A cette époque, dans les régions du Viet Minh, des rumeurs vagues et confuses ont dû circuler, et, fort probablement, la révolte parmi les déserteurs européens était dans l'air. Ils avaient répondu à l'appel de propagande d'Erwin Borchers dit Chien Sy, le combattant, rédacteur-en-chef de journaux de propagande envers l'ennemi.
Un autre allemand dans le Viet Bac, Rudy Schröder, connu au Vietnam sous le nom de Le Duc Nhan, apprît, le 6 août 1950, par son ami Tran Van Giau que des «fractions considérables» des Au Phi, c'est-à-dire des étrangers qui avaient rallié le Viet Minh pendant la guerre, «allaient bientôt rentrer chez eux.» Mais Schröder était incapable d'obtenir des informations précises, et il se sentait entouré de silence et de suspicion. Il est révélateur que Tran Van Giau employait le mot de prisonniers au lieu de ralliés. Schröder considérait ce lapsus très révélateur de la vraie appréciation des Vietnamiens de leurs alliés européens.
Qui sont ces hommes? En fait, nous avons affaire avec deux catégories: Il y a ceux nés autour de 1910 qui ont quitté l'Allemagne ou l'Autriche après janvier 1933, des anti-fascistes qui cherchèrent refuge en France et qui furent internés en septembre 39 quand la guerre éclata et qui entrèrent ensuite dans la Légion étrangère. Ils furent envoyés en Indochine où, finalement, ils rallièrent la résistance anti-coloniale. Ils étaient peu nombreux, peut-être une douzaine, et avaient des motivations politiques; c'était des gens cultivés et éduques, des légionnaires atypiques.
Les autres, et la majorité, étaient des jeunes perdus dans l'effondrement du IIIième Reich. En 1945, ils avaient entre 17 et 25 ans. Ces pauvres diables étaient sans racines, arrachés à leurs familles, sans éducation ou travail, et la Légion semblait offrir une occasion de fuir leur misère, d'être nourris et de trouver une communauté. Ils étaient passés au Viet Minh pour diverses raisons, la conviction politique était la moins importante. Durant la guerre de 1946 à 1954, au total 1325 légionnaires désertèrent vers le Viet Minh, dont 673 entre 1946 et 1948.