« A priori », la menace des missiles nord-coréens ne concerne pas directement l’Europe
« L’Europe comme les Etats-Unis sont certainement à la portée de ces tirs », avait commenté Florence Parly, la ministre des Armées, peu après l’essai d’un missile balistique intercontinental nord-coréen de type Hwasong-15, en novembre. « Comment ne pas être inquiète dans le monde dans lequel nous vivons », avait-elle continué. Et d’ajouter : « Les menaces se sont exprimées beaucoup plus vite et beaucoup plus fort que ce que à quoi on pouvait s’attendre il y a encore cinq ans ».
Cela étant, l’Europe doit-elle vraiment craindre une menace nord-coréenne? À cette question, François Geleznikoff, directeur des applications militaires du CEA, a apporté une réponse nuancée, lors d’une audition devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale.
Parmi ses missions, la Direction des applications militaires (DAM) du CEA contribue à la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique ainsi que contre le terrorisme nucléaire et radiologique. Pour cela, elle dispose d’une enveloppe environ dix fois moins importante que celle allouée à son homologue américaine. Et elle agit en coordination avec le ministère des Armées, les services de renseignement et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS).
C’est ainsi que la DAM suit de très près les activités nucléaires de plusieurs pays, dont l’Iran et la Corée du Nord.
« Ce suivi passe d’abord par la détection des essais nucléaires qu’ils peuvent réaliser. Grâce au système de détection internationale créé par l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais et auquel la France participe activement, et à nos propres analyses, nous sommes en mesure d’alerter les autorités françaises dans les trente minutes qui suivent un essai de la Corée du Nord – ce serait la même chose dans le cas d’un essai iranien, par exemple », a expliqué M. Geleznikoff.
En clair, la France dispose ainsi d’une capacité autonome d’appréciation. « Nous avons vu, du reste, que, lors de l’affaire irakienne, nous avions eu raison d’affirmer que, selon nous, il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak, alors que des informations contraires circulaient, et nous avions raison », a souligné M. Geleznikoff.
La DAM a aussi indirectement pris part, auprès du ministère des Affaires étrangères, aux négociations sur le nucléaire iranien, lesquelles ont abouti à l’accord de Vienne, en juillet 2015. Ce dernier a permis « de repousser l’échéance d’une dizaine d’années dans un premier temps », a indiqué son directeur.
« Nous pouvons en effet évaluer précisément ce que les Iraniens sont capables de faire en armement nucléaire. Cela ne les empêche pas de développer des missiles, mais un missile sans arme nucléaire n’est pas réellement une menace. En la matière, la France mène donc une action très forte qui est suivie au plus haut niveau de l’État », a encore précisé M. Geleznikoff.
La Corée du Nord fait donc l’objet d’un suivi tout aussi strict. « À partir, d’une part, de la capacité des missiles et, d’autre part, de notre connaissance des essais nord-coréens, nous évaluons les capacités nucléaires de ce pays pour nos autorités », a expliqué le patron de la DAM.
Sur ce point, a-t-il avancé, « il semble que le président nord-coréen, […] cherche plutôt à avoir une capacité de nuisance suffisante pour sauver son régime qu’à utiliser ses armes contre la France. Cette capacité de nuisance, il l’a avec la capacité d’atteindre la Corée du Sud ou le Japon et, au-delà, l’île américaine de Guam, qui est à 3.000 kilomètres ». Aussi, a estimé M. Geleznikoff, « nous ne sommes donc pas, a priori, directement concernés. »
Toutefois, a-t-il fait valoir, la « situation en Corée du Nord n’est pas tolérable » car « outre qu’elle témoigne d’une dissémination des armes nucléaires, cela peut avoir un impact régional ou international, ce qui justifie une attention très soutenue. »
Par ailleurs, le patron de la DAM a rappelé que l’objectif de la France est de « posséder des armes nucléaires suffisamment efficaces pour que la dissuasion joue pleinement son rôle », et non de se doter « d’armes défensives contre les armes nucléaires, qu’elles soient nord-coréennes ou russes. » Et d’insister : « Il n’y a donc pas de défense antimissile particulière. »
S’agissant des menaces nucléaires non-étatiques, M. Geleznikoff a indiqué que le risque de voir un groupe terroriste puisse « s’emparer d’une arme nucléaire ou de matières fissiles (uranium hautement enrichi ou plutonium de qualité militaire) appartenant à un État est aujourd’hui considéré comme faible. » En revanche, celui d’une bombe « sale » (mélange d’explosif et de matières radioactives) est « supérieur ».