MEYER François - Combat du djebel Tanout
22 mai 1958
- Le 1er escadron du 1er Chasseurs au combat du djebel TANOUT
Le 1er Chasseurs, régiment blindé,
a combattu près de neuf ans en Indochine,
surtout au Nord-Vietnam.
En Algérie,
ce sera un régiment d’appelés de tous rangs,
avec, parmi ses cadres d’active, quelques sous-officiers sous contrat,
et quelques officiers de réserve.
En septembre 1957,
le régiment glisse au Sud,
dans les monts des Ksour, en lisière du Sahara, à 450 kilomètres au sud d’Oran.
Depuis le 1er juillet,
il est passé aux ordres du lieutenant-colonel Vié,
et le P.C. ainsi que l’escadron de commandement viennent s’installer près de Tiout,
une palmeraie pittoresque située à 12 kilomètres à l’Est d’Aïn Sefra.
Le 1er escadron rejoint bientôt le PC :
il est d’abord sous la tente, en bordure de la piste d’Asla,
puis dans des baraques « Fillod » à l’entrée du village,
protégé par des murs d’enceinte qu’il s’est construit.
Les autres escadrons tiennent des postes dans la chaîne des Ksour,
Asla, Chellala, Bou Semrhoun et Noukrila...
C’est l’époque où le réseau des barbelés électrifiés
se met peu à peu en place le long de la route Méchéria Colomb-Béchar,
en arrière de la frontière du Maroc.
Ce barrage qui va devenir un obstacle sérieux n’est pas infranchissable,
mais tout passage est très rapidement signalé,
ce qui permet l’intervention rapide des unités de poursuite.
Les escadrons font tour à tour partie
des groupements d’intervention engagés dès qu’une bande de l’A.L.N.
est repérée. Autrement,
ils assument des missions de surveillance et de sécurité,
d’ouvertures des pistes, d’escortes de convois ou de contrôles de zone.
Patrouilles et embuscades se succèdent,
de même que nomadisations,
raids sur renseignement, ou opérations de ratissage,
mais souvent monotones, et sans grands résultats.
L’adversaire, quand il approche du barrage,
a pour consigne absolue d’éviter le contact.
En 1958, le barrage n’est pas encore cet obstacle redoutable
qu’il va devenir au cours de l’été 1959,
et des bandes s’en approchent assez souvent pour essayer de le franchir,
dans les deux Sens.
Parfois ce sont des convois de renforts, chargés d’armes
et de groupes importants qui partent se reconstituer au Maroc,
emmenant avec eux de nouvelles recrues plus ou moins volontaires.
Un soir de mai 1958,
le mercredi 21 mai,
nouvelle alerte au P.C. de Tiout !
Le 1er escadron, élément d’intervention du régiment,
aux ordres du capitaine Schlumberger,
s’équipe rapidement et embarque aussitôt sur ses camions.
Un renseignement signale la présence d’un groupe en armes dans le djebel Tanout,
à 40 kilomètres à l’est du barrage.
Plusieurs escadrons du 1er Chasseurs doivent tenter de l’intercepter.
Depuis le début de l’année,
des éléments du 1er escadron ont déjà décelé des bandes,
ou accueilli des déserteurs de l’A.L.N.,
ramené un blessé porteur de munitions ou plus simplement découvert des dépôts près du barrage.
Vers 17 heures,
le convoi s’engage sur la piste d’Asla
en direction de Nord-Est, et roule au milieu d’une large vallée couverte d’alfa.
A la nuit tombante,
l’escadron s’installe en bivouac autour de ses camions,
au pied des djebels au nord de la piste,
faisant ainsi croire aux guetteurs du F.L.N.
qu”une opération se prépare vers le Nord, dans le djebel Afzouz.
Mais à 1 heure du matin, dans le plus grand silence,
les 110 chasseurs de l’escadron prennent au contraire la direction des djebels du Sud.
La colonne des pelotons avance
dans la nuit sans lune,
sous-lieutenant Morillon en tête,
suivi par le peloton du maréchal des logis chef Garing,
qui remplace le sous-lieutenant Cuénot,
en permission, puis les pelotons des sous-lieutenants Mollard et Dénoyer.
Morillon suit une piste qui remonte
’étroite vallée d’un oued asséché, en direction du djebel Tanout
dont le sommet, à près de 12 kilomètres, se dresse à 1992 mètres,
quelque 800 mètres plus haut.
Pas une âme qui vive au loin à la ronde,
dans la sévère grandeur
des djebels aux abords du Sahara.
Les chasseurs avancent sans bruit,
le lit de l’oued évite les rochers, le sable étouffe leurs pas.
Les sacs à dos sont restés au bivouac auprès du PC radio.
Hennetier est à l’écoute.
Outre leurs armes et leurs munitions,
les chasseurs ne portent qu’une musette avec un jour de vivres.
L’escadron est flanqué plus au Nord par le 4ème,
capitaine Guibal, qui vient d’Asla.
Il est renforcé par deux pelotons du 3ème et suit le lit de l’oued Ameur.
Il se dirige vers les hauteurs nord du djebel.
Au delà des crêtes, un autre escadron,
le 2ème, capitaine Joré,
vient prendre à revers le sommet du Tanout.
Parti de Noukrila et de Bou Semrhoun, il monte vers le djebel par le Chabet Touila.
Avant l’aurore, le 1er escadron atteint le Tedfa
et les pentes abruptes du massif.
En dépit de l’essoufflement,
de la fatigue et de la nuit, les chasseurs ont rapidement progressé.
Les pelotons marquent un temps d’arrêt.
Silence !
Le froid est vif,
les vêtements collent à la peau,
interdiction de faire du feu pour chauffer le Nescafé...
Au lever du jour, ils reprennent la progression,
dans un terrain maintenant plus accidenté.
Ils relèvent alors des traces nombreuses et fraîches,
celles d’un bivouac hâtivement abandonné.
Ils ne viennent pas dans le Tanout pour la première fois.
Aujourd’hui pourtant, l’ennemi qu’ils poursuivent souvent sans succès est peut-être à leur portée.
Un peu plus loin,
ils découvrent une mule entravée,
et encore bâtée, et les chasseurs Chaleix et Ruyer font un prisonnier..
. Un jeune musulman en djellaba,
dissimulé dans un massif de lauriers.
Il aurait été recruté de force et déclare être emmené par des hommes en armes,
nombreux, et qui viennent de monter précipitamment plus haut dans le djebel.
Il n’a pu les suivre...
Le capitaine Schlumberger sait alors à quoi s’en tenir,
la bande n’est pas loin.
L’approche se fait prudente,
très attentive et toujours discrète.
La vallée est plus étroite, bordée de rochers ou de falaises abruptes.
Quelques arbres et des buissons de lauriers assez denses permettent aisément de se dissimuler. Partout des rochers offrent
des emplacements de combat naturels et redoutables.
Les pelotons progressent,
éclairés par les équipes de voltigeurs
. Chacun reste en liaison à vue.
Sur les côtés, les fusils mitrailleurs sont prêts à se mettre en batterie..
. la progression est silencieuse,
chacun écoute et connaît son rôle.
Vers dix heures,
toujours en tête et sur les traces,
le peloton Morillon atteint un col assez large,
mais couvert de végétation.
Il laisse sur sa droite le sommet du Tanout qui domine
maintenant au-delà de la crête militaire,
à quelques dizaines de mètres de hauteur seulement.
Il fait grand jour, on s’arrête un instant près d’un puits.
Chacun reprend son souffle.
Certains aperçoivent au loin quelques silhouettes,
sans doute le 2ème escadron.
Un avion T6 survole la crête et signale vers le sommet
« deux bourricots au moins »...
toujours pas d’hommes en armes.
Le capitaine déploie alors largement l’escadron face à droite et en ligne.
Les pelotons Garing et Mollard repartent vers le sommet.
A gauche, le peloton Morillon (4ème) progresse en couverture,
le peloton Dénoyer (3ème), étant derrière Garing, en réserve d’escadron.
Soudain, au milieu d’une clairière,
c’est l’accrochage, brutal. Tout s’embrase ! Le maréchal des logis Rémy,
du peloton Garing,
et ses éclaireurs approchaient lentement des bourricots..
. il entend dans les buissons le bruit d’une culasse qu’on arme, « Couchez-vous ! ».
Un feu intense et immédiat lui répond.
Les rebelles sont dissimulés tout autour.
Le maréchal des logis Thouillot du peloton Mollard
est mortellement atteint par les premières rafales.
Les tireurs sont retranchés dans les rochers et les buissons.
Certains se sont laissés dépasser, et ouvrent le feu au milieu des chasseurs.
Les pelotons ripostent aussitôt.
Dans les rafales et l’éclatement des grenades,
les fusils mitrailleurs répondent à la MG 42 des rebelles.
De part et d’autre, les hommes sont cloués au sol.
A son tour le Chef Garing est blessé.
Peu après le chasseur Hardy, de son peloton, est tué.
Le maréchal des logis Dansan lance son groupe
pour dégager les blessés et les tirer à l’abri.
Debs, le sous officier adjoint du peloton Mollard était resté en arrière
pour évacuer un jeune chasseur malade.
Il rejoint avec son groupe au milieu du combat.
C’est un ancien du Tonkin, il était au 3ème escadron.
Il est pris lui aussi sous les tirs.
Sur son ordre, son radio Simonin, particulièrement visé,
couche son poste 300. Avec son groupe,
Debs fixe les rebelles ; eux non plus ne peuvent manoeuvrer.
Le capitaine, auprès de ses pelotons, décide de tenter un débordement
par la droite avec le peloton de réserve pour dégager
les éléments au contact.
Debs voit Dénoyer passer à sa hauteur, et tenter de percer sur la droite.
Ses fusils mitrailleurs sont en appui à partir d’une barre rocheuse,
et il doit franchir un terrain découvert
pour atteindre une autre position rocheuse.
Mais les rebelles sont là ;
de nouveaux tireurs se dévoilent et ouvrent le feu.
La mitrailleuse MG 42 balaie le terrain.
La crête est largement tenue, toute progression est impossible.
Dénoyer reçoit l’ordre de se replier.
Le mouvement s’effectue en ordre.
Il se retire le dernier quand il est lui même atteint sérieusement
par une balle qui lui traverse le corps.
Deux balles atteignent le poste de son radio.
Dénoyer se trouve à l’abri dans une lègère dépression,
mais les tirs l’encadrent, il est intransportable.
Nombreux et bien postés,
les rebelles isolent les blessés
Le maréchal des logis Levasseur reste à ses côtés avec un groupe
et continue de fixer l’adversaire,
les autre chasseurs du peloton rejoignent le capitaine,
et gagnent avec lui la gauche de la ligne de feu.
Car sur la gauche,
le 4ème peloton semble pouvoir déborder en longeant
une ligne de rochers et de falaises à pic qui remontent vers le sommet.
Morillon en rend compte.
Le capitaine Schlumberger
regroupe alors sous le feu tous les braves qui peuvent se dégager,
il y a Dansan et le harki Kenouza, l’infirmier Martin,
le radio Vérilotte et plusieurs autres...
Ils gagnent le 4ème peloton, seul à pouvoir manoeuvrer.
Déjà Morillon et ses chasseurs rampent en suivant les rochers.
Au signal du capitaine, tous sont prêts à donner l’assaut, ensemble.
L’aviation qui appuie au plus près lève momentanément ses tirs,
« EN AVANT ! »
Le peloton Morillon s’élance sans hésiter.
Au milieu des rafales et des hurlements,
le chasseur Naudin, tireur au fusil mitrailleur,
qui se dresse pour un premier bond s’écroule,
frappé d’une balle en plein coeur.
Mais le capitaine Schlumberger,
Morillon et la plupart des chasseurs continuent en tirant ;
il y a là Ruyer, chef d’équipe,
et le maréchal des logis Pierron, Rolin qui va être blessé,
Delaval et Coutant, Mutin et Jacquet
Joffre et Spyteck et beaucoup d’autres...
Tous coiffent bientôt en hurlant le sommet du Tanout.
Levasseur, resté près du sous-lieutenant Dénoyer
, aperçoit tout à coup son capitaine au loin sur la position des rebelles !
Ceux-ci réalisent qu’ils sont tournés.
Au milieu des cris et des rafales,
ils décrochent en désordre.
C’est rapidement la débandade.
Certains se rendent, d’autres se postent et résistent.
Ils sont pris sous le feu des fusils mitrailleurs et des lance-grenades des chasseurs.
Une trentaine de rebelles essaient de gagner le versant opposé,
d’autres sont interceptés. Le 2ème escadron,
qui tentait de déborder par le Sud, participe maintenant au combat.
Et l’aviation reprend ses tirs sur les fuyards. Il est près de 14 heures.
Commence alors pour tous une fouille minutieuse du terrain.
On met à jour deux « merks » souterrains
équipés en relais, avec matériels et documents,
très bien dissimulés et aménagés.
Alentour, une trentaine de djounouds sont à terre,
tués, blessés ou prisonniers. Vers 15 heures 30,
un hélicoptère se pose au col, au nord du sommet du Tanout.
Le chef d’escadrons Thimonier, commandant l’opération,
rejoint le 1er escadron.
On entreprend l’évacuation des blessés et des morts en présence du médecin chef Laurent,
venu de Chellala.
Outre la mort du maréchal des logis Thouillot
et des chasseurs Hardy et Naudin, l’escadron déplore cinq blessés,
le sous-lieutenant Dénoyer,
le maréchal des logis-chef Garing,
les chasseurs Rolin, Greil et Donard,
le harki Kenouza qui bien que blessé,
est néanmoins monté à l’assaut.
D’autres combattants ont eu la « baraka »
: Dansan a vu une balle s’écraser sur le chargeur de son fusil 49-56,
et Ruyer découvre une large entaille dans la courroie de son PM...
Le 4ème escadron rejoint également.
La fouille du terrain se poursuit tandis que les prisonniers sont embarqués
par les hélicoptères vers Aïn Sefra.
Deux hommes semblent se dissimuler non loin de la crête,
du côté de la falaise rocheuse et du précipice. Un brigadier les a aperçus.
Levasseur et quelques chasseurs les prennent en chasse.
L’un des rebelles ouvre le feu,
la réponse est immédiate, il est abattu.
Le deuxième s’enfuit mais il est tard, et les chasseurs s’installent sur place pour la nuit.
Ils allument de grands feux pour se préserver du froid...
On est à 2.000 mètres
. Certains ouvrent enfin avec délectation...
leur boîte de ration.
Le lendemain 23 mai,
tous les escadrons fouillent encore le terrain dans les fonds d’oueds au sud du Tanout,
en particulier dans l’oued Guettaïa.
Alertés, les légionnaires du 2ème REI
(alors en compagnies portées) viennent participer au nettoyage de la zone.
Les escadrons retrouvent les corps de nombreux fuyards
atteints par les tirs des avions,
ils ramassent quelques armes et font encore des prisonniers,
en particulier plusieurs légionnaires déserteurs de Saïda
qui s’en allaient vers le Maroc,
et un artificier qui portait trois musettes pleines de détonateurs.
Au total, la bande accrochée aura laissé 54 morts sur le terrain,
17 prisonniers,
une mitrailleuse MG 42
, 22 fusils de guerre et quelques autres armes.
Il s’agissait d’un convoi qui se préparait à franchir le barrage
en emmenant de jeunes recrues et quelques déserteurs.
Le 1er escadron prendra part encore le lendemain 24 mai
à une fouille dans le djebel Rhoundjaia, sans résultat notable,
puis l’opération sera démontée en début d’après midi.
Au retour aux camions, les légionnaires qui volontiers regardaient les chasseurs
avec un peu de condescendance leur font maintenant fête
; ce n’est pas pour déplaire à ceux-ci...
Vers 18 heures, l’escadron est rassemblé à Tiout sur la place du P.C.,
et le colonel Goujon, commandant le Secteur d’Aïn Sefra et le 2ème REI,
décore sept chasseurs de la croix de la Valeur Militaire,
Coutant, Jacquet, Joffre, Martin, Reyne, Ruyer, et Vérilotte.
Plus de vingt autres le seront par la suite.
Et ajoutant quelques mots, le colonel Goujon montre aux chasseurs
avec humour ce brin de chauvinisme que l’on connaît aux légionnaires,
et il leur dit avec un franc sourire que décidément
le premier escadron vaut « presque » une de ses compagnies.
C’est un honneur !
Il est vrai que le 2ème REI a déjà pu apprécier les chasseurs
au cours d’un violent accrochage dans le diebel Aîssa,
c’était en 1957 à Pâques, et c’était le baptême du feu du 1er escadron.
Chacun, dans la soirée, reprend ses esprits,
le moral est intact, malgré ces pénibles moments où l’on range les effets personnels
de ceux qui ne sont plus là.
On procède aussi au plus tôt au nettoyage des armes
et au complément des munitions.
Le dimanche suivant, l’apéritif est offert par « le père de l’escadron »
, le capitaine Schlumberger. Et c’est un autre moment que l’on n’oublie pas...
Huit jours plus tard,
l’escadron dispute vaillamment un match de football à Aïn Sefra
: Le 1er RC marque deux buts, et le 2ème REI...
Le moral est inaltérable !
Maintenant encore, quarante deux ans après,
les anciens du 1er Chasseurs d’Algérie se réunissent une fois par an pour déjeuner ensemble.
« Quand les corbeaux voleront blancs,
Et que la neig’ tombera noire,
Les souvenirs du régiment
S’effaceront de ma mémoire. »
François MEYER, général (2S)
Ancien Cdt du Commando Griffon
Pt des Anciens du 1er Chasseurs
Le capitaine Schlumberger a quitté l’armée en 1965.
Il est entré dans l’industrie.
Il avait fait deux séjours en Indochine (4 ans).
Le sous lieutenant Dénoyer est mort pour la France en fin 1960.
Le sous lieutenant Morillon porte cinq étoiles.
Il est député européen.
1958 - Remise de la croix de la Valeur militaire
à sept chasseurs du 1er escadron, par le colonel Goujon