Dans la nuit du 30 au 31 juillet, Kirill Radtchenko, Alexandre Rastorgouïev et Orkhan Djemal, trois journalistes russes expérimentés chargé d’enquêter sur la présence de la société militaire privée (SMP) Wagner en Centrafrique par le Centre de gestion des investigations financé par l’opposant Mikhaïl Khodorkovski, ont été assassinés dans les environs de Sibut. Selon Moscou, les trois hommes auraient été victimes de coupeurs de route.
Reste que cette affaire a mis sur le devant de la scène les activités menées par la Russie en Centrafrique, en particulier depuis la livraison d’armes aux forces armées centrafricaines [FACA] et l’envoi de 175 « instructeurs militaires », dont 170 civils.
Théoriquement, les sociétés militaires privées sont interdites en Russie. Mais certaines, comme Wagner, créée par Dmitri Outkine, un ancien du GRU, sont tolérées, car proches du pouvoir. D’ailleurs, elles peuvent rendre de grands services à ce dernier, comme en Syrie ou dans le Donbass (Ukraine) en lui permettant de mener des opérations pour lesquels il n’a pas à reconnaître son implication.
Cependant, le 3 août, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a accusé les médias de faire « tout leur possible pour déformer les informations et les choses réelles concernant la présence des instructeurs russes en Centrafrique ».
Ces « instructeurs militaires civils » ont été envoyés en Centrafrique « à la demande du président de ce pays » et ils « ne participent pas aux combats, ils ne s’occupent que de formation », a ensuite assuré Mme Zakharova.
Seulement, le dernier rapport d’experts des Nations unies relatif à la situation en Centrafrique [.[url=http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol= S/2018/729]pdf[/url]] ne dit pas exactement la même chose. Du moins, ces instructeurs russes ne font pas seulement de la formation. Certes, depuis leur arrivée dans le pays, ils ont assuré deux sessions d’instruction à l’intention des FACA et de la Garde présidentuelle centrafricaine. Et une troisème a commencé le 30 mai, à Berengo.
Mais le rapport indique également que des « instructeurs russes se trouvent actuellement à Sibut [là où les trois journalistes ont été assassinés, ndlr] et à Bangassou, où ils ont récemment appuyé le déploiement des FACA. »
Plus loin, le rapport relève que « avec l’appui de la MINUSCA [Mission des Nations unies en République centrafricaine, ndlr], les membres des FACA qui ont été formés ont progressivement été redéployés à Obo, Paoua, Sibut et Bangassou, parfois accompagnés d’instructeurs russes. »
Et d’ajouter : « Même si les partenaires internationaux sont plutôt satisfaits des résultats des FACA dans ces zones, il convient de souligner que les forces ne peuvent pas mener d’opérations sans l’appui opérationnel constant de la MINUSCA [c’est à dire des Casques bleus] et/ou des instructeurs russes, car elles ne disposent ni des capacités ni du soutien logistique requis. »
Par ailleurs, selon le même rapport, ces instructeurs militaires russes – qui sont donc officiellement des civils – assurent des missions d’escorte et de protection. Ainsi, le 10 juin, l’un d’eux a été blessé lors d’un accrochage avec des éléments de l’UPC (Union pour la Centrafrique) à Bambari.
« Entre le 7 et le 26 mai 2018, ils ont également servi d’escorte à un convoi qui, d’Am Dafok à Bangui, en passant par les villes de Birao, Ndélé, Kaga Bandoro et Bria, transportait des matériaux destinés à la construction d’hôpitaux », note le rapport des experts de l’ONU. Ce dernier relève par ailleurs la présence de 24 « instructeurs » russes à Bria et de 20 autres à Ouadda (préfécture de la Haute-Kotto, où l’on y extrait notamment des diamants et de l’or). Leur mission est d’y assurer « la sécurité des hôpitaux dont la Fédération de Russie a fait don. »
Cela étant, ce document n’évoque pas les contrats de prospection minière ou les concessions attribués par Bangui à Moscou. Selon Africa Intelligence, la société russe Lobaye Invest, filiale de M Invest, un groupe fondé par Evguéni Prigojine, un homme d’affaires proche du chef du Kremlin et actionnaire de Wagner, y serait partie prenante.
En outre, le rapport souligne le rôle d’un conseiller russe placé auprès du président Faustin-Archange Touadéra pour les questions de sécurité nationale. C’est à ce titre qu’il a rencontré « à plusieurs reprises des chefs des groupes armés pour s’entretenir de questions liées, entre autres, au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration, à la réconciliation nationale et au partage des revenus de l’exploitation des ressources naturelles entre les autorités locales et nationales. »
Mais les démarches de ce conseiller russe n’ont, à ce jour, été sans succès. « Certains chefs de groupes armés ont dit au Groupe
d’experts qu’en ce qui les concernait, ces discussions ne constituaient pas des pourparlers directs avec le Gouvernement mais des négociations avec un partenaire étranger du Gouvernement », relate le rapport.
Et ces groupes armées, notamment ceux de l’ex-coalition de la Séléka, sont d’autant moins disposés à discuter qu’ils estiment que le gouvenrnement centrafricains, grâce aux livraisons d’armes russes aux FACA, « une solution militaire », indique les experts. Du coup, le trafic d’armes a été relancé, via le Soudan voisin.