Durant les années 1990, le Pakistan a soutenu les taliban afghans parce qu’il avait besoin d’un pouvoir stable à Kaboul afin de s’assurer d’une profondeur stratégique face à l’Inde et de sécurité pour son approvisionnement en gaz naturel par le Turkmenistan (d’où le projet « CentGas » à l’époque).
Après les attentats du 11 septembre 2001 et l’intervention militaire américaine en Afghanistan, le Pakistan, par l’entremise de ses services de renseignement (ISI, Inter Services Intelligence), n’a pas cessé son soutien au mouvement taleb afghan. Et les milliards de dollars versés par Washington à Islamabad au titre de la guerre contre le terrorisme ont été détournés pour financer d’autres priorités. L’ex-président pakistanais, Pervez Musharraf, aujourd’hui en disgrâce, en avait fait l’aveu en 2009.
Cela étant, le Pakistan a aussi été le théâtre d’attentats particulièrement meurtriers. Mais ces derniers ont été commis par le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), la branche pakistanaise du mouvement taleb. D’où les opérations « anti-terroristes » menées par les forces armées pakistanaises contre cette organisation. Mais les talibans afghans (dont le réseau Haqqani) n’ont jamais été vraiment inquiétés. « Nous avons de l’influence sur eux, car leur direction est au Pakistan, et ils y sont soignés, leur famille est là », a même reconnu, en mars 2016, Sartaj Aziz, alors conseiller aux Affaires étrangères du Premier ministre Nawaz Sharif.
Ce double-jeu pakistanais a donné lieu à des tensions avec les responsables américains. Mais avec la présence de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF, Otan) en Afghanistan, se fâcher avec le Pakistan allait compliquer les opérations logistiques des troupes engagées contre les taliban afghans. Début janvier, le président Trump a mis les pieds dans le plat.
« Les États-Unis ont bêtement donné 33 milliards de dollars d’aide au Pakistan ces 15 dernières années, et ils ne nous ont rien donné en retour si ce n’est des mensonges et de la duplicité, prenant nos dirigeants pour des idiots. Ils abritent les terroristes que nous chassons en Afghanistan, sans grande aide. C’est fini! », a lancé le locataire de la Maison Blanche.
Aussi, l’aide américaine aux forces pakistanaises a été suspendues. « La nation pakistanaise tout entière s’est sentie trahie suite aux récentes déclarations américaines malgré des décennies de coopération », a alors réagi leur chef, le général Qamar Javed Bajwa. Et d’ajouter qu’Islamabad « poursuivra ses efforts de lutte contre le terrorisme « même sans soutien financier américain, conformément à nos intérêts nationaux » et « soutiendra toutes les initiatives de paix en Afghanistan en dépit d’une tendance à faire du Pakistan un bouc émissaire. »
Côté américain, l’on a expliqué que l’aide financière reprendrait à la condition que des « mesures concrètes » soient prises contre « les taliban, les dirigeants du reseau Haqqani et ceux qui planifient des attentats ne devraient plus pouvoir trouver refuge au Pakistan ou mener des opérations depuis le sol pakistanais. »
C’est alors que, fin janvier, le Pakistan a accusé les États-Unis d’avoir bombardé, avec un drone, un camp de réfugiés afghans dans la zone tribale de Kurram. Un raid a semble-t-il bien eu lieu… mais sa cible était un cadre du réseau Haqqani, lequel a confirmé la mort de ce dernier par la suite.
En outre, un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a démenti l’existence d’un camp de réfugiés dans la région de Kurram. Et, selon l’AFP, des sources locale « ont également indiqué ne pas avoir connaissance d’un tel site dans cette zone. »
Quoi qu’il en soit, cet épisode illustre la défiance entre Islamabad et Washington. Pour autant, le général Joseph Votel, le chef du commandement militaire américain pour l’Asie centrale et le Moyen-Orient, a dit commencer à recevoir des « signaux positifs » de la part de l’armée pakistanaise.
« Ils nous communiquent des informations sur certaines mesures qu’ils prennent sur le terrain. […] Ce n’est pas encore les mesures décisives que nous voudrions qu’ils prennent, en termes de changements stratégiques mais ce sont des indicateurs positifs et ça me donne l’espoir que notre approche est la bonne », a en effet affirmé le général Votel, lors d’une audition devant une commission parlementaire, le 27 février.
Le général Votel a aussi indiqué avoir des « échanges quotidiens » avec l’état-major pakistanais. Mais « je ne peux pas qualifier ceci de relations de confiance à ce stade. Il y a beaucoup de passif à surmonter », a-t-il relativisé.
Par ailleurs, s’agissant de la situation en Afghanistan, le général Votel a estimé que « 64% de la population afghane est sous le contrôle du gouvernement de Kaboul », « 12% [des habitants] sont contrôlés par les talibans et le reste vit dans des zones contestées ».
Alors que, en 2017, l’Afghanistan a déploré un nombre record de victimes causées par les attentats (+17%) et que cette année est partie sur des bases identiques, le président afghan, Ashraf Ghani, a tendu la main au mouvement taleb afghan, ce 28 février.
« Il devrait y avoir un cadre politique à la paix. Un cessez-le-feu devrait être proclamé. Les taliban devraient être reconnus comme un parti politique et un processus de renforcement de la confiance devrait être lancé », a en effet déclaré le président Ghani, en ouverture de la deuxième conférence du Processus de Kaboul, une initiative qui réunit plus d’une vingtaine de pays de la région ainsi que les Etats-Unis et l’ONU.
Toutefois, le président Ghani exige que les taliban reconnaissant la Constitution afghane, qu’il s’est dit prêt à amender, ainsi que son gouvernement. Et « aucun groupe armé lié à des organisations terroristes étrangères, gouvernementales ou non, ne sera autorisé sur le sol afghan », a-t-il ajouté, en évoquant sans les nommer, al-Qaïda, la branche afghano-pakistanaise de l’État islamique et les groupes jihadistes pakistanais, ouzbèkes, tadjiks, etc. « Maintenant, la décision est entre vos mains. Acceptez la paix… et apportons de stabilité à ce pays », a-t-il lancé au mouvement taleb.
Reste à voir ce que feront les taliban afghans, qui pourraient perdre l’appui d’Islamabad pour des raisons économiques. Car un élément à prendre en compte dans cette affaire est l’ambition de la Chine, proche alliée du Pakistan, de recréer les « routes de la soie« . Pour cela, un Afghanistan stable est essentiel pour le couloir économique devant relier le port pakistanais de Gwadar à la province du Xinjiang et pour ne pas qu’une partie des 54 milliards de dollars d’investissement ne soit perdue.