Fort de leur expérience après les raids sur Gibraltar, la place-forte de la Royal Navy en Méditerranée, le capitaine de frégate Ernesto Forza, commandant la Decima Mas et le capitaine de frégate JunioValerio Borghese (responsable des activités sous-marines) étudient un plan d’attaque du port d’Alexandrie, les moindres détails examinés. Les opérateurs subissent un entraînement poussé sur de longues distances, de jour comme de nuit sur des SLC (Siluro a lenta corse appelé communément maiale, cochon) qui sont au point désormais. Le sous-marin utilisé est le Scirè (classe 600, série Adua), vétéran des incursions sur le Rocher, avec ses trois conteneurs cylindriques pressurisés destinés au transport des SLC.
Le sous-marin Zaffiro (classe Sirena) se chargera de récupérer les opérateurs entre le 24 et 26 décembre, au large de Rosette .
Les opérateurs sont sous les ordres du lieutenant de vaisseau Luigi Durand de la Penne :
Ils forment les équipes suivantes :
SLC 221 : Luigi Durand de la Penne / Emilio Bianchi;
SLC 222 : Vincenzo Martellotta / Mario Marino ;
SLC 223 :Antonio Marceglia / Spartaco Schergat.
LE SCIRE SANS SES CONTENEURS CYLINDRIQUES ETANCHES POUR LE TRANSPORT DES SLC
Le Scirè appareille de la Spezia le 3 décembre 1941. Au large de la Spezia, un navire se met à couple avec le sous-marin afin de transborder les trois SLC sont transbordés en pleine mer et placés dans les caissons ainsi que les combinaisons et les appareils respiratoires. Quant aux opérateurs, ils s’envolent de Rome le 12 décembre pour rejoindre Leros. Outre les six opérateurs désignés pour la mission, il y a l’équipe de réserve, le lieutenant Luigi Feltrinelli, les sous-officiers Armando Memoli, Luciano Favale et le sous-lieutenant médecin Giorgio Spaccarelli.
Le 12 décembre, le Scirè accoste à Portolago,le port militaire de Leros. Les opérateurs arrivent par avion de Rome. Après une dernière révision des SLC par une équipe de techniciens venus spécialement de la Spezia, le tout dans un secret absolu, le Scirè reprend lamer avec les opérateurs à son bord.
Après seize heures de navigation en immersion bathymétrique, le 18 décembre à 18h40, en vue d’Alexandrie, le sous-marin se pose sur un fond de -14 m à 1,3 milles du phare de Ras-el-Tin . Borghese s’est approché le plus possible afin d’éviter un long parcours aux SLC.
LE SCIRE AVEC LES CYLINDRES
L’équipe de réserve composée du lieutenant Feltrinelli et du sous-lieutenant médecin Spaccarelli sort en premier du sous-marin pour ouvrir les caissons et sortir les SLC de leur compartiment; épargnant aux opérateur un effort supplémentaire.
Les trois SLC, une fois sortis de leur cylindre, se mettent en formation à 20h 45, de la Penne en tête, naviguant en surface en route vers leur objectif, la rade d’Alexandrie.
Arrivés devant le barrage constitué de mailles d’acier protégeant l’accès au port peu après minuit, ils profitent de l’entrée d’une formation de trois contre-torpilleurs. les SLC plongent en immersion et s’engouffrent dans leur sillage;
Le binôme Marceglia / Schergat (SLC 223) entre dans le port, longe le Lorraine un des navires français de la force X internée à Alexandrie et s’approche du cuirassé HMS Queen Elizabeth. A trente mètres du navire, à tribord, le SLC 223 plonge et se pose à treize mètres de profondeur. Les deux opérateurs commencent leur tâche si souvent longuement répétée. Comme à l'entraînement, un serre-joint est fixé sur chaque quille antiroulis , une amarre est tendue entre les deux serre-joints, la tête de service est détachée de la torpille et fixée sur l’amarre à 1,5 m de la coque du navire. La minuterie est enclenchée par Marceglia à 3 h 25. Après avoir sabordé leur SLC, les deux hommes se dirigent à la nage vers la plage qu’ils atteignent à 4 H 30. Ayant ôté leur combinaison étanche qu’ils camouflent sous une barque, ils se font passer pour des marins français de la force H. Munis de livres sterling qui n'ont plus court, ils se font repérer par la police. Marceglia et Schergat parviennent finalement à se rendre à Rosette en train. Vraisemblablement dénoncés, ils sont arrêtés.
Quant à de la Penne et Bianchi, ils traversent le port, navigant dans une eau salie par le mazout des navires. Après avoir dépassé le Lorraine, les deux opérateurs arrivent à proximité du cuirassé Valiant, navire-amiral de la Mediterranean Fleet. Le SLC se pose sur le fond boueux, moteur électrique en panne. Il ne veut pas redémarrer. De la Penne monte à la surface à l’aide de “l’ascenseur”, un câble le reliant à l’appareil afin de le retrouver plus facilement. Il constate qu’il se trouve à 15 mètres des tourelles de proue. Il redescend à l’aide de “l’ascenseur” et s'aperçoit que Bianchi a disparu. Probablement, il n’a plus d’oxygène. Assis en poupe du SLC, il a navigué en immersion en raison de l’inclinaison de l'appareil et ne dispose plus de suffisamment d’air. De la Penne remonte en surface à la recherche de son équipier et ne le trouve pas. A bout de force, transis de froid, guidé par le bruit des pompes, il parvient à tirer le SLC au bout de quarante minutes d'intenses efforts sous la carène du Valiant au niveau de la sainte-barbe. Après avoir déclenché la minuterie de la mise à feu, il remonte à la surface, se débarrasse de son respirateur et s’éloigne à la nage. Une rafale de fusil-mitrailleur provenant du navire retentit, un projecteur l’illumine. Il retrouve Bianchi à la tonne d’amarrage. Des voix en anglais injurient les deux hommes, une vedette vient à la rencontre des deux Italiens. De la Penne regarde sa montre, il est 3 h. Ils sont amenés à bord du Valiant pour être interrogés. On leur confisque leur montre. Ils se limitent à indiquer leur nom et grade. Ils sont emmenés à terre pour un nouvel interrogatoire . Ils retournent à bord du Valiant à quatre heures et enfermés en cale, sous la ligne de flottaison. Les marins anglais sont nerveux, depuis l’opération sur Gibraltar, ils savent que les opérateurs de la Decima Mas sont capables de couler un navire comme le Valiant. De la Penne demande à voir le commandant du cuirassé, le capitaine Charles Morgan, il est six heures moins le quart. Il l’informe que dans peu de temps, son bâtiment va couler. Morgan veut connaître la position de la charge. De la Penne s’obstine dans son mutisme. Il est renvoyé manu militari à fond de cale.
A 5 h 47 la charge fixée sous le navire-citerne Sagona saute.
Puis à 6 h 4, 'est au tour du Valiant. Le navire commence à chavirer à bâbord.
À 6 h 16 une nouvelle explosion retentit. Elle provient du Queen Elizabeth. La charge a provoqué une déchirure de 57 mètres de long sur 18 mètres de large, inondant les chaufferies. Le navire penche à tribord sur 5°.
Depuis le début de la guerre en Méditerranée, la Regia Marina est en position de force, la Royal Navy a perdu en quelques mois le Barham torpillé par par l’U-331 et l'Ark Royal par l'U-81. Supermarina, le haut commandement de la Regia Marina ne mettra pas à profit cet avantage.
Les six opérateurs recevront la MOVM, médaille d'or de la Valeur Militaire, la plus haute distinction militaire italienne. Durand de la Penne à son retour du camp de POW se verra remettre personnellement la décoration par Charles Morgan, le commandant du Valiant.
BibliographieBERRAFATO Enzo et Laurent, La Decima Mas, les nageurs de combat italiens de la grande guerre à Mussolini. Histoire & Collections. Paris. 2001GARIBALDI Luciano, DI SCLAFANI Gaspare, Così affondammo la Valiant. La più grande impresa navale italiana della seconda guerra mondiale. Lindau. Turin. 2010NESI Sergio, Scirè, storia di un sommergibile e degli uomini che lo resero famoso. Lo Scarabeo. Milan. 2010O’HARA Vincent P., CERNUSCHI Enrico, Frogmen against a Fleet: The Italian Attack on Alexandria 18/19 December 1941. Naval War College Review: Vol. 68 : No. 3 , Article 8. 2015RUBERTI Fabio, Lo Scirè, vittima eccellente di Ultra Secret. Bolletino d’archivio della Marina Militare. Anno XXIV. Mars-juin 2010RUBERTI Fabio, L’epopea dello Scirè. La Nostra Storia.Internethttps://www.difesaonline.it/evidenza/approfondimenti/gli-uomini-di-comsubin-raccontano-il-sommergibile-scir%C3%A8-quando-il-coraggio