L’invocation de Mirèio. Le Mistral Virgilien et Homérique.
Cante uno chato de Prouvènço. Je chante une fille de Provence.
Dins lis amour de sa jouvènço, Dans les amours de sa jeunesse,
A travès de la Crau, vers la mar, dins li bla A travers la Crau, vers la mer, dans les blés,
Umble escoulan dòu grand Oumèro, Humble écolier du grand Homère,
Iéu la vole segui. Coumo èro Je veux la suivre. Comme c’était
Rèn qu’uno chato de la terro, Seulement une fille de la glèbe,
En foro de la Crau se n’es gaire parla. En dehors de la Crau il s’en est peu parlé.
Emai soun front noun lusiguèsse Bien que son front ne resplendît
Que de jouinesso, emai n’aguèsse Que de jeunesse, bien qu’elle n’eût
Ni diadèmo d’or ni mantèu de Damas, Ni diadème d’or ni manteau de Damas,
Vole qu’en glòri fugue aussado Je veux qu’en gloire elle soit élevée
Coumo uno rèino, e caressado Comme une reine, et caressée
Pèr nosto lengo mespresado, Par notre langue méprisée,
Car cantan que pèr vautre, o pastre e gènt di mas. Car nous ne chantons que pour vous,
ô pâtres et habitants des mas.
Tu, Segnour Diéu de ma patrio, Toi, Seigneur Dieu de ma patrie,
Que nasquères dins la pastriho, Qui naquis parmi les pâtres,
Enfioco mi paraulo e douno-me d’alen ! Enflamme mes paroles et donne-moi du souffle !
Lou sabes : entre la verduro, Tu le sais : parmi la verdure,
Au soulèu em’i bagnaduro, Au soleil et aux rosées,
Quand li figo se fan maduro, Quand les figues deviennent mûres,
Vèn l’ome aloubati desfrucha l’aubre en plen. Vient l’homme, devenu loup, dépouiller l’arbre entièrement.
Mai sus l’aubre qu’èu espalanco, Mais sur l’arbre dont il brise les rameaux,
Tu toujour quihes quauco branco Toi, toujours, tu élèves quelque branche
Ounte l’ome abrama noun posque aussa la man Où l’homme affamé ne puisse porter la main,
Bello jitello proumierenco, Belle pousse hâtive,
E redoulènto, e vierginenco, Et odorante, et virginale,
Bello frucho madalenenco Beau fruit mûr à la Madeleine,
Ounte l’aucèu de l’èr se vèn leva la fam. Où l’oiseau de l’air vient apaiser sa faim.
Iéu la vese, aquelo branqueto, Moi, je la vois, cette branchette,
E sa frescour me fai lingueto ! Et sa fraîcheur me fait envie !
Iéu vese, i ventoulet, boulega dins lou cèu Je vois, au vent lèger, s’agiter dans le ciel
Sa ramo e sa frucho inmourtalo… Son feuillage et ses fruits immortels…
Bèu Dièu, Dièu ami, sus lis alo Beau Dieu, Dieu ami, sur les ailes
De nosto lengo prouvençalo, De notre langue provençale,
Fai que posque avera la branco dis aucèu ! Fais que je puisse atteindre la branche des oiseaux !
Épique et historique, l’Invocation de Calendau, simple pêcheur de Cassis.
Le Cap Canaille, vu des hauteurs dominant Cassis, puis Cassis vu du sommet du Cap Canaille. Iéu, d’uno chato enamourado Moi qui d’une amoureuse jeune fille
Aro qu’ai di la mau-parado, Ai dit maintenant l’infortune,
Cantarai, se Dièu vòu, un enfant de Cassis, Je chanterai, si Dieu veut, un enfant de Cassis,
Un simple pescaire d’anchoio Un simple pêcheur d’anchois
Qu’emé soun gàubi e’mé sa voio Qui, par la grâce et par la volonté,
Dòu pur amour gagnè li joio, Du pur amour conquit les joies,
L’empèri, lou trelus. L’empire, la splendeur. –
Amo de moun païs, Âme de mon pays,
Tu que dardaies, manifesto Toi qui rayonnes, manifeste,
E dins sa lengo e dins sa gèsto; Dans son histoire et dans sa Geste;
Quand li baroun picard, alemand, bourguignoun, Quand les barons picards, allemands, bourguignons,
Sarravon Toulouso e Bèu-Caire, Pressaient Toulouse et Beaucaire,
Tu qu’empurères de tout caire Toi qui enflammas de partout
Contro li négri cavaucaire Contre les noirs chevaucheurs
Lis ome de Marsiho e li fiéu d’Avignoun; Les hommes de Marseille et les fils d’Avignon.
Pèr la grandour di remembranço Par la grandeur des souvenirs,
Tu que nous sauves l’esperanço; Toi qui sauves notre espérance;
Tu que dins la jouinesso, e plus caud e plus bèu, Toi qui, dans la jeunesse, et plus chaud et plus beau,
Mau-grat la mort e l’aclapaire, Malgré la mort et le fossoyeur,
Fas regreia lou sang di paire; Fais reverdir le sang des pères;
Tu qu’ispirant li dous troubaire, Toi qui, inspirant les doux Troubadours,
Fas pièi mistraleja la voues de Mirabèu; Fais de nouveau tonner la voix de Mirabeau.
Car lis oundado seculàri Car les houles des siècles,
E si tempèsto e sis esglàri Et leurs tempêtes, et leurs horreurs,
An bèu mescla li pople, escafa li counfin, En vain mêlent les peuples, effacent les frontières,
La terro maire, la Naturo, La terre mère, la Nature,
Nourris toujour sa pourtaduro Nourrit toujours ses fils
Dou meme la : sa pousso duro Du même lait; sa dure mamelle
Toujour à l’ulivié dounara l’òli fin; Toujours à l’olivier donnera l’huile fine
Amo de-longo renadivo Âme éternellement renaissante,
Amo jouiouso e fièro e vivo, Âme joyeuse, et fière, et vive,
Qu’endihes dins lou brut dòu Rose e dòu Rousau ! Qui hennit dans le bruit du Rhône et de son vent !
Amo di séuvo armouniouso Âme des bois pleins d’harmonie
E di calanco souleiouso, Et des calanques pleines de soleil,
De la patrio amo piouso, De la patrie âme pieuse :
T’apelle ! encarno-te dins mi vers prouvencau ! Je t’appelle ! Incarne-toi dans mes vers provençaux !
Trois de nos éphémérides essayent donc de restituer au moins une partie de la puissance et de la beauté de la poésie mistralienne (8 septembre, naissance; 25 mars, décès; 29 février, Prix Nobel) : elles sont réunies et « fondues », pour ainsi dire, en un seul et même PDF, pour la commodité de la consultation : Frédéric Mistral
Mais six autres éphémérides rendent compte de son action, de ses initiatives ou d’autres prises de position importantes :
• la création du Félibrige et la fête de son Cinquantenaire (éphéméride du 21 mai) ;
• l’institution de la Fèsto Vierginenco (éphéméride du 17 mai) et celle de l’Election de la Reine d’Arles (éphéméride du 30 mars) ;
• le contexte historico/politique de la création de la Coupo Santo (éphéméride du 30 juillet) ;
• Frédéric Mistral récite L’Ode à la Race latine à Montpellier (éphéméride du 25 mai) ;
• enfin, la publication de son brûlot anti-jacobin, fédéraliste et décentralisateur, donc authentiquement politique, traditionaliste et réactionnaire : La Coumtesso(éphéméride du 22 août)