Six hussards parachutistes, prisonniers des « fells »
Une véritable et tragique odyssée : l'évasion des six hussards parachutistes, prisonniers des rebelles, dans les Aurès, pendant 96 jours. C'est grâce à l'esprit de décision, au sang-froid et à la calme tranquillité du Brigadier-Chef Claude GABET, que le petit groupe a pu triompher de toutes les difficultés d'une telle entreprise.
Claude GABET est incorporé le 5 mai 1954, affecté au 1er Régiment de Hussards Parachutistes, en Algérie, le 7 novembre 1954. Prisonnier des fellaghas le 16 février 1955. Lui et ses hommes furent les premiers prisonniers des « Djounoud » ; le 22 mai 1955, c'est l'évasion.
Seïar est un village des Monts des Nementcha qui regroupe, au sein d'une chétive palmeraie, quelques gourbis de terre. Au Nord, ce sont les escarpements abrupts du djebel Chécha qui culmine à 1 500 mètres, les oueds ont creusé la région de canyons profondément encaissés. Plus au Sud, ce sont les vastes horizons du Reg caillouteux qui s'incline vers les chotts. A deux cents mètres du village, un peloton du 1er Régiment de Hussards Parachutistes est cantonné dans un petit poste qui est tout simplement un bâtiment en dur et une grande tente, l'ensemble entouré d'un muret en pierres. Le poste est commandé par le Capitaine J. L. MARTIN. Cet officier a également sous son autorité deux autres pelotons cantonnés dans des postes tout aussi modestes, implantés à trois et quatre kilomètres de distance.
Huit hussards tiendront tête pendant deux heures à une vingtaine de felleghas
Le 16 février 1955, à l'aube, le peloton de Seïar envoie un détachement de sept hommes, sous les ordres du Maréchal des Logis Chef BAZE, patrouiller en direction de Bou Yahedene, mechta perchée dans la montagne à quatre heures de marche. La moitié des hommes est arrivée de métropole depuis quinze jours à peine. Un jeune musulman du nom d'Alouni, désigné au dernier moment, leur sert de guide. Les hussards atteignent Bou Yahedene en fin de matinée. L'accueil des montagnards est cordial. Le Chef BAZE interroge le responsable du village sur d'éventuels passages de rebelles. Réponse classique : il déclare n'être au courant de rien. Puis c'est le retour. En fin d'après-midi, le détachement emprunte une gorge encaissée. Les hommes progressent à plusieurs mètres de distance les uns des autres et scrutent les crêtes. Brutalement, une vingtaine de rebelles solidement embusqués au sommet des pentes déclenche un feu nourri sur les hussards. Dès les premières rafales, le guide s'enfuit. Le Maréchal des Logis Chef BAZE tombe grièvement blessé. Les hussards ripostent avec énergie. Quelques minutes plus tard, Etienne MALET reçoit une balle dans la tête et meurt sur le coup. Le combat fait rage mais les munitions finissent par s'épuiser. La lutte est inégale. Son issue ne fait aucun doute. Elle fut hâtée par la mise hors de combat du chef de groupe le Maréchal des Logis Chef BAZE. En effet, atteint aux poumons, il conseille à ses hommes, pour épargner leur vie, de déposer les armes, puis il expire auprès de Claude GABET. Les six survivants n'ont d'autre choix que de se rendre. Il s'agit donc du Brigadier-chef Claude GABET et des hussards Francis BARBET, Pierre COQUET, René CROIT A, Claude GAURY et Maurice MELOUS. Le Maréchal des Logis Chef BAZE et le hussard Etienne MALET furent tués lors de l'accrochage.
Les rebelles les désarment et leur prennent papiers et argent. MELOUS a la main droite déchirée par une balle. Ses compagnons bandent la plaie avec leurs pansements individuels. Les fellaghas entraînent leurs prisonniers.
A travers la montagne des Nementcha
Bientôt, à l'Ouest, le violet sombre des montagnes se découpe sur fond rouge et or. Ils marchent pendant trois heures environ et arrivent devant une grotte. L'entrée est étroite et pentue. Leurs ravisseurs les obligent à se glisser dans l'anfractuosité, il est vrai que l'Algérie est truffée de grottes, un véritable « gruyère ». L'angoisse au cœur, couchés sur le sol humide, ils passent dans ce « gîte» leur première nuit de captivité. Le lendemain, à l'aube, reprise du « crapahut ». Au bout de trois jours, ils sont contraints de changer leurs uniformes contre des vêtements arabes, usés et délavés ; pantalons typiques bouffants et serrés aux chevilles, chemises au col échancré, chèche autour de la tête, aux pieds des sandales confectionnées avec des morceaux de vieux pneus. Comme les fellaghas, les hommes ont appris à faire de longues marches de nuit dans le djebel, à se fondre au creux des oueds, à se dissimuler dans les forêts. Quelques jours plus tard, ils ont la surprise de voir arriver, les mains liées derrière le dos, un des rebelles qui avait participé à l'embuscade. A l'étape suivante, ses collègues le poussent au plus profond d'une grotte. Les hussards ne savent pas ce qu'il est devenu mais héritent du burnous et des chaussures du prisonnier. Il est arrivé que des prisonniers arabes furent exécutés au petit matin hors de leur vue. Leurs vêtements leur étaient donnés, bien souvent, ils avaient un burnous pour six. Il fallait alors se réchauffer en mettant en place une « tournante », c'est-à-dire qu'il se plaçait à tour de rôle au milieu afin de profiter chacun son tour de la chaleur. Peu de temps après, lors de la traversée d'un village, un habitant reconnaît le Brigadier-chef Claude GABET et affirme qu'il s’est montré très humain au cours d'une opération de contrôle dans les mechtas.
Désormais GABET jouit d'un régime de faveur. Pendant les étapes, alors que ses camarades ne doivent sortir sous aucun prétexte des grottes ou des caches où les rebelles les retiennent prisonniers, GABET peut circuler dans les abords immédiats, mais il est prévenu que son évasion entraînerait aussitôt l'exécution de ses compagnons.
A l'affût des rats gondins
Ils vécurent dans des grottes surveillées successivement par des groupes armés de sept à huit rebelles. Ils se déplaçaient seulement de nuit pour effectuer des trajets évalués de huit à dix kilomètres. Au bout de quinze jours, ils sont autorisés à écrire à leurs familles. Les lettres sont bien sûr contrôlées et plusieurs phrases sont « suggérées» par leurs gardiens. Les missives disent en substance «Nous sommes bien traités par les soldats de l'A.L.N. et menons la même existence qu'eux ... Ces hommes ne sont pas les bandits que disent les journaux ... Ce sont des patriotes qui luttent pour la libération de leur pays ... Intervenez auprès d'un sénateur, d'un député ou d'un ministre. Expliquez leur la situation, nous vous reviendrons bientôt en civil ... » . Tous les huit ou dix jours, ils sont pris en charge par des nouveaux djounoud. Parfois, ils tombent sur des geôliers sympathiques, parfois sur d'autres un peu plus durs. La nourriture est frugale : un plat de semoule par jour ou un morceau de galette ou des sauterelles séchées au soleil. «Il nous est arrivé de varier l'ordinaire avec des cochons d'Inde sauvages. Le problème c'était de les attraper» nous dira Claude GABET. « Une fois capturés et tués, on enlevait les poils à la main, on avait pas de couteau pour enlever la peau, après on les ouvrait avec les doigts et on les faisait cuire comme cela ! ... On a jamais été malade ! ... » . En fait, ces petits rongeurs étaient des rats gondins.
Les marches forcées, les déplacements avaient toujours lieu de nuit. Les prisonniers furent gardés dans le quadrilatère Seïar, Guentis, Taberdga, Keirane, Bou-Doukhane.
Ils n'avaient pas de commodités, pas de toilettes, rien ! ... Mais des poux sur tout le corps ; trois cents poux furent tués dans une couture de pantalon. Selon les grottes, les prisonniers ne pouvaient y descendre qu'un seul à la fois avec de grandes difficultés ; ils se retrouvaient entassés dans un même boyau d'une étroitesse à faire peur.
Une longue captivité attendait les paras. Claude GABET ne restait pas inactif, il avait décidé de s'évader. Il mettait à profit tous les renseignements susceptibles de lui permettre de dresser mentalement une carte de la région. Vers la fin du ramadan, un arabe eut un mot malheureux, au passage d'un avion ravitailleur. Il laissa entendre à Claude GABET que Ferkane, poste de la Légion, n'était pas tellement éloigné dans cette direction là ... C'était l'un des derniers renseignements qui manquait au Brigadier-chef. GABET avait plusieurs fois remarqué qu'un avion DC10, qui survolait régulièrement leur lieu de détention, perdait peu à peu de l'altitude et une porte est déjà ouverte. Il est évident que cet appareil s'apprête à atterrir à quelques kilomètres de là. Il pose la question à l'un des gardiens, celui-ci lui répond « il va parachuter des vivres et des munitions au poste de Ferkane ». Peu après, l'appareil est de retour. GABET calcule que le poste doit être situé à environ 80 kilomètres. Il connaît ce poste tenu par une unité de la Légion. Il suffit de marcher plein Sud pour tomber sur le poste.
Le jour « J »,
Ils sont deux contre trois
D'autre part, la situation était favorable. Il ne restait que trois gardiens, mais ceux-ci avaient la déplorable habitude de se tenir à quelques mètres de leurs prisonniers, le doigt sur la gâchette ... Il fallait essayer d'entrer en contact, plus étroitement. Le jour « J » est fixé au lendemain soir, 22 mai 1955, non sans quelques réticences. GABET réussit à convaincre les indécis. Le lendemain, les hommes passent à l'action. Un des gardiens est assis à l'entrée de la grotte, armé d'un mousqueton, les deux autres sont assis côte à côte, un peu plus loin, une carabine Stati sur les genoux. Suivant le plan établi, MELOUS demande à sortir de la grotte pour satisfaire un besoin naturel. Il s'approche du djounoud de l'entrée. GABET se tient face aux deux autres. Il a les poches remplies de sable fin. Tout se passe très vite. Il aveugle les deux gardiens, leur arrache leurs armes et les frappe à la tête à coups de crosse. Simultanément, MELOUS assène une pierre sur le crâne de son adversaire et s'empare de son arme. GABET porte les coups avec une extrême violence, à tel point que la crosse d'une des carabines Stati se casse. Mais les djounoud ne tombent pas aussitôt. GABET raconte « Moi j'en ai pris deux d'un coup. MELOUS a pris le troisième ... Je les ai assommé à coups de crosse ... Mais ils ne tombaient pas ? ... C'est très long, ils ne se défendaient et ils ne tombaient pas ... C'est quelque chose de voir des types qui sont devant vous, qui sont plein de sang ... et qui ne tombent pas au sol ... ». Quant au fellagha de MELOUS, le crâne ensanglanté, il prend la fuite en hurlant. Le para le poursuit, le rejoint quelques centaines de mètres plus loin et le met en joue. Le blessé vacille et s'appuie sur un rocher. Il est terrorisé, c'est un jeune de 18 ans environ. MELOUS se contente de lui donner l'ordre de se déchausser et s'empare de ses tennis, puis il laisse sa victime s'enfuir et regagne le campement.
Evasion réussie après 96 jours de captivité
Pendant ce temps, le Brigadier-chef GABET et les quatre autres paras s'enfuient dans la direction qu'avait prise le Dakota. Toute la nuit, puis sous le soleil, les cinq hommes courent jusqu'au lendemain soir, dans le djebel et la rocaille. Les pieds en sang, ils ne s'arrêtent pas et ne se retournent même pas. Ils ont la sensation d'être poursuivis. Ils continuent d'avancer à toutes jambes. Quelques jours plus tard, ils apprendront qu'il s'agissait du camarade MELOUS, égaré, qui suivait le même chemin et qui avait fini par les dépasser. Le 23 mai 1955, vers 16 heures, MELOUS arrivera au camp de la Légion Etrangère à Ferkane. Claude et ses compagnons marchent toujours. Une heure après l'arrivée du premier évadé, le petit groupe montre le bout de son nez « Arrivés à trois cents mètres du camp, je me suis avancé les bras en l'air en direction de la sentinelle, un allemand, et là j'ai entendu le bruit de l'armement de la mitrailleuse. J'ai eu la peur de ma vie ! ... » dira Claude GABET. Ce dernier arrive cependant, sans trop de difficultés, à se faire connaître. A ce moment, les 96 jours de captivité étaient bel et bien terminés.
Suite à cette action héroïque, le Brigadier-chef est devenu Maréchal des Logis Chef, il a reçu la Médaille Militaire et la [croix de la] Valeur Militaire avec Palme.
H.KOCH
(Cf. Guerre d'Algérie: Les Prisonniers des Djounoud - Ouvrage de Yves SUDRY, ancien combattant d'Algérie, affecté dans une unité opérationnelle comme médecin aspirant, titulaire de la Croix de la Valeur Militaire).
Ouvrage disponible chez l'auteur SUDRY Yves - 52 M. Rue de la Bastille - 44000 NANTES -Tél. 02.40.73.93.60
Citation
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Le décret du 6 août 1955, concernant l'attribution de la Médaille Militaire à Claude GABET, est rédigé en ces termes:
ARME BLINDEE DE CAVALERIE
GABET Claude, né le 5 mai 1933. Maréchal des Logis - 1er Régiment de Hussards Parachutistes - Un an de service - Une campagne - Titres exceptionnels -
Jeune Brigadier Parachutiste, ardent et courageux, fait prisonnier le 16 février 1955, dans le djebel Chéchar, après une résistance héroïque de son groupe contre un parti rebelle quatre fois supérieur en nombre. A su maintenir au cours d'une captivité de trois mois dans les Monts Nementcha, par son exemple et son ascendant, la cohésion et le moral de ses hommes au dépit de toutes les tentatives de démoralisation de l'adversaire.
Le 23 mai 1955, agissant avec un sang-froid et une résolution remarquables, a réussi à maîtriser ses gardiens et après s'être emparé de leur armement, a rejoint avec la totalité de son groupe le poste de Ferkane.
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Extrait de presse