TU LÊ
(16 octobre-23 octobre 1952
Juillet 1952.
-Savez-vous commander un bataillon?
Du haut de son un mètre quatre-vingt-cinq, le général de Linarès (Commandant supérieur au Tonkin) a laissé tomber la question d'une voix bourrue. Les yeux plissés, le regard appuyé, la tête penchée de côté comme s'il était gêné par son grand nez d'aristocrate, il examine le jeune commandant qui lui fait face. Droit, les bras légèrement décollés du corps, les épaules en arrière échancrant la chemise entrouverte sur un torse puissant, Bigeard subit l'examen sans broncher.
Trente-six ans, officier de la Légion d'honneur à titre exceptionnel, il possède un remarquable passé de baroudeur. Les corps francs en 1940, une évasion d'Allemagne, une mission pour le BCRA qui lui a valu d'être parachuté en France occupée et de commander au feu un maquis de l'Ariège. Puis deux séjours en Indochine où, quatre ans durant, il a tenu la brousse en haute région, d'abord avec une compagnie de partisans, ensuite avec un bataillon Thaï.
En le regardant, soignant son apparence, fier de sa forme comme un athlète au mieux de sa condition physique, Linarès se demande si le jeune patron du 6ème Bataillon de Parachutistes Coloniaux n'est pas simplement un Capitaine monté en graine, un chef de bande qui ne sait donner qu'un seul ordre: "En avant! Derrière moi...".Pour Linarès, être un officier supérieur exige d'autres qualités.
Toute sa hantise de l'irréflexion, de l'insouciance de nombreux commandants d'Indochine se trouve dans cette question, posée d'un ton abrupt:
-Savez-vous commander un bataillon?
Tout autre que Bigeard eût été désarçonné. Pas lui. Son quatrième galon a été la consécration d'une rapide escalade de la hiérarchie. Elle n'a pas sanctionné des diplômes abstraits, mais les preuves de ses capacités:
-Je pense que oui, mon général.
Linarès précise sa pensée:
-Beaucoup de vos collègues sont courageux, mais ce n'est pas suffisant.
Il pense à ces belles unités, commandées par de magnifiques soldats qui se sont englouties après un combat héroïque et désespéré, simplement pour n'avoir pas accordé à l'adversaire toute la considération, tout le sérieux qu'il mérite.
-L'Indochine de 1952 n'est plus tout à fait la même qu'il y a deux ans, ajoute le général: Giap possède maintenant des régiments, des divisions. L'ère de la guérilla touche à sa fin: nous menons ici une vraie guerre...
Bigeard opine, sans répondre. Déjà, Linarès retourne à son bureau, à ses papiers. L'entretien est terminé. Bigeard salue, largement. Puis, il sort, de cette démarche assurée qui n'appartient qu'à lui, les épaules dégagées accompagnant le rythme de ses pas, les bras décollés des hanches, la tête haut levée qui lui permet de regarder le monde comme s'il le dominait.
Il saute dans sa jeep et fonce vers la gare, tout en bas du boulevard Gambetta, pressé d'accueillir le 6ème BPC, son bataillon, amoureusement façonné huit mois durant à Saint-Brieuc et qui va débarquer d'une minute à l'autre du train en provenance de Haiphong
A ce moment-là, le général de Linarès ne sait pas qu'il a devant lui, le chef du bataillon qui va écrire une des plus belles pages de gloire des parachutistes coloniaux: Tu Lê.
Le Général de Linarès et le Commandant Bigeard
ORIGINES
Chronologie de la bataille
Au cours du printemps 1952, le Vietminh, convaincu que son corps de bataille ne pouvait l'emporter de vive force dans les zones de rizières, doit se résigner à revenir à une stratégie plus orthodoxe d'attaque indirecte et décide de reporter ses efforts en zone montagneuse où il est assuré de pouvoir bénéficier des avantages que lui confèrent la fluidité de ses troupes et leur accoutumance à la jungle ainsi que la souplesse de sa logistique.
A partir du mois de juin, divers indices alertent le Commandement français sur la possibilité d'une action ennemie contre le Pays thaï : présence du Bataillon 426, spécialisé dans le renseignement d'assaut, sur le territoire de la ZANO (Zone Autonome Nord-Ouest) ; intensification du trafic sur la route de Cao Bang à Yen Bay par Thaï Nguyen et Phu Doan...
Dès le 13 septembre, les indices d'une importante offensive se multipliant, le général de Linarès met la ZANO en état d'alerte, renforce Nghia Lo par un Goum du 5ème Tabor et décide d'équiper Na San, l'aérodrome de Son La, et Laï Chau.
Le 11 octobre, l'avance de trois divisions ennemies, les 312, 308 et 316, ces deux dernières amputées chacune d'un régiment, traversant le Fleuve Rouge en trois colonnes et sur un front de soixante kilomètres (308 au centre, vers Nghia Lo, 312 au nord, vers Tu Lé, 316 au sud, en direction de Van Yen), marque le début de l'offensive vietminh contre le Pays thaï.
En moins de six jours, la Division 308, balayant sur son passage tous les petits postes qu'elle rencontre, franchit les soixante kilomètres qui séparent Nghia Lo de son point de passage du Fleuve Rouge, et, surgissant de la jungle, encercle la cuvette.
En l'absence du général Salan qui se trouve alors à Saigon, le général de Linarès décide de «renforcer le point d'appui de Tu-Lê en vue de le tenir, d'agir contre les éléments viets venant de l'est et de prendre à revers les éléments menaçant Gia Hoï». Le 6e BPC du commandant Bigeard, arrivé en Indochine à la fin du mois de juillet, est placé en alerte aéroportée.
La veille de l'opération Bigeard reçoit un appel téléphonique le convoquant pour un briefing à l'Etat-Major des Troupes Aéroportées Nord:
"Nous venons d'apprendre que deux divisions du Vietminh, la 308 et la 312, ont quitté leur repère de Bac Kan pour se diriger vers l'ouest. Elles sont en train de quitter le fleuve Rouge
Yen Bay. Leur objectif probable c'est Nghia Lo, l'un des plus importants points d'appui en pays thaï, qui verrouille la région comprise en le fleuve Rouge et la rivière Noire.
Nghia Lo a été attaqué l'an passé à la même époque, mais le poste a résisté. S'il tombe, toutes nos garnisons du Haut-Tonkin seront menacées...
La mission de votre bataillon est de sauter sur Tu-Lê, au nord-ouest de Nghia-Lo, et de rassembler les garnisons éparpillées dans la région."
Bigeard a acquiescé, sans un mot. Il n'a pas besoin de longues explications, le pays Thaï est son domaine: il y est chez lui car il en a parcouru les montagnes et les vallées au cours de son précédent séjour en Indochine.
A ses commandants de compagnie convoqués un peu plus tard, il leur donne la mission, puis ajoute:
-Faites attention au moment du saut, la DZ est sûrement mal pavée...
SAUT SUR TU-LÊ
Organigramme du 6ème BPC
Chef de corps: Chef de bataillon BIGEARD
CCB: Lieutenant BOURGEOIS
11°Cie (1°):Capitaine LEROY
12°Cie (2°):Lieutenant TRAPP
6°CIP (3°):Lieutenant MAGNILLAT
26°CIP (4°):Lieutenant de WILDE
Le 16 octobre à 5h30, les 667 hommes du 6ème BPC, dont 376 d'origine vietnamienne, embarquent à Bach-Maï et à Gia Lam dans les Dakotas et les JU-52 pour sauter sur Tu-Lê, à 30 kilomètres au nord-ouest de Nghia-Lo.
Les paras du "6"
Deux rotations ont été prévues pour le largage du bataillon. La première se compose du PC et des 11ème Compagnie de Leroy et la 6ème CIP de Magnillat.
Trois heures plus tard, la seconde vague avec la 12ème compagnie de Trapp et la 26ème CIP de de Wilde.
Bigeard a voulu avoir à sa disposition, dès l'arrivée, l'unité qu'il considère la plus solide, la 11ème du Capitaine Leroy, dit "Paulo" qui pourra "corseter" la 6ème compagnie indochinoise de parachutistes. Il en est de même pour la deuxième vague.
Volant trois par trois, les quinze Dakotas escaladent en vibrant les premiers contreforts de la Haute Région. Tassés dans les carlingues, les hommes somnolent, fourbus par la nuit blanche qu'ils viennent de passer à former les sections, boucler les sacs, percevoir et répartir les armes et munitions. Puis attendre l'embarquement...
Depuis quelques minutes, les paras sont debout, la main gauche fixée sur la SOA, la main droite sur le ventral. L'avion se stabilise, prend son axe en ralentissant le régime des moteurs puis la lumière s'allume et le klaxonne hurle. Le largueur précipite les paras dans le vide.
Largage du 6ème BPC
La DZ est mal pavée: c'est l'information que les parachutistes ont retenu durant le vol. Ils craignent la casse à l'arrivée au sol et ils ont raison. La zone de saut est une ancienne rizière asséchée, creusée par des ornières, coupée de diguettes et de fossés où s'écoulent les eaux de pluies.
Quand l'ensemble du bataillon est à terre, Bigeard fait le décompte des accidentés au saut. Il y a une vingtaine de blessés, peu graves, mais qui à ses yeux, risquent d'entraver la marche du bataillon lorsqu'il faudra se replier.
Prévoyant, il décide que les blessés aillent tenir le col de Khao Pha qui sera la seule porte de sortie pour le bataillon si les Viets arrivent.
Cette décision logique va avoir des conséquences déterminantes pour la survie du bataillon tout entier!
Bigeard confie cette mission au Sous-Lieutenant Laizé, blessé à la cheville.
Le poste domine une petite cuvette traversée par un torrent; un « trou », comme l'écrit le Sous-Lieutenant Ferrari. Il est tenu par une section du 1er Bataillon Thaï, 70 hommes aux ordres du Lieutenant Lavrat.
La région est hérissée de massifs granitiques culminant à 3000 mètres, découpés par des ravins sinueux où se précipitent des torrents infranchissables en période de crue. Les rares pistes grimpent à flanc de montagne, vers de cols de plus de 2000 mètres ou se perdent dans une jungle inextricable.
Sans perdre de temps le Commandant Bigeard installe son dispositif défensif. Lors du briefing avec ses commandants d'unité il donne ses ordres:
Dès ce soir, embuscades de section sur toutes les pistes qui convergent dans notre direction. But à atteindre: chercher le contact, signaler l'arrivée des éventuelles avant-gardes.
Nous sommes dans un drôle de pot de chambre. C'est l'inconvénient du pays Thaï. Si les Viets sont arrivés, ils sont déjà installés, en spectateurs. Aussi, pas question pour nous de nous regrouper dans le poste...Nous organiserons des points d'appui de compagnie.
Les lieutenants hochent la tête. A partir d'une idée simple, Bigeard vient d'avoir un trait de génie. Autant dans le Delta, il est difficile d'organiser un centre de résistance en hérissons dispersés, assurant une ligne continue de défense, autant, en pays Thaï, il est moins dangereux de disperser les unités sur des points d'appui éloignés, pouvant s'appuyer les uns les autres.
Ils sourient. La plupart des patrons auraient constitué un retranchement de bataillon. Bigeard, d'instinct, a, immédiatement choisi la meilleure solution.
Bigeard rajoute:
-Ne me faites pas des points d'appui bidon. Je connais le Viêt. S'il se montre, il se fera annoncer par du mortier. Donc creusez et faites creuser des emplacements enterrés. Collez-y les éclopés, mais qu'ils fassent du travail sérieux.
A la fin du briefing, au moment où les lieutenants s'éloignent, il leur lance:
-Il est possible que tout cela ne serve à rien, pourtant dites bien à vos hommes que je préfère la sueur au sang.
Le PC et la CCB s'installent dans le poste même avec la 26ème CIP « à portée de voix ».
Installation des compagnies
La 12ème Compagnie commandée maintenant par le Lieutenant Trapp tient la côte 876 et la « 11 » le piton nord-ouest.
Installation de barbelés par le Sergent Vigouroux
La 6ème CIP est postée sur les pentes sud de la cuvette. Bigeard lance des reconnaissances et met également en place une couverture éloignée à l'aide des partisans de Ban-Lan-Lang et de Khao-Pha, des postes de Pinh-Ho, de Ping-Gaï et de la section Lavrat.
Tu Lê
LES TROIS COUPS DU BRIGADIER
En fin d'après-midi, le TD 209 attaque Nghia-Lo. Toutes les positions françaises subissent un pilonnage au mortier et au canon sans recul en fin d'après-midi. A 18 heures, deux points d'appui subissent l'assaut des régiments 88 et 102.
A 21 heures, le Général Salan ordonne l'évacuation des troupes du secteur de Gia-Hoï et l'évacuation du poste de Tu-Lê.
Le Général Salan
Le Commandant Bigeard estime qu'un repli de nuit serait trop risqué: même si il sait que le 6ème BPC va se retrouver isolé face à plusieurs régiments de réguliers Viêts, il veut regrouper les garnisons périphériques de Tu-Lê et gagner en leur compagnie la rivière Noire dans les meilleurs délais.
Toute la nuit l'écho des montagnes a répercuté le roulement incessant du tonnerre, loin au sud-ouest, du côté de Nghia-Lo à 30 kilomètres de là. La batailles est désormais engagée.
Les deux compagnies du BT1 et les Goumiers du poste résistent toute la nuit à un contre dix. Le poste tiendra jusqu'au matin .A l'aube, tout est consommé. Jusqu'au matin, le canon a tonné, les avions ont bombardé à la lueur des lucioles. Et puis plus rien, le silence est revenu: Nghia-Lo est tombé. Gia-Hoï est la prochaine étape pour les Viêts.
Loin en avant du dispositif du "6",le sous-lieutenant Ferrari consulte sa montre: il est six heures du matin. Il a été envoyé en "sonnette" avancée pour prévenir le PC en cas d'arrivée des Viets. Mais au matin du 19 octobre, rien ne s'est produit. Aussi, conformément aux ordres reçus par son commandant d'unité, le Lieutenant Magnillat, il fait relever ses guetteurs, replier ses avant-postes.
-Nous sommes les prochains sur la liste, confie le Sous-Lieutenant Ferrari à son adjoint. Il va y avoir du sport...
Bigeard remanie et renforce son dispositif. La 6ème CIP se porte en recueil de la garnison de Gia-Hoï talonnée par les Viets. Ne pouvant se maintenir sur sa position, elle se replie sur Tu-Lê, protégée par la section Ferrari qui est prise à partie par l'avant-garde Viêt. En effet, au moment de repartir sur Tu-Lê pour effectuer la jonction avec son commandant d'unité, la section Ferrari tombe sur plusieurs centaines de Viêts qui débouchent de la vallée.
-On va se régaler l'œilleton!
Les armes se déchaînent ne laissant aucune chance aux Viets. Puis c’est le repli pour éviter de se faire tourner par les Viets. Deux heures plus tard, la 6ème CIP est à Tu-Lê au complet.
A 10 heures, au-dessus de l'épaisse couche de nuages qui recouvre la cuvette, le Général de Linarès, dans son Beaver, est en liaison radio avec le Commandant Bigeard:
-Nghia-Lo est tombé, dit-il. Nous connaissons maintenant l'intention de Giap :atteindre la moyenne rivière Noire. Votre mission est caduque, repliez-vous dès que possible.
-Mon Général, réplique "Bruno", je sais qu'il y a dans la jungle la garnison du petit poste de Gia-Hoï qui tente de nous rejoindre. Je les attends...
-C'est bien, répond Linarès. Mais si vous décidez de sauver votre bataillon, je comprendrai...
-Mon Général, il ne sera pas dit que je n'aurai pas tout tenté pour récupérer les hommes de Gia-Hoï. J'attends jusqu'à la tombée du jour.
-Repliez-vous aussitôt...
-Je verrai ce que je peux faire
Le temps presse, une course contre la montre est engagée et Bigeard n'a pas pris sa décision sans en mesurer les conséquences.
Il pourrait en effet quitter Tu-Lê sans problème, mais il fait le choix de tenir bon et de retarder l'évacuation pour permettre à la garnison de Gia Hoï de rejoindre le dispositif. Parce qu'il ne se résout pas à abandonner les Thaïs, le patron du « 6 » s'impose un handicap de 24 heures. L'honneur de sa "boutique" est en jeu.
Quelques heures perdues, quelques minutes même, et son bataillon risque d'être pris au piège de Tu-Lê, aussi par radio il alerte ses commandants d'unité:
-Tenue allégée. Sacs bouclés. Tenez-vous prêts à décrocher sur préavis de cinq minutes Dès que les gens de Gia-Hoï seront arrivés, nous rentrons.
CONTACT
Bigeard espérait que la garnison de Gia-Hoï pourrait rallier la cuvette à temps pour permettre le repli du bataillon. Mais pour éviter les Viêts postés en bouchons sur toutes les pistes d'accès, les rescapés du poste ont été obligés de passer par les crêtes. Ils n'ont pu rejoindre qu'à la faveur de l'obscurité.
En effet, vers 23 heures, des bruits, des chuchotis...des lueurs furtives apparaissent au-dessus du poste. C'est la garnison de Gia-Hoï que les Viets ont laissé passer sans se dévoiler. Leur proie, c'est ce bataillon de parachutistes qui les nargue sur ses pitons fortifiés.
Il est donc trop tard pour effectuer la retraite du bataillon, sur une piste mal connue, dans un terrain sans doute déjà infesté de Viets.
Partir ou rester, quelle différence? L'Aspirant Canton ne donne pas une chance sur dix au "6" de franchir le rideau tissé par douze mille Bo Doïs. La seule question qu'il se pose, c'est de savoir quelle sera l'attitude de Bigeard au petit jour: effectuer une percée en force, tout le bataillon en ligne, ou laisser carter blanche à ses compagnies pour rallier individuellement, la rivière Noire?
Puis subitement, vers minuit, un caporal agrippe la manche de l'Aspirant pour lui désigner la mise en place des divisions ennemies sur les premiers contreforts de la cuvette. La nuit est noire et le ciel toujours bouché, ce qui rend encore plus impressionnant la procession des milliers de Bo Doïs éclairés par leurs seules torches de bambou.
Entre 2 et 3 heures du matin, déboulant des collines, précédées d'un matraquage intense de mortiers, plusieurs colonnes Viets se ruent sur Tu-Lê. A deux reprises, les vagues d'assaut se brisent contre les défenses de la cuvette. L'attaque est brutale et les unités de la 312 assaillent d'abord la 26ème CIP et débordent pour arriver au contact même du poste tenu par la CCB et les Thaïs de la garnison. Mais l'effet de surprise n'a pas joué.
La 26ème CIP appuyée par les mortiers de la "11" et de la "12", était prête à les accueillir. Elle tient d'autant mieux qu'en plus des défenses ordinaires, des réseaux de ribard ont été installés dans l'après-midi suite à un parachutage. Les Viets non avertis par cet obstacle supplémentaire sont déconcertés.
Les premières vagues ennemies espéraient sans doute culbuter rapidement les défenseurs, se ruer dans les tranchées et investir le petit poste de bambou. Pour eux Tu-Lê et ses trente partisans thaïs n'était qu'une formalité. Ils se cognent aux paras, tapis dans l'ombre, et cette rencontre fait mal!
Sur leurs pitons respectifs, Leroy et Trapp savent qu'ils vont bientôt y avoir droit eux aussi: ils attendent.
A 3h50, quelques sections d'assaut ont escaladé le piton 840,celui de la 11ème compagnie du Capitaine Leroy. Mais cette attaque était surtout faite pour renseigner le commandement adverse sur la solidité des défenses.
Pour attaquer le piton 876, les Viets ont grimpé silencieusement les pentes herbues pour déboucher au ras des barbelés, sans procéder à l'habituel préparatif de mortiers. Ils partent à l'attaque sur la face est du piton en hurlant. Mais ils se font surprendre là aussi par les réseaux de barbelés qu'ils n'avaient pas décelés dans l'obscurité, ils s'y accrochent et se font hacher sur place par les tirs croisés des mitrailleuses.
Après trois assauts qui échouent sur les défenses extérieures, les Viets se retirent à 6h30.Les mortiers de 81mm de la 6ème CIP les raccompagnent.
Quand le jour se lève, le poste est toujours entre les mains de la CCB et les paras du « 6 » ont maintenu toutes leurs positions. Dans les barbelés, on relève 96 cadavres Viets et une quarantaine d'armes. Le 6ème BPC compte deux tués et dix blessés.
Le Commandant demande leur évacuation mais les Morane ne peuvent percer la couche nuageuse. Il va donc falloir brancarder les blessés.
Aux alentours de 11 heures, la 6ème CIP qui tient depuis la veille un col à 6 kilomètres à l'Est, signale la mise en place de l'encerclement de Tu-Lê. Sachant la position intenable, Bigeard ordonne le repli pour 13 heures.
Le 20 octobre à 13 heures, le bataillon Bigeard entame la course à la mort qui lui vaudra une nouvelle citation et le surnom de « bataillon Zatopek*».
La course à la mort débute...
Brancardant ses blessés, le bataillon marche en direction de Muong-Chen. Le temps s'est levé et deux B-26 couvrent la colonne. En tête, les garnisons évacuées, puis la 26ème CIP moins le commando Laizé, la CCB et le PC, la 11ème Compagnie et, fermant la marche, la 12ème Compagnie. Sur le col de Khao-Pha, la 6ème CIP fournit l'arrière-garde.
La 6ème CIP passe le col
Vers 16 heures écrit le Lieutenant Magnillat, lorsque les dernières sections ont franchi le col, la java commence. Les viets attaquent à nouveau et collent aux fesses de la 11ème Compagnie. Ils ont été surpris par le décrochage du "6" au moment où eux-mêmes se mettaient en place en vue de l'assaut, prévu à la nuit tombante, mais ils ont très vite réagi. Ils ont aussitôt lancé à travers la plaine des unités légères pour accrocher et retarder le repli.
Déjà des blessés; Quillacq, un Caporal-chef de la 11 vient de recevoir une rafale de PM dans le corps(il a reçu 6 balles**).Il marche en se tenant le ventre, il marchera encore d'ailleurs !
Le Caporal-chef Quillacq sur un brancard
Jusqu'à la nuit, nous tenons l'ennemi, en nous repliant jusqu'au col de Kho-Pha, faisant du combat retardateur, parfois au corps-à-corps, sur plus de cinq kilomètres.
Ce combat atteint son paroxysme dans une cuvette située à trois kilomètres à l'ouest de Tu-Lê. Les VM lancent là-dedans une nuée de petits hommes en noir dans les rangs desquels nous causons de sérieux dégâts. Mais leurs mitrailleuses installées sur les hauteurs prennent en enfilade les tronçons de piste qui grimpent en zigzag vers le col.
Les herbes à éléphant sont déchiquetées et nos gars tombent comme des mouches. Les Viets s'efforcent de faire éclater la cohésion des sections pour massacrer plus facilement les combattants ainsi isolés.
Bigeard, sans ralentir son allure, soulage de son poste de quinze kilos, le caporal radio épuisé et l'endosse lui-même malgré la désapprobation de son adjoint le Capitaine Tourret.
En fait, Bigeard porte son bataillon à « bout de bras ».Ses décisions et ses remarques parfois rudes sauveront l'unité.
Le Capitaine Tourret
Cette course effrénée est épuisante, obligés de quitter la piste pour échapper aux tirs en enfilade, nous décrochons dans un terrain abominable. A ce moment, nous débouchons dans des rizières en gradins, ces derniers font bien 1,5 mètre de haut et les rétablissements nous laissent le souffle court. Les Viets collent toujours à quelques mètres; ils hurlent en français : »rendez-vous »!Certains d'entre nous trouvent le moyen de leur répondre : « Ta gueule, eh ducon... »
Les Bo-Doïs savent que rien n'est plus vulnérable qu'une unité qui progresse sur une piste: elle sacrifie tout à sa rapidité de marche et néglige souvent les protections latérales. En s'attaquant aux arrière-gardes, les Bo-Doïs manœuvrent de façon à tronçonner la file des paras, pour les réduire plus aisément.
Dans le feu des combats, un cri alerte Gazeneuve, c'est Wagner qui s'écroule touché au ventre...
-Kerkérian, appelle-t-il, prends mon arme, je vais charger Wagner sur mon dos...
Wagner, c'est le copain, l'inséparable camarade...
Mais Wagner secoue la tête:
-Non-dit-il. Passe-moi plutôt deux grenades. Dégoupillées. Foutus pour foutu, autant que je serve à quelque chose. Sa main tâtonne, dégrafe sa poche poitrine, en extirpe quelques billets froissés.
-Tiens vieux. Prends-les, ce sont les piastres que je vous avais gagnées au poker. Profites-en à ma place...
Le terrain, déjà dur dans la plaine, devient infernal dès qu'on aborde la pente. Sous le piétinement de la colonne, la piste n'est plus un sentier, c'est un véritable toboggan d'argile rouge et grasse.
Les hommes se hissent en force, parfois à quatre pattes, s'agrippant des ongles aux racines, à la terre même. Ils ancrent les talons pour aider les copains qui traversent une passe difficile.
Les brancards, sur lesquels les blessés ont été attachés passent de main en main. Certains blessés basculent dans le ravin, sans un cri, sous l'œil horrifié des porteurs.
Le bataillon décroche en perroquet; les unes après les autres, les compagnies sont au contact des Viets. Les pertes sont lourdes. Les moins fatigués aident les blessés légers.
Pour les autres, ceux qui peinent, qui souffrent, les blessés, ceux qui ne peuvent pas suivre le rythme, tout ceux-là seront repris par les Bo-Doïs.
Comme le 3ème BCCP à Pho-Lu et au Deo-Cat avec le médecin-capitaine Amstrong, le Commandant Bigeard laisse les blessés intransportables à la garde du Père Jeandel, l'aumônier du bataillon. Ce dernier croisant le sous-lieutenant Ferrari en sens inverse de la marche se fait apostropher:
-Où allez-vous Padre?
-Faire mon devoir...
Le Père Jeandel se perd dans la nuit. Il pense peut-être inciter l'ennemi à moins de cruauté envers les prisonniers. Sa présence aidera seulement la plupart d'entre eux à bien mourir.
A minuit, le bataillon est regroupé au col de Kho-Pha. Il manque 83 hommes dont une vingtaine sont faits prisonniers. La marche reprend le 21 octobre à 3 heures du matin.
La progression de nuit se passe sans incident, les Thaïs ouvrent la marche avec les blessés légers; au centre, la 11ème compagnie et la 6ème CIP, les deux composantes du « 6 » qui ont le plus souffert. En arrière-garde, les plus « teigneux » et les plus valides, mais dès les premières lueurs du jour, le harcèlement et les combats reprennent.
*Emil Zatopek était un des plus grands coureurs de demi-fond et de fond que l'athlétisme mondial ait connu. Détenteur de nombreux records du monde, il était le rival d'Alain Mimoun, l'ancien tirailleur de la campagne d'Italie.
**Quillacq réussira l'exploit de rallier la rivière Noire, 150 km plus loin. Il a deux balles dans la main droite, une dans le bras gauche, une dans le ventre, une dans l'aine, une dans la cuisse droite.
MUONG CHÊN
Bigeard progresse avec la compagnie d'arrière-garde, plus précisément avec le dernier commando de la 6èCIP, celui du Sous-Lieutenant Ferrari. Pour ce faire, il a dû ferrailler ferme avec son adjoint, le Capitaine Tourret:
-Bruno, ma place est avec l'arrière-garde. C'est le poste le plus exposé, l me revient de droit...
-Pas question. Bigeard a tranché, d'un ton âpre. La fatigue l'a rendu cassant, désagréable. Tourret insiste. Alors:
-Ce n'est plus Bigeard qui parle, c'est le commandant du "6".Je vous donne un ordre: passez devant. C'est tout.
Jusqu'ici, Bigeard souhaitait être obéi parce qu'il était Bigeard. Pour la première fois, il a fait valoir ses galons.
La marche est épuisante, la fin de la colonne répercutant les aléas de la tête. Les parachutistes galopent sans arrêt pour éviter d'être coupés du reste du bataillon.
Bigeard prévient le Sous-Lieutenant:
-Vous devez ouvrir l'œil au lever du jour. Si les Viets nous suivent, ils vont se ruer à l'attaque dès qu'ils nous auront repérés.
Il est 6h00, le ciel s'éclaircit et presque aussitôt des cris se font entendre, venant de l'arrière, quelques trois cents mètres en-dessous: "Tien lên" C'est le commandement des sections d'assaut Viêt.
Bigeard se retourne vers Ferrari et lui demande de faire un bouchon pour ralentir la progression Viêt et permettre au bataillon de sauver sa peau. En clair il lui demande d'aller au sacrifice pour faire gagner une heure de délai.
Ferrari accepte sans sourciller, la mission est sacrée et qui plus est, ce dernier compte sur sa chance insolente pour revenir fissa sur Muong-Chên.
Pour ce faire, le jeune Sous-Lieutenant a choisi l'endroit idéal sur la piste: une petite butte qui bloque le passage au débouché d'un défilé: les Viets ne pourront pas attaquer de face, ni déborder par les ailes et mettront une bonne heure pour se hisser en force sur les pitons voisins.
-En tout cas, les Viets, ce sont de drôles de malfaisants, ils pourraient avoir un peu de respect pour les héros! dit Bellamy, le "titi parisien" de la section.
Très vite, les premiers Viets arrivent et ces derniers se font allumer comme à la fête foraine. Alors ils fixent et se bornent à tirer de loin.
Cela fait déjà une demi-heure que la section Ferrari s'accroche au terrain, lorsque tout à coup, les Viets se décident à donner l'assaut.
Ils déboulent hors du défilé en paquet et se font massacrer sur place par les tireurs FM. Puis Ferrari regarde sa montre: il a tenu une heure. On décroche!
-Vous vous êtes allongés une heure, vous devez être reposés? dit Chanel sur un ton joyeux à son chef.
-Sans compter que nous nous sommes drôlement allégés, ajoute Bellamy.
Ferrari arrive à Muong-Chên à midi et rend compte: les Viets sont au plus à une heure derrière nous et ils n'ont pas renoncé.
Bigeard grimace: les Viets ne lâcheront par leur proie. Nous sommes à la pointe d'un triangle dont les deux autres sommets sont Tu Lé et Nghia Lo: nous avons ceux qui ont attaqué Tu Lé qui nous suivent, mais nous risquons de voir notre route coupée par ceux qui sont partis directement de Nghia Lo vers la rivière Noire...
-Bruno à tous, préparez-vous à décrocher à 18h00. Dans l'ordre:26ème CIP, 6ème CIP, 11ème et 12ème Compagnies.
Les parachutistes vont disposer de cinq heures pour se reposer un peu et manger (un Dakota a largué quelques rations).
Puis Bigeard demande à l'Adjudant Peyrol, le chef de poste de Muong-Chên de tenir trois heures avant de décrocher afin de donner un peu d'air au bataillon.
L'aviation, très active, procure un certain répit aux hommes de Bigeard. A 18 heures, le marathon infernal reprend. Direction le poste de Ban-I-Tong à 25 kilomètres de là à marche forcée.
L'Adjudant Peyrol de la 284ème CISM, le Sergent Cheyron, un Caporal et une quarantaine de Thaïs résistent par un feu d'enfer (tir de FM, grenades, fusées de signalisation) et ils arriveront à leurrer les Viets qui croiront, en donnant l'assaut, avoir en face d'eux le 6ème BPC. Les défenseurs du poste réussiront à tenir trois heures avant de se jeter dans la jungle.
Peyrol et 16 rescapés rejoindront la rivière Noire le 5 novembre.
BAN-IT-ONG
Poursuivis par les Viets, durant toute la nuit du 21 au 22 octobre, les paras et les Thaïs des garnisons marchent sans le moindre repos. A 9 heures, l'avant-garde prend contact avec les éléments du poste de Ban-It-Ong venus à la rencontre de la colonne. Un peu plus tard, le 6ème BPC rencontre le 56èmeBVN posté en recueil sur la piste.
Sous sa protection et avec l'appui de l'aviation, les « marathoniens de Tu-Lê » arrivent à Ban-It-Ong vers 14 heures.
Repos à Ban-It-Ong
Une Compagnie du 56ème BVN est là en comité d'accueil. On regarde les paras passer d'un air surpris:
-C'est ça, les paras? Ces zombies harnachés de loques, les yeux brillants de fièvre, sans chaussures, sans casques, trainant les pieds et à bout de forces?
Les paras ne répondent pas. Entre ce bataillon bien astiqué, aux treillis impeccables, naguère formé par un régiment de Chasseurs d'Afrique, et qui porte encore la marque des cavaliers, et le bataillon Bigeard, il y a un fossé infranchissable.
La compagnie d'accueil s'est installée en haut du col comme pour une partie de campagne. Il y a même sur une nappe blanche, la "caisse popote": un véritable Mess ambulant...
-A votre place, lance Bellamy, sans complexes, en s'adressant à un officier, je me dépêcherais de faire rapatrier tout ce fourbi, sinon, c'est Giap qui va bouffer votre poulet dans votre vaisselle...
Les paras du "6" savouraient un repos bien gagné quand, en fin d'après-midi, les mauvaises nouvelles arrivent. Les remarques de Bellamy se sont révélées "prophétiques".
Durement accroché par le TD165 et un bataillon du TD 209, le 56ème BVN se replie vers le poste et il faut reprendre la marche sans attendre.
Bon camarades, les paras ont cessé de plaisanter sur la "caisse popote" et ils ont partagé les rations.
La garnison de Ban-It-Ong doit retarder les Viets jusqu'à 2 heures du matin, puis tenter de rejoindre le gros de la colonne. A 20h30, le repli vers Ban Ta-Bu commence, le terrain est moins accidenté mais les voies d'eau, grossies par la mousson qui vient de s'achever, ajoutent au calvaire des hommes.
Le Commandant Bigeard organise le franchissement de la rivière Noire. Les garnisons et les premiers éléments du « 6 » traversent sans encombre.
Franchissement
Au lever du jour, aidé par les piroguiers Thaïs, ils atteignent l'un de ses affluents à Muong-Bu.
A 9 heures, des camions emmènent les parachutistes et les garnisons à Son-La et à Na-San où elles renforcent le camp retranché.
Le 6ème BPC est ramené à Hanoï. Les hommes sont hagards, mais tous sont conscients d'avoir rempli leur mission.
LES CENTURIONS
L'odyssée est terminée pour le bataillon et son commandant qui ont échappé aux TD 165 et 209.Quatre-vingt-onze parachutistes sont morts ou portés disparus, mais l'opération est un remarquable succès défensif.
Le bataillon est cité pour la troisième fois à l'ordre de l'armée et,le 28 octobre 1952,au stade Mangin à Hanoï, la cravate de commandeur de la Légion d'honneur pour le Commandant Bigeard, sept Croix de Chevalier, dix Médaille militaires et 400 Croix de guerre récompensent, l'exploit de Tu-Lé.
Les paras du "6" à l'honneur
(à gauche le S/C Baliste)
-Bataillon...Garde à vous!
-Les récipiendaires, quatre pas en avant!
D'un bloc, les quatre cents bérets rouges s'ébranlent, au pas de parade. Puis ils s'immobilisent à nouveau.
-Faire décorer tout un bataillon, c'est extravagant !s'offusquent certains.
Pourtant c'est faux, il n'y a pas tout le bataillon. Tous ceux qui ne figurent pas au palmarès ont été laissés au "séminaire" (=quartiers du 6ème BPC).
Ce n'est pas qu'ils aient démérité, ils ne se sont pas fait remarquer pendant la marche et durant les combats. Et pour Bigeard, c'est un péché!
-Quatre cents citations à la fois, ça ne s'est jamais vu.
En effet. Tu-Lé est un prodigieux exploit et la surprise causée par le retour du "6" était à la mesure de l'inquiétude éprouvée sur son sort.
Bigeard a accepté les hommages, conscient qu'ils étaient mérités, mais lucide, il sait que l'enthousiasme est un feu qui s'éteint vite.
Alors, il a "présenté la facture".
Il a trouvé un allié dans le Général de Linarès auquel on prête ces propos, d'une robuste logique:
"Les médailles coûtent moins cher que les morts, les blessés, les armes ou les postes perdus..."
Le Chef de Bataillon Bigeard
Commandeur de la Légion d'honneur
Décision n°56 publiée au journal officiel du 22 novembre 1952
Le ministre de la défense nationale
cite à l'ordre de l'armée
le 6ème Bataillon de Parachutistes coloniaux
« Magnifique bataillon de parachutistes coloniaux, qui, aussitôt après son débarquement au Tonkin, en août 1952, a fait la preuve de son allant, de sa souplesse et de son dynamisme au cours d'opérations dans le Phuc-Yen, en septembre.
Sous les ordres du chef de bataillon Bigeard, chef prestigieux qui l'a formé à son image et qui toujours sur la brèche est véritablement l'âme de son unité, a sauté le 16 octobre 1952 dans la région de Nghia-Lo.
A réussi à bloquer un adversaire très supérieur en nombre, fanatisé et puissamment armé, et lui a infligé à Tu-Lé des pertes très importantes débloquant et récupérant la garnison de Gia-Hoï qui, encerclée, avait reçu l'ordre de se replier.
Se portant ensuite, au cours des journées du 20 au 23 octobre, de Tu-Lé à la rivière Noire à Tabu, a livré nuit et jour de très durs combats dans une région montagneuse et boisée et particulièrement difficile au prix d'un effort physique extraordinaire.
Grâce à un esprit de sacrifice admirable ,sans la moindre défaillance, a finalement réussi à faire franchir la rivière Noire à tous les éléments qu'il avait récupérés permettant ainsi la réorganisation d'effectifs importants et ne l'a franchie à son tour qu'après avoir intégralement accompli la rude mission qui lui était confiée.
Ajoute ainsi une magnifique page de gloire à l'histoire des parachutistes coloniaux.
Cette citation comporte l'attribution de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs avec palme. »
Croix de Guerre des TOE avec palme
A Paris, le 15 novembre 1952
Signé: René Pleven
Pendant ce temps, au camp n°1, le Père Jeandel fait le dur apprentissage de la politique de « clémence » de l'oncle Hô...
EPILOGUE
Bien sûr, certains ne manqueront pas de critiquer le "bataillon Zatopek" en rabaissant l'épopée de Tu-Lé à une retraite sans mérite ni gloire.
Mais la plupart des officiers évitent d'attaquer Bigeard de front: on respecte un homme auquel vont les sourires des généraux et des ministres, les lauriers de la gloire, les reportages élogieux...
Les plus mesquins se vengent sur ses officiers subalternes.
Au Mess de garnison, les sous-lieutenants sont accueillis par des réflexions grinçantes.Un Capitaine les apostrophe:
-Vous exagérez, crie-t-il: ce n'est pas parce que Salan vous couvre de médailles qu'il faut vous prendre pour des héros. Vous n'êtes que des galopins.
Il se rassoit, grommelle:
-Dire qu'on a donné la Légion d'honneur à des Sous-Lieutenants. C'est de la braderie...
Ferrari est directement visée par cette remarque. Il bondit:
-Vous êtes à Hanoï, pas vrai? N'oubliez pas que, si vous mangez tranquille, c'est parce qu'il y a des "sous-bittes" comme nous sur les pistes...
Un Commandant intervient, jouant du galon, cherchant manifestement à provoquer un incident où le Sous-Lieutenant se mettrait dans son tort. Alors Trapp intervient:
Il toise le Commandant, fixant avec intention la poitrine vierge de décorations:
-S'en prendre à un Sous-Lieutenant ne présente guère de risques, lâche-t-il d'un ton glacé. Et maintenant dégagez, ou c'est moi qui vous dégage.
Le Commandant a blêmi. Mais il est parti, sans protester.
Les incidents se multiplient entre les bureaucrates et les paras. Bigeard va trouver le Général de Linarès:
-Je préfère user mon énergie et celle de mon bataillon à combattre d'autres guérilleros, dit-il. Le Viet me paraît être un adversaire finalement plus loyal. Avez-vous une mission pour moi?
A eux et à tous les envieux, les mesquins, Bigeard aurait pu dire:
Ce que j'ai fait, faites-le