Espagne 1937 : la bataille de Brunete – La résistance des troupes nationalistes
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par
Theatrum Belli
6 juillet 2023
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Les témoignages de la guerre civile du côté franquiste, en langue française, sont rarissimes. Voici, écrite directement en français, une excellente chose vue : la résistance de troupes nationalistes clairsemées à la puissante offensive républicaine lancée pour dégager Madrid, autour de Brunete (ouest de la capitale), en juillet 1937. Une offensive dans laquelle les Brigades internationales, qui en étaient le fer de lance, virent périr leur élite. Les républicains, ramenés après une brève percée tout près de leurs positions de départ, perdirent 25 000 hommes et 100 avions, contre respectivement la moitié et le quart pour les franquistes. Comme Fabrice à Waterloo dans la Chartreuse de Parme, le jeune alférez (sous-lieutenant) Marcelo Goya y Delrue, de père espagnol et de mère française, et venu de Paris s’engager dans l’armée nationaliste, se voit d’abord happé par le tourbillon incompréhensible de la bataille. Voici son témoignage typique, tel que paru en 1964 dans son livre Combattre pour Madrid (Éditions de la Pensée moderne).
Forces en présence côté républicains :
Le général José Miaja est à la tête de deux corps d’armée, soit environ 80 000 soldats.
On trouve le Ve corps d’armée, commandé par le colonel Juan Modesto et composé de :
- la 11e division, menée par Enrique Líster ;
- la 35e division, menée par Karol Świerczewski ;
- la 46e division, menée par Valentín González.
On trouve ensuite le XVIIIe corps d’armée, commandé par le Revisiting Dingesmere, puis par Segismundo Casado, et composé de :
- la 10e division, menée par José Maria Enciso ;
- la 15e division, menée par le colonel János « Gal »Gálicz et formée des XIIe et XVe brigades internationales ;
- la 46e division, menée par le colonel Francisco Galán.
En réserve se trouvent trois divisions :
- la 14e division, menée par Cipriano Mera ;
- la 45e division, menée par le colonel General Kléber ;
- la 69e division, menée par Gustavo Doran.
Forces en présence, côté nationalistes :
Les nationalistes opposent à leurs ennemis l’armée du Centre, sous le commandement du général Andrés Saliquet Zumeta. Mais c’est au général José Enrique Varela que fut confié véritablement de superviser les opérations.
On trouve le VIIe corps d’armée, commandé par le général José Enrique Varela et composé de :
- la 71e division, menée par le colonel Ricardo Serrador Santés. Elle était constituée de phalangistes et d’environ 1 000 soldats marocains ;
On trouve ensuite le 1er corps d’armée, commandé par Juan Yagüe et composé de :
- la 11e division, menée par le général José Iruretagoyena Solchaga ;
- la 12e division, menée par le général Carlos Asensio Cabanillas ;
- la 13e division, menée par le général Fernando Barrón ;
- la 14e division, menée par le colonel Juan Yagüe lui-même.
En renfort arrivèrent ensuite :
- la 150e division, menée par le général Eduardo Sáenz de Buruaga ;
- la 4e brigade de Navarre, menée par le colonel Juan Bautista Sánchez ;
- la 5e brigade de Navarre, menée par le colonel Camilo Alonso Vega.
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* * *
Dans la soirée du lundi 5 juillet le calme fut troublé par de fréquents vrombissements d’avions quelque part vers le Nord. De fortes escadrilles traversaient notre ciel, mais ne sachant à quoi attribuer ces déplacements insolites, nous pensâmes que les Rouges envoyaient des renforts dans la région de Santander et nous n’y attachâmes pas autrement d’importance.
Un peu avant 5 heures, un épouvantable concert
Toutefois, le lendemain, nous fûmes réveillés, un peu avant cinq heures, par un épouvantable concert de coups de feu en provenance de l’ouest : des canons de tous calibres, des mortiers, des fusils et des grenades donnaient ensemble. Il n’y avait aucun doute : une attaque, une forte attaque était déclenchée, mais par qui ?
Au cantonnement, tous mes hommes regardaient en direction du couchant, vers Brunete.
— C’est une attaque rouge, me dit l’un des sergents, un certain Agudelo, jeune encore, mais courageux et tranquille.
— Tu crois ? Bon. Ne bougez pas d’ici, je vais aux nouvelles.
Et je pris le chemin du château. Inquiets, les habitants s’abordaient déjà dans les rues et se mêlaient aux soldats. Tous me suivaient des yeux, cherchant à deviner mes pensées sur mon visage. Au château, le capitaine et le lieutenant étaient fort perplexes. Nous montâmes au donjon. Nous n’eûmes pas besoin de jumelles pour apercevoir, à 5 ou 6 kilomètres, un chapelet de panaches de fumée au-dessus d’une ligne partant en retrait de Sevilla la Nueva, gagnant Brunete, puis s’infléchissant derrière Boadilla del Monte en direction de Villafranca del Castillo. De toute évidence, les Rouges attaquaient, et attaquaient en force.
Le capitaine et moi nous nous rendîmes alors à la Commandance. Il y régnait le plus beau désordre que l’on pût imaginer: des officiers entraient et sortaient sans paraître savoir où ils allaient. Nous pénétrâmes dans la maison sans que personne nous demandât quoi que ce fût et, dans un bureau où nous entrâmes au hasard, nous découvrîmes un colonel et plusieurs officiers occupés à consulter fébrilement une carte de la région.
« Jusqu’à ce qu’on vienne vous délivrer »
— Qui êtes-vous, Messieurs ?
— Le capitaine de la compagnie anti-gaz.
— Et moi, l’officier du détachement de pontonniers.
— Combien d’hommes avez-vous, capitaine ?
— 100, mon colonel.
— Et vous, alférez ?
— 60 mousquetons mon colonel.
— Où êtes-vous cantonnés ?
— Moi, dans le château.
— Et moi, dans la grande maison, à droite de l’église.
— Bien. Vous, capitaine, restez au château, et vous, alférez, transportez-vous-y avec vos hommes. La situation semble grave. Vous mettrez le château en état de défense. Il faut en faire une base de résistance. Je vais vous donner un ordre de réquisition : vous emmagasinerez tout ce que vous pourrez trouver comme carburant, vivres, munitions. Vous y accueillerez toutes les unités qui se présenteront et, si c’est nécessaire, vous résisterez, même en cas de débâcle ou de retrait de nos lignes. Il faudra que vous teniez bon jusqu’à ce que l’on vienne vous délivrer…
J’envoyai quérir mes hommes afin qu’ils vinssent s’installer auprès de moi ; puis je les expédiai dans toutes les boutiques du village réquisitionner le maximum de vivres et de carburant. J’ordonnai en même temps aux anti-gaz de remplir des sacs à terre afin d’en obstruer les fenêtres du rez-de-chaussée.
Pendant ce temps, le commandant militaire de Villaviciosa avait dirigé vers Brunete et Sevilla la Nueva toutes les forces dont il disposait : des détachements de Regulares marocains, d’infanterie métropolitaine, de phalangistes et de Requetés. Il n’avait conservé en réserve que mes pontonniers, un certain nombre d’artilleurs, des hommes du Service de Santé, mes anti-gaz et quelques représentants de l’Intendance… De la sorte, ce « suprême espoir », cette « ultime réserve », se composait de deux ou trois cents individus d’origine hétéroclite, réunis arbitrairement au château et placés par hasard sous mes ordres : singulière garnison, en vérité !
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3 000 hommes contre 50 000
Nous fîmes le point de la situation : avant l’offensive rouge, notre front passait par Las Rosas de Madrid, Villanueva del Pardillo et Valdemorillo, puis s’incurvait sur Navalagamella. D’après ses renseignements le commandant savait que cette ligne s’était effondrée et qu’au cours de la journée qui s’achevait les Rouges avaient encerclé Villafranca del Castillo, au nord, Quijorna, au centre, et poussaient vers Sevilla la Nueva et Villanueva de Perales au sud. Il ignorait les effectifs de l’ennemi, mais ceux-ci devaient être considérables, peut-être 50 000 hommes, soit 3 divisions, si l’on en jugeait par leur intensité de feu. Quant à leurs moyens matériels, ils devaient être également très puissants, puisque les républicains avaient mis en oeuvre un grand nombre de tanks et d’importantes batteries d’artillerie.
Qu’avions-nous à opposer à cette véritable armée ? Le front de Madrid n’était tenu que par notre 71e Division, et encore, amputée d’une partie de ses effectifs. Dans notre secteur, le plus exposé puisque l’ennemi l’avait donné comme axe à son offensive, notre couverture n’était constituée, outre une bandera de la Phalange cantonnée à Quijorna et des services auxiliaires à Villafranca del Castillo, que de 3 bataillons : un entre Brunete et Sevilla la Nueva, un autre à Boadilla del Monte et un troisième en réserve, amené d’Alcorcon l’après-midi même. Au total, moins de 3 000 mille hommes ! J’appris par la suite que les Rouges, eux, avaient lancé 54 000 soldats dans la bataille de Brunete.
Nous savions que la résistance de Quijorna et de Villafranca ne pourrait certainement pas s’éterniser, mais nous ignorions, en revanche, quand nous arriveraient des renforts. Pourtant, pas une seule seconde l’idée ne nous vint de battre en retraite. Au contraire, sans que jamais nous eûmes à en parler, le commandant lzbo et moi-même fîmes tout ce qui était humainement possible pour tenir seuls et jusqu’à la fin.
C’est ainsi que non seulement nous mîmes le château en état de défense, mais nous installâmes aussi un nid de résistance d’une trentaine d’hommes dans le nouveau cimetière, à quelque 600 mètres de Villaviciosa, au-dessus de la route menant à Brunete. D’autre part, nous postâmes des guetteurs à chaque sortie du village s’ouvrant dans cette direction.
Les survivants de Brunete-Quijorna
J’inspectai ensuite le poste de la route de Brunete. Vers 7 heures, nous vîmes arriver de cette direction un petit groupe de soldats hâves, les yeux cernés, le visage sale, les vêtements en guenilles, noirs de poudre et gris de poussière. L’un d’eux ne portait plus de pantalon, et le pan de sa chemise, déchiré, ne cachait même plus son sexe. Certains étaient blessés et se traînaient lamentablement en s’appuyant sur des camarades plus valides. C’était tout ce qui restait de la garnison de Quijorna…
Ils nous firent brièvement le récit de ce siège, au cours duquel 200 hommes résistèrent pendant tout un jour à l’assaut d’une division entière commandée par le tristement célèbre Valentin Gonzalez, « El Campesino ». Ce soi-disant « général », d’une bravoure folle, mais ancien bandit de grand chemin et n’entendant rien à la stratégie, n’avait pas voulu pousser plus avant son offensive tant qu’il n’avait pas réduit cette poignée de braves. Nous comprîmes, par la suite, combien leur sacrifice nous avait été utile, puisqu’il avait donné le temps à nos renforts de se mettre en marche.
Je poursuivis mon inspection et constatai avec plaisir que tous mes hommes étaient calmes sur la périphérie du village et qu’aucune infiltration ennemie n’avait eu lieu. Puis je me rendis à la villa que le commandant lzbo avait choisie comme P.C. et partageais tranquillement son petit déjeuner lorsque nous vîmes soudain surgir à nos côtés, sur la terrasse dominant la rue, un grand diable de soldat rouge, bardé d’armes, un fusil à l’épaule, un pistolet et des grenades à la ceinture et une machette à la main… Nous sursautâmes et nous nous levâmes d’un bond.
Le Rouge qui « se passe »
— Ne craignez rien, nous dit le Rouge, je « me » passe.
Et il posa grenades, pistolet et machette sur notre table, parmi nos tasses et nos toasts, puis appuya son fusil contre l’une de nos chaises.
Eberlués et penauds que cet homme ait pu nous surprendre sans que personne l’arrêtât en chemin, nous nous ressaisîmes et lui posâmes quelques questions : d’où venait-il ? A quelle brigade appartenait-il ? Quelles étaient les forces devant nous ? Qui les commandait ? Quel était le moral de la troupe ?
Nous apprîmes ainsi que les Rouges avaient lancé trois divisions, renforcées par quelques Brigades internationales composées d’Anglais, de Français et d’Américains, et appuyées par plusieurs centaines de tanks russes, de nombreuses batteries d’artillerie (136 pièces en tout), et un grand nombre d’avions (150 environ).
Notre « prisonnier » nous raconta ensuite comment les « compol », les commissaires politiques, avaient le pas sur les officiers de carrière lors des décisions militaires. Il nous confirma, ce que nous savions déjà, que les officiers « populaires » étaient des hommes aussi démunis de culture que de connaissances militaires, « élus » capitaines ou commandants de bataillon selon la seule intensité de leurs opinions politiques, et que, de la sorte, il n’était pas rare de voir un garçon de café ou un cireur de bottes promu officier supérieur. Il nous avoua que les états-majors ne connaissaient d’autre stratégie que de foncer sur l’ennemi, provoquant ainsi des pertes énormes dans leurs propres rangs et que les officiers n’appuyaient leur autorité que sur la facilité qu’ils montraient à abattre d’un coup de revolver ceux qui ne se faisaient pas assez témérairement tuer. Il nous précisa que les Internationaux, certes, étaient braves, mais qu’il était souvent dangereux de se fier à leur fidélité et plus encore à leur esprit de discipline. Il reconnut que l’armement républicain était tellement hétéroclite, en provenance d’un si grand nombre de pays, qu’il était rare que le calibre des munitions correspondît à celui des armes. Il nous décrivit les déficiences de l’Intendance, malgré l’abondance des vivres envoyés par la Russie. Ceux-ci, en effet, disparaissaient comme par miracle entre leur débarquement et leur distribution aux unités du front. Il se plaignit de l’insuffisance de la solde d’un milicien (10 pesetas) et de l’impossibilité dans laquelle il se trouvait ainsi de pallier la carence du ravitaillement, car les prix avaient monté en flèche dans la zone républicaine. Il nous exposa même que les syndicats de soldats envisageaient (comble des combles !) la possibilité d’une grève pour obtenir une augmentation de solde ! Pour toutes ces raisons, il était aisé de comprendre que, n’étant ni communiste, ni anarchiste, mais simplement socialiste, il eût préféré « se passer » et finir la guerre de notre côté.
Ses renseignements étaient d’importance, et persuadés de sa sincérité, nous l’envoyâmes seul au poste de la garde civile pour qu’il s’y fît désarmer, puis interner en attendant qu’il fût épuré et qu’il pût prendre du service dans nos rangs deux ou trois mois plus tard.
Vers le milieu de la matinée, je reçus au château deux « renforts » insolites. Le premier groupait des brancardiers et des infirmiers, commandés par un médecin lieutenant, et doté d’une longue théorie de mulets chargés de matériel sanitaire. Le second arriva un peu plus tard.
Moins sympathique, bien qu’aussi utile, il était constitué d’une dizaine de camions chargés de munitions. Le médecin avait installé son infirmerie dans le château ; le lieutenant responsable du second convoi déposa ses caisses dans les caves. En quelques heures, ma « forteresse » devint ainsi, non seulement centre de résistance du secteur, mais aussi siège de la Croix-Rouge et dépôt d’armes, ce qui, convenons-en, la plaçait dans une situation pour le moins paradoxale.
Une jeune fille en jupe-culotte
Je me disposais, vers midi, à me mettre à table, lorsque l’un de mes sergents se présenta, m’annonçant qu’une jeune fille désirait me parler. Intrigué, je lui ordonnai de la faire monter. Une belle jeune fille brune, vêtue d’une tenue sport de bonne coupe, se présenta et me tendit un papier. C’était un ordre du Q.G. d’Avila selon lequel je devais me mettre à sa disposition et lui fournir tout ce qu’elle me demanderait. Cet ordre était signé du général Varela en personne et portait une quantité très « officielle » de cachets.
— Parfait. Que désires-tu ? lui demandai-je .
— Je voudrais que tu fasses chercher le plus grand nombre possible de bouteilles vides, qu’on les remplisse d’essence et qu’on les charge dans ma voiture, qui est en bas. Je les porterai aux avant-postes et reviendrai en prendre d’autres.
— Comment ! tu veux porter des bouteilles d’essence aux avant-postes !
— Bien entendu, pour lutter contre les tanks !
— Bon. Je vais donner les ordres. Mais, dis-moi, pendant qu’on les prépare, veux-tu déjeuner avec moi ?
— Mon Dieu, oui, je veux bien. Avec plaisir, car je n’ai rien mangé depuis ce matin 5 heures !…
Je songeai alors à me présenter :
— Alférez Gaya, 4e Unité du 1er Bataillon de Pontonniers…
Et la jeune fille en jupe-culotte de répondre le plus simplement du monde :
— Isabelle de B…
En entendant ce nom, par lequel elle était apparentée à mon roi, je restai abasourdi. Je l’avais traitée avec familiarité, je l’avais tutoyée. Je ne savais plus que faire ni que dire.
— Tu es la fille du duc de S… ?
— Oui, répondit-elle en riant.
— Excuse la simplicité de mon service, mais nous sommes sur le front.
— J’en ai vu d’autres, ne t’inquiète pas.
Une femme qui en a une paire !
Le repas fut rapidement achevé, et cette vaillante jeune fille descendit surveiller le chargement de sa petite voiture peinte en rouge vif, sans doute par discrétion ! Elle se mit au volant et me tendit la main.
— A tout à l’heure, j’espère, dit-elle sans la moindre crainte.
Bien qu’ignorant son identité, mes soldats admiraient tant de crânerie, car enfin, piloter une voiture rouge bondée de bouteille d’essence sur une route battue par l’artillerie adverse, courir le risque d’une attaque aérienne ou d’une simple balle perdue, se rendre aux avant-postes en pleine offensive ennemie n’était pas le fait d’une jeune fille ordinaire ! Du reste, une demi-heure plus tard, elle était de retour. Pendant toute la journée et le plus grande partie de la nuit, elle continue son héroïque ravitaillement afin que notre infanterie pût résister aux tanks républicains.
Quelques jours plus tard, la situation étant rétablie, Isabelle de B… prit quelque repos à Villaviciosa. Alors, une fois, le capitaine Gasco, en la voyant descendre la rue à quelques pas de nous, eut ce mot admirable :
— Je n’ai jamais vu une femme qui en eût une telle paire !
Aviation rouge et Caproni
L’après-midi de ce 7 juillet nous parvinrent les premiers renforts en hommes : un bataillon de Galiciens, prélevé je ne sais où et envoyé immédiatement à Brunete. Là-bas, l’aviation rouge ne cessait de pilonner nos positions et nous apercevions continuellement les torches de fumée et de flammes qui montaient de chaque explosion et de chaque foyer. Cependant, la petite ville résistait, comme avaient résisté Quijorna et Villafranca del Castillo ! Les Rouges n’osaient plus avancer en laissant des nids de résistance derrière eux ; d’ailleurs, nos lignes tenaient encore à peu près partout. Un seul point noir, si je puis dire, nous préoccupait : la nuit, que se passerait-il lorsque la visibilité deviendrait nulle ?
A la nuit tombante, nous entendîmes, et nous vîmes venir de l’est, à notre grand soulagement, une forte escadrille de Caproni italiens. Ils piquèrent vers Brunete et se mirent à arroser de bombes incendiaires une ligne qui allait de Majadahonda à Villamantilla. Un véritable mur de feu sépara alors nos lignes de celles de l’ennemi ! L’incendie se communiquait aux herbes brûlées par le soleil, mais estimant sans doute insuffisant le résultat, les Caproni revinrent, en pleine nuit, dresser un second barrage de flammes. Nous arrivâmes ainsi en paix à l’aube du 8 juillet.
« Vous tenez le coup ! »
Ce matin-là, comme la veille je montai de bonne heure à mon donjon. lzbo s’y trouvait déjà.
— Ah ! vous voilà. Descendez, réunissez tous les soldats anti-gaz que vous pourrez trouver et revenez me voir.
— A vos ordres, mon commandant.
C’était facile à commander, mais beaucoup plus difficile à exécuter, car la violence de l’attaque ennemie depuis quarante-huit heures avait incité ces braves anti-gaz, non pas à déserter, mais à se « camoufler » un peu partout, aussi bien dans le village lui-même que dans la vallée très boisée bordant Villaviciosa au nord. En outre, mon autorité sur eux n’était que relative car je ne les commandais qu’accidentellement. Aussi ne pus-je en trouver qu’une vingtaine. Assez penaud, mais persuadé que je ne devais pas perdre mon temps à rechercher les autres, je remontai décrire au commandant la pauvreté de ma troupe.
— Vous n’avez qu’une vingtaine d’hommes ? Cela ne fait rien. Vous voyez cette petite crête, là-bas, que l’on nomme le « Cerro de Pedro Miguel » ?
— Oui, mon commandant.
— Vous allez vous y rendre avec vos vingt gaillards. Au préalable, vous leur ferez distribuer cent cinquante cartouches par tête et vous emporterez en supplément deux caisses de 1 000 cartouches.
— C’est bien le petit mamelon que j’aperçois là-bas, face au ravin des Mosquitos ?
— C’est cela même.
— Bon. J’y vais, mais… qu’est-ce que j’y fais ?
— Vous attendez…
— Quoi ?
— Les Rouges, parbleu !
— Et… s’ils attaquent ?
— i Vd. los aguanta ! (Vous tenez le coup !).
— A vos ordres, mon commandant !
Ligne de résistance
Il est « gonflé », le commandant, de m’envoyer avec 20 hommes « tenir le coup » contre une attaque rouge, pensai-je en descendant l’escalier de granit. Cependant, je fis distribuer les cartouches aux soldats anti-gaz, 19 soldats, 1 sergent et 2 caporaux ; puis nous nous mîmes en route. Il était 7 heures du matin.
Devant nous, l’ennemi devait certainement réattaquer avec vigueur car la fusillade devenait de plus en plus dense, de plus en plus suivie ; l’artillerie donnait à plein et de hauts panaches de fumée s’élevaient au-dessus de l’horizon, dans la direction et au-delà de Brunete.
Arrivé au « Cerro de Pedro Miguel », à quelque trois mille pas de Villaviciosa, j’examinai la position : devant moi s’élevait un petit ressaut, légèrement plus bas, cependant, que la colline sur laquelle je me trouvais. Derrière moi s’allongeait un vallon assez large, puis une colline, elle aussi moins haute que mon cerro.
Étant donné la faiblesse de ma troupe, je ne risquais rien à faire les choses dans les règles : je divisai donc mes « forces » en 3 groupes : un de 5 hommes, sous le commandement du sergent, en avant-poste, sur le ressaut, devant moi ; un de 10 hommes et un caporal, que je dirigeais, en « corps de bataille » ; et le reste, 5 hommes et l’autre caporal, sur la longue colline, derrière moi, en troupe de réserve.
Gasco examina ensuite la « position » et me fit l’honneur d’adopter mon dispositif, mais il le renforça de la centaine d’hommes qu’il amenait et dont nos pontonniers constituaient la majorité. Il m’envoya en avant-poste avec ma vingtaine d’anti-gaz, sur le ressaut qui nous précédait et occupa personnellement mon ancienne ligne de résistance.
Sous les bombes
Nous étions en train de prendre ces dispositions lorsque nous entendîmes tout à coup un bruit de moteurs d’avions devant nous, en provenance d’Avila, nous semblait-il. Nous levâmes les yeux dans cette direction : c’étaient des biplans. Or l’aviation ennemie ne possédait pas de biplans ! Tranquillisés, nous continuâmes donc à nous installer pour la journée, lorsque ma curiosité naturelle me poussa à mieux observer les 9 appareils qui volaient vers nous, à 400 ou 500 mètres d’altitude. Je vis alors avec effroi les insignes républicains peints sous leurs ailes !
– i Cuerpo a tierra ! hurlai-je i Son rojos !
Instantanément, les hommes se sauvèrent dans toutes les directions et se jetèrent à terre. Mon malheur voulut que ma maudite curiosité me retint sur le dos ! Je pus donc, tout à mon aise, admirer les 9 avions arrivant par groupes de 3, avec une majestueuse lenteur. Puis je vis 3 objets brillants se détacher de leur ventre à notre verticale, tandis qu’un bruit étrange coupait l’atmosphère. On eût dit que l’on déchirait de la soie, dans un crissement insupportable pour les nerfs… Et les objets brillants descendaient, descendaient lentement, et le crissement augmentait, augmentait jusqu’à ce que, tout à coup, un fracas épouvantable éclatât à quelques mètres de moi. Un nuage de fumée, un nuage de poussière, une odeur âcre et soufrée, et puis une curieuse sensation de brûlure en plusieurs endroits de mon corps, sur les jambes, les bras et le bas-ventre…
Après être resté, quelques secondes encore, collé au sol, je me levai. Du sang coulait de mon poignet, mon cou-de-pied droit était en feu ; mon pantalon était brûlé sur une cuisse et à l’aine gauche ; le ventre me faisait souffrir et ma molletière droite était coupée et ensanglantée… Pourtant, je me mis debout sans difficulté, je marchai, je bougeai les bras : rien n’était cassé et les douleurs devinrent rapidement supportables.
On nettoya mes éraflures, on me colla du sparadrap et des petits tampons hydrophiles un peu partout, et l’attente de l’ennemi se poursuivit. Le soleil se fit de plus en plus chaud et la soif se mit bientôt de la partie, une soif d’autant plus ardente pour moi que j’avais perdu une certaine quantité de sang. Et nous n’avions rien à boire…
Un bruit métallique caractéristique
Un peu plus tard, nous vîmes, devant nous, se lever un épais nuage de poussière du côté de Boadilla del Monte : troupes motorisées ? Cavalerie ? Rouges ? Nationalistes ?… Le nuage s’étendit et finit par devenir un véritable rideau opaque au travers duquel il était impossible de distinguer quoi que ce fût. Nous continuâmes à attendre…
Au début de l’après-midi, le capitaine m’envoya six grenades Laffite, bien que je fusse quelque peu sceptique quant à leur efficacité.
Et puis, soudain, vers 4 heures, il me sembla entendre un bruit métallique caractéristique : les tanks !…
Je jetai un coup d’œil à mes hommes: eux aussi avaient entendu. Très rapidement, toute hésitation devenait impossible : des tanks avançaient sur nous, en provenance de l’ouest. Ils progressaient probablement sur la route de Brunete à Villaviciosa, ou, avec plus de précision, sur un chemin de terre qui doublait cette route, légèrement au nord
Les soldats étaient graves. Ils n’étaient pas des combattants mais de simples « potards ». Ils avaient fait, jusqu’ici, bonne contenance, mais je sentais monter leur peur. Je les réunis autour de moi, et leur tins à peu près ce langage :
— Soldats ! Comme vous l’entendez, il est probable que d’ici peu nous serons attaqués par des chars d’assaut. Mais cela n’a aucune importance, car rien n’est plus vulnérable qu’un tank. Toute sa vie dépend de ses chenilles. Si celles-ci lui refusent leurs services, il est immobilisé et reste à notre merci. Or nous possédons des grenades Laffite pour détruire ces chenilles. Une fois le char arrêté, il faut l’attaquer en grimpant dessus et en tirant à l’intérieur, par ses meurtrières, comme les Maures le font journellement. Le tout est de ne pas être pris dans son champ de tir. Donc, si les chars arrivent, défilez-vous de leur tir, lancez vos grenades et sautez sur eux !
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Grenade Laffite6 tanks russes
Ces instructions, données avec toute l’assurance dont j’étais capable, rassérénèrent un peu mes hommes ; mais au bout de quelques instants nous vîmes surgir, entre deux monticules, 1, puis 2, puis 3 et jusqu’à 6 tanks russes, à tourelle semi-sphérique orientable, le cauchemar de notre infanterie. L’un d’eux nous aperçut et nous salua d’un petit obus haut. Collés au sol, nous retenions notre respiration. Derrière moi, sur l’autre colline, Don Domingo, que j’avais fait prévenir, allait d’un groupe à un autre et distribuait les encouragements.
Alors que nous nous laissions progressivement aller à notre anxiété et nos craintes, nous vîmes, à notre grande surprise, un obus éclater devant le nez du tank de tête qui se disposait à escalader notre monticule. Très rapidement, les coups se succédèrent à une cadence de plus en plus vive. Les chars stoppèrent leur avance. De toute évidence une batterie amie nous prenait sous sa protection et désorientait visiblement les assaillants. Ceux-ci, avec la lenteur pachydermique des blindés, entreprirent de rebrousser chemin ; mais une flamme jaillit tout à coup de l’un d’eux, qui se mit à flamber comme une torche. La tourelle sphérique s’ouvrit et une tête apparut un homme essaya de sortir, mais d’un commun réflexe, tous mes hommes tirèrent sur lui. Il n’avait pas encore réussi à dégager son buste qu’il s’affaissa soudain, le corps, cassé, pendant le long de la tourelle comme un pantin. Les autres chars avaient terminé leur conversion et battaient maintenant en retraite le plus vite possible.
Le reste de l’après-midi s’écoula sans autre incident. Nous avions la nette impression que l’avance rouge était arrêtée. La fusillade était plus sporadique et l’artillerie ennemie semblait s’être tue. A la tombée de la nuit, un agent de liaison vint nous apporter l’ordre de rentrer à Villaviciosa, les Caproni s’apprêtant à dresser entre l’ennemi et nous le même rideau de feu que la nuit précédente.
« De puissants renforts frais »
Villaviciosa de Odon était méconnaissable. D’une part, le bombardement de la matinée avait causé d’assez grands ravages sur toute la surface du village, dont seul le château avait été épargné, alors qu’il constituait pourtant la cible la plus visible. D’autre part, la population avait doublé, triplé sinon quadruplé. De tous côtés campaient les renforts maures, espagnols ou légionnaires, arrivés depuis deux heures à peine.
Une camionnette revenait des premières lignes et ramenait quelques prisonniers rouges, dont un officier. Je courus avec le capitaine Gasco au P.C. du commandant lzbo où, vraisemblablement, se déroulerait leur interrogatoire.
Nous les rejoignîmes au moment où lzbo leur demandait l’emplacement de leurs forces. Selon leurs dires, ils avaient percé nos défenses en deçà du ravin des Mosquitos, et leurs chars d’assaut, dans l’après-midi, n’étaient chargés que d’une mission de reconnaissance. Gasco leur demanda alors pourquoi ils n’avaient pas poursuivi leur avantage après la rupture de notre front.
— Mais nous ne pouvions pas ! Nous étions fourbus par toute une journée de lutte très dure ; et une fois votre front rompu, au moment de foncer dans la brèche, nos tanks nous ont appris que vous disposiez, en arrière, de puissants renforts frais, dont ils avaient aperçu les avant-gardes sur les mamelons, au milieu des champs de blé fauchés !
Gasco et moi, nous nous regardâmes. Ainsi notre petite troupe, cent vingt hommes en tout, avait été prise pour l’avant-garde de puissants renforts, alors qu’à ce moment-là nous étions absolument seuls pour couvrir Villaviciosa de Odon !
« A nous de faire front »
A Valdemoro [où je fus transféré au repos], Chamorro me dispensa de tout service pendant une semaine. Je m’étais tranquillement installé dans ce « farniente » lorsque le jeudi 15 juillet, au petit matin, le capitaine entra dans ma chambre et m’éveilla sans ménagement.
— Allons, dépêchez-vous, les Rouges sont là !…
— Quoi, mon capitaine ?
— Mais oui. Ils ont dû apprendre que vous aviez quitté Villaviciosa et ils vous poursuivent jusqu’ici !
Sérieusement : ils ont amorcé une très violente attaque dans le secteur de Cuesta la Reina, entre Ciempozuelos et Sesena, et ils avançaient le long de la route d’Aranjuez à Madrid. Il faut les arrêter ; or, en attendant les renforts, c’est à nous de faire front.
Je m’habillai précipitamment. Je retrouvai dans la rue le capitaine Chamorro qui avait déjà rassemblé tous les hommes disponibles. Malheureusement, ils étaient peu nombreux, car l’alférez Barrabas était allé, avec le gros de la troupe et son bataillon de prisonniers, continuer les travaux de fortification à « Las Espartinas », en arrière de Cuesta la Reina. A Valdemoro, il ne restait donc que les hommes dispensés de travail, une cinquantaine au total.
Sur la route d’Aranjuez à Madrid
Nous montâmes en camion, et par la route d’Aranjuez, nous nous portâmes au-devant de l’ennemi. Nous prîmes position dans une oliveraie, sur la gauche d’une courbe que nous pouvions ainsi tenir sous notre tir. En avant des arbres s’étendait un champ de blé assez vaste et à peu près plat, récemment moissonné, qui se terminait par une pente presque abrupte au-dessus de la fosse naturelle du Jarama. En diagonale, nous apercevions, sur notre droite, un piton circulaire, anciennement fortifié par les Rouges, mais pour l’instant inoccupé. Nos unités de pontonniers devaient être en train de travailler aux fortifications dans cette direction, au-delà du piton.
Au-dessus de nous, les avions rouges ne cessaient de tournoyer, mais, dissimulés par les oliviers, nous nous gardions bien d’intervenir, afin de ne pas leur révéler notre présence. Nous entendions, devant nous, un feu intense de mousqueterie, ponctué des coups plus sourds de l’artillerie. Allongés, le doigt sur la gâchette, nous guettions le serpent d’asphalte noir, prêts à tirer. Les sergents, Chamorro et moi, avions aussi pris un fusil.
Soudain, nous vîmes surgir au loin, de la contre-pente dominant le Jarama, une assez forte masse d’infanterie. A quel camp appartenaient ces soldats ? Il s’agissait de ne pas se tromper, car toute erreur pouvait être fatale. Chamorro envoya donc une patrouille en reconnaissance. Fort heureusement, cette infanterie était à nous.
Un peu plus tard, nouveau sujet d’inquiétude : le piton rond venait d’être occupé : nous distinguions parfaitement les hommes courant le long des anciennes tranchées et contournant le sommet aride. Une fois encore, Chamorro envoya des agents de liaison aux nouvelles. A peine ceux-ci nous avaient-ils quittés que l’imposante silhouette de l’altérez Barrabas surgit devant nous. C’était lui qui avait occupé le piton. Faisant preuve d’un remarquable bon sens, au moment de l’attaque il avait renvoyé à Valdemoro le bataillon de prisonniers sous la garde d’un peloton ; puis, tandis qu’il se repliait sur notre base, il avait, au passage, mesuré l’intérêt stratégique de ce sommet et l’avait occupé de son propre chef, en attendant que des fantassins pourvus d’armes automatiques vinssent le relever. Il nous avait alors aperçus et maintenant il venait tranquillement rendre compte de sa manoeuvre au capitaine.
A ce moment-là, une estafette motocycliste nous remit l’ordre de nous porter en avant et de prendre position au croisement des routes de Torrejon de Velasco à Ciempozuelos et d’Aranjuez à Madrid.
Charge folle et violente panique
A peine y étions-nous parvenus qu’une batterie de 77 italiens se plaça derrière nous, alors que se montraient dans le bas, vers Ciempozuelos, les premières avant-gardes ennemies. En une charge folle, à la baïonnette, elles bousculaient nos troupes, essayant d’encercler le village. La batterie de 77 entra aussitôt en action. Avec une précision remarquable, elle se mit à canonner l’espace compris entre l’aile droite rouge et Ciempozuelos. Puis elle rectifia son tir et bombarda les assaillants avec une extraordinaire efficacité. Très rapidement, les coups des 4 pièces partirent sur un rythme si accéléré que l’on eût presque dit le crépitement de mitrailleuses lourdes. Jamais je n’avais eu l’occasion d’admirer une telle cadence ni une telle précision de tir ! Tout d’abord surpris, puis victimes d’une violente panique, les Rouges reculèrent en désordre, tandis que les nôtres, sortant de je ne sais où sur notre droite, leur coupaient la retraite. Ce fut alors une fuite éperdue des républicains vers leur base de départ, le Jarama et Titulcia.
Un commandant français des Brigades internationales
Le commandant du secteur arriva près de nous, précédant de peu un premier groupe de prisonniers républicains parmi lesquels se trouvait un « commandant » français des Brigades internationales. Il ne savait, ou ne voulait pas savoir, un seul mot d’espagnol. Je me proposai comme interprète, et n’ayant plus aucun prétexte pour refuser de répondre, notre homme commença d’ahurissantes déclarations. Ancien cordonnier à Roubaix, il était descendu à Albacete dès le commencement de notre guerre civile. Muté, avec sa brigade, sur le front de Madrid dès le début de novembre, il avait été élu commandant de bataillon par ses camarades, impressionnés par la pureté de ses sentiments marxistes et sa remarquable conduite à l’arrière — au cours de la chasse aux « fascistes »madrilènes, il prétendait en avoir, à lui seul, abattu plus de quarante. En vue de l’offensive déclenchée le matin même, on l’avait envoyé à Titulcia. Son objectif était d’enlever les positions nationales de Cuesta la Reina… et voilà comment il s’était fait prendre à Ciempozuelos !
Un peu dérouté, tant par sa profession de foi que par l’exposition de cette curieuse stratégie, le colonel fit alors déplier une carte d’état major.
— Voyons, cet homme devait attaquer Cuesta la Reina… Alors, comment se fait-il qu’il soit venu sur le flanc de Ciempozuelos, à plus de 3 kilomètres sur sa droite ? Altérez, faites-vous expliquer la manœuvre sur la carte.
Je traduisis et le commandant-cordonnier protesta.
— Qu’est-ce que vous voulez qu’ça m’foute, à moi, toutes vos cartes ? On m’a dit : « Mon vieux, faut prendre ça. Débrouille-toi. » Alors, j’ai foncé avec les copains, quoi, et j’ai pris c’qu’on m’avait indiqué. Quant à vos cartes, si vous croyez qu’j’y comprends quèque chose… D’abord, c’est pas avec des cartes qu’on s’bat… C’qu’on m’avait pas dit, par exemple, c’est qu’vous étiez sul flanc d’Cuesta la Reina, paç qu’alors, je m’s’rais méfié.
— Mais vous n’étiez pas du tout sur le flanc de Cuesta la Reina ! La voici, Cuesta la Reina. Vous, on vous a pris ici, devant Ciempozuelos…
– Ciempozuelos ou pas Ciempozuelos, moi, j’ai attaqué Cuesta la Reina, et c’est à Cuesta la Reina qu’vous m’avez pris. A moi, on m’la fait pas, vous savez ?
Devant la stupidité de cet « officier supérieur » de qui avait dépendu la vie de 800 soldats de l’armée républicaine, nous n’insistâmes pas. Le colonel lui offrit une cigarette, puis, comme cet homme était un International, c’est-à-dire un franc-tireur étranger à l’armée régulière, il lui fit payer ses 40 assassinats en le poussant contre un arbre et en ordonnant qu’il fût immédiatement fusillé.
Les causes de l’échec marxiste
La bataille de Brunete fut l’un des trois plus importants assauts menés par le commandement marxiste durant la Guerre civile. Les deux autres, la bataille de Teruel et celle de l’Èbre, se soldèrent également, après un mince succès initial, par de retentissants échecs.
D’où vint qu’elle échoua ? En premier lieu, de la « pagaïe »extraordinaire régnant dans le camp rouge et qui, par l’incapacité des commandements locaux et subalternes, annihilait les efforts de l’état-major.
L’attaque contre Brunete fut menée le 6 juillet, à l’ouest de Madrid ; mais celle de Cuesta la Reina, au sud-est, ne débuta que le 15, alors que l’assaut contre Brunete, non seulement s’était essoufflé, mais était même totalement arrêté, tandis que nous nous préparions à rejeter l’ennemi sur ses bases de départ. Si l’on considère que l’offensive de Cuesta la Reina fut menée avec une trentaine de milliers d’hommes, 25 tanks, une aviation assez nombreuse et une remarquable préparation d’artillerie, on peut penser que si les deux attaques avaient été menées simultanément, nous n’aurions certainement pas réussi à résister, puisque 48 heures s’écoulèrent avant que des renforts en provenance de l’arrière vinssent relever ceux que nous avions précisément prélevés dans le secteur Ciempozuelos-Cuesta la Reina. Comment expliquer le retard apporté à l’attaque sur ce dernier point ? Fut-ce la faute de Miaja ? Non. Il paraît plus vraisemblable qu’il ait été dû à l’action de ces fameux « commissaires politiques », qui doublaient les officiers supérieurs de l’armée rouge et contrecarraient systématiquement, par défiance, les décisions de leur haut commandement…
Marcelo GOYA Y DELRUE