Alors qu’a été signée, fin avril, une fiche d’expression des besoins commune à la France et à l’Allemagne pour le Système de combat aérien du futur (SCAF), Christian Cambon, le président de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, a exprimé quelques réserves au sujet de la coopération franco-allemande, lors de l’examen du projet de Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025.
« Les objectifs politiques de cette LPM sont ambitieux : garder un modèle complet d’armée, agir en autonomie, pouvoir entrer en premier, intégrer l’innovation. Leur réalisation repose toutefois sur des coopérations européennes. Or, c’est un pari! », a lancé M. Cambon, avant d’ouvrir les débats au sein de la commission qu’il dirige.
« On ne peut être que très prudent, voire inquiet. Notre partenaire traditionnel (le Royaume-Uni) est affaibli et marginalisé par le Brexit. Le partenariat avec l’Allemagne repose aujourd’hui plus sur une affirmation politique que sur une réalité, pour plusieurs raisons », a ensuite continué M. Cambon.
Ainsi, a-t-il relevé, la « seule armée européenne comparable à l’armée française est celle du Royaume-Uni, par son format, par sa culture militaire de projection et d’engagement au sol, par le caractère structurant de la dissuasion nucléaire. » Ensuite, a continué M. Cambon, sur le plan doctrinal et politique, « l’approche allemande est très différente de la nôtre » et on « le voit bien avec la question cruciale des restrictions à l’exportation, l’armement des drones ou encore avec nos différences de conception sur l’artillerie du futur. »
Le développement du SCAF via un coopération franco-allemande nourrit également les doutes de M. Cambon.
« Quand on regarde la position allemande sur le raid en Syrie, quand on sait que cet avion devra pouvoir emporter des charges nucléaires, on a des doutes légitimes sur une coopération industrielle qui ne serait pas portée par une vision politique partagée », a-t-il fait valoir. « Bien sûr notre commission va y travailler. […] Mais enfin, il reste du chemin », a-t-il conclu.
Le point de vue de M. Cambon a été partagé par la sénatrice (PS) Hélène Conway-Mouret. « L’Allemagne opère en ce moment une remontée en puissance militaire, symbolisée par son activisme en matière d’exportations de sous-marins, ou par les succès à l’export de ses matériels roulants. », a-t-elle rappelé. Mais sa « culture militaire et ses objectifs restent très différents de ceux de la France », a-t-elle ajouté.
Aussi, pour Mme Conway-Mouret, l’enjeu est de savoir si la coopération avec l’Allemagne sur le plan industriel sera « équilibrée », c’est à dire si elle pourra garantir « la préservation de notre autonomie industrielle » ainsi que celle de « nos intérêts », ce qui fait que la « question du partage des technologies devra être examinée avec attention ».
« La définition d’objectifs communs, surtout en matière d’exportation des matériels, où l’accord de coalition allemand nous incite à la prudence », a par ailleurs estimé la sénatrice, pour qui une autre garantie doit reposer sur « la promotion de l’Europe de la défense dans la conception française, c’est-à-dire dépassant les égoïsmes nationaux qui aboutissent à l’exigence sourcilleuse du ‘retour géographique' », laquelle ne correspond pas toujours « à la réalité des compétences. »
Aussi, la commission a adopté l’amendement n° COM-34, lequel vise justement, à fixer le cadre des coopérations industrielles européennes.
« Au vu des expériences passées, il convient de respecter quelques conditions pour que les coopérations européennes en matière d’armement soient des succès. Il est essentiel que des arbitrages politiques structurants soient validés au plus haut niveau, dès le début des projets. À ce titre, le principe du retour géographique, qui veut que chaque pays participant bénéficie de son investissement pour stimuler sa propre industrie, doit pouvoir être dépassé pour laisser place au critère principal des compétences et de l’efficacité industrielle », a expliqué Mme Conway-Mouret pour justifier cet amendement.
Ce dernier précise, dans l’article 2 (rapport indexé), que « pour être couronnées de succès, ces coopérations européennes devront avoir été précédées de la définition politique précise de leur cadre de réalisation : expression claire des besoins à travers un cahier des charges faisant l’objet d’arbitrages politiques pour éviter la simple juxtaposition des besoins des armées des pays participants ; détermination d’un calendrier précis ; et dépassement de la logique du « retour géographique » au profit d’une logique de pertinence industrielle et de reconnaissance à leur juste niveau des compétences de chaque pays participant au projet. »