Nombre de messages : 6635 Age : 84 Emploi : Retraité -Fonction publique Date d'inscription : 08/09/2019
Sujet: EPHemeride du JSF du 08 septembre par Athos79 Ven Sep 08 2023, 08:08
Éphéméride du 8 septembre
vendredi 8 septembre 2023
Frédéric Mistral (né le 8 septembre 1830)
1239 : Première représentation du Miracle de Théophile, de Rutebeuf
Si l’on connait relativement bien la vie même de Rutebeuf, et en tous cas ses moments les plus importants, on ne dispose, curieusement de presqu’aucune date en ce qui le concerne. C’est dans l’exposé suivant – très intéressant malgré son aspect un peu austère – que l’on trouve la date du 8 septembre pour la première représentation publique, sur le parvis de Notre-Dame, du Miracle de Théophile, œuvre commandée au poète par l’évêque de la ville lui-même.
Une partie du vitrail de la cathédrale de Beauvais, raconte le Miracle
On trouvera cette œuvre expliquée et commentée dans notre éphéméride-évocation du 28 mai : Quand la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais a reçu, au XIIIème siècle, son extraordinaire vitrail du Miracle de Théophile.
Et, sur le lien suivant – très technique et sans intérêt pour le grand public et les non-spécialistes – un petit tableau, en haut à droite, qui donne accès à tous les textes de Rutebeuf :
arlima.net/qt/rutebeuf
Bien sûr, pour le grand public, aujourd’hui, Rutebeuf reste d’abord connu pour sa Griesche d’Hiver, ou
Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta
Avec le temps qu’arbre défeuille Quand il ne reste en branche feuille Qui n’aille à terre Avec pauvreté qui m’atterre Qui de partout me fait la guerre Au temps d’hiver Ne convient pas que vous raconte Comment je me suis mis à honte En quelle manière
Que sont mes amis devenus Que j’avais de si près tenus Et tant aimés Ils ont été trop clairsemés Je crois le vent les a ôtés L’amour est morte Le mal ne sait pas seul venir Tout ce qui m’était à venir M’est advenu
Pauvre sens et pauvre mémoire M’a Dieu donné, le roi de gloire Et pauvre rente Et droit au cul quand bise vente Le vent me vient, le vent m’évente L’amour est morte Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta.
L’espérance de l’endemain, ce sont mes fêtes.
1830 : Naissance de Frédéric Mistral
Le Mas du Juge à Maillane maison natale de Mistral
Mistral reçut le Prix Nobel de Littérature 1904. Le fait – important pour l’époque – est à noter quoiqu’il n’ajoute rien à sa gloire. Ni Homère, ni Virgile, ni Dante, n’ont reçu le Prix Nobel de Littérature et ils forment pourtant ce cercle des Princes du Chant Sublime dont parlait Maurras, qui, bien-sûr, y rangeait Mistral. Cela dit seulement pour ceux qu’impressionnent les distinctions mondaines plus que la plus haute des poésies. Passons.
Autre intérêt, prosaïque du Nobel : Mistral consacra la totalité de la somme d’argent qui accompagne le prix nordique à la réalisation de ce qui lui tenait, alors, le plus à cœur : la création du Muséon arlaten tout entier voué à la Provence.
C’est Lamartine qui l’a lancé, en le faisant connaître à la France entière par son Quarantième Entretien (extraits) :
« …Je vais vous raconter aujourd’hui une bonne nouvelle ! Un grand poète épique est né. La nature occidentale n’en fait plus, mais la nature méridionale en fait toujours : il y a une vertu dans le soleil. Un vrai poète homérique en ce temps-ci; un poète né, comme les hommes de Deucalion, d’un cailloux de la Crau; un poète primitif dans notre âge de décadence; un poète grec en Avignon; un poète qui crée une langue d’un idiome comme Pétrarque a créé l’italien; un poète qui, d’un patois vulgaire, fait un langage classique d’images ravissant l’imagination et d’harmonie l’imagination et l’oreille un poète qui joue sur la guimbarde de son village des symphonies de Mozart et de Beethoven; un poète de vingt-cinq ans qui, de son premier jet, laisse couler de sa veine, à flots purs et mélodieux, une épopée agreste où les scènes descriptives de l’Odyssée d’Homère et les scènes innocemment passionnées du Daphnis et Chloé de Longus mêlées aux saintetés et aux tristesses du christianisme, sont chantées avec la grâce de Longus et avec la majestueuse simplicité de l’aveugle de Chio, Est-ce là un miracle ? Eh bien ! ce miracle est dans ma main : que dis-je ? Il est déjà dans ma mémoire, il sera bientôt sur toutes les lèvres de toute la Provence…
…Sa physionomie, simple, modeste et douce, n’avait rien de cette tension orgueilleuse des traits ou de cette évaporation des yeux qui caractérise trop souvent ces hommes de vanité, plus que de génie, qu’on appelle les poètes populaires : ce que la nature a donné, on le possède sans prétention et sans jactance. Le jeune provençal était à l’aise dans son talent comme dans ses habits; rien ne le gênait, parce qu’il ne cherchait ni à s’enfler, ni à s’élever plus haut que nature.
La parfaite convenance, cet instinct de justesse dans toutes les conditions, qui donne aux bergers, comme aux rois, la même dignité et la même grâce d’attitude ou d’accent, gouvernait toute sa personne. Il avait la bienséance de la vérité; il plaisait, il intéressait, il émouvait; on sentait dans sa mâle beauté le fils d’une de ces belles arlésiennes, statues vivantes de la Grèce, qui palpitent dans notre Midi. »
(Alphonse de Lamartine, Cours familier de littérature. Tome septième).
Léon Daudet en parle ainsi dans Souvenirs et polémiques (Robert Laffont, collection Bouquins, 1993, p. 36-37) :
« On l’a comparé souvent à Goethe. Il est lui-même. Ce qui frappe le plus, dans ses propos, c’est l’harmonie des plans, la perspective qu’il a dans l’esprit, comme un descendant d’aïeux qui ont longtemps contemplé le ciel étoilé et la plaine. Tel il était il y a trente ans, et plus loin encore dans mon souvenir, jugeant équitablement les hommes et les choses, célébrant son pays et poursuivant avec méthode son plan de reconstruction provinciale, dont ses amis eux-mêmes n’apercevaient peut-être pas toute l’ampleur. Il est clair, limpide comme la source, mais profond, et sa bonhomie n’exclut pas la méfiance.
À Paris, on le discutait, on harcelait mon père : “Pourquoi n’écrit-il pas en français, votre Mistral ? Relever la langue d’oc, un patois, c’est une chimère, c’est un rêve… Daudet, votre amitié vous aveugle sur l’importance de ce mouvement.” On a vu depuis qu’au contraire l’œuvre de Mistral était et est des moins chimériques, des plus utiles qui soient. Le maître de Maillane est pour la moitié dans la superbe résistance de l’Alsace-Lorraine. C’est aux armes forgées par lui, à ses méthodes, à ses principes qu’ont eu recours les mainteneurs malgré tout de l’âme héroïque de l’Alsace, de ses coutumes, de ses aspirations.
Poète et le plus doué de tous, Hugo compris, sans comparaison possible, Mistral connaît en outre les secrets de la cité et ceux du verbe, les moyens d’étayer la cité par le verbe et réciproquement. C’est un sorcier, au sens étymologique du mot, un trouveur d’ondes jaillissantes. Il ne frappe pas en vain le roc stérile. Si vous voulez mon avis, Mistral est bien grand, mais l’avenir le fera plus grand encore. Dans les abris posés et chantés par lui, les nations opprimées iront, au cours des âges, chercher un refuge contre la force brutale. Dictionnaire, poèmes, drames, propagande, fêtes commémoratives, costumes, allocutions, exemple de la longue vie passée au même endroit, tombeau, tout cela se complète et défie le temps et l’oubli. »
« Sount mort li béu diséire, mai li voues an clanti.
Sount mort li bastisséire, mai lou temple es basti. »
Chez lui, à Maillane : « …longue vie passée au même endroit… »
Voir notre album Maîtres et témoins (I) : Frédéric Mistral. (90 photos)
Voici la suite – et la fin – de notre évocation de Frédéric Mistral, à travers sa poésie, que nous avons décliné en trois temps.
Aujourd’hui, 8 septembre, date anniversaire de sa naissance, nous achevons la lecture commencée le 29 février (attribution du Prix Nobel de littérature), et poursuivie le 25 mars, jour anniversaire de sa mort.
Et nous évoquons cette poésie au moyen de deux poèmes (ou extraits) à chaque fois, soit au total six textes majeurs, qui permettent de se faire une première idée du fond de ses inspirations.
1. Le 29 février, nous avons lu un poème que l’on qualifiera de chrétien, tant est forte et sous-jacente partout chez Mistral cette source d’inspiration : La coumunioun di sant (La communion des saints) de 1858. Puis l’enracinement dans l’Histoire provençale et dans cette Provence charnelle, à travers ses paysages et ses villes. L’amour profond pour sa terre transparaît évidemment lui aussi partout chez Mistral : « …Se quauque rèi, pèr escasènço… » (Si Clémence était reine…, Mireille, Chant II)
2. Le 25 mars, nous avons lu un extrait d’un poème de combat, pourrait-on dire : I troubaire catalan (Aux troubadours catalans, partie I) de 1861. Puis, un poème peut-être un peu plus politique : A la raço latino (Ode à la race latine) de 1878.
3. Enfin, aujourd’hui – 8 septembre – nous allons voir le Mistral virgilien et homérique, paysan au sens fort et grand du terme, de l’Invocation de Miréio (Mireille). Et, pour finir – épique et historique – l’Invocation de Calendau(Calendal).
L’invocation de Mirèio. Le Mistral Virgilien et Homérique.
Illustration de Gustave Fayet, pour Mireille
Cante uno chato de Prouvènço. Je chante une fille de Provence. Dins lis amour de sa jouvènço, Dans les amours de sa jeunesse, A travès de la Crau, vers la mar, dins li bla A travers la Crau, vers la mer, dans les blés, Umble escoulan dòu grand Oumèro, Humble écolier du grand Homère, Iéu la vole segui. Coumo èro Je veux la suivre. Comme c’était Rèn qu’uno chato de la terro, Seulement une fille de la glèbe, En foro de la Crau se n’es gaire parla. En dehors de la Crau il s’en est peu parlé.
Emai soun front noun lusiguèsse Bien que son front ne resplendît
Que de jouinesso, emai n’aguèsse Que de jeunesse, bien qu’elle n’eût
Ni diadèmo d’or ni mantèu de Damas, Ni diadème d’or ni manteau de Damas,
Vole qu’en glòri fugue aussado Je veux qu’en gloire elle soit élevée
Coumo uno rèino, e caressado Comme une reine, et caressée
Pèr nosto lengo mespresado, Par notre langue méprisée,
Car cantan que pèr vautre, o pastre e gènt di mas. Car nous ne chantons que pour vous, ô pâtres et habitants des mas.
Tu, Segnour Diéu de ma patrio, Toi, Seigneur Dieu de ma patrie,
Que nasquères dins la pastriho, Qui naquis parmi les pâtres,
Enfioco mi paraulo e douno-me d’alen ! Enflamme mes paroles et donne-moi du souffle !
Lou sabes : entre la verduro, Tu le sais : parmi la verdure,
Au soulèu em’i bagnaduro, Au soleil et aux rosées,
Quand li figo se fan maduro, Quand les figues deviennent mûres,
Vèn l’ome aloubati desfrucha l’aubre en plen. Vient l’homme, devenu loup, dépouiller l’arbre entièrement. Mai sus l’aubre qu’èu espalanco, Mais sur l’arbre dont il brise les rameaux,
Tu toujour quihes quauco branco Toi, toujours, tu élèves quelque branche
Ounte l’ome abrama noun posque aussa la man Où l’homme affamé ne puisse porter la main, Bello jitello proumierenco, Belle pousse hâtive,
E redoulènto, e vierginenco, Et odorante, et virginale,
Bello frucho madalenenco Beau fruit mûr à la Madeleine,
Ounte l’aucèu de l’èr se vèn leva la fam. Où l’oiseau de l’air vient apaiser sa faim. Iéu la vese, aquelo branqueto, Moi, je la vois, cette branchette,
E sa frescour me fai lingueto ! Et sa fraîcheur me fait envie !
Iéu vese, i ventoulet, boulega dins lou cèu Je vois, au vent lèger, s’agiter dans le ciel
Sa ramo e sa frucho inmourtalo… Son feuillage et ses fruits immortels…
Bèu Dièu, Dièu ami, sus lis alo Beau Dieu, Dieu ami, sur les ailes
De nosto lengo prouvençalo, De notre langue provençale,
Fai que posque avera la branco dis aucèu ! Fais que je puisse atteindre la branche des oiseaux !
Épique et historique, l’Invocation de Calendau, simple pêcheur de Cassis.
Le Cap Canaille, vu des hauteurs dominant Cassis, puis Cassis vu du sommet du Cap Canaille.
Iéu, d’uno chato enamourado Moi qui d’une amoureuse jeune fille Aro qu’ai di la mau-parado, Ai dit maintenant l’infortune, Cantarai, se Dièu vòu, un enfant de Cassis, Je chanterai, si Dieu veut, un enfant de Cassis, Un simple pescaire d’anchoio Un simple pêcheur d’anchois Qu’emé soun gàubi e’mé sa voio Qui, par la grâce et par la volonté, Dòu pur amour gagnè li joio, Du pur amour conquit les joies, L’empèri, lou trelus. L’empire, la splendeur. – Amo de moun païs, Âme de mon pays,
Tu que dardaies, manifesto Toi qui rayonnes, manifeste,
E dins sa lengo e dins sa gèsto; Dans son histoire et dans sa Geste;
Quand li baroun picard, alemand, bourguignoun, Quand les barons picards, allemands, bourguignons, Sarravon Toulouso e Bèu-Caire, Pressaient Toulouse et Beaucaire, Tu qu’empurères de tout caire Toi qui enflammas de partout Contro li négri cavaucaire Contre les noirs chevaucheurs Lis ome de Marsiho e li fiéu d’Avignoun; Les hommes de Marseille et les fils d’Avignon. Pèr la grandour di remembranço Par la grandeur des souvenirs, Tu que nous sauves l’esperanço; Toi qui sauves notre espérance; Tu que dins la jouinesso, e plus caud e plus bèu, Toi qui, dans la jeunesse, et plus chaud et plus beau, Mau-grat la mort e l’aclapaire, Malgré la mort et le fossoyeur, Fas regreia lou sang di paire; Fais reverdir le sang des pères; Tu qu’ispirant li dous troubaire, Toi qui, inspirant les doux Troubadours, Fas pièi mistraleja la voues de Mirabèu; Fais de nouveau tonner la voix de Mirabeau. Car lis oundado seculàri Car les houles des siècles, E si tempèsto e sis esglàri Et leurs tempêtes, et leurs horreurs, An bèu mescla li pople, escafa li counfin, En vain mêlent les peuples, effacent les frontières, La terro maire, la Naturo, La terre mère, la Nature, Nourris toujour sa pourtaduro Nourrit toujours ses fils Dou meme la : sa pousso duro Du même lait; sa dure mamelle Toujour à l’ulivié dounara l’òli fin; Toujours à l’olivier donnera l’huile fine Amo de-longo renadivo Âme éternellement renaissante, Amo jouiouso e fièro e vivo, Âme joyeuse, et fière, et vive, Qu’endihes dins lou brut dòu Rose e dòu Rousau ! Qui hennit dans le bruit du Rhône et de son vent ! Amo di séuvo armouniouso Âme des bois pleins d’harmonie E di calanco souleiouso, Et des calanques pleines de soleil, De la patrio amo piouso, De la patrie âme pieuse : T’apelle ! encarno-te dins mi vers prouvencau ! Je t’appelle ! Incarne-toi dans mes vers provençaux ! Trois de nos éphémérides essayent donc de restituer au moins une partie de la puissance et de la beauté de la poésie mistralienne (8 septembre, naissance; 25 mars, décès; 29 février, Prix Nobel) : elles sont réunies et « fondues », pour ainsi dire, en un seul et même PDF, pour la commodité de la consultation : Frédéric Mistral Mais six autres éphémérides rendent compte de son action, de ses initiatives ou d’autres prises de position importantes : • la création du Félibrige et la fête de son Cinquantenaire (éphéméride du 21 mai) ; • l’institution de la Fèsto Vierginenco (éphéméride du 17 mai) et celle de l’Election de la Reine d’Arles (éphéméride du 30 mars) ; • le contexte historico/politique de la création de la Coupo Santo (éphéméride du 30 juillet) ; • Frédéric Mistral récite L’Ode à la Race latineà Montpellier (éphéméride du 25 mai) ; • enfin, la publication de son brûlot anti-jacobin, fédéraliste et décentralisateur, donc authentiquement politique, traditionaliste et réactionnaire : La Coumtesso (éphéméride du 22 août)