d’Afrique.
Rappelons, juste pour mémoire, que lors du débarquement en Provence, le général Giraud mobilisa 27 classes de Français d’Algérie. Du jamais vu, même pendant la Grande Guerre !
176 500 furent réellement incorporés. Ils se sont remarquablement battus et leur taux de pertes au feu fut deux fois supérieur à celui des autres unités alliées ayant participé à la libération du sol national. Et tant pis s’il faut contredire les auteurs du film « Indigènes » (3), même si ça dérange votre vision fantaisiste de la France libérée par les Maghrébins, mais l’effort demandé aux Musulmans fut moindre : sur 14 730 000 habitants de l’Algérie, 233 000 furent mobilisés soit 1,58% de la population. La majorité était constituée d’engagés volontaires. L’effort consenti librement par les musulmans d’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie ET Maroc) fut 10 fois moins important que celui demandé aux seuls « Pieds noirs ». C’est ça, monsieur Moundir, la vérité historique et rien ne vous autorise à raconter n’importe quoi à la télé, pour vous faire applaudir par des ignares incultes.
Parmi les maghrébins qui se sont remarquablement battus, tant durant la campagne d’Italie que pour la libération de la métropole, il y avait le Bachaga Saïd Boualem, dont je vous invite à lire le livre « mon pays, la France »(4), et le futur champion de course à pied Alain Mimoun. J’ai pour ces gens-là un respect total. Je ne peux pas en dire autant de ceux qui gagnent des ponts d’or grâce à la téléréalité (5) et qui « crachent à la gueule » – pardon pour la trivialité ! – du pays qui les a enrichis.
Comme je suis en verve, monsieur Moundir, je vais compléter votre culture générale :
Depuis que la France est entrée en repentance et qu’elle culpabilise sur son passé colonial, on nous dit que nos troupes indigènes ont également été utilisées comme « chair à canon » durant la Grande Guerre, or c’est inexact ou, pour le moins, terriblement exagéré !
À l’époque coloniale, nos forces étaient réparties en trois ensembles : l’Armée métropolitaine, les troupes coloniales et l’Armée d’Afrique qui dépendaient d’un seul état-major général.
Dans la terminologie militaire, les troupes coloniales désignaient les troupes « indigènes », hors Afrique du Nord, et métropolitaines : les anciennes formations de marine (« Marsouins » pour l’infanterie et « Bigors » pour l’artillerie), qui fusionnent, en 1900, pour former l’« Armée coloniale » (ou « la Coloniale »). Ces troupes se distinguent donc des troupes d’Afrique du Nord « indigènes » (Tirailleurs, Spahis) et européennes (Zouaves, Chasseurs d’Afrique, Légion Etrangère), qui forment l’Armée d’Afrique (19ème Corps d’Armée) et provenaient essentiellement d’Algérie.
Certains régiments, mixtes, regroupaient des Chrétiens, des Juifs et des Musulmans, comme les unités de Zouaves ou de Tirailleurs. On estime que l’Empire a fourni, en quatre années de guerre, entre 550 000 et 600 000 « indigènes » à la mère-patrie, dont 450 000 vinrent combattre en Europe. 270 000 mobilisés, dont 190 000 combattants, étaient des Maghrébins, 180 000 mobilisés, dont 134 000 combattants, étaient des Sénégalais. Les autres soldats mobilisés venaient du reste de l’Empire : Madagascar, Indochine, Océanie et Somalis.
Les « indigènes » ont représenté 7% des 8 410 000 mobilisés de l’Armée française, affectés majoritairement dans les régiments de Tirailleurs. La proportion de Français au sein des régiments de Tirailleurs nord-africains était d’environ 20 %. Un peu moins dans les bataillons de Sénégalais.
En 1918, à la fin de la guerre, notre Armée disposait de cent Divisions dont six Divisions composées de troupes de l’Armée d’Afrique et sept Divisions composées de troupes de l’Armée coloniale. La moitié des effectifs de ces treize divisions étant d’origine métropolitaine.
Si ces effectifs peuvent sembler relativement faibles, les troupes « indigènes » comptent à leur actif bon nombre de faits d’armes glorieux et leur rôle ne doit pas être sous-estimé.
Leur apport a été très important dans les semaines décisives de septembre 1914, lors de la bataille de la Marne. Si quelques cas de panique furent signalés lors des premières semaines de combats (comme dans d’autres unités métropolitaines), par la suite, ces unités se montreront à l’égale des meilleurs. Durant la Grande Guerre, le nombre de tués de nos troupes « indigènes » est estimé à plus de 70 000 dont 36 000 Maghrébins et 30 000 « Sénégalais ».
Ces chiffres sont à rapprocher des 1 500 000 tués de la Grande Guerre.
Les monuments aux morts des villes et villages français sont là pour nous rappeler que la grande boucherie de 14-18 aura été, hélas, assez « égalitaire ».
Les combattants de notre Empire y ont eu leur part…comme les autres, ni plus, ni moins.
En 1924, dans son « Rapport sur le bilan des pertes », le baron de Feuchins écrira :
« Le rôle joué pendant la Grande Guerre par les indigènes algériens a été grand, leur sang s’est mêlé au sang français sur tous les champs de bataille, leur acquérant des droits légitimes par des sacrifices communs… ».
La France a toujours su rendre hommage aux combattants de son Empire.
Dois-je vous rappeler (ou vous apprendre ?) que c’est durant la Grande Guerre – en 1916 – que furent construits, en métropole, la première mosquée (6) et les premiers carrés musulmans dans les cimetières et les nécropoles ?
Monsieur Mounir, vous êtes né à Paris, d’un père algérien et d’une mère espagnole (7). Vous êtes donc français par le « jus solis », ce « droit du sol » que je considère comme une aberration.
Pour moi, on est français soit par le « sang reçu » – ce n’est pas votre cas – soit par le « sang versé » – ce n’est pas non plus votre cas. Vous êtes donc légalement français (ou franco-algérien ?) mais vous avez choisi de faire vos études au lycée d’Oran, ville où furent perpétrés, le 5 juillet 1962, les pires massacres contre les « Pieds noirs » de toute la guerre d’Algérie.
Un de mes frères est enterré à Philippeville (Skikda depuis l’indépendance de l’Algérie). Des membres de ma famille ont quitté l’Algérie sans rien, « une main devant, une main derrière », car on leur laissait une seule alternative : « la valise ou le cercueil », pourtant, vous noterez qu’il n’y a pas la moindre agressivité, pas d’injure, pas d’insulte, dans mon article. Je voudrais simplement que les « Français de papiers » (ou, si vous préférez, les Français par hasard), deviennent des Français de cœur et qu’ils arrêtent de baver sur un pays qui leur a tout donné.
J’aime bien la formule américaine « love it or leave it ». La France, aimez-la ou quittez-la !
Éric de Verdelhan
16 novembre 2023
1) Je ne garantis pas l’exactitude de cette phrase car je n’ai pas vu l’émission.
2) « Hommage à NOTRE Algérie française » (Editions Dualpha ; 2019).
3) (Mauvais) film de propagande réalisé par Rachid Bouchareb, en 2006.
4) « Mon pays, la France » de Saïd Boualem ; France Empire, 1962.
5) Ou en jouant au poker, car c’est parait-il une de vos occupations.
6) Elle était en bois ; elle deviendra plus tard la Grande Mosquée de Paris.
7) Je note que vous ne revendiquez pas la nationalité ou la religion de votre mère, pourquoi ?