Ouverture des archives sur la guerre d’AlgérieC’est un tournant dans la délicate question des disparus de la guerre d’Algérie. En ouvrant au public par arrêté du 9 avril 2020 des dossiers auparavant classés secret-défense, le gouvernement a rendu accessibles à tous les fonds d’archives sur les disparitions survenues pendant la guerre d’Algérie. L’historien Jean-Jacques JORDI a, ainsi, pu constituer un dossier édifiant sur les disparitions d’Européens, civils et militaires.
Après les accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie, de nombreuses disparitions suspectes d’Européens ont lieu dans le pays. Cette étude démontre que le gouvernement français était au courant des exactions perpétrées contre ses ressortissants en Algérie sans intervenir autrement que par de vaines protestations.
Jean-Jacques Jordi, docteur en histoire est spécialiste des migrations en Méditerranée occidentale aux 19e et 20e siècles et spécialiste de l’histoire de la colonisation. Il est actuellement directeur territorial-administrateur des Musées pour la ville de Marseille.
Publié par Dreuz Info le 12 septembre 2021
C’est un tournant dans la délicate question des disparus de la guerre d’Algérie. En ouvrant au public par arrêté du 9 avril 2020 des dossiers auparavant classés secret-défense, le gouvernement a rendu accessibles à tous les fonds d’archives sur les disparitions survenues pendant la guerre d’Algérie. L’historien Jean-Jacques JORDI a, ainsi, pu constituer un dossier édifiant sur les disparitions d’Européens, civils et militaires.
Après les accords d’Evian et l’indépendance de l’Algérie, de nombreuses disparitions suspectes d’Européens ont lieu dans le pays. Cette étude démontre que le gouvernement français était au courant des exactions perpétrées contre ses ressortissants en Algérie sans intervenir autrement que par de vaines protestations.
Jean-Jacques Jordi, docteur en histoire est spécialiste des migrations en Méditerranée occidentale aux 19e et 20e siècles et spécialiste de l’histoire de la colonisation. Il est actuellement directeur territorial-administrateur des Musées pour la ville de Marseille.
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Durant quatre ans, Jean-Jacques Jordi a pu « fouiller » les archives secrètes de la guerre d’Algérie.
Les résultats de son enquête sont stupéfiants. Extraits.
TORTURE : le FLN AussiLa torture n’est plus une » spécialité » de l’armée française: elle a été largement utilisée pur le FLN et l’ALN. c’est ce qui ressort de » la quasi totalité des archives consultées » par l’auteur. Parmi d’autres, le général Gravil, chef du 2e bureau, évoque les » cas tragiques de ces ressortissants impunément torturés, assassinés, contre tous les termes, tant sur le fond que sur la forme, des accords d ‘Evian » Un rapport relate le calvaire de Roland Planté, garde champêtre à El Rahel (département d’Oran) : » le 20 juillet 1962, à 6 heures du matin, quatre hommes du FLN se présentent à son domicile, le ligotent et le jettent dans une voiture. Il est emmené au douar Amadoueh, ou il reste une journée entière, un sac sur la tête et les mains ligotés par du fil de fer. [Le lendemain], il est cravaché par la population musulmane qui l’amène dans une autre mechta à quelques centaines de mètres ou il est alors plus violemment frappé. [Le surlendemain], il est frappé sans discontinuer par deux hommes et deux femmes dont une le brule avec une cigarette. Il s’évanouit. » Libéré le 27 juillet dans un état » hagard » et » sérieusement ébranlé sur le plan de l’équilibre nerveux « , le médecin militaire qui l’examine constate de » nombreux traumatismes sur son corps (tronc, bras et tête) avec fractures multiples des cotes, du sternum… «
» Le 8 septembre, rapporte un autre document, une dizaine d’Européens étaient libérés. [. . .] Toutes ces personnes ont été torturées, soit par électricité, soit par noyade, soit par introduction de corps étrangers dans l’anus. » La découverte de dizaines de charniers confirme ces pratiques. L’un d’eux contient les corps de neuf Français qu' » il ne fut plus possible de reconnaitre tant les personnes étaient affreusement mutilées « . Parmi ces cadavres, » 2 ont été tués a l’arme blanche, les autres par balles et portent des traces de coups dus a un acharnement sur leur corps » constate le médecin colonel. Un rapport évoque aussi des » cadavres ensevelis par la population après avoir été déchiquetés. Le 9 mars 1962, a Eckmühl, » 16 personnes dont 5 femmes périssent carbonisées dans un garage ou elles s’étaient réfugiées et qui est incendié par un commando FLN « .
Ces tortures, que Jordi qualifie de » systématiques « , vont durer longtemps après l’indépendance.Le 30 janvier 1963, le consul général d’Alger attire encore l’attention du ministre algérien des Affaires étrangères, Mohamed Khemisti, sur l’existence de » locaux de torture dans une villa située chemin Laperlier à El Biar ainsi qu’au cinquième étage de la préfecture d’Alger » d’ou un Français, M. Bordier, s’est » suicidé eu se jetant par la fenêtre, pour échapper à sou supplice « .
Plusieurs documents vont jusqu’à relater le cas de personnes enlevées pour » donner leur sang » jusqu’à la mort.Un rapport parle de la découverte des corps de » 40 Européens séquestrés, jouant le rôle de donneurs de sang pour les combattants FLN « . Le 21 avril 1962, des gendarmes d’Oran en patrouille découvrent » quatre Européens entièrement dévêtus, la peau collée aux os et complètement vidés de leur sang. Ces personnes n’ont pas été égorgées, mais vidées de leur sang de manière chirurgicale « . Cette collecte de sang se déroule parfois avec la complicité de » médecins français acquis à l’indépendance. Aucun ne sera inquiété après leur retour en France. «
Travaux forcés et camps a l’étranger
Des centaines de Français détenus ont été envoyés dans des » camps de travail » du FLN. Ils sont souvent » inscrits sous des noms d’emprunt » afin de » déjouer les démarches faites par les commissions de contrôle et par la Croix-Rouge « . Un rapport militaire chiffre à 200 le nombre de prisonniers » occupés à des travaux pénibles dans un camp au sud de Cherchell « . Le fils et la belle fille de Maurice Penniello, prisonniers dans le camp de Tendara, » sont employés à la construction d’un hôpital pour les blessés du FLN « . Avant l’indépendance, plusieurs » camps de détention » étaient installés au Maroc et Tunisie, avec la complicité des deux Etats. » Certaines des personnes enlevées sont prisonnières [. . .] dans les camps de l’ALN au Maroc et en Tunisie « , écrit Christian Fouchet, le haut commissaire de la République française.
Les bordels du FLN
De nombreux document évoquent des » viols d’Européennes « , notamment après le » cessez-le-feu « .A partir du 19 mars, sont cités des » dépôts de plainte quotidiens sur tout le territoire de l’Algérie et plus précisément dans les villes « . Les violeurs sont le plus souvent laissés en liberté : » au soir du 13 septembre 1962, dans Alger centre, trois Européennes sont violées, portent plainte, désignent leurs violeurs qui ne sont pos inquiétés « , expose un rapport.
Le 8 novembre 1962, Amar Oucheur, accuse de Viol et de tentative d’assassinat sur une Française à la fin octobre, est » remis en liberté sans suivi judiciaire « . Concernant le sort des femmes enlevées, nombre d’entre elles sont « livrées à la prostitution » ou » réduites en esclavage dans le Sud « .
Preuve de l’importance de ce phénomène : en janvier 1963, le ministre algérien de l’intérieur ordonne le recensement des Françaises » placées » dans les bordels militaires de campagne (BMC) algériens !
Dans un courrier classé » secret « , le colonel de Reals, attaché militaire auprès de l’ambassade de France, demande des informations à un officier d’état-major :
» D’après des renseignements récents [13 septembre], mademoiselle Claude Perez, institutrice ai Inkermann, enlevée le 23 avril 1962 par le FLN [. . .] est en ce moment dans un » centre de repos » du FLN situé au bord de la mer près de Ténès. Elle est détenue là avec deux autres captives enlevées a Dilian et à Orléansville. » L’auteur cite aussi le cas de » Mme Valadier enlevée à Alger le 14juin 1962 par le FLN et retenue dans une maison close de la basse casbah. » Parvenue à s’enfuir et à rentrer en France, elle sera hospitalisée en neurologie à Nîmes en 1963. Son témoignage, cité à l’époque par plusieurs associations de rapatriés, ne sera jamais reconnu par la France. Il était pourtant vrai !
Avec la caution du pouvoir algérienMilitaires, policiers et proches du pouvoir FLN sont directement impliqués dans nombre d’exactions. Le 12 juillet 1962, la gendarmerie d’Harrach rédige une note indiquant clairement que des » interrogatoires au moyen de la torture sont menés par le lieutenant Saïd, qui appartient à la » Commission mixte « , créée dans le cadre des accords d’Evian pour » gérer » la transition !
Le 22 janvier 1963, le général de Brebisson avertit l’ambassadeur de France en Algérie de » brutalités exercées contre les Français arrêtés par la police algérienne « . Il joint a sa correspondance plusieurs dizaines de témoignages. En vain. Selon les documents, « aucune des plaintes déposées après juillet 1962 par des Européens à l’encontre de musulmans pour des occupations d’appartements, vols, pillages, viols, enlèvements et meurtres n’ont eu de suivi, quand bien même les auteurs de ces crimes étaient identifiés « . C’est notamment le cas de » deux tortionnaires identifiés d’un certain Giuseppe Vaiasicca soumis a l’électricité le 19 septembre 1962 » ; deux inspecteurs de la sécurité algérienne faisant office de gardes du corps d’Ahmed ben Bella, nouveau président du gouvernement algérien !
Rendu a ses bourreaux
Le 11 mai à Belcourt, des Européens sont témoins d’un enlèvement, raconte une note. Aussitôt, le sous-officier se présente à l’officier responsable du secteur pour demander son intervention. Il obtient pour toute réponse : » On en a fini avec le FLN Nous Luttons maintenant contre l’OAS. Oubliez donc ce que vous venez d’apprendre et de voir. » Histoire édifiante révélée par une autre archive : en 1962, figure parmi les libérés d’un camp de détention un certain Christian Bayonnas, mécanicien auto, que les autorités françaises connaissent bien. Apres avoir été » torturé a l’électricité et battu « , il était en effet parvenu à s’enfuir et a se » refugier dans le cantonnement des gendarmes mobiles « , ou il pensait être en sécurité. Mais les inspecteurs algériens le récupèrent sans que les gendarmes s’y opposent ! Ramené a la villa Leperlier, il sera a nouveau battu pendant plusieurs heures.
Barbouzes et Mission C.
Enlèvements de masseLe premier document retrouvé concernant les » enlèvements » perpétrés par le FLN date du 15 décembre 1957. Intitulée » Note au sujet des personnes enlevées par les rebelles algériens « , elle émane de l’état-major mixte et est remise » de la main à la main « , est-il précisé, au colonel Magnv. Le but recherche par les ravisseurs y est ainsi résumé : « affermir par la terreur l’emprise du FLN « .
« L’enlèvement de civils devait devenir une volonté de pression sur les familles touchées par le drame, ajoute Jordi. Quand bien même les personnes avaient été tuées, il fallait faire en sorte qu’on ne puisse les retrouver. » La plupart des personnes enlevées seront néanmoins découvertes assassinées. Hommes, femmes et enfants sont concernés, ainsi des » jeunes Jean-Paul Morio (15 ans), Jean Almeras (14 ans) et Gilbert Bousquet (15 ans), enlevés alors qu’ils faisaient du vélo » et dont » les cadavres seront retrouvés quelques jours plus tard dans un puits « .
Les autorités françaises fermeront souvent les yeux sur ces enlèvements. Le 13 mai 1962 à Alger, » 5 fidaynes [sic !] armés s’emparent de l’employé du cinéma le Rex qui se débat « . Une patrouille des forces de l’ordre intervient : l’employé est relâché, » mais les cinq musulmans ont pu repartir sans ennuis » ! Quant à l’employé du Rex, il sera enlevé le lendemain dans les mêmes conditions. Au même moment, « à la hauteur du Monoprix de Belcourt, Félix Croce est enlevé par un groupe de musulmans sous les yeux d’une patrouille militaire des forces de l’ordre. Des civils européens, témoins de l’enlèvement, prennent à partie la patrouille en raison de son attitude passive. Le chef de patrouille répond alors « qu’en exécution des instructions reçues, il lui était impossible de s’opposer à de tels faits » « . Félix Croce sera au nombre des cinq Européens fusillés par le FLN le lendemain rue Albert-de-Mun.
Des dizaines de documents en témoignent : les autorités françaises savent avec précision où se trouvent les principaux lieux de séquestration, mais n’interviennent presque jamais : « Nous sommes impuissants, nous n’y pouvons rien, nous avons reçu l’ordre de les laisser faire « , regrette un militaire dans une note.La vague d’enlèvements – plusieurs dizaines de milliers au total – atteint son point culminant après le « cessez-le-feu » et l’indépendance ; » en deux mois et demi, du 19 mars à la fin mai 1962, écrit Jordi, il y a eu plus d’enlevés et de disparus qu’entre novembre 1954 et le 18 mars 1962. » A partir d’avril, « les enlèvements d’Européens par le FLN sont quasi systématiques « , ajoute un rapport. Extraits d’une directive interne du FLN saisie par le renseignement militaire : » désormais, les enlèvements ne seront plus effectués sur des individus mais sur des familles entières « . Il reste aujourd’hui près de 4 OOO disparus dont les corps n’ont jamais été retrouvés.