Au cours des deux précédentes Lois de programmation militaire (LPM), le ministère des Armées a vu ses effectifs fondre de 50.000 personnels (sur 250.000 en 2008) alors que les contrats opérationnels des trois armées (Terre, Air, Marine) ont augmenté durant la même période. Les directions et services, c’est à dire les soutiens et la DGA [Direction générale de l’armement], ont particulièrement été touchés par cette vague de déflation de postes.
« Les déflations massives d’effectifs imposées depuis une dizaine d’années par les réformes successives ont mis les armées, directions et services, sous forte tension, d’autant plus que nous avions consenti d’importantes déflations d’effectifs et d’importantes réductions de format qui devaient s’accompagner d’une réduction de l’engagement des armées. Dès lors que cet engagement n’a cessé d’augmenter, la tension s’est révélée difficile à soutenir », a ainsi souligné le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées (CEMA), lors de son passage devant les députés de la commission de la Défense, en octobre.
Cela étant, il a été mis fin aux suppressions de postes dans les armées après la vague d’attentats de 2015. Et la Force opérationnelle terrestre (FOT) a vu ses effectifs augmenter de 11.000 soldats et certaines fonctions, en particulier celles liées au renseignement et au cyber, ont été renforcées. Pour autant, on est encore loin du compte.
En outre, le projet de Loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui va encadrer la trajectoire financière de la Loi de programmation militaire (LPM) en cours d’élabortation, prévoit de créer seulement 1.500 postes nouveaux. Cet effort, a estimé le général Lecointre, aussi important soit-il, est « inférieur aux besoins exprimés par la ministre des Armées et il va contraindre, en l’état, notre effort de régénération. »
Les besoins de l’armée de Terre en termes d’effectifs pour la période 2019-2022 correspondent à près de 75% de cet « effort » consenti par la LPFP (soit 1.150 postes). Puis, entre 2023-2025, elle aura besoin d’au moins 3.825 postes de plus, d’après le député Thomas Gassiloud, le rapporteur pour avis sur les crédits des forces terrestres.
« Du fait d’un dé-pyramidage et d’une déflation continue, nous avons un fort déficit sur les hauts de pyramide : il manque en volume environ 1.000 officiers et, en qualité, environ 3.000 sous-officiers supérieurs dans l’armée de Terre », a expliqué le général Jean-Pierre Bosser, son chef d’état-major, lors de sa dernière audition au Sénat. En clair, il s’agit de revoir à la hausse le taux d’encadrement.
Mais un autre défi attend l’armée de Terre : celui de la fidélisation. « Les recrutements massifs des années 2015 à 2017 ont mécaniquement fait baisser l’ancienneté moyenne des personnels. Or tous les militaires du rang et 74 % des sous-officiers servent en vertu de contrats d’engagement, généralement conclus pour cinq ans. Il y a donc un risque que les recrues de la période post-2015 quittent en masse l’institution à partir de 2020 », expliquent le député Gassiloud.
Or, les forces terrestres ont besoin de disposer d’un vivier important d’anciens caporaux-chefs et autres sergents. « La fidélisation des militaires du rang et des jeunes sous-officiers constitue ainsi un enjeu de premier plan », conclut le parlementaire.
La fidélisation est aussi un enjeu de l’armée de l’Air, confrontée à la concurrence du secteur civil pour certaines spécialités de pointe. Ses problèmes dans le domaine des ressources humaines sont en plus aggravés par des difficultés en terme de recrutement. Or, au vu de l’ampleur et de la diversité de ses missions, son format devra être revu à la hausse.
Ainsi, rien que pour le « Soutex » (soutien aux exportations), il manque déjà 250 aviateurs. Mais pour « fonctionner » correctement, il manque « plusieurs milliers d’effectifs » à l’armée de l’Air. À l’évidence, les 1.500 postes promis par le projet de loi de programmation des finances publiques ne suffiront pas.
Quant à la Marine Nationale, sa situation est moins critique. Cependant, « la fidélisation, pour une période suffisamment longue, des personnels recrutés constitue une source de préoccupation, les contraintes attachées au statut militaire et, notoirement, à celui de marin militaire étant parfois en totale contradiction avec les aspirations des jeunes recrutés compte tenu des évolutions de la société », souligné le député Jacques Marilossian, dans son rapport pour avis sur les crédits affectés à la « Royale ».
Outre les trois armées, les tensions sur les ressources humaines concernent aussi les directions et les services du ministère des Armées. Le Service de santé des armées (SSA) devra se résoudre à de nouvelles réductions d’effectifs, à partir de 2020.
Le Service des essences des Armées (SEA) connaît lui aussi des difficultés, alors que son niveau d’activité est au plus. Outre les déflations de postes auxquelles il a dû se résoudre, il peine à recruter : en 2016, selon son rapport annuel, 25% de ses besoins n’ont pas pu être honorés.
« La difficulté est particulièrement pregnante chez les maintenanciers pour lesquels seuls 4 MDR [militaires du rang] ont été recrutés pour un besoin de 25 », lit-on dans ce rapport.
Histoire de compliquer davantage la donne, le ministère des Armées aura à renforcer les fonctions « renseignement » (+800 personnels en 2018) et « cyber ». Et ce sera donc autant de postes qui ne pourrant pas être affectés aux trois armées ainsi qu’aux services.
« En ce qui concerne les effectifs, nous bénéficierons de 1 500 créations de postes sur la période 2018-2022, conformément à la lettre plafond qui nous a été envoyée au mois d’août. Cependant, la loi de programmation militaire dépasse l’échéance de 2022 et doit s’étendre jusqu’en 2025. Nous avons donc l’espoir d’accentuer cette dynamique de créations de postes », a assuré Florence Parly, Mme le ministre des Armées, lors de son passage de la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense. Mais en attendant 2023, il faudra donc faire le dos rond…