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Guerre d’Algérie : « Emmanuel Macron ouvre le musée des horreurs de l’histoire ». Jean-Marie Rouart parle d’or.lundi 29 août 2022Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le président français Emmanuel Macron à Alger, le 27 août 2022. ALGERIAN PRESIDENCY / REUTERS
Cette tribune a été publiée ce matin dans Le Figaro. Sur les initiatives du président Macron en Algérie, nous titrons que Jean-Marie Rouart parle d’or. Sur les amabilités très « académiques » qu’il adresse à Emmanuel Macron, son intelligence qui serait grande, ses « initiatives bienvenues sur le plan national et international » – bienvenues mais non précisées – on peut sourire. Sur la volonté de De Gaulle à la Libération de faire oublier à tout prix le temps où les Français ne s’aimaient pas, on peut s’indigner quand la France fut livrée à l’épuration et, en partie non-négligeable, au parti communiste et à ses diverses courroies de transmission. Ce qui, soit dit en passant, a coûté fort cher à la France, à divers titres, des décennies durant. Reste la critique d’Emmanuel Macron face aux questions algériennes – le vrai sujet de cette tribune – et nous ny ajouterons rien. Simplement, nous approuvons.
TRIBUNE – L’Académicien Jean-Marie Rouart juge naïve et très dangereuse la décision du chef de l’État français, qu’il a annoncée à Alger conjointement avec son homologue algérien, d’une commission mixte d’historiens pour étudier l’histoire de la colonisation française et de la guerre d’Algérie.
Quel bénéfice escompte le président de cette attitude digne des évangélistes qui viennent battre leur coulpe en public et confesser leurs fautes au milieu des fidèles ?
Il ne vient à l’idée de personne de mettre en cause la grande intelligence du président Macron. Pas plus que de lui refuser une formidable habileté dans son étourdissante conquête du pouvoir. On peut aussi lui accorder, depuis qu’il est président, des initiatives bienvenues sur le plan national et international. En revanche on reste pantois devant la conception naïve qu’il exprime de l’Histoire. Et ce qui est plus grave pour un chef d’État, du lien qui existe entre cette histoire et les grandes décisions politiques.
La dernière preuve, certainement pas la dernière, est sa décision prise à Alger de constituer une commission mixte d’historiens et de leur ouvrir les archives (quinze ans avant la date légale) qui vont du début de la colonisation à la fin de la guerre d’Algérie. Qu’un député de la Nupes, qu’un agité du bocal comme François Ruffin ou le maire de Grenoble, jette ce pavé dans la mare du haut de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, cela se conçoit. On en a vu d’autres. Mais le président de la république ! Ne voit-il donc pas la boîte de Pandore qu’il ouvre ainsi ! Quel abominable désordre, quelles souffrances, il va réveiller inutilement. Et tout cela pour rien. Pour satisfaire une naïve croyance dans les bienfaits d’une exactitude, d’une vérité, impossible à cerner en matière d’histoire.
Pourtant Emmanuel Macron n’ignore pas qu’il n’est pas le premier chef d’État français à avoir dû affronter un passé douloureux dans un pays qui a accumulé les révolutions, les guerres civiles et toutes les atrocités qui les accompagnent. Ses prédécesseurs dont il aurait été sage qu’il s’inspirât ont compris que l’intelligence politique, qui n’a rien à voir avec l’intelligence historique, et qui est même son contraire, consistait à recouvrir les plaies et les crimes de notre passé du manteau de Noé.
Bonaparte qui a accédé au pouvoir après le plus violent séisme de notre histoire, ensanglanté de crimes, de massacres et même du génocide vendéen, s’est appliqué à en effacer toutes les séquelles, les blessures et les divisions. Et pour mener à bien cette œuvre, il a décidé de fermer les yeux sur les actes les plus atroces comme ceux de Fouché et de tant d’autres qu’il a blanchis, non pas par miséricorde, mais dans l’intérêt même de la France et des Français. Était-ce un comportement original ? Bien sûr que non. Il reprenait la noble et intelligente attitude d’Henri IV proclamant le pardon général et s’attachant à guérir les blessures des guerres de religion. Modèle de conduite auquel s’attachera dans de mêmes circonstances tragiques un De Gaulle à la Libération voulant à tout prix faire oublier ce temps où les Français ne s’aimaient pas.
Les horreurs qui ont accompagné ce que l’on appelle la guerre d’Algérie de 1945 à 1962 commises de part et d’autre dans une sorte de surenchère dans la haine et les crimes de sang, sont hélas comparables avec toutes les exactions inséparables des guerres civiles. Quel peut être l’intérêt pour la France et même pour l’Algérie de fouiller dans ces charniers pour en dégager quelle responsabilité, quel coupable, et pour quel bénéfice ?
Quel bénéfice en effet escompte Emmanuel Macron de cette attitude digne des évangélistes qui viennent battre leur coulpe en public et confesser leurs fautes au milieu des fidèles ? Car ces crimes de la France, certes ils ont existé (François Mauriac, Pierre-Henri Simon, nombre d’écrivains et d’intellectuels les ont révélés et condamnés.) Mais ce que la révélation brutale de ces exactions ne montrera pas, c’est cette clé de toute compréhension historique : le contexte. Cette lumière indispensable qui certes n’excuse pas mais aide à comprendre des comportements odieux qu’ils soient personnels ou collectifs. Sinon comment expliquer l’engrenage inexorable et infernal de la guerre d’Algérie à partir des massacres de Sétif en 1945 qui ont fait 102 morts parmi les Français d’Algérie et près d’une vingtaine de mille parmi les manifestants algériens mais ont été accompagnés de part et d’autre d’atrocités que chaque parti jugeait légitime? Mais ces crimes et ces tortures infligées par les Français les mettra-t-on en parallèle, voire en correspondance directe, avec la multitude des crimes perpétrés par le FLN tant envers des Français d’Algérie que dans des règlements de comptes fratricides ? Ainsi lorsque le FLN à Melouza, au sud de la Grande Kabylie a fait exécuter trois cents villageois soupçonnés d’appartenir au MNA. Que dire du massacre des harkis près d’une centaine de mille massacrés après d’abominables tortures en contravention avec les accords d’Évian ?
Aujourd’hui les Français désorientés, mal à l’aise dans une époque minée par le woke et le relativisme, où plus rien ne tient debout ni les valeurs de la famille ni les principes d’éducation, ni même la légitimité sexuelle, serait plus enclin au besoin de souffler et de trouver des raisons de se rassembler dans un idéal commun, que de se voir offrir les nouvelles raisons de division que leur propose Emmanuel Macron.
Les Français vont devoir être une nouvelle fois rendus coupables de crimes auxquels ils n’ont pas pris part. Car croit-on que ce sont des actes louables de générosité, comme celui du général François Meyer qui a sauvé trois cents harkis d’une mort certaine qui prévaudront ? Les horreurs et les crimes les viols, les mutilations, les corps émasculés, seront plus mis en relief que les bienfaits. Déjà on reproche à ces Français d’avoir été antisémites au moment de l’affaire Dreyfus, collabos en 1940, colonialistes sans états d’âme. On va maintenant remettre le nez dans des crimes que l’armée et la police françaises ont perpétrés en accord avec les responsables politiques. Ont-ils vraiment besoin de ça ?
Les enfants de notre communauté maghrébine évaluée à près de six millions qui ont si souvent du mal à s’intégrer dans une France dont on ne cesse de dénoncer le racisme, comment vont-ils réagir au récit de ces atrocités révélées sans l’apport d’un contexte impossible à fournir ? Quels formidables éléments de propagande on donne aux prédicateurs de l’islamisme !
Quant aux Algériens eux-mêmes, quels bienfaits retireront ils de ces crimes de l’Histoire dans la perspective d’une réconciliation avec la France ? Que leur rapporteront des révélations sur les atrocités françaises, eux qui trouveront parfaitement légitimes leurs propres crimes puisqu’il s’agissait de lutter pour leur indépendance face à l’ennemi colonisateur et prédateur ?
Devant cette aporie qui défie toute logique faut-il faire intervenir la psychanalyse pour éclairer ce penchant du président Macron à faire confesser ce qui peut nuire à l’image de la France ? Qu’il soit épris de clarté et de vérité pour lui-même, grand bien lui fasse. Mais quel besoin a-t-il d’entraîner les Français dans le psychodrame d’une illusoire vérité historique ? D’une superfétatoire transparence ? Voilà qui est problématique. Non que tout mensonge soit nécessaire en histoire comme l’affirmait Napoléon : « l’histoire est un mensonge qu’on ne conteste plus »; du moins celui-ci comme chef d’État, comme homme d’action, s’est attaché à en dégager les vertus positives qui renforçaient la cohésion française. Cela apparaît simplement comme du bon sens. Quelle idée saugrenue en effet au moment où les Français voient leur pouvoir d’achat réduit à quia, qu’ils sont face à mille problèmes à affronter dans une société qui se délite, de leur infliger, à eux qui n’ont rien demandé, de supporter en prime la révélation de toutes les horreurs d’un passé qui ne serviront qu’à les rendre plus tristes et plus malheureux. Quelle ambition morbide de notre président de vouloir faire visiter aux Français le musée des horreurs de l’histoire ! ■