Commandoair40 Admin
Nombre de messages : 29167 Age : 78 Emploi : Français Radicalisé . Date d'inscription : 07/11/2014
| Sujet: Pierre Lellouche: «La pandémie accélérera la montée en puissance de la Chine» Mer Avr 15 2020, 23:38 | |
| "Pierre Lellouche"
«La pandémie accélérera la montée en puissance de la Chine»
GRAND ENTRETIEN - Pierre Lellouche a notamment été secrétaire d’État aux Affaires Européennes, au Commerce extérieur, et président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan.
LE FIGARO.- La France, dites-vous, a beaucoup moins bien géré la crise que d’autres pays…
Pierre LELLOUCHE.- Hélas oui.
Pour avoir travaillé depuis de longues années sur les questions de prolifération nucléaire, chimique et bactériologique, j’ai été convaincu, dès le mois de janvier, qu’on avait affaire à quelque chose de très proche de la grippe espagnole de 1918, qui avait tué au moins 50 millions de personnes.
Le 7 février je suis allé voir Nicolas Sarkozy pour lui demander de prévenir Emmanuel Macron.
Sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, la France avait constitué des stocks stratégiques en prévision d’une éventuelle pandémie.
Ils ont été ensuite dilapidés sous François Hollande.
L’actuel gouvernement n’a pas mis à profit les deux mois de répit qui ont séparé l’apparition de l’épidémie en Chine et son arrivée en France fin février, notamment pour acheter des stocks de masques sur le marché.
Ensuite, le gouvernement s’est rendu coupable d’un mensonge d’État, affirmant, pour justifier son impréparation, que les masques ne servaient à rien.
Le 14 juillet 1914, à l’approche de la guerre et inquiet du manque de préparation de l’armée française, Clemenceau avait dit:
«Nous ne sommes ni défendus ni gouvernés.»
Eh bien, malheureusement, un siècle plus tard, cette phrase est toujours d’actualité.
Les Français payent le prix de cette incurie, alors que les pays asiatiques qui s’étaient préparés à la pandémie n’ont pas eu à bloquer leur économie.
Grâce aux masques et aux tests systématiques, ils ont pu efficacement séparer les malades des autres.
Nous avons été incapables de faire cela en France.
«Il y a dans ce pays un universel laisser-faire, un universel laisser-aller», disait encore Clemenceau, qui explique ce qui se passe aujourd’hui en Europe et en France.
Nous sommes gouvernés par des amateurs.
Et malheur au pays dont le prince est un enfant, disait l’Ecclésiaste.
– Diriez-vous, comme Jean-Yves Le Drian, que face au coronavirus, le monde est divisé entre ceux qui font cavalier seul et ceux qui privilégient le cadre multilatéral?
Non. La vraie division est entre les pays qui se sont préparés – Corée du Sud, Taïwan, Singapour, Hongkong -, les pays autoritaires comme la Chine qui règlent le problème par une militarisation de la société et ceux, en Occident, qui ne se sont pas préparés.
La Corée du Sud était encore il y a trente ans un pays sous-développé.
Aujourd’hui, elle a un système de santé extrêmement efficace, grâce auquel le pays peut continuer à tourner.
L’Occident, au contraire, est complètement dépassé par les événements, y compris les États-Unis.
Le Drian vante le multilatéralisme, qui selon lui va permettre de surmonter cette crise, mais la planète, en ce moment, me fait davantage penser au Radeau de la méduse de Géricault:
C’est le règne du chacun pour soi et du sauve-qui-peut.
Le Drian exalte aussi la solidarité au sein de l’Europe, mais les frontières sanitaires ont sauté comme hier les frontières migratoires.
Les Italiens ont été abandonnés à leur sort, chaque pays interdisant l’exportation de matériel de santé.
Jusqu’au gouvernement tchèque qui a volé des stocks de masques en provenance de Chine destinés à l’Italie.
Drôle de solidarité…
- L’Union européenne est-elle menacée de dislocation?
Oui. Un test majeur sera celui de la mutualisation éventuelle des dettes des États membres, qui seront immenses, pour sortir de la crise.
C’est la fameuse idée des coronabonds, obligations souscrites par l’Union européenne et non plus par les États individuellement.
Mais on a vu que, la semaine dernière, lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement, l’Allemagne, mais également l’Autriche, les Pays-Bas et la Finlande, ont rejeté cette idée, ce qui là encore est vécu comme une trahison par le sud de l’Europe, notamment l’Italie.
Si l’Europe rate cette marche, on pourra s’interroger sur le devenir de cette institution, car il n’en restera pas grand-chose.
Pourrait s’ouvrir alors, à l’issue de l’épidémie, une période de déconstruction, peut-être même brutale, de l’Union européenne.
Nous sommes à un moment clé.
- Quelles seront les conséquences géopolitiques de la crise?
Ce qui nous arrive n’est pas une crise, mais une catastrophe, c’est une véritable rupture historique.
Elle entraîne une redéfinition en profondeur des rapports de force entre les puissances.
Les États-Unis, qui depuis 1945 assumaient un rôle de leadership mondial, en soutien à une lecture libérale, libre-échangiste et «morale» des relations internationales, montrent une image d’eux-mêmes très éloignée de la générosité et de l’implication internationale qui avaient accompagné le plan Marshall.
Le monde et les Européens, en particulier, découvrent une Amérique égoïste, protectionniste, chaotique et sans vergogne sur le plan commercial.
Une Amérique qui ignore et ne songe plus à aider ses alliés dans la difficulté, comme l’Italie qui se tourne vers la Chine ou la Russie.
Quant à l’Europe, elle sortira aussi très affaiblie de la crise.
Les citoyens voudront récupérer des prérogatives nationales, notamment pour les frontières et le secteur de la santé.
On voit en France, en Italie et en Espagne, une très grande colère devant l’incurie des gouvernements.
Les peuples vont réclamer davantage d’efficacité et de compétence.
Ils vont mettre en cause, y compris pénalement, la responsabilité des politiques!
Les alliances traditionnelles comme l’Otan et l’UE vont être remises en question par le retour aux frontières nationales, qui sera naturellement exigé des gouvernements.
- Craignez-vous une montée des populismes?
Nous allons assister à l’émergence d’un nouveau monde, avec d’autres formes de démocratie, qui aspireront à redéfinir le capitalisme, à redonner un rôle central à l’État.
L’Occident ressortira exsangue de cette affaire.
La France aussi.
Nous entrerons dans une véritable phase de reconstruction, comme après 1945.
Le contrat social au sein de nos sociétés sera probablement remis en cause.
L’exemple du confinement à géométrie variable, le fait qu’il ne soit pas respecté dans les quartiers, va laisser des traces.
C’est peut-être la fin de la logorrhée du «vivre ensemble», qui nie les différences culturelles et ne veut pas regarder en face la haine que certains éprouvent contre notre pays et contre ses règles.
- L’Otan peut-elle disparaître?
Oui, l’Otan est déjà une coquille vide qui ne sert plus qu’à rassurer les Polonais et les Baltes.
Ce train-là a quitté la gare depuis longtemps.
Les États-Unis ne s’intéressent plus à l’Europe.
Leur grande bataille, au XXIesiècle, les opposera à la Chine.
Quant à l’Otan elle-même, ironiquement, sa survie dépendra en dernière analyse de l’intelligence tactique de Vladimir Poutine.
Moins il apparaîtra menaçant et moins l’Otan aura de chance de se perpétuer.
- La Chine sera-t-elle la grande gagnante?
C’est déjà le cas.
Après avoir répandu le virus dans le monde, elle a réussi ce tour de force à se présenter comme un modèle pour la planète.
Elle est déjà en position de force car elle aura les liquidités et la production industrielle nécessaires pour accélérer sa quête de domination du monde, avec en face d’elle des États-Unis et une Europe affaiblis et surendettés, à la merci à tout moment d’une énorme crise financière, qui succédera à l’arrêt de leurs économies.
Dans l’intervalle, la Chine va donc essayer d’acheter tout ce qui pourra être ramassé.
De même qu’en 1945, la Seconde Guerre mondiale avait installé les États-Unis au faîte de la puissance mondiale, cette pandémie planétaire va jouer le rôle d’accélérateur de la montée en puissance de la Chine tout en précipitant l’affaiblissement du compétiteur occidental.
Telles sont les tendances lourdes qui nous attendent.
À moins que l’Amérique et l’Europe décident de se réveiller et de faire à nouveau route ensemble. ___________________________________ ____________________________________Sicut-Aquila « Je ne suis pas abattu, je n'ai pas perdu courage. La vie est en nous et non dans ce qui nous entoure. Être un homme et le demeurer toujours, Quelles que soient les circonstances, Ne pas faiblir, ne pas tomber, Voilà le véritable sens de la vie ». | |
|
81/06 membre confirmé
Nombre de messages : 4697 Age : 62 Emploi : Mécano, retraité Date d'inscription : 09/06/2019
| Sujet: Re: Pierre Lellouche: «La pandémie accélérera la montée en puissance de la Chine» Jeu Avr 16 2020, 08:27 | |
| | |
|