«La Défense n’a pas vocation à s’occuper de l’aménagement du territoire», ne cessait de répéter le président de la République. Mais quand l’heure fut venue d’annoncer, hier, les fermetures de garnisons, François Fillon avait convoqué autour de lui Hervé Morin, ministre de la Défense, et Hubert Falco, secrétaire d’Etat à… l’Aménagement du territoire. On ne ferme quand même pas 82 unités militaires, tout en en déménageant 33 autres (1), sans ménager un peu les élus locaux.
Activisme d’élus. Ces égards ont un coût : 320 millions d’euros,comme l’avait promis le Premier ministre dès le mois de juin. A Provins(Seine-et-Marne), qui perd le 2
e Hussards, il s’agira de financer un carrefour sur le RN 4. A Dieuze (Moselle), que va quitter le 13
e Dragons parachutistes, ces crédits serviront à relancer un
«pôle d’excellence rurale sur la valorisation des bio-ressources».
A Givet (Ardennes), qui voit disparaître son centre d’entraînement commando, l’Etat financera l’autoroute A 34. La mobilisation des élus a payé.
«Depuis le mois de mars, nous en avons reçu 250», confie-t-on dans l’entourage d’Hervé Morin. Certains, comme le maire (UMP) de Mourmelon (Marne) Fabrice Loncol, faisait encore le siège de l’hôtel de Brienne mardi soir. Il a fini par obtenir in extremis un arbitrage favorable au maintien du 501/503
e régiment de chars de combat dans sa commune. En obligeant, du même coup, l’armée de terre à revoir complètement l’organisation de son parc de chars Leclerc. D’autres avaient remporté la partie depuis longtemps.
L’activisme des élus de la Haute-Saône, notamment d’Alain Joyandet, secrétaire d’Etat à la Coopération, a permis de sauver la base aérienne de Luxeuil.
Pour certains, toutefois, c’est la soupe à la grimace.
Certaines villes sont entièrement démilitarisées, comme Caen, Limoges, Montpellier ou Metz, dont le maire (PS) Dominique Gros dénonce
«une saignée comparable à la fermeture de la sidérurgie».
Le patron des députés socialistes, Jean-Marc Ayrault - dont la ville de Nantes perd plusieurs petites unités - s’en prend à la
«brutalité de la méthode» et les
«arrangements entre amis».Ces arrangements ont pris du temps et l’accouchement de la réforme a été difficile. «Nous étions prêts en juin», assure-t-on au ministère de la Défense. Promises aux militaires pour le 19 juin, les annonces ont été repoussées une première fois par l’Elysée de manière assez cavalière, la Défense l’apprenant par la presse. Il s’agissait alors, pour la présidence, «d’approfondir la concertation avec les élus» et de ne pas mélanger le discours du chef de l’Etat à l’occasion de la présentation du livre blanc sur la défense, le 17 juin, avec des annonces plus triviales et douloureuses. Nicolas Sarkozy parle ensuite de «début juillet», quand survient la crise entre le chef de l’Etat et les militaires, au lendemain du drame de Carcassonne. Nouveau report, avec cette fois-ci, à l’horizon, le vote de la réforme constitutionnelle. Au sommet de l’Etat, personne ne veut prendre le risque de courroucer un parlementaire, alors que chaque voix compte. La révision étant approuvée lundi, les annonces pouvaient avoir lieu jeudi. «Il fallait le faire, nous ne tremblerons pas», a martelé hier Nicolas Sarkozy.
Ce que le ministre de la Défense n’avait pas prévu - ou pas voulu comprendre - c’est que le Premier ministre allait s’inviter dans la partie. Hier matin, François Fillon - bon connaisseur des affaires militaires - est venu parler aux officiers réunis à l’Ecole militaire puis est allé présenter à la presse le
«nouveau dispositif territorial» et les mesures d’accompagnement sociales et locales. Dans l’entourage d’Hervé Morin, on fait grise mine, voyant presque dans l’impromptu de François Fillon un
«hold-up» sur un dossier qui a été monté par la Défense.
Moral «moyen». Les militaires, eux, découvrent la liste des fermetures avec philosophie. Ce n’est jamais que le troisième grand plan de restructuration en deux décennies. Vingt ans au cours desquels l’armée de terre a perdu la moitié de ses effectifs et autant de casernes. Le moral des troupes est
«moyen», reconnaît son nouveau chef, le général Irastorza. Une vingtaine de régiments des forces terrestres vont disparaître et la liste annoncée hier correspond à celle que l’état-major avait proposée,
«à de rares exceptions près». Les moyens restant suffiront-ils pour remplir les missions définies par le nouveau livre blanc ?
«On nous demande de faire moins avec moins. On devrait y arriver», assure, avec bon sens, le général Irastorza.
(1) La liste intégrale est sur le blog Secret défense de liberation.fr
Source : secret défense