Bonjour
Oui, beau témoignage...
Le lieutenant Péguy, comme des milliers d'officiers, de sous-officiers et de soldat français, a été victime de la doctrine de "l'offensive à outrance", qui résultait de la terrible régression de la pensée militaire française, survenue à la fin du 19e siècle. On avait oublié Napoléon, et les grands stratèges qui l'avait précédé, pour ne retenir qu'une fraction de leur pensée et de leur action.
Résultat : désarmement et abandon progressif de la remarquable ligne de fortification réalisée par le général Séré de Rivières, prônés par le capitaine Gilbert, et abandon de l'artillerie lourde, pour porter l'effort sur le remarquable canon de 75, certes très efficace contre des troupes non abritées, mais sans effets sur la fortification de campagne, à cause du faible poids de son projectile et de sa trajectoire tendue.
La doctrine de l'offensive à outrance, professée entre-autres par le colonel Grandmaison, et reprise dans les manuels d'instruction, avec l'aval des généraux Joffre et Foch, préconisait l'attaque à la baïonnette comme solution à toute les situations. Morceaux choisis d'une conférence du dit colonel Grandmaison, en 1911:
- la meilleure sûreté est dans une attaque à fond; l'énergie de l'exécution rachète toutes les faiblesses et répare toutes les erreurs
- ce sont souvent les plus fous de ces gestes qui sont les meilleurs à la guerre; la difficulté est de les faire avec conviction
- nous ne reculerions même pas devant ce principe dont la forme seule est paradoxale: devant l'offensive, l'imprudence est la meilleure des sûretés
- notre conclusion sera qu'il faut se préparer à l'offensive, et y préparer les autres, en cultivant avec passion, avec exagération, et jusque dans les détails infimes de l'instruction, tout ce qui porte, si peu que ce soit, la marque de l'esprit offensif.
Allons jusqu'à l'excès, et ce ne sera peut-être pas assez. Résultat, cet extrait du règlement de service en campagne du 2 décembre 1913:
- pour les exécutants, toutes les attaques sont poussées à fond, avec la ferme résolution d'aborder l'ennemi pour le détruire. Il n'y a plus qu'une seule manière d'attaquer, c'est celle-là.
Ou celui-ci, tiré du règlement de manœuvre de l'infanterie, de 1914:
-l'attaque implique de la part de tous les combattants la volonté de mettre l'ennemi hors de combat, en l'abordant corps à corps à la baïonnette. Marcher sans tirer le plus longtemps possible, progresser ensuite par la combinaison du mouvement et du feu, jusqu'à distance d'assaut. Donner l'assaut à la baïonnette, et poursuivre le vaincu, tels sont les actes successifs d'une attaque d'infanterie.
Le lieutenant Péguy et ses camarades ont respecté la consigne. Mais les rédacteurs n'avaient apparemment pas tenu compte des ravages exercés par les mitrailleuses sur une troupe à découvert, de surcroit vêtue de pantalons rouges.
Même si certains auteurs, de mauvaise fois, ont prétendus que ces manuels, datés de 1913 ou 14, n'ont pas eu le temps d'influencer les actions des combattants, les élucubrations de Grandmaison et de Gilbert leur étaient bien antérieures.
Plus de 200 000 tués, disparus ou prisonniers, pour le mois d'août 1918. Pour la seule journée du 22, entre 25 000 et 27 000 tués. Voilà le résultat de "l'offensive à outrance", engagée à la frontière par l'Armée française, dans le premier mois de la Première Guerre mondiale. Elle sera suivie par la ruée allemande, arrêtée sur la Marne, puis par près de quatre années de guerre de tranchées, l'armée française n'ayant pas la possibilité de mener une offensive décisive, en l'absence d'une artillerie lourde mobile, capable d'accompagner l'infanterie dans sa progression.
Cette lacune sera comblée en 1917-18, avec la mise en service de remarquables canons de 105 et de 155, ainsi que par l'apparition des chars FT et de l'aviation d'assaut.
JJ
La "grande tombe" de Villeroy, où repose Charles Péguy et ses camarades, à proximité de l'endroit
où ils sont tombés. Dans les années 1970, à l'issue d'une remarquable manœuvre de nuit de mon
unité de réserve, le colonel responsable de l'exercice nous avait fait, à cet endroit, un exposé
remarquable sur la geste de Charles Péguy. Souvenir...
A quelques centaines de mètres de là, le monument à Charles Péguy
Cette région, où s'est déroulée la bataille de la Marne, est superbe.
Le canal de l'Ourcq, à Crouy sur Ourcq.