Le chef d’état-major russe, le général Valery Gerasimov, avait en quelque sorte préparé le terrain quand il affirma, en mars dernier, disposer « d’informations fiables selon lesquelles les rebelles syriens se préparaient à mettre en scène l’utilisation par les troupes gouvernementales d’armes chimiques contre la population civile. »
Or, depuis qu’une attaque chimique présumée a été rapporté à Douma, dans la Ghouta orientale, les autorités russes affirment sur tous les tons qu’il s’agit d’une « mise en scène » sans pour autant en apporter la preuve.
Il suffirait pourtant d’établir une chronologie des faits tels qu’ils ont été rapportés, de passer au crible les vidéos diffusées via les réseaux sociaux, et de traquer les incohérences – si elles existent – entre les différents témoignages. Le site Bellingcat a fait ce travail, alors qu’il n’a pas les mêmes moyens qu’une agence gouvernementale. Et selon lui, il est « très probable » que les personnes tuées à Douma ce 7 avril aient été victimes d’une attaque chimique.
Reste que Sergueï Lavrov [photo ci-contre] a enfoncé le clou, ce 13 avril. « Nous disposons de preuves irréfutables qu’il s’agissait d’une nouvelle mise en scène, et que les services spéciaux d’un État actuellement en première ligne d’une campagne russophobe ont participé à cette mise en scène », a-t-il déclaré, lors d’une conférence de presse.
L’on imagine que l’État « en première ligne d’une campagne russophobe » évoqué par M. Lavrov est le Royaume-Uni, étant donné les déclarations récentes de plusieurs membres du gouvernement britannique et surtout les accusations portées par Londres contre Moscou dans le cadre de l’affaire Skripal, du nom de cet ancien officier du renseignement russe victime d’une tentative d’assassinat avec une substance faisant partie des agents Novitchok (ce qu’ont confirmé quatre laboratoires indépendants travaillant pour l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques [OIAC]. Cela étant, le ministre russe ira-t-il jusqu’à produire ces « preuves irréfutables »?
En parlant de preuves, le président Macron a assuré que la France en avait pour accuser le régime de Bachar el-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques à Douma. Mais s’agit-il de « preuves », d’indices ou de fortes présomptions?
Le 12 avril, le chef du Pentagone, James Mattis, a été interrogé sur ce sujet lors d’une audition au Congrès. Là, il a admis n’avoir « aucune preuve » de l’usage d’armes chimiques à Douma. Et cela, a-t-il dit, « bien qu’il y ait de nombreux signes dans les médias et sur les réseaux sociaux que du chlore ou du sarin aient été utilisés. »
Toutefois, a-t-il ajouté, « je pense qu’il y a eu une attaque chimique et nous recherchons les preuves ». Preuves que les experts de l’OIAC envoyés sur place auront du mal à trouver étant donné que « chaque jour qui passe rend plus difficile de confirmer » l’usage de substances toxiques. D’autant plus que la police militaire russe est désormais sur les lieux.
« Nous ne saurons pas qui a fait ça », a affirmé M. Mattis. Car, même si les experts de l’OIAC arrivent à trouver des preuves, ils ne sont pas mandatés pour déterminer les responsables d’une attaque chimique (D’où la volonté des États-Unis d’établir un mécanisme d’enquête, à l’image du Joint Investigative Mechanism, dont le mandat n’a pas été reconduit après les critiques russes à son encontre).
Restant discret sur les opérations envisagées contre le régime syrien par les États-Unis et la France (voire le Royaume-Uni), M. Mattis a estimé que « certaines choses sont tout simplement inexcusables, inadmissibles, et à l’encontre non seulement de la convention internationale sur les armes chimiques mais de l’humanité toute entière. » Or, a-t-il ajouté, il est « dans l’intérêt de la civilisation, et certainement des États-Unis que cette convention soit respectée par ses signataires. »
« Ce qui s’est passé à Salisbury, en Angleterre, et ce qui se passe maintenant en Syrie, montre que ceci n’est pas anodin », a conclu M. Mattis, en évoquant l’affaire Skripal.