10-13 mars 1915 : la Neuve-Chapelle
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par
Sylvain Ferreira
10 mars 2023
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L’offensive de Neuve-Chapelle est la première grande opération menée par les Alliés au sortir de l’hiver, mais aussi la première menée par l’armée britannique. Comme toutes les offensives de l’année 1915 à l’Ouest, elle a d’abord un objectif stratégique : alléger la pression subie par la Russie. Sur le plan opérationnel, elle vise à réduire le saillant formé par le village de Neuve-Chapelle et menacer Lille en s’emparant de la crête d’Aubers.
Initialement prévue pour être coordonnée à une opération française au sud dans le secteur de Vimy, l’offensive britannique de la 1st Army (40 000 hommes) aux ordres de Haig doit se passer du soutien français faute d’avoir pu relever les unités françaises (IXème Corps) dans le secteur nord d’Ypres. Le soutien français se limitera donc à un appui d’artillerie lourde. Pour la première fois de la guerre, la planification d’une telle opération fait l’objet d’un repérage aérien préalable très poussé du Royal Flying Corps (l’ancêtre de la RAF) malgré une météo peu favorable : plus de 1500 cartes au 1:5000 sont distribués à l’échelon du corps d’armée.
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Le bombardement préalable des positions de la 13ème Division allemande est minutieusement préparé. 530 pièces de tout calibre sont rassemblées pour mener quatre missions : détruire le réseau de barbelés et les tranchées de première ligne, protéger les flancs des contre-attaques allemandes, encager les arrières allemands pour les couper de leurs lignes et enfin détruire l’artillerie et les mitrailleuses sur la ligne et dans la profondeur. Enfin, pour assurer l’exploitation de la rupture du front, les Britanniques ont placé la 5th Cavalry Brigade en réserve opérationnelle.
Le succès initial
Préfigurant toutes les opérations sur le front de l’Ouest jusqu’en 1918, l’assaut initial du 10 mars est un succès. Après un bombardement préparatoire de 35 minutes qui détruit le réseau de barbelés et anéantit les abris allemands, les fantassins britanniques et indiens passent à l’action tandis que l’aviation britannique (85 appareils) assure la maîtrise du ciel et le repérage pour l’artillerie malgré une météo toujours défavorable. L’historien Martin Gilbert établira que la préparation d’artillerie utilisa plus d’obus que pendant toute la guerre des Boers 15 ans auparavant. L’enfer de la guerre industriel naissait.
Sur le flanc droit, la brigade indienne Garhwal de la division Meerut attaque avec ses quatre bataillons sur un front de 500 m. Les compagnies les plus à droite du dispositif se perdent et pivotent sur leur droite ce qui les éloigne du reste de leur bataillon et les précipite sur un secteur intact des défenses allemandes. Les compagnies de soutien qui les suivent commettent la même erreur mais malgré cette erreur, les Indiens réussissent à pénétrer le réseau de barbelés intact et attaquer la première ligne allemande au prix de lourdes pertes. Sur la gauche, les trois autres bataillons indiens avancent comme à l’exercice et franchissent sans résistance le no man’s land. La première ligne allemande est conquise facilement. La route de Port Arthur à Neuve-Chapelle est atteinte moins d’une demi-heure après le début de l’assaut et le village de Port Arthur est conquis à 9 h. Les Allemands laissent 200 prisonniers et 5 mitrailleuses entre les mains des Indiens.
Plus au nord, les Britanniques (25th et 28th Brigades de la 8th Division) font face à la résistance d’éléments isolés de la 10ème compagnie de l’IR 16. Soutenus par une partie des bataillons indiens, les soldats du 4th Corpsdébordent les Allemands et s’infiltrent dans leurs positions. Devant Neuve-Chapelle, les Britanniques progressent facilement et à 10 h le village est pris. Malgré cette indéniable réussite, les attaques menées dans l’après-midi pour achever la percée sont désordonnées faute de communication entre les unités parvenues en première ligne et les états-majors. De plus, l’artillerie britannique voit ses munitions s’épuiser faute de stocks suffisants. La première journée a consommé 30 % des munitions d’artillerie prévues pour l’opération. Par ailleurs, l’introduction de la 5th Cavalry Brigade se heurte à un noyau de résistance inattendu de deux cents chasseurs du Jäger Battalion 11 soutenus par une mitrailleuse qui retardent la progression des cavaliers pendant près de six heures avant de se replier.
L’échec sanglant
Convaincus que les Allemands sont au bord de la rupture, et malgré les revers de l’après-midi du 10, Haig décide de poursuivre l’offensive pour s’emparer de la crête d’Aubers le lendemain. Pourtant, les renforts allemands qui commencent à arriver ont consolidé la seconde ligne de défense devant le Bois de Biez. Tous les assauts britanniques se soldent par des échecs sanglants. Aucune brèche n’est réalisée. Sur les quelques mille hommes engager pour prendre la crête, on compte très peu de survivants. Pire, le 12 mars, ce sont les Allemands, fraîchement débarqués dans le secteur qui passent à l’offensive contraignant l’artillerie britannique à utiliser ses dernières réserves pour les stopper. La ligne de front reste inchangée à la fin de la journée. Face à cet échec et alors que son artillerie ne peut plus soutenir correctement les opérations, Haig décide le 13 mars de mettre un terme à l’opération.
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Un bilan terrible
Neuve-Chapelle est entrée dans l’Histoire comme la première offensive d’envergure planifiée et menée par les Britanniques pendant la Grande Guerre. Les Allemands et les Français savent désormais qu’ils doivent pour les uns et peuvent pour les autres compter sur la « méprisable petite armée » britannique qui engage pour la première fois également un corps d’armée entier composé de troupes issues de son Empire, en l’occurrence les Indiens.
Cette opération a démontré combien la planification et la coordination en amont entre les différentes composantes que sont l’artillerie, l’aviation et l’infanterie étaient essentielles pour « franchir » la première ligne de défense allemande. Elle a également démontré combien il était difficile d’organiser la PERCÉE du dispositif ennemi en établissant à la fois des réserves opérationnelles mais aussi en planifiant la dépense de munitions d’artillerie pour entretenir les combats.
Elle a également mis en lumière les difficultés à contrôler la bataille par les états-majors une fois les unités combattantes engagées au-delà de la première ligne allemande. Cette absence de contrôle rend donc difficile l’envoi des renforts, l’évacuation des blessés, l’acheminement des munitions et du ravitaillement et bien sûr le soutien de l’artillerie qui ne sait plus précisément où se trouvent la ligne de front.
Cette leçon aura coûté cher ; on compte plus de 7 000 soldats britanniques morts, blessés ou disparus, 4 200 Indiens morts, blessés ou disparus. Les Allemands enregistrent près de 10 000 pertes (tués, blessés ou disparus) et environ 2 000 prisonniers restés aux mains des Britanniques et des Indiens. Mais elle n’aura pas servi à grand-chose puisque le scénario de la bataille de Neuve-Chapelle se répétera dramatiquement sur le front de l’Ouest jusqu’en mars 1918. Les différentes offensives reprendront le même schéma tactique pour « franchir » la première ligne sans jamais réussir la percée du front. Aucun officier à l’Ouest ne trouvera la solution pendant trois longues années pour planifier correctement une offensive qui puisse aboutir à ce résultat. Le bilan de cette cécité se comptera alors en millions de vies humaines…
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Sylvain Ferreira
https://ideespourlhistoire.blogspot.com/?view=magazine
Je me présente, Sylvain Ferreira, amateur d'Histoire et explorateur d'idées. J'ai été tour à tour journaliste ("Tactiques", "Vae Victis", "Cyberstratège", "Gameside"), historien (Guerre de 1870 chez Conflits et Stratégie), concepteur de wargames (Denain 1712, Leuthen 1757) et plus récemment d'une règle pour figurines "Croix de Guerre". Je suis aujourd'hui secrétaire de la Société des Amis du Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux et rédacteur en chef du "MAG" du Musée. Engagé dans une réflexion quasi permanente sur l'art de la guerre depuis l'adolescence, je vous propose désormais de partager celle-ci au gré de mes lectures et de mes travaux. Aujourd'hui je travaille principalement sur l'évolution de l'art de la guerre de 1850 à 1945. Je traque les informations liées au basculement dans l'ère industrielle et ses conséquences sur les combattants. J'ai grandi avec la photo de mon arrière-grand-père disparu en 1917 dans l'effroyable offensive Nivelle et je cherche à travers son destin à comprendre comment les hommes ont fait face à la brutalité sans limite du feu contre la chair... leur chair. Je combats sans relâche toutes les idées reçues, et notamment les mythes qui, depuis 1945, glorifient sans cesse l'armée allemande, qui abaissent la France depuis autant de temps et qui ignorent le sort de l'Empire russe, puis de l'URSS, dans la première moitié du XXème siècle.