Plusieurs types de menaces peuvent peser sur une centrale nucléaire. La première qui vient à l’esprit est celle d’un avion de ligne détourné pour s’écraser sur un tel site sensible.
Or, une opération de cette nature, si elle théoriquement pratique, n’est pas aisée à mettre en pratique (il faut déjouer les mesures de sécurité, réussir à prendre le contrôle de l’appareil, viser le point le plus névralgique d’une centrale… à la condition de bénéficier de conditions favorables).
L’intrusion de terroristes dans l’enceinte d’une centrale constitue une autre menace. Elle est prise en compte par les pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie (PSPG), dont le rapport rédigé par Barbara Pompili, au nom de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, propose d’augmenter les effectifs.
Une troisième menace est liée à la cybersécurité. Mais pour Guillaume Poupard, le patron de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information [ANSSI, cyberdéfense française], le « secteur nucléaire civil est le plus sûr, le plus mature parmi les secteurs sensibles. Le secteur nucléaire est celui où le plus de travaux sont entrepris, où les obligations de moyens sont maximales. Nous ne sommes pas loin d’une obligation de résultat à la hauteur des enjeux », a-t-il confié lors de son audition par la commission parlementaire.
Cependant, une attaque informatique est toujours possible, notamment si, par exemple, l’employé d’une centrale introduit une clé USB dans le système informatique. C’est en effet par ce moyen que les automates programmables industriels (API) du site nucléaire iranien de Bouchehr furent affectés par le virus Stuxnet, en 2010.
Aussi, s’il est beaucoup question du risque d’intrusion ou encore de de menaces aériennes et informatiques, le risque interne est probablement le plus élevé, comme en témoigne l’exemple de la centrale nucléaire de Doel, en Belgique, victime d’un sabotatage en 2014. En attendant les résultats de l’enquête, les responsables du site ont augmenté le nombre de caméras et les employés ne sont plus autorisés à entrer seuls dans les zones les plus critiques pour la sécurité.
Pour écarter ce risque interne, un commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire [COSSEN] a été créé en 2016 sous l’égide de la Gendarmerie nationale. Cet organisme, rappelle Mme Pompili dans son rapport, est chargé de « l’instruction des demandes d’avis en vue d’autoriser une personne à accéder à tout ou partie d’un point d’importance vitale, mais également de l’instruction des enquêtes administratives liées aux procédures administratives de recrutement, d’affectation, d’agrément ou d’habilitation. »
Pour cela, le COSSEN a accès à 9 fichiers, dont le le TAJ (traitement d’antécédents judiciaires), le FPR (fichier des personnes recherchées) et le FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste).
Selon le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, « en 8 mois, 125.000 enquêtes ont déjà été traitées, qui ont donné lieu au final à 753 avis défavorables, soit 0,6 % du total. Ces avis défavorables sont motivés le plus souvent par des comportements liés à la consommation régulière de produits stupéfiants. Viennent ensuite les vols aggravés, les escroqueries ou les violences graves. Mais 15 avis défavorables sont liés à des phénomènes de radicalisation. »
En théorie, ce risque de sabotage interne est « maîtrisé ». Du moins peut-on le penser… Car s’il est possible de vérifier les antécédents de salariés français, les choses se compliquent pour ceux qui, employés le plus souvent par des sous-traitants, sont de nationalité étrangère.
« Nous criblons toutes les personnes, y compris les sous-traitants, qui travaillent à l’intérieur des zones sensibles. Effectivement, un certain nombre de personnes venant de l’extérieur pourraient ne pas être connues de la DGSI : cela peut représenter un point de faiblesse. Nous n’avons pas accès aux fichiers du type FSPRT de l’ensemble de nos partenaires : le droit européen ne le permet pas », a ainsi admis le ministre de l’Intérieur.
« La situation est plus compliquée pour les personnels de nationalité étrangère, pour lesquels une marge de progrès est possible. Si le fichier Schengen était accessible autrement que dans le cadre de poursuites judiciaires, on ferait mieux en matière de personnel étranger », a abondé Claire Landais, la Secrétaire générale de la Défense et de la Sécurité nationale [SGDSN].
Mais les freins sont aussi du côté français, comme l’indique le ministère de l’Intérieur. Ainsi, consulter le fichier ACCRED [Automatisation de la Consultation Centralisée de Renseignements et de Données], qui a fait un peu de bruit l’an dernier, n’est pas autorisé s’il s’agit de se renseigner sur les antécédents judiciaires d’un ressortissant étranger.
« Cette limitation fait actuellement l’objet d’une expertise juridique par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur. La modification du cadre juridique (…) nécessite un accord au niveau européen, ce qui rend cette difficulté particulièrement délicate. Même si les échanges entre services européens ont progressé, il est important de prendre les moyens d’améliorer nos moyens d’investigation dans ce domaine », souligne-t-on du côté de la place Bauveau.
Ces salariés étrangers seraient « quelques milliers », avance Mme Pompili. Ce qui, évidemment, n’est pas négligeable. Cela étant, leurs fonctions se limitent à des activités liées à la logistique qui ne demandent pas spécialement un accès aux zones sensibles. Cependant, « la question se pose cependant avec une acuité croissante, d’autant que les règles de concurrence ne permettent pas d’exclure une personne au motif qu’elle est étrangère », a-t-elle conclu.