Lors de sa visite au Centre national d’études spatiales [CNES] à Toulouse, la ministre des Armées, Florence Parly, a frappé fort au début de son discours en dénonçant les manoeuvres russes autour du satellite de télécommunications militaires franco-italien Athena-Fidus.
Mais plus largement, Mme Parly a insisté sur le fait que, désormais, l’espace est devenu un milieu où s’étalent des « menaces » et des « comportements pour le moins inamicaux voire hostiles d’un certain nombre de grandes puissances. » Or, l’espace est incontournable pour les opérations menées par les forces françaises.
« C’est depuis l’espace que nous observons nos ennemis, leurs déplacements, que nous dénichons leurs planques et que nous comprenons leurs modes d’action. C’est essentiel, parce que
c’est grâce à l’espace que nous préparons et planifions nos opérations, que nous combattons le terrorisme, que nous assurons la sécurité de nos forces déployées sur tous les théâtres », a ainsi rappelé la ministre.
Aussi, ces capacités spatiales au profit des opérations militaires françaises sont susceptibles d’être menacées. « Certains États ont les moyens, aujourd’hui, dans l’espace ou depuis la Terre, par des manœuvres voire par la force, d’empêcher l’accès à l’espace ou de dégrader les capacités spatiales de certains pays. Les satellites deviennent des proies, des cibles, alors même que les capacités antisatellites de certaines puissances se renforcent », a souligné Mme Parly.
« Les armes à effet dirigé se perfectionnent. Des lasers à haute énergie, Etats-Unis, Chine et Russie en possèdent déjà. Ils sont capables d’atteindre directement le miroir d’un satellite à des centaines de kilomètres. Des micro-ondes à forte puissance, des brouilleurs électromagnétiques, autant d’outils capables de dégrader les performances de moyens de surveillance, d’écoute ou
de communication situés dans l’espace. Les menaces cyber, également, peuvent toucher nos engins spatiaux ou leurs centres de contrôle et stations de réception au sol et en interrompre le service et les fonctionnalités. Ce pourrait même être le mode préférentiel de groupes malintentionnés, pas nécessairement étatiques », a ensuite énuméré la ministre.
Aussi, « nous n’en sommes plus aux balbutiements d’une confrontation » et « tout comme la terre, la mer, l’air et le cyberespace, l’espace exoastmosphérique est devenu le théâtre de rivalités des grandes puissances », a-t-elle continué, avant d’estimer qu’il est même « en train de devenir un champ d’opérations en tant que tel. »
Mais les armes anti-satellites ne constituent pas la seule menace. L’inflation de débris spatiaux et d’engins mis en orbite est aussi à prendre en considération.
« Au total, on estime que ce sont 7.000 satellites supplémentaires qui graviteront d’ici 10 ans autour de la planète. Des accidents pourront avoir lieu, des trajectoires se croiser, des objets se gêner : il faut nous attacher à réguler le trafic, contrôler les objets lancés, et nous devrons revoir la responsabilité des uns et des autres en cas de dommage », a expliqué Mme Parly.
Idem pour les débris. Il y aurait entre 500.000 et 750.000 objets de plus d’un centimètre gravitant à des orbites basses et à des vitesses élevées. Et ce sont autant de risques de collision, avec des dommages irréversibles à la clé, pour les satellites. « De quoi aurons-nous l’air quand, par notre négligence, un débris d’un centimètre à peine, issu d’un vieux satellite, mettra hors-service un de nos satellites alors même qu’il donnait une cartographie précise des caches de groupes terroristes? », a alors demandé la ministre.
Dans ces conditions, pour que les armées puisse conserver leur liberté d’appréciation, d’accès et d’action dans l’espace, il faut « envisager de nouveaux modes d’action », a estimé Mme Parly.
« Il s’agira non seulement d’opérer grâce à l’espace mais également dans l’espace. Nous devrons donc continuer à agir en soutien des opérations interarmées, mais également à conduire de véritables opérations spatiales pour protéger nos moyens et décourager toute agression. Dès demain, il nous faut réagir. Il faut réagir face à des menaces, portées par quelques grandes puissances, et qui nous touchent directement », a annoncé la ministre.
Ces aspects feront l’objet d’une « stratégie spatiale » que Mme Parly remettra prochainement au président Macron. Cependant, elle en a donné quelques éléments lors de son intervention devant le CNES, avant d’affirmer qu’elle n’hésiterait pas à « proposer des décisions fortes », à l’image de celle qu’elle avait prise au sujet de l’armement des drones.
« La France est et sera une puissance spatiale. Cela signifie que nous allons garder notre liberté d’accès à l’espace. Cela signifie que nous nous donnerons les moyens d’agir et de surveiller. Cela signifie que nous construirons une véritable autonomie stratégique spatiale », a-t-elle assuré.
La coopération au niveau européen sera essentielle. Pour autant, il ne sera pas question de « brader notre souveraineté », a assuré la ministre. « Cela veut dire que des projets seront menés en commun. Cela veut dire que nous serons là pour garantir que ce qui ne peut être partagé ne le sera pas, que ce qui peut être bâti en commun le sera », a-t-elle expliqué.
Quant à la surveillance de l’espace – domaine dans lequel la France dispose d’atouts uniques -, Mme Parly veut renforcer l’autonomie des capacités françaises. D’abord en confirmant la modernisation du système GRAVES. Puis en le complétant avec le projet GEOTRACKER d’Arianegroup et l’usage des télescopes TAROT du CNRS. Ensuite, la ministre a annoncé que, à l’avenir, tous les satellites seraient dotés de caméras de surveillance.
« Nous allons placer des charges utiles secondaires d’observation de l’environnement de nos satellites, autrement dit des caméras de surveillance, par exemple sur les satellites SYRACUSE que nous lancerons. Nous allons promouvoir le lancement de satellites dédiés à l’observation des objets dans l’espace. Nous allons nous impliquer, aussi, dans les opportunités offertes par les projets
commerciaux de constellations de satellites », a annoncé la ministre qui, par ailleurs, veut saisir les opportunités offertes par le « New Space », c’est à dire en s’appuyant sur des acteurs privés qui auraient le statut « d’opérateur de confiance ».
« Ne pensons plus au financement tout étatique comme unique moyen de mener des projets. Penchons-nous sur les innovations des uns et des autres. Profitons de cette logique commerciale nouvelle, qui crée l’émulation en matière de recherche de technologies toujours plus fines à des coûts toujours moindres », a fait valoir Mme Parly. « Cette ambition n’a rien de dogmatique, elle n’a rien d’idéologique. Elle se fait uniquement pour servir nos forces, pour servir notre pays », a-t-elle plaidé.
Enfin, l’innovation, sujet de prédilection de la ministre, est aussi une piste. « La miniaturisation, la propulsion électrique, la robotique, les techniques de rendez-vous dans l’espace, permettant le développement du service en orbite grâce à des véhicules logistiques sont autant de technologies innovantes dans lesquelles nous devons investir », a-t-elle dit.
« Ces avancées technologiques nous apporteront bien sûr des innovations en matière d’appui à nos opérations sur le globe. Elles nous permettront aussi de décourager voire de contrer toute attaque sur nos satellites, nos stations sols ou nos services spatiaux. J’ai ouvert la réflexion dans ce domaine car la guerre antisatellite est déjà une réalité : il faudra compter avec nous! », a prévenu Mme Parly.